Mon Carnet de bord... Suivez mes aventures, semaine après semaine!

Janvier 2011

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Samedi 1

 

Dimanche 2

Le jour de l'an est le seul jour de l'année où tout le monde en a à peu près rien à foutre de danser complètement bourré sur du Patrick Sébastien en embrassant le premier venu sous prétexte qu'aujourd'hui c'est permis, qu'aujourd'hui c'est trop la teuf, qu'aujourd'hui on s'aime tous et qu'il faut en profiter parce que dès le lendemain c'est le retour de la vie normale, c'est le retour des embouteillages, notamment de celui dans lequel je me languis depuis une demie heure, à la bifurcation de Langres, ce soir, il est 19h. C'était à prévoir, à Beaune on pouvait lire "A6 Bouchon pour Paris suivre A31"... ils auraient pû ajouter "A31 bouchon aussi de toutes façons bande de nazes". Et donc voilà, je me retrouve là dedans, engoncé comme un éléphant dans un troupeau de moutons, je suis quasiment le seul en camion. Alors je tue le temps à grand coup de mandarines, en balançant les peaux par la fenètre pour affirmer mon coté rebelle auprès des automobilistes déjà en extase devant l'immensité du camion... enfin c'est ce que je me dis, j'y crois...

Je remonte en Suèdie.

Jusqu'à la frontière luxembourgeoise, tout va bien... ensuite la neige vient semer le trouble. Comme d'habitude en plein milieu de la nuit il faut guère compter sur les chasse-neiges, c'est free-style - débrouille toi mon gars. J'essaie de perdre le moins de temps possible à faire mes pleins et prendre mes toll collect pour entrer en Allemagne avant que que le manteau blanc s'installe pour de bon... Je roule jusqu'à Blankeheim sans trop de problème - c'était la portion que je redoutais le plus. En arrivant sur l'A1 cette fois c'est parti, c'est tout blanc, ça tient. Alors on y va molo, pas de ralentisseur, peu de frein, et des mégas distances de sécurité... la seule recette que je connaisse.

Je vais rouler comme ça jusqu'à Cologne où la température redevient positive et la neige disparait. Dès lors je peux remettre l'autoradio, écouter Fugazi à fond jusqu'à Dortmund et l'aire de Lichtendorf sur laquelle j'échoue avec 9h52 de volant. Bien calculé.

 

dans le troupeau, à Langres


Je fais les traces entre Blankeheim et Köln


Stop à Dortmund

Lundi 3

Réveil glacial sur l'aire de Lichtendorf, il y a même une sorte de grésil qui, couplé à un vent en rafales, s'avère particulièrement pénible sur les 100 mètres qui séparent le camion des toilettes "Sanifair", ces désormais fameux toilettes où pour la modique somme de 70 centimes on a le plaisir délicat de se soulager au son mélodieux des chants d'oiseaux couplés à des musiques de détente - type Yoga... quel bonheur... si toute la vie pouvait ressembler à des toilettes "Sanifair", imaginez, partout ces petits chants d'oiseaux et cette musique de Yoga, ce serait la paix sur terre pour seulement 70 centimes...

Comme il est midi et j'entrevois le comptoir coloré du Burger King, je me paie un "menu des monat" à moins de 4 euros : c'est pratique, pas cher et ça peut rapporter gras.

En route pour le Nord, à ma grande surprise la circulation est plutôt fluide, même dans les inombrables portions en travaux. J'arrive dans la soirée à Puttgarden pour prendre le premier bateau in extremis - c'est à dire juste avant l'entrée du train dans le bateau - ce qui ne manque pas de me fasciner : voici un bel exemple de transport multimodal, un bateau avec des camions et un train dedans!
Qui dit train dit passagers : il y a foule au restaurant, foule à la boutique, foule à l'espace détente, foule partout et c'est sur des marches d'escalier que je me pose finalement pour entamer un livre qui me fait réver d'avance : celui de Globetrucker. Malheureusement le bateau arrive trop vite à destination et il me faut déjà le refermer... j'y reviendrai très vite.

Je traverse le Danemark sans même voir que je traverse le Danemark. J'arrive à Helsingor avec 8h30 de volant, je décide de prendre le bateau pour la Suède ce soir pour être plus tranquille. La traversée dure seulement 25 minutes et je rechigne à sortir de la cabine : ça caille et il n'y a rien à voir. Du coup je débarque à Helsingborg dans la foulée et, après un rapide contrôle douanier, je pars à la recherche d'un endroit pour dormir sous une averse de neige qui commence à recouvrir la route. Je me fais plaisir à rouler dans la poudreuse! d'autant plus que je suis complètement seul à cette heure avancée, je peux "tater un peu le terrain" - c'est plaisant, surtout avec des pneus neige.

Je décide d'aller dormir dans un endroit que j'avais repéré il y a peu, chez Volvo, il y a une cour immense. Alors que je m'apprête à tirer les rideaux j'aperçois comme un flash dans la vitrime du concessionnaire... un magnifigne, un splendide, un sublime F12, brillant comme un chiotte "Sanifair", me fait de l'oeil (ou plutôt du phare) si bien que je suis obligé de remettre le blouson et les chaussures pour voir la bête de plus près et faire quelques photos.

La neige redouble d'intensité lorsque je rejoins ma couchette.

une journée dans les travaux


un train qui entre dans un bateau


Sortie du port d'Helsingborg


j'ai fait du lèche-vitrine chez Volvo

Mardi 4

Sur le coup j'avoue avoir eu peur; il était 2h13 ce matin lorqu'un gros bruit m'a réveillé, j'ai d'abord cru que quelqu'un avait jeté quelquechose contre le camion alors j'ai tiré les rideaux... personne à gauche... personne à droite... j'ai allumé la lumière, et, encore tout penaud me m'être fait extirpé d'un rêve sans doute trop bien, je me suis assis sur la couchette pour trouver une explication : c'était quoi ce bruit? impossible de retrouver le sommeil sans avoir la réponse. Je re-regarde dehors mais toujours rien... je décide alors de m'habiller pour faire le tour du camion, j'allume la lumière et là... je vois mon ordinateur qui gît devant le siège passager avec ma tablette retournée par dessus : j'ai dû le poser un peu trop au bord avant de me coucher et tout est tombé par terre. Voilà. C'est tout. Rien de plus extraordinaire. Je me recouche.

à 8h, lorsque c'est le réveil qui sonne, j'ai encore bon espoir de voir 2 mètres de neige dehors, ou bien de voir que la température est tombée à -52°c, juste pour enjoliver encore plus ce carnet de bord; aussi ma déception est énorme devant le maigre centimètre de poudreuse recouvrant mes rétroviseurs et devant cette température nulle, aussi nulle qu'à Pont de Vaux au même instant peut-être... ça vaut le coup de rouler 20h vers le nord!

Je livre pile à l'heure annoncée hier; je fais ensuite 4 ramasses à Helsingborg - non sans peine car le plancher de la semie ne dégèle pas bien que j'aie mis le frigo en positif. Je glisse avec mon tire-pal, je m'énerve tout seul en balançant des "PUTAI..." des "MERD..." ou encore des "PUTAI... de MERD...". Devant un tel spectacle le cariste Suèdois reste la plupart du temps flegmatique.

J'effectue une dernière ramasse plus au nord, à Oskarström. Je connais l'endroit, j'y suis venu cet été, l'accès était déjà rock&roll par temps "normal". Aujourd'hui, en arrivant à l'usine, je fais très attention à la toute petite route sinueuse, en pente et verglacée... je charge, r-a-s, mais comme je l'avais prévu j'ai toutes les peines du monde pour reprendre cette même route en sens inverse : la pente est trop raide, la route trop verglacée, je ne suis pas assez lourd, je patine. J'ai pourtant pris de l'élan, je me suis pourtant mis en mode manuel sur cette fichue boite auto... je ne monte pas. Alors il me faut redescendre, à moitié "en crabe" (car vu que je suis obligé de freiner ça glisse de travers), avec deux virages dont un à contre main à négocier sur la route étroite... je flippe un peu, non, je flippe beaucoup, d'autant plus qu'il qu'il y a - comme pour rajouter des obstacles là où il n'y en avait pas assez - la ligne de chemin de fer en plein milieu de la pente... J'ai lu pas plus tard qu'hier l'anecdote du Foden de Globetrucker coincé dans une méchante pente sur le versant d'une montagne au bout du monde, et me voilà aujourd'hui pathétiquement coincé dans un "coup de cul" à la sortie d'une usine... j'ai l'air con...
Au bout de la troisième tentative, en encourageant le camion de vive voix, en insultant la boite de vitesse, en dérapant complètement du début à la fin malgré les pneus neiges, je parviens à franchir la côte... côte que je n'aurais jamais franchie deux semaines auparavant avec mes pneus "normaux" usés .

Ce soir je redescends via Malmö et je retrouve le "Finneagle". Un des mecs en fluo me fait garer abusément près du mur et m'impose de sortir avant de coller un camion à ma portière... demain ça va être marrant pour remonter dedans. Je retrouve ma chambre toutes options, puis le restaurant pour un repas de guerrier, un peu mérité.

j'aime les routes suèdoise!


j'aime les camions suèdois!


