Mon Carnet de bord... Suivez mes aventures, semaine après semaine!

Mars 2011

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Mardi 1

Sur le mur un téléviseur. La chaine d'informations-continues nous passe en boucles des images de Lybie, d'Egypte, de Tunisie. Derrière le zinc certains se hasardent à quelques commentaires plus ou moins heureux; je me contente de boire mon café, par crainte de m'engager malgré moi dans l'engrenage d'un échange de banalités insignifiantes avec mon voisin de droite, ou celui de gauche, qui me sollicitent à plusieurs reprises en lançant telles des