à quai, à Oskarström


la côte infranchissable...


dans l'entre du Finneagle

Mercredi 5

Cette nuit sur le "Finneagle" a été très étrange, sans aucune explication je n'ai pas réussi à fermer l'oeil. Ce bateau offre pourtant un très grand confort : les vibrations et les bruits sont si peu perceptibles qu'on oublierait presque d'être en mouvement; la couchette est aussi très confortable et ne bouge pas - comme c'est le cas dans le "Finntrader" ou le "Finnpartner" - lorsque le voisin de cabine se lève, se couche, copule (ou auto-copule?). Je n'avais donc aucune raison de ne pas dormir et pourtant... j'ai vu défiler les minutes et les heures, à chaque fois un peu plus énervé de tourner en rond dans ces draps aceptisés alors que j'ai pourtant eu une journée difficile à force de stress, de neige et de gastronomie-Finnline... soudain... la musique pourrie de mon réveil, il est 5h30 - l'heure de la douche, le début officiel du mercredi 05 janvier.

Mon estomac se remet difficilement du plateau gargantuesque de la veille mais je cède tout de même à la tentation d'offrir 4 euros en échange d'un petit-déjeuner façonnable selon l'imaginaire devant les étales de victuailles en tous genres. Aujourd'hui je la joue sobre : ju d'orange, yaourt, café... avec aussi un sandwich bien tassé pour ne pas manger que des laxatifs...

Un quart d'heure avant l'ouverture des portes j'entreprends la périlleuse tâche de retrouver, puis d'accèder au camion. D'une part l'immensité de la soute est déboussolante, d'autre part les camions sont tellement serrés qu'il est simplement très difficile, voire impossible de passer entre. Ainsi, lorsque je retrouve mon vénérable FH et sa lamberet toute moche, je n'arrive pas à trouver la solution pour monter à bord. Coté conducteur c'est impossible : le camion d'à coté est à 10cm; coté passager c'est possible mais pour cela il me faut escalader une espèce de rampe en ferraille et rejoindre la portière à la manière d'un funambule... c'est la seule solution... Mon voisin de parking rigole en me regardant faire, c'est assez grotesque, j'ai sali encore un peu plus mon blouson beige mais l'issue est heureuse : je suis à bord.

7h20, je peux sortir, je roule 4 minutes jusqu'à la borne Toll collect où l'on fait la queue pour avoir le précieux césame. Dans cette file d'attente je retrouve mon voisin de parking qui me dit un truc que je ne comprends pas en rigolant... mais j'acquiesce quand-même en rigolant moi aussi, par réflexe...

Il est bientôt 8h et je suis enfin libre d'aller me poser sur la voie de droite de l'autoroute numéro 1. L'avantage de partir un peu tard, c'est que le gros du trafic est devant moi, je peux rouler pénard en écoutant "Lust for life" de l'Iguane à un volume scandaleux.
Aujourd'hui je bifurque à Osnabrück pour descendre via les Pays-Bas puis la Belgique, ça change, c'est très bien. Je pensais pouvoir accèder à la frontière en 4h30 mais c'est bien 4h32 qui s'affiche lorsque je stoppe le camion... qu'on me coupe la tête...

Une eurovignette, un bout de paté de foie et 45 minutes plus tard je suis en Nedherland, il fait beau, il y a des chevaux partout. Jusqu'à Utrech c'est fluide et agréable, mais ensuite c'est la méga-artère qui descend sur Antwerpen, c'est une file initérrompue de camions avec interdiction de doubler (de toutes façons on est tellement nombreux...) c'est la queue-leuleu pendant 2 heures à faire détester les camions au plus fier d'être routier. Pour ma part la méthode est simple : une bonne vielle distance de sécurité (alors que celui de derrière aimerait tellement s'accrocher à mon pare-choc) - on arrivera tous ensemble à Anvers que ce soit à 100 mètres ou à 5 mètres d'intervalle les uns des autres!

Je refais 45 minutes à Nazareth (qui eut cru qu'il était Belge?)

Je roule ensuite jusqu'à Rekkem pour mettre du Go à l'IDS... malheusement cette dernière n'éxiste plus alors je fais fais demi tour, j'hésite un instant devant le resto de la station Total en souvenir de cette énorme assiette de spaghetti qui remonte à plus de deux ans... finalement devant la sur-saturation du parking je roule jusqu'à la frontière où je me pause en plein milieu pour me faire moi-même cette énorme assiette de spaghetti.

Deutschland


Nedherland


Belgiland

Jeudi 6

Une pluie froide arrose le parking ce matin, comme pour me rappeler que je me réveille à la frontière du Nord-Pas de Calais. Je l'affronte avec ma capuche, je fais le tour du camion pendant que ce dernier chauffe un peu, je décolle à 7h20. J'aurais pû partir avant, j'aurait même dû me dis-je à moitié coincé dans la congestion lilloise, mais j'ai seulement rendez-vous à 10h30 à Amiens... j'ai même le temps de m'arrêter mettre du Go à l'IDS Libercourt.

La principale différence concernant mon métier lorsque je roule en France - ce qui est désormais largement plus rare que rouler à l'étranger - c'est que je peux écouter France Inter en FM, "la matinale" à fond dans la cabine comme un vieux, 15 fois les mêmes informations, 15 fois la météo... et puis je finis par mettre un CD faute de trouver une station plus intéressante.

A 10h je troque mon volant pour un tire pal et une séance de musculation. Le réceptionnaire, sympa bien qu'un peu stressé, vérifie et revérifie la marchandise pendant une demie heure tandis que je me ronge les ongles, puis les doigts, puis les os. Tout cela pour en arriver à cette question : "mais au fait, t'as vidé combien de palettes?" Je lui répond 64 mais il lui faudra les recompter 5 fois pour valider... il commence à me soùler l'ami et je dois le faire ressentir car il n'en finit pas de se justifier. Un coup de tampon plus tard je suis en direction d'Arras pour recharger non pas des chevaux mais des palettes chez un transporteur ouvert de midi à 14h. Tout va très vite (à peine 20 minutes à quai), je redescends sur Lyon.

J'entre sur l'A26 à Cambrai, toujours sous le déluge, je roule en direction de Reims. Arrivé dans la cité des têtes couronnées je suis un peu - beaucoup - désorienté et je me retrouve malgré moi sur le nouveau contournement payant de la ville. Tiens c'est nouveau? je ne m'y attendais pas, moi qui voulais enfin réussir le cliché de la cathédrale entre les immeubles c'est raté! Donc je contourne. Puis je reviens sur l'ancien péage, sortie dorénavant nommée "Reims-Est" puis continue via la route nationale. C'est l'erreur du jour. Je perds un temps fou dans dans la circulation ralentie par des convois d'éoliennes.

J'avais initialement prévu de m'arrêter sur l'aire de Langres mais il me manque une demie heure. Je m'arrête donc à Chaumont, dans un resto routier, une fois n'est pas coutûme. Une fois ne risque d'ailleurs pas d'être coutûme car je dois bien avouer que ce genre d'endroit ne m'attire pas du tout; certes il est appréciable de manger à peu près correctement... mais si cela doit se faire entre Bébert qui ne comprend toujours pas pourquoi on l'a arrêter l'autre jour dans la neige et Jojo qui va casser la gueule à son affrèteur - c'est certain, j'en viens à regretter mon autoradio et les infos de France Inter, et la météo aussi, et même la météo marine - c'est dire...

Je retrouve mon camion dans la boue du parking.

dans la Somme


et voilà, encore un bout de paté...


entre Arras et Cambrai

Vendredi 7

Je redescends par l'A31. Les essuie-glaces balaient le pare-brise à grande vitesse, la journée s'annonce belle. Mon stock de mandarines n'a pas fait la semaine alors j'en reviens aux chocos, avec l'amusement de jeter les épluchures par la fenêtre en moins.

Hier je n'ai pas mis assez de gazole à Libercourt - je ne connaissais pas encore mon programme - il me faut donc repasser à la pompe, en l'occurence la très pratique Esso Express des Echets : un cauchemard - pas de place, des bornes en panne, des pistolets sans cran de maintien, pas de débit... mais quand même du gazole pas trop cher faute de quoi on ne viendrait pas perdre du temps ici.

Je livre à Vaulx en Velin. Déjà sur le papier ça ne fait pas envie... lorsque j'arrive à destination, et qu'il me faut continuer à rouler malgré tout car je ne peux pas me garer - il y a déjà un camion dans la petite impasse, je suis d'autant plus ravis. Et puis, comme j'ai continué tout droit, qu'il n'y avait toujours aucun endroit pour se poser, même à l'arrache, ou pour faire demi-tour, même à l'arrache, j'ai fini par me retrouver en centre ville de Vaulx en Velin... et tout naturellement par me perdre dans les ruelles étroites. La rage au ventre je parviens à me retrouver dans la rue pourrie de mon client, au pied des barres d'immeubles eux-même pourris, et comme je n'ai guère le choix je me pose en warning à même la route, en me faisant au passage beaucoup d'amis qui me témoignent leur amitié à grand coup de klaxon. Je reste dans cette position merdique un petit quart d'heure, l'autre camion s'en va, je prends sa place en marche arrière après une manoeuvre pas évidente - mais ça va les automobilistes n'ont pas été trop débiles et m'ont laissé de la place..je leur fait un petit salut amical pour les en remercier.

Une bonne heure pour décharger, je les laisse faire car ils s'engueulent tous pour savoir où ils vont ranger toutes ces palettes... je prends le temps d'écouter la toujours génialissime chronique de Vincent Roca en mangeant du taboulet, en regardant les barres d'immeubles.

Je recharge à Saint-Etienne, je n'aime pas aller à Saint-Etienne en Camion, je déteste l'autoroute qui y conduit. Comme on est vendredi et malgré le fait qu'il soit 13h30, on me charge direct, en un quart d'heure. Je n'ai donc plus qu'à rentrer à Bourg, la semaine est terminée.
Terminée pas tout à fait car il reste les traditionnels rituels du dépôt : faire les pleins, laver, remettre du lave-glace, de la graisse... aujourd'hui je pousse même la conscience professionnelle jusqu'à changer une ampoule de ma semie pourrie... Puis je m'en vais à moitié énervé, parce que j'ai une soudaine envie d'être à moitié énervé.

un panneau, à St Etienne


une vielle usine, à St Etienne


un mur, à St Etienne


2 perdreaux de l'année, à Bourg

Samedi 8

Dimanche 9

Ma chaussure gauche est gorgée d'eau. La droite est sèche.
Je me dirige d'un pas hésitant et désagréable vers l'Autogrill. Je commande un café, plus par anticipation des 4h de volant à venir que par plaisir. Ce café est aussi, malgré tout, un retour à la surface "en société" avant de replonger dans un océan de solitude. J'observe les allers et venues des serveuses, elles sont trois : une grande maige, fausse blonde et débutante (elle m'a servi un café court alors que je voulais un long) une petite brune avec des grosses joues qui fait la vaisselle, une autre brune avec des joues de taille normale derrière la caisse. Toutes trois vêtues du tablier autogrill, de la chemise autogrill et de la casquette autogrill; cela ne fait aucune doute nous sommes bien à l'Autogrill. A ma gauche il y a un type qui boit lui aussi un café, qui lance de temps à autre une remarque à haute voix, c'est à dire à l'attention de moi-même et des serveuses... comme je ne comprends pas et je ne suis pas d'humeur avec mon pied mouillé je n'ai même pas la coutoisie de tourner la tête, je l'ignore; les serveuses lui renvoient des sourire uniquement par politesse, cela se voit.
Si j'ai le pied gauche mouillé c'est parce que mes chaussures ont pris l'eau, c'est parce que je les laisse sur le marche-pied pour ne pas entrer avec dans la cabine. En temps normal il n'y a pas de risque, mais lorsque il tombe des seaux de flotte pendant 4h30 comme ce fut le cas ce soir, entre Bourg et Viverone, l'eau arrive a grimper les trois étages pour venir imbiber ma semelle. J'ai bien une deuxième paire, dans le marche-pied coté passager, elles sont elles-aussi trempées... Alors il me faut me résigner à mettre mon pied gauche dans une chaussure plus lourde, plus froide, moins confortable...

Je commence cette semaine sous la pluie certes, mais en Italie : un peu d'exotisme entre deux tours de Suède. Je n'aurais jamais imaginer ressentir cela il y a seulement quelques mois en arrière...
Je vais livrer du boeuf dans le veneto, à 8h30 de Bourg si tout va bien.

Après avoir bu mon centilitre de caféïne pure je retourne au camion, toujours sous la pluie, j'enlève mes chaussures pour les remettre sur le marche-pied, j'enlève mes chaussettes elles-aussi trempées, je repars les pieds nus dans mes claquettes - ça finira bien par sècher.
Je déroule de l'autoroute jusqu'à Vicenza, puis un peu de nationale. La pluie m'acccompgne sur tout le parcours, j'arrive à destination à une heure. Pour aller ouvrir le portail il me faut remettre mes chaussures, j'hésite...
Ma chaussure gauche est gorgée d'eau. La droite est sèche.

Aire de Viverone, ça faisait longtemps

Lundi 10

Il y a comme une odeur de pied dans la cabine. Ca pue.
Pour sècher ma Caterpillar gauche je l'ai positionnée devant l'aération du webasto... ainsi toute la nuit ma semelle a filtré l'air chaud diffusé dans la cabine, l'enrichissant au passage des essences naturelles issues de la première pression à froid du pied dans une chaussure mouillée. Je me réveille à 8h, j'aère, il pleut toujours.
Après 9h de coupure je fonce sur les routes étroites du veneto pour arriver au plus tôt chez mon second client, on m'attend. 11h, je suis en place, je n'ai qu'à patienter dans la cabine, on me refuse l'accès au quai. En une demie heure trois camions arrivent, la cour est remplie, un quatrième autre camion est obligé d'attendre dans la rue mais comme cette dernière est très étroite les klaxons fusent. Le réceptionnaire me balance les papiers et me dit un truc du style "allez barre-toi, vite"... Donc je me barre. Vite. je n'ai pas rangé les crochets, je ne connais même pas mon programme si bien que j'hésite tout bêtement à tourner à gauche ou à droite en passant le portail. Je tourne à gauche. Je roule en direction de Padova, le téléphone à l'oreille pour en savoir plus, je ne peux m'arrêter nulle part faute de place. Mon chef m'annonce "Mantova" - c'est bon je suis dans le bon sens -, et puis non finalement ce sera "Conegliano" - je fais demi-tour.

Il est 12h30 lorsque je me positionne sur la piste de lavage de la petite station de Crocetta. Il n'y a personne mais les tuyaux et les brosses sont dehors, c'est sans doute la pause-déjeuner. Je range les huit bacs de crochets dans les coffres, c'est particulièrement pénible, surtout sous la pluie. Je retourne au sec pour manger un bout de pizza (ou de carton je ne sais pas trop?). 13h30, toujours personne. 13h45, je commence à m'inquièter. 14h, toujours personne. 14h15, je cherche une solution pour laver moi-même, une simple arrivée d'eau ferait l'affaire : les tuyaux sont bien là mais je ne trouve ni embout, ni robinet... 14h30 je pète un cable, je referme les portes et pars à la recherche d'une autre station... j'ai perdu deux heures.

Je n'ai pas vraiment le choix, il me faut redescendre à la Q8 de Castelfranco, à une demie heure de route d'ici. Par "chance" un Torello me laisse sa place et le laveur enchaine sans perdre plus de temps. Il me propose d'aller boire un café pendant qu'il lave, j'y vais, ça ajoutera un peu de stress au stress. Je reconnais derrière le comptoir la serveuse ultra vulgaire que j'avais déjà décrite dans ce carnet de bord... Je constate que la vulgarité n'a pas de saison : été comme hivers le décolleté se porte béant, assurant au passage une part non-négligeable du chiffre d'affaire à en voir l'attitude contemplative des 3 traines-savates accoudés au bar. Elle semble tout droit sortie d'un vieux film érotique italien des années 80... enfin je vois rarement des vieux films érotiques italiens des années 80, mais je pense qu'elle y trouverait sa place...
Je laisse cette créature distinguée ainsi que son fan club hypnotisé pour retrouver le laveur, il a terminé. Vingt-cinq balles et une poignée de mains plus tard je remonte en direction de Conegliano.

J'arrive à 16h pour recharger, je crains un instant que l'on reporte l'opération à demain... pas du tout, on m'accueille en grande pompe, ici les gens sont incroyablement gentils. Je m'occupe de ranger les palettes qu'un cariste dépose au cul de la semie. Le plancher est encore mouillé, les palettes sont lourdes, je me vautre lamentablement à deux reprises, encrassant au passage encore un peu plus mon blouson beige qui décidément aurait été bien inspiré d'être noir...
17h30 c'est fini, j'ai les papiers, je dis arrivederci à toute la scuderia, ils sont vraiment incroyablement gentils ici.

Je roule jusqu'au bout de mes heures en direction de la France, Je me prépare une casserolle de quenelles en boites... comme ce n'est pas très bon - voire franchement dégueulasse - j'y ajoute beaucoup de parmesan. Malheureusement il pleut pleut toujours et je ne peux pas trop ouvrir les fenêtres malgré les effluves du fromage fondu...
Il y a comme une odeur de pied dans la cabine. Ca pue.

chargement de boeuf

l'Italie sous la pluie

lavage à Castelfranco

Mardi 11

Je pensais passer une nuit tranquille. Et pourtant...
Hier, où plutôt ce matin, j'ai échoué à l'autoport d'Aoste avec 10h de volant. Je me suis couché vers minuit et me suis endormi direct. Au beau milieu de mon sommeil, je ne sais même pas à quelle heure, on frappe à ma porte. Il ne s'agit du violent "paf paf paf" habituel dont les réceptionnaires sont tellement friands et qui tétanise le coeur... non... il s'agit là d'un petit "toc toc toc" tout discret, tout timide qui aurait dû m'en dire plus sur la suite... Je me réveille, en caleçon, j'éssaie de reprendre mes esprits, je me demande un instant si j'ai bien entendu quelqu'un frapper à la porte?... je pousse le rideau en ouvrant un oeil, il y a bien un type sous ma fenêtre, je la baisse un peu, je ne sais toujours pas quelle heure il est...
_"bonjour monsieur, excuser-moi de vous déranger... ha vous dormiez peut-être?"
_"heu... oui je dormais, étonnant non (?)"
_"excusez-moi, j'ai un problème, j'ai raté mon train pour Courmayeur, vous n'allez pas à Courmayeur par hasard?"
_"bah... si je passe à Courmayeur demain... mais là je dors!"
_"ha oui.... excusez-moi, je ne sais pas comment je vais faire...."
_"essayez de trouver quelqu'un à la station... moi je dors!"
_"ha oui.... excusez-moi..."
Et puis... alors que je m'apprete à retirer le rideau...
_"Et sinon... heu... je peux monter 5 minutes?"
_"quoi?"
_"Je peux monter dans la cabine, 5 minutes?"
_"Barre toi vite..."
La voilà la vielle technique des gros dégueulasses qui trainent sur les parking : on fait diversion avec une histoire quelconque, et puis une fois qu'on a établi une sorte de contact, on en vient à ses fins... Encore à moitié endormi je n'avais même pas capté de suite... et j'ai regretté de ne pas avoir été plus violent avec une merde pareille : ce type vient quand-même me réveiller! Il y a de quoi s'énerver non?

Du coup j'ai galéré pour retrouver le sommeil. Au Réveil officiel, vers 8h, je vais prendre ma douche contre deux euros. La douche de l'autoport est indigne d'un autoport. Je démarre ensuite en direction du tunnel, je suis le huitième frigo en attente - le type de l'escorte me refoule à l'entrée - j'ai la rage...
Je me laisse descendre jusqu'à Bourg, j'arrive à 13h, il n'y a personne alors je mange un casse-croute dans la cabine, dans la cour.
En ce début d'après-midi je m'improvise pompiste, laveur puis cariste avant de partir charger à Lyon, pour la Bretagne. Je me paie une bonne dose d'embouteillages sur le périph, je perds plus d'une demie heure. Une fois à quai, prêt à recharger, je fais connaissance avec Aurélien de chez Bonnet et Gérard - un tractionnaire -, nous discutons un bon moment autour d'un café, Il m'est arrivé peu souvent de tomber sur des gens sympa ici... c'est agréable.

20h Je décolle, l'A6 est bouchée en direction de Paris, je Passe par St Etienne. J'ai pile les heures pour arriver chez mon premier client et dormir là-bas. Il s'agit d'une grande base où les réceptionnaires ne sont pas appelés "caristes" mais "mousquetaires"... bizarre...
Devant l'entrée il y a un grand parking. Je lorgne sur la place isolée, au fond, à droite... mais le gardien me fait des grands signe : "gare toi avec les autres frigos s'il te plait, là-bas!"... alors je me gare avec les autres frigos, là-bas, bien que cela ne me plaise que très moyennement, car je sais que les moteurs vont tourner avec des cycles différents...
Je pensais passer une nuit tranquille. Et pourtant...

je suis bien passé à Courmayeur

un chamois qui essaie de grimper aux arbres

Brou

les 700 chevaux d'Aurélien

Mercredi 12

Aucune volonté. Je n'ai aucune volonté.
Ce matin, comme hier matin, avant-hier matin, et sans doute demain matin, j'éteins le réveil - que j'ai pourtant volonairement programé avec un peu d'avance -, et je me remets sous la couette, dans mon nid. Il y a le Régis de la veille avant de s'endormir, plein d'idées en tête, de projets, d'espoir pour l'avenir... et le Régis arraché à son sommeil qui n'a lui qu'une seule intention : y retourner, annihilant ainsi en un éclair son propre élan de motivation. Le monde étrange et inconscient des rêveries est sans doute mieux que la réalité tangible d'une nouvelle journée qui commence sous la pluie berrichonne...

Je bois un cappuccino devant le poste de garde, puis je m'inscris. Le gardien n'est pas franchement sympa, au premier contact je sens qu'il n'est pas du genre à étaler la communication au delà de sa procédure d'enregistrement. Je vais me mettre à quai, un peu blasé par la sinistrose ambiante. Heureusement le réceptionnaire relève le niveau : "bonjour" - poignée de mains - sourires - discussion - blagues - poignée de mains - "salut, à la prochaine"... mon moral est sauf.

Il me reste deux livraisons à faire du coté de Rennes, une ce soir - l'autre demain. J'ai le temps. Je prends la nationale tout le long, hormis les incontournables contournements de Vierzons et Le Mans. Globalement ce parcours s'avère agréable... un tracteur de temps en temps, un frigo qui me décolle sous le nez, quelques grumeaux par ci par là mais rien de bien méchant. Je m'arrète manger sur l'aire du Mans, non pas au Quick mais dans la cabine : cordon bleu avec salade de concombre... je tente des trucs...

Je suis à Rennes dans la soirée, j'y laisse quelques palettes et je roule sans me presser jusqu'à ma destination finale, mon dernier client que je tente - on ne sais jamais - de livrer ce soir... négatif... je me plante donc devant le portail pour une confortable coupure à deux chiffres. J'ai enfin du temps à disposition pour avancer mes travaux d'écriture, de lecture... mais non... je regarde fixement l'horizon, puis comme il fait nuit et j'ai tiré les rideaux, je regarde fixement les rideaux, je ne sais même pas à quoi je pense - je me demande si je pense à quelquechose; j'écoute un CD d'emiliana Torrini, entre deux râles du frigo qui s'obstine à démarrer toutes les dix minutes... tiens d'ailleurs si je le mettais en "continue" ce serait moins pénible? il faudrait que je ressorte, et donc que je remette mon jean, mes chaussettes, mes chaussures...
Aucune volonté. Je n'ai aucune volonté.

canal du Cher

toujours pas...

un diner presque parfait chez Régis

Jeudi 13

C'était à prévoir. C'est de ma faute.
Je tire les rideaux, j'épluche une mandarine, je mets le contact, je démarre... ma carte de conducteur sort du tachygraphe, l'écran clignote et affiche "carte non-valide". Je la repousse - elle ressort : "carte non valide". Je la rerepousse - elle reressort : "carte non valide"... j'hésite à faire ça toute la journée, finalement j'essaie de trouver l'origine du problème, et je trouve rapidement : ma carte est périmée! Et oui, je redécouvre avec stupeur qu'à l'instars des yaourts où du jambon en barquette il y a une DLC sur les disques nouvelle génération... je redécouvre cela maintenant qu'elle est passée, je suis en Bretagne, je n'ai plus de carte à mettre dans le tachy...

Bon, nous essayons de trouver une solution, mais il n'y en a pas cinquante : je note mon parcours étape par étape sur un calepin et je tire un ticket-véhicule à la fin de la journée. Cela dit il me faut rouler sans carte, cela ne m'emballe pas des masses, j'imagine mal m'expliquer devant un gendarme en cas de contrôle...

Me voici donc parti, pas trop rassuré, je recharge du porc près de Vannes - capitale mondiale de l'humour d'après mon pote Richard.
Je decharge des emballages, je lave, je pèse, je charge, je repèse... le tout en moins de deux heures. Je m'accorde un délai supplémentaire pour une douche et un passage à la cantine. Je mange une montagne de choucroute avec des gros bouts de pain (ici les tranches font 10cm de large), le tout pour moins de 5 euros.

Je pars à 13h30, bien calé sur mon siège. Je n'ai plus qu'à redescendre à Bourg en Bresse, j'évite les péages. Je croise pour la première fois Vonvon29 qui m'annonce en exclusivité que son prochain carrosse sera un Axor, c'est décidé.
Je continue jusqu'au centre routier de Poitiers, où j'envisage pourquoi pas de passer la nuit pour repartir à 2h30 le lendemain et ainsi éviter la circulation. Cela ne fait pas 2 minutes qe je suis arrêté qu'un type vient me voir:
_"tu dors pas ici j'espère? parce qu'il y a un parking frigo là-bas! moi je je supporte pas le bruit toute la nuit, hier j'ai failli me battre avec un Espagnol qui voulait pas bouger..."
pffff.... c'est quoi encore ce type... "Non t'inquiète, 45 et je me casse..." C'est pas possible ce genre d'endroit, déjà qu'il y a des prostituées et des mecs louches qui tournent entre les camions, voilà maintenant que les "collègues" viennent faire chier... celui-ci est quand-même garé à 20 mètre de moi!
Je reprends la route et donc les embouteillages 45 minutes plus tard... je roule en direction de Montluçon et quand vient le moment de trouver une place je n'en trouve pas... je ne devais pas dépasser 9h aujourd'hui, et pourtant c'est avec 9h22 que je me gare en catastrophe et en passant entre les obstacles anti-camions sur le parking d'un magasin d'électroménager. J'aurai dû m'arrêter beaucoup plus tôt, j'ai fait une infraction inutile.
C'était à prévoir. C'est de ma faute.

Guilliers

lavage avant chargement

un écossais en Bretagne

Vendredi 14

Allez un peu de motivation! il est temps de rentrer.
Je lève le camp avant l'arrivée des premièrs employés. Dans la nuit d'autres camions ont échoué ici, peut-être avaient-ils eux-aussi envisagé de dormir à Poitiers?
Sur la RCEA je passe à trois reprises devant des contrôles de gendarmerie en serant les fesses. Finalement j'arrive à destination en fin de matinée. La semaine est terminée, et je suis même en vacances : vacances "forcées" faute de carte de conducteur...
Je mange avec les collègues, puis je m'occupe un peu du camion, je dois enlever mes affaires, un travail titanesque...
Le temps passe et il fait déjà nuit... j'ai une soudaine envie de pizza de la Vielle Auberge...
Allez un peu de motivation! il est temps de rentrer.

RCEA

un après-midi dans la cour

Samedi 15
Dimanche 16
Lundi 17
Mardi 18

Mercredi 19

Mercredi matin, jour du marché, sortie hebdomadaire du cheptel; 10h30, la très lente parade est en marche, on se toise avec cannes et bérets, on frime en bigoudis et en pantalon de velours, on s'observe en lunettes triples foyers, on s'écoute à travers les sonnotones... la vie bat son plein dans la Grande Rue et je ne fais que passer avec mes bagages pour atteindre ma voiture et fuir au plus vite de peur de devenir moi-même un vieux. J'étais sensé être en vacances, je rattaque finalement aujourd'hui, je suis en retard. Non... comme d'habitude : je pense être en retard; la semie que je dois atteler n'est pas encore là lorsque j'arrive au dépôt. Je pars pour Naples avec cinq livraisons : programme chargé pour une demie semaine.
A 12h30 je décolle officiellement, j'ai de la viande à ras les portes, on m'a même enlevé un client, il me reste Milano-Brescia-Modena-Napoli.

Il fait très beau, je serais presque de bonne humeur.

Au tunnel il y a déjà un troupeau de frigos en attente avec les moteurs qui braillent plein pot. D'autres arrivent après moi et nous sommes au total 15 lorsque les voitures pilotes pointent enfin le bout de leur gyrophare. Ce coup ci ils n'ont pas vraiment le choix : ils font entrer tout le monde pour une méga-escorte intra-MontBlanc. Coté Italien je roule jusqu'à l'autoport d'Aoste, il faut que je m'arrète faire des courses, mon frigo est vide, mon ventre aussi. Je flâne donc dans les rayons de Carrouf à la recherche d'un éventuel paqueto de choco... finalement j'achète plein d'autres trucs italiens, ça change.
Après 48 minutes de courses dont 44 à faire le poireau devant les caisses, je reprends le volant direction Milan.

J'arrive chez mon client à 20h, je les ai prévenu par téléphone mais il n'y a personne... je rappelle, Alfredo m'annonce "10 minuti"... 30 minutes plus tard il arrive, nous déchargeons, je me casse... amer...

Je roule jusqu'à mon deuxième point de chute : Brescia. Il fait deux degrés et il commence à neiger lorsque je me gare dans l'impasse d'entrée pour me préparer une salade - mozzarella... un bon plât d'hivers.

c'est beau non?

les viandards au Mont blanc

Jeudi 20

J'ai réglé mon réveil sans marge de sécurité, tout juste dix minutes avant mon RDV de livraison, afin de me mettre une pression psychologique pour ne pas me louper... ça marche : Il fait encore nuit ce matin lorsque je saute de la couchette, pas de temps à perdre!
Une fois les palettes déchargées, je m'accorde un café au bar du coin : j'ai vu de la lumière, je suis entré. Nous sommes trois accoudés au comptoir à écouter l'interminable monologue agité de la gérante, puis soudain le silence, elle se tourne vers moi comme si elle attendait quelquechose en retour - comme pour me dire "et toi, qu'est-ce t'en pense"... le problème c'est que de son discours je n'ai compris que "Berlusconi", alors j'hésite à acquiescer lâchement en sortant pourquoi pas un "ha bas tu penses ben... c'est sûr... hou oui...", mais je préfère lui répondre la vérité, lui dire que je suis Français et que je n'ai rien compris. Du coup j'ai le droit à une sorte de traduction pour m'apprendre que "Berlusconi est une ordure, qu'il y a deux poids - deux mesures - que tout le monde est corrompu"; je peux enfin dire "à bas tu penses ben... c'est sûr... hou oui..." sereinement.

Je devrais m'arrèter boire le ju plus souvent... pour l'heure, 7h10, je décolle en direction de Modena.

Jusqu'à Mantova c'est la grosse pluie lourde qui lave le camion, mais arrivé à Modena les gouttes se transforment en flocons : à ce moment je n'ai pas encore idée de ce qui m'attend. En effet, je suis plus préoccupé à choisir le bon itinéraire : je livre dans les hauteurs de Maranello et l'accès est très limité pour les PL. J'abandonne la traversée de la ville-Ferrari, c'est interdit de partout, je suis donc les panneaux, d'autant plus que le nom du village que je cherche est déjà inscrit dans la vallée. La neige commence à sérieusement tenir au sol, j'ai une soudaine monté d'adrénaline en passant devant les panneaux "chaines obligatoires", la route grimpe de plus en plus. C'est en quittant la SP12 que je flippe encore plus : je m'engage sur une piste blanche, raide et sinueuse, en direction de Serramazzoni. Je passe 3-4 virages en épingles en priant le Dieu-pneu-neige pour que ça continue à accrocher : si je m'arrête je suis coincé à coup sûr. J'arrive à Serramazzoni, je croise une petite camionette avec les chaines, j'ai franchement les pétoches d'autant plus q'une fois le village passé, la route redevient tordue. Je m'arrête demander mon chemin à une Italienne qui rentre ses courses, elle me confirme que je suis sur la bonne route : "tre kilometri a destra"... ok...
Trois kilomètres et 15 minutes plus tard je trouve l'entreprise et j'hallucine : c'est tellement bien fait ici que je ne peux même pas entrer, il me faut absolument arriver dans l'autre sens car je n'ai pas la place pour tourner sans compter la pente à négocier... Je continue donc tout droit à la recherche désespérée d'un simple endroit pour faire demi-tour. Le problème c'est qu'il neige sévère et que cette route est définitivement merdique... impossible de me retourner avant... Maranello... je viens de faire 10 Km en une demie heure pour rien : je repars dans l'autre sens. Je n'ai pas peur de rouler dans la neige mas j'ai franchement peur des autres que je croise : peu s'attendent à voir débouler un camion ici et il faut éviter les freinages d'urgence... pour preuve une petite Fiat Uno fait un joli 360° devant moi...
Je retrouve mon entreprise, dans le bon sens, la pente me parait infranchissable aussi je prends un maximum d'élan pour arriver là-haut... in extremis...
Le clou du spectacle c'est pour maintenant : après une manoeuvre de fou sur un quai tellement tordu que deux des essieux de la remorque ne touchaient même pas le sol, après une petite heure d'attente, j'apprends que la marchandise est refusée car "non conforme"... je suis ravis. Je viens de me décarcasser et de prendre des risques pour rien. Je repars direction Maranello, juste derrière le tracteur-chasse-neige, pas mécontent d'ailleurs de tomber sur lui : simplement parce que c'est une bonne barrière de protection contre les pilotes du trophée Andros.

J'ai bien perdu 1h dans l'histoire, Il FALLAIT braver les interdiction PL de Maranello, j'ai voulu bien faire... note pour plus tard...

Je vide la viande ailleurs et je fonce en direction de Naples. Il a aussi neigé dans les Appenins entre Bologne et Florence, les paysages sont spectaculaires, les embouteillages aussi.
En 9h52 j'arrive à Rome, sur l'aire de "Roma Nord", une station récente avec beaucoup de places, une oasis au milieu de l'Italie.

Dans la soirée, alors que je finis mon yaourt parfum "fragola", je vois un chat sous ma fenêtre, il me regarde, puis miaule... d'un naturel perspicace j'en déduis qu'il a faim. Il a l'air sympa, d'ailleurs ça devient très vite un pote : je lui balance mes croutes de gorgonzola en lui racontant ma vie... en échange il m'honnore de regards dignes et riches en reconnaissance, ces fameux regards les paupières à demie closes qui distinguent le félin de la volaille. J'aime bien les chats sur les aires d'autoroutes, c'est autant de rats en moins.

galère...

voici l'entrée, ici : la pente, à gauche...

j'ai réussi!

Mon tracteur anti-encastrement

20e mon poto de la soirée

Vendredi 21

Réveil à 4h15, douche gratuite et propre à l'autogrill, café également gratuit car la serveuse se trompe en me rendant la monnaie : voici une journée qui commence bien. Je décolle à 5h en direction du sud, il y a peu de monde sur l'autoroute, seulement quelques téméraires qui dorment pénards sur la voie de droite : appels de phares et/ou klaxon fortement conseillés lors des dépassements.

J'arrive chez mon client à 7h45, j'ai rendez-vous à 8h, c'est parfait. Enfin presque... je tombe sur le gardien zèlé de la dernière fois qui m'envoie direct poireauter sur le parking d'à coté, "il fera sonner mon portable en temps voulu". Je file donc me garer sur parking qui sert aussi de décharge publique : je vois à plusieurs reprises des voitures ralentir, puis des sacs poubelles voler par la fenêtre pour rejoindre un tas déjà conséquent.
Comme prévu l'attente s'éternise... dans ces cas là il suffit d'avoir un bon livre : je termine aujourd'hui celui de Yves Ballenegger, "Globetrucker", 187 pages d'évasion écrites par un aventurier des temps modernes - digne représentant de notre profession et narrateur captivant... un livre rare.
Le temps passe, voici déjà plus de deux heures que j'admire le tas de poubelles - 2h30 lorsque le gardien m'appelle - et ce sera au total 3h pour me séparer de huit pauvres palettes : la journée commence à peine et je suis déjà pris à la gorge par mon amplitude.

Les plus observateurs l'auront remarqué, j'ai récemment fait l'acquisition d'un appareil qui me donne l'impression d'être un peu moins routier qu'avant : un GPS. En cette fin de matinée je roule confiant en direction de Pompéi, la célèbre cité dont les vestiges figés sous les cendres du vésuve font tristement l'actualité, avant de peut-être s'écrouler faute d'entretien... Nous sommes à Naples...
Donc je localise la rue, ok, j'arrive à y accèder, ok, seulement il me faut choisir : droite ou gauche? - une rue étroite avec plein de bagnoles et de balcons - ou une rue étroite avec plein de bagnoles et de balcons? Je tente à gauche, il y a un peu moins de bagnoles et de balcons... 300 mètres plus tard je suis en face d'un mur. Allons-y gaiement pour une marche arrière de l'impossible... Je recule 200 mètres puis je fais un demi-tour à "plus que l'équerre" dans la cour d'une conserverie. Je repars dans le bon sens.
Je suis à l'affût, j'ai peur de rater l'entrer au cas où le nom ne serait pas marqué. Sur ma gauche une ruelle entre deux murs... et sur un des murs un pannonceau avec le nom de ma ramasse... C'est impossible? je ne rentre pas la dedans? c'est pas assez large? je vais être coincé? Gros doute et je préfère jouer la sécurité, comme on commence à sérieusement klaxonner derrière je continue jusqu'à une station "IP" toute proche. Le pompiste, sympa, me confirme qu'il faut bien prendre la ruelle, mais prendre le "plus à gauche possible" sinon ça rentre pas, ensuite il m'indique comment faire deux fois demie tour pour arriver de nouveau dans le bon sens (comme hier, ici on ne rentre que dans un sens).
Je fais deux fois demi-tour et me représente face à la ruelle... je ne le sens pas... il y a une voiture qui gène à gauche et ça ne rentrera pas... comme je suis un peu débile j'essaie, et comme prévu je reste coincé, en travers, je ne vois plus rien dans les rétros hormis des fiat panda qui passent en force au ras du pare choc... j'ai envie de me barrer en courant! Je ne peux même pas sortir du camion, ni à droite, ni à gauche, je suis au ras des murs. Devant moi un type me dis d'avancer, l'air de dire "ça frottera juste un peu la semi, on s'en fout". Non, on s'en fout pas, je commence à reculer à l'aveuglette, centimètre par centimètre... et puis un autre type à la très bonne idée de stopper la circulation derrière, tâche plutôt difficile dans cette région du monde. Je réussi à sortir à contre-main, je suis tout pâle. Entre temps, la voiture de gauche à dégagé, il me faut retourner faire mes deux demi-tours pour me représenter à nouveau devant la ruelle. 10 minutes plus tard je prends "le plus à gauche possible", c'est à dire à 1cm du mur en pliant le rétro... et la semie passe à un ou deux centimètres du mur opposé... j'hallucine vraiment...
C'est tout tremblant que je me présente à l'entreprise, au bout de la rue. Un gros type assez sympa me fait frôler la crise cardiaque : il me dit tout naturellement "bon suis-moi, on va charger ailleurs". Tout ça pour ça! exactement comme hier! Alors je suis le citroen berlingo dans les rues étroites, il m'attends à plusieurs reprises car les croisements sont difficiles, puis, à 12h30 nous arrivons dans une cour où il y a déjà deux camions. "On te charge à 14h30"... cette fois c'est bon je n'ai plus d'amplitude pour rouler 10h aujourd'hui.

Beaucoup des rues que j'ai emprunté pour venir ici sont à sens unique, si bien que je ne sais même pas par où repartir. Le cariste m'avait promis un plan mais entre temps d'autres camions sont arrivés et une fois mon chargement terminé on m'a dit "allez casse toi, vite!", enfin un truc qui signifiait ça. Me voici donc à nouveau dans les rues de Pompéi, entre les balcons dangereusement bas, les panneaux d'interdictions et les klaxons en tous genre... Je suis pômmé. Aucun panneau d'autoroute à l'horizon, j'avance au pif, je me retrouve dans des endroits improbables, je transpire. En voyant un carrefour étroit au bout d'une ruelle je décide carrément d'aller voir à pied, heureusement ça passe. Je vais mettre un bonne demie heure avant de retrouver un panneau vert, j'ai eu le best of de tous ce qui fait peur en camion (trottoirs, panneaux, ponts, murs, arbres, voitures, vélos, chien...), je me demande encore comment j'ai pu m'en tirer sans même une rayure!
Je reprends la direction de Naples, puis de Rome, puis de Florence. L'autoroute, bien que très chargée devient soudainement un havre de paix. Je me pose sur une station Esso, guère plus loin que Orte, de toutes façons je n'ai pas les heures pour rentrer demain.

Blanquette de veau en boite, pluie incessante, pas de radio en grande onde... c'est la misère totale. Je constate qu'aujourd'hui je n'ai quasiment pas fait de photos, pourtant il y en avait de belles à faire, j'ai rarement eu une journée aussi difficile.

toujours pas réveillé le Vésuve?

traversée de Pompéi...

difficile...

voire très difficile...

Samedi 22

Toujours plus tôt : 3h45. Ici aussi la doccia est gratuite, seulement elle est froide... alors je ramène la clé à la caissière qui vérifie au bar s'il y a de l'eau chaude - il y en a. Je demande si je peux me laver ici - dans son evier, pour faire une blague... elle ne comprends pas, et merde... alors je sors un euro pour une tasse de café, café "chaud si possible"... elle ne comprend pas non plus, et je retourne au camion. Mon voisin de parking est déjà debout, je fais tourner le moteur 5 minutes avant de décoller.

Il pleut, encore, toujours. Le jour se lève sur Lucca, les nuages se dissippent, l'anticyclone des Assorts remonte vers le Sud, les moyennes matinales dépassent les normales saisonières, le mistral souffle en rafale sur Guingamp, j'écris n'importe quoi.
Las de repasser en boucle mes CD que je connais déjà par coeur, je tente la FM italienne. C'est incroyable ce que l'on peut entendre comme chanteurs et chanteuses de variété... ça chante "l'amore" en roulant outrageusement les "R", ça dégouline d'eau de rose, les instruments sont d'une platitude sans nom avec de la réverbe partout même sur la batterie... bref c'est nul, très nul, quoique ça finit par m'amuser finalement de longer la côte avec une grosse musique de beauf à fond dans la cabine...

Je me case en vrac sur la toute petite station de Sestri Levante pour attendre 45 minutes en regardant ces gros glandeurs de flics faire les beaux au comptoir : déjà ce matin à Orte ils y étaient, ils y sont toujours.
Je traverse Genova... une traversée qui devient monotone avec la floraison de murs anti bruit... et dire qu'avant on pouvait quasiment voir les gens à table tellement l'autoroute rasait les immeubles...
Je monte le Turcchino, sans neige mais avec beaucoup de sel. En arrivant à Aoste je rennonce à faire le tour par l'autoport : je jette juste un oeil pour voir s'il y a la polizia - ils ne sont pas là - alors j'enquille directement l'aire de régulation... et ma frayeur est de taille devant le peloton de gugusses en fluo qui m'attend de l'autre coté. J'imagine déjà je ne sais quel contrôle de DRE ou autres agents de je-ne-sais-pas-quoi à l'affût de je-ne-sais-pas-quoi-non-plus... mais à ma grande surprise ce sont des enquèteurs qui posent les questions communes à toutes les enquètes de circulation : "vous venez d'où? vous allez où? vous transportez quoi? vous étiez où dans la nuit le lundi à mardi?vous pouvez le justifier?"
Je remonte (soulagé) vers le tunnel. Comme je suis décidément très chanceux ce dernier reste fermé aux PL pendant 1h30 sans même une explication. J'ai la rage. Il s'agit là d'une heure trente de mon week end offerte gracieusement à ATMB. Je bascule néanmoins de l'autre coté, je suis sur réserve alors je m'arrète mettre 70 litres au Châtelard qui est malheureusement fermé (sinon j'y serais resté). Stop à la douane de Cluses pour 9h de coupure.

grand soleil sur Genova

en attendant que ça ouvre je regarde défiler les collègues...

...et les cadres supérieurs

un peu de Go au Châtelard...

Dimanche 23

encore plus tôt : 1h00. Je n'ai pas dormi, enfin juste 3/4 d'heure... je tire les rideaux et le simple contact de la vitre m'annonce un froid polaire dehors, autant dire que l'indispensable tour du camion avant départ va se faire au pas de course.
1h05 c'est parti. Je me frotte les yeux... non je ne rêve pas la jauge est au ras de la réserve. j'ai bien mis 70 litres? alors que je venais juste de tomber sur réserve? ça devrait être plus haut? bon... on verra... ça va peut-être décoller en route. Pour assurer le coût je roule à 80 et je suis la conso en direct sur l'ordi de bord... Force est de constater que ça continue à descendre, je roule à peine 10 minutes et le voyant s'allume, j'ai la rage! Existe-t-il quelquechose de moins précis que la jauge à gazole du Volvo?...(un attaquant du PSG peut-être?) bref, pour l'heure - la deuxième de ce dimanche - je commence à flipper car il y a quelques grimpettes à escalader, sans compter que je suis lourd. Donc pas le choix, devant la dégringolade du niveau affiché par l'ordi (il me "resterait" 35l à Genève...), je me ré-arrête à Valleiry pour mettre 20l à droite et 20l à gauche... j'en profite pour prendre un ju, ça peut servir. A la BP il y a un type enfermé dans sa boutique comme s'il était dans un aquarium, il est là pour servir les clients - c'est à dire personne - j'ai presque été obligé de le réveiller.

Je rentre à Bourg, sur réserve tout le long.
Pas de lavage - c'est gelé, je balance mes affaires dans la voiture - gelée elle aussi. Je m'en retourne en direction de Pont de Vaux, il est 5h, beaucoup trop tard pour aller danser en godasses de sécurité sur les enceintes de "la clé des chants" - l'endroit où le Bressan s'adonne à l'incontournable rituel de "la baston sur le parking" pour séduire sa Bressanne et fonder un foyer d'où naîtra une descendance qui elle-même ira instinctivement se battre à "la clé des champs" assurant ainsi la survie de l'espèce.

encore un peu à Valleiry...

content l'atelier si je l'appelle un dimanche à 2h30...

Lundi 24

Mardi 25

J'aurais nornalement dû écrire une page de carnet de bord pour la journée d'hier car je suis venu à Bourg, au dépôt. Celà dit je suis du genre fénéant, et puis je n'ai pas touché au camion : je suis juste venu pour les préparatifs... car j'attends un heureux évènement! Peu l'ont remarqué ces neufs derniers mois, mais à une semaine de sa présentation en grande pompe je ne puis cacher d'avantage l'arrivée d'un nouveau Volvo avec qui je m'apprete à partager ma vie passionnante : mes miettes de chocos, mes blind test à 3h du matin entre Toul et Nancy, mes débats philosophiques au téléphone avec Sweden, mes soirées interminables à regarder les rideaux, mes weekends plantés sur la route à rattraper mes retards de carnet de bord... bref un nouveau compagnon de route pour les nombreux kilomètres à venir. Ce n'était pas prévu - pas par moi en tous cas; mais le chef en a décidé ainsi alors qu'il en soit ainsi. De mon côté j'ai juste demandé l'autorisation de personaliser la bête ayant effectué à plusieurs reprises d'affreux cauchemards de pare-chocs noirs ces dernières semaines... il y aura donc de la peinture blanche à foison sur la prochaine Régismobyl, enfin j'espère... si tout se passe come prévu.

Nous sommes mardi après-midi, j'ai fait le plein en gazole, en fuel, en palettes et en crochets, je décolle pour Lyon et un chargement à destination de la Bretagne - quasiment le même qu'il y a deux semaines. D'ailleurs je me tape le même embouteillage sur le périph, je perds la même demie-heure en écoutant la même émission de France Inter... ça commence à ressembler au Truman Show?
Finalement non, aujourd'hui il faut deux fois plus de temps au cariste pour charger, c'est à dire trois heures, trois heures pénibles à osciller entre le quai où il fait trop froid, la salle de pause où la télé n'en finit pas de nous abreuver de pub, et la cabine où je ne peux pas manger ma quiche tranquille - bien exposé derrière mon pare-brise au milieu de la cour.

Le type qui me charge a vraiment l'air d'en avoir rien à foutre : il passe en force lorsque les palettes sont trop larges, il en met des grandes à coté des petites, il en casse... et surtout il ne prend pas la peine de suivre les éventuels conseils que je lui donne - à tout hasard - pour éviter les reserves... il s'en tape... et puis moi aussi au fond : sur la lettre de voiture repose la mention "chargé par l'expéditeur sans possibilité de contrôle", alors bon : travaillons comme des abrutis c'est autorisé.

Je pars de Lyon à 21h. Fourvière n'est pas fermé : je passe; je décide ensuite d'escalader le col du Pin Bouchain (orthographe?): je n'aime pas cette route, surtout de nuit avec un éclairage pourri, mais elle a l'avantage d'être un peu plus gratuite que l'autoroute. Il m'est inutile de beaucoup rouler aujourd'hui, ainsi je décide de m'arrêter 4h plus tard sur le parking annexe du centre routier de Bourges avec d'autres copains frigoristes - ensemble nous assurons l'ambiance sonore pour tout le parking.

Dans l'allée d'accès au Centre routier il y a des dixaines de camions en attente ou en cour de relais : c'est effrayant! jamais de la vie je veux faire ça!

chargement artistique

Lyon presque-île

en plein sèchage de main gauche

Mercredi 26

9h moins le quart plus tard, toujours à Bourges. Je me réveille au millieu de la boue et je me motive à y tremper mes doigts de pieds pour rejoindre une tasse de café au restaurant. Nous sommes en millieu de matinée, personne au comptoir, le barman est occupé à balayer les miettes. Je commande un "grand crème" pour faire le gars qui a l'habitude de boire un "grand crème" (et non pas "un grand café avec de la crème"). Il n'y a plus de croissants alors il me propose un "pain beurre" (c'est à dire "des tartines de pain nappées de beurre et/ou de confiture")... Vas-y pour un "pain beurre".
Je repatoge dans la boue du parking, dépose soigneusement mes chaussures souillées sur le marche-pied, et m'assieds derrière le volant - voici maintenant 9h que le camion est à l'arrêt, avec une ponctualité tout aussi impressionnante qu'inutile je termine ma coupure et quitte les lieux.

Comme la dernière fois je monte par la nationale. Je me souviens d'une époque où prendre la nationale m'était pénible et je me sentais plus en confiance sur la voie de droite de l'autoroute... Fredo01, qui était déjà mon frère à l'époque, me disait alors: "tu verras, au bout d'un moment tu seras bien content de sortir de l'autoroute et de trouver un resto, un parking, un supermarché..." effectivement avec le temps on voit les choses différemment, si bien qu'aujourd'hui, même si je reste farouchement accroché à mon paquet de chocos au détriment des meilleurs tables qui bordent nos routes nationales, l'autoroute m'ennuie au point que je m'en éloigne dès que j'en ai l'opportunité.

Me voici donc entre Blois et Vendôme ce mercredi midi. Toujours sous la pluie et malgré la sur-abondance de rond-points, je progresse péniblement vers l'ouest. Alors que je vise la Bretagne, c'est un drapeau de Grande Bretagne qui attire mon attention sur ma gauche : Je reconnais le magnum de Pierre-Marie et après un rapide état des lieux je décide de faire demi-tour au prochain rond point afin d'inscrire cette croisure inédite à mon tableau de chasse; pour une fois j'ai le temps ! Nous décidons de célèbrer l'évènement à l'aérodrôme du breuil, à grandes rasades de café - café dont la caféïne constitue avec le pain-beurre de ce matin le seule apport nutritionnel depuis plus de 24h. Nous partageons un bon moment avec Pierre-Marie, nous faisons les traditionnelles photos souvenir devant les collègues qui mangent et qui s'interrogent sans doute. Enfin, nous reprenons chacuns notre route, chacuns notre chemin, en passant le message à notre voisin. (hommage à Tonton David - artiste trop vite oublié)

J'arrive à Rennes sans refaire de coupure, Je vide mon client du soir et j'écope comme prévu des réserves légitimes dûes au travail soigné du cariste jem'enfoutiste Lyonnais. Je roule ensuite 5 minutes jusqu'à mon deuxième client, je me mets à quai - portes fermées - pour être le premier à vider demain. A peine un quart plus tard un employé vient me déloger en me demandant de dormir à l'extérieur de l'entreprise s'il me plaît... Je me demande bien en quoi ça le gène mais je ne veux pas polémiquer et je m'éxécute. Il me faut reculer dans une impasse non-éclairée, à contre main. Avec un manque je volonté extrème je rechigne à essuyer les rétroviseurs qui ne servent quasiment à rien car ils sont recouverts de goutelettes. Je fais la manoeuvre, j'arrête le camion, je descends voir si tout est ok... et là je réalise que j'ai reculé sans même voir un lampadaire, là, sur la droite, j'ai reculé en ayant le coup coup de bol incroyable de le raser à moin de 10 cm alors que j'aurais très bien pu le plier... le poteau était noir et quasi-invisible, j'ai vraiment eu de la chance de ne pas le toucher, c'est avec le coeur qui palpite que je me revois entrain de reculer avec les rétro sales, imbécile que je suis...

c'est un peu moche

vision d'outre Manche

Pierre-Marie : routier - photographe

au coeur de la supply chain

Jeudi 27

Au terme d'une grasse coupure je me mets à quai, il est 8h. Un quart d'heure suffit pour décharger et me voici déjà sur la rocade de Rennes en direction de mon dernier client. Il s'agit de ce client qui nous refourgue toujours des colis "non conformes" dont on ne sais jamais quoi faire compte tenu qu'ils sont surgelés. Aujourd'hui encore on me remet 3 cartons de "soufflés aux fromages". Je n'essaie même pas de négocier la réserve, j'ai sais maintenant qu'ici c'est impossible car ici on applique le règlement à la lettre, je prends les 3 cartons et je me sauve. La dernière fois c'était des nems et ils avaient fait le bonheurs des chauffeurs russes du parking, mais des "soufflés au fromages" ça se cuit au four, alors j'ai pour idée génial de les refourguer au premier resto-routier venu. L'heureux élu sera un restaurant dont j'ai oublié le nom (j'étais pressé, je n'ai pas regardé) entre Ploermel et Locminé. Le cuisto les accepte volontier et se montre très surpris que je lui donne les cartons gratos: il insiste pour me payer mais j'insiste à refuser... alors il insiste pour m'"offrir au moins le repas" mais je n'ai pas le temps... symboliquement je me fais offrir le café et je discute 5 minutes avec lui, je pense qu'il me considère comme le mec le plus sympa de l'année.

J'arrive avant midi à l'abattoir. Je range les palettes, je rends les crochets, je lave, je passe en bascule... une petite heure vient de s'écouler lorsque je recule à quai. Je re-pèse, je fais les papiers, je mange, je me douche et je pars.
Alors que j'imagine cette semaine terminée en redescendant tranquillement sur Bourg, mon chef m'annonce une rammasse surprise en Vendée. Je ne suis pas contre ce petit détour touristique, surtout avec les quatres jours glandage intense en cour, le seul problème c'est qu'il ne reste que très peu de place dans la semie... il va falloir en faire... c'est à dire prendre un bain de viande pour pousser les crochets au maximum. Direction La Roche sur Yon.

J'arrive à 17h dans ce nouvel abattoir. Grace à des techniques ancestrales de viandart de l'extrème, j'arrive à gagner le mètre de rail indispensable pour charger. Je charge des taureaux, les carcasses sont énormes et difficiles à manoeuvrer, par chance les types qui chargent avec moi sont très pros.

Tout juste le temps d'une coupure et me voici reparti, cette fois-ci en direction de Bourg, en direction de mon weekend. La route est plutôt déserté ce soir, je roule serein. Ayant le mauvais souvenir de mon dernier arrêt au centre routier, je décide de m'arrêter juste avant Poitiers, dans une petite zone d'activité avec un lampadaire (visible), juste en face dans transports Laurentin, un endroit adequat pour un saucisse-lentille au réchaud.

un magnum bleu

belle enseigne!

c'était des taureaux

et merde... y'a Benoit Pedretti sur mon yaourt...

Vendredi 28

Je passe Poitiers au petit matin, il fait encore nuit. Je transite par mon itinéraire favori, peu fréquenté et plutôt agréable : Le Blanc - Argenton - La Châtre. Au hasard d'un petit village et d'un parking poids lourds je décide de faire un quart d'heure de coupure alors que le soleil levant ainsi qu'une tasse de café m'aident à y voir un peu plus clair. Je suis à Bouesse. devant le parking PL il y a même un bungalow qui fait office de boulangerie. J'achète deux pains au chocolat - un parce que j'ai faim, l'autre par gourmandise -, et je les mange en route car ils sont telllement mous qu'ils ne font pas de miettes.

Je fais la demie heure complémentaire sur l'aire d'autoroute entre Montluçon et Monmarault : un des rares endroits où l'on peu se garer sur cet axe. Je dors une demie heure, épuisé de cette trop longue semaine.
Pour assurer le coup avec ma jauge incertaine, je mets 50l de gazole à Montmarault, puis je continue direction Mâcon. Voyant l'heure avancée et épris d'une faim de loup, je m'arrête contre toute attente sur l'aire de Ste Cécile où l'on me sert contre 11 euros un plateau plus que moyen... sauf la tarte à à la franboise très bonne.

J'arrive au dépôt dans l'après midi, j'y reste jusqu'au soir, mon nouveau camion est arrivé, il est en préparation.

château de Bouesse

retour à Bourg

en préparation...

Samedi 29

Dimanche 30

Changement de programme : je devais inaugurer mon prototype en ce début de semaine et en grandes pompes, mais les déboires de Volvo Bourg repoussent l'échéance; je repars donc avec le 3498. Confier un véhicule à préparer n'est pas chose facile, il faut essayer de se faire comprendre, et rester vigilent lorsque l'on pense avoir réussi. Pour preuve, ce weekend je suis resté déconcerté devant l'immonde enseigne collée au dessus du pare-brise : d'un blanc vif et donc différent du blanc cassé d'origine, avec un logo collé à la va-vite et roule ma poule... génial! je n'ai plus qu'à trouver une solution pour rectifier le tir et surtout je redouble d'anxiété pour la suite...

Il est 15h ce dimanche, je viens de partager un café avec Pierrot et Gilles, je pars pour l'Italie avec deux livraisons. Gilles me rejoins au Mt blanc : re-café. Tout juste 17 minutes plus tard j'entre sous le tunnel et passe coté italien. Il se met à neiger, un peu, jusqu'à Aoste. Je termine ma coupure sur l'aire de Viverone, comme d'habitude, puis je m'immisce dans le flot des weekendistes milanais qui rentrent au bercail.

J'arrive à 23h30 à Rovereto, il n'y a personne chez mon client, je me pose devant le portail. Théoriquement on décharge cette nuit mais je ne sais pas à quelle heure... donc j'attends... avec tous ces cafés je ne peux dormir alors j'écoute de la musique; très fort.


Avec Gilles au tunnel

Lundi 31

le temps passe, nous sommes maintenant lundi 31, dernier jour de janvier, dernier jour pour se souhaiter la bonne année, dernier jour du mercato pour refourguer Gignac à Arles-Avignon, bref un jour vraiment important contrairement au 1 février dont on a rien à foutre. Je continue à attendre devant la grille. Vers 1h je commence à chercher à me caler contre la vitre avec mon coude, vers 2h je décide de me poser sur la couchette tout habillé... mais je n'ai pas l'esprit assez tranquille pour m'endormir : je commence à faire les calculs de temps de conduite et d'amplitude pour arriver à la conclusion très simple : je suis dans la merde.

3h, toujours rien, 4h idem, 4h30 un type ouvre la grille : la délivrance! enfin! ...et non, fausse joie, il s'agit d'un chauffeur qui attaque sa semaine, il me dit au passage que personne ne viendra me décharger avant 8h. Je suis content. Je me revois partir plein d'espoir en ce dimanche après midi... finalement je m'enfonce tout entier sous la couette pour ce qu'il me reste d'une nuit à Rovereto alors que j'avais prévu de dormir à Padova chez mon second client.

Je décharge donc au petit matin, j'ai fait 9h de coupure, et je suis très en retard pour Padova... d'ailleurs le téléphone ne tarde pas à sonner et il me faut expliquer le pourquoi du comment...
11h : j'y suis; ça vallais vraiment le coup de se justifier, on ne m'attend même pas. On ne m'attend tellement pas d'ailleurs que la pause de midi arrive, et, sans que personne ne me prévienne, je me retrouve planté au milieu de la cour : tout le monde est parti manger. Une fois de plus je suis ravis, une fois de plus je me lance dans des calculs aléatoirs et j'en conclu avec mon pessimisme naturel que pour recharger aujourd'hui c'est mort.
Je passe à quai à 14h, je suis vide à 15h. Je fonce à Castelfranco pour faire laver l'intérieur puis je fonce à Conegliano pour recharger. Il me faut effectuer une rammasse dans un petit bled perché sur une colline... en le localisant sur la carte je m'interroge... puis en me retrouvant coincé dans la "Via Costa" un peu plus tard je m'interroge encore plus... Je suis bien à la bonne adresse, mais c'est étrange je suis en plein centre ville et je ne peux plus avancer car la route est moins large que le camion? Un vieux type vient à ma rescousse : il m'explique que je suis venu à l'adresse de facturation, que l'usine est dans la vallée en contre-bas, ensuite il arrête la circulation pour que je puisse me retourner dans un carrefour. Je trouve l'usine une demie heure plus tard, je ramasse une palette mais il est maintenant trop tard pour complèter le chargement à seulement 2 Km d'ici... grosse coupure en perspective.

Je passe la soirée à étudier des solutions pour mon problème d'enseigne à rectifier.

sur les routes étroites du Veneto

collector

y'a Marcello qui frotte à l'intérieur

collector aussi

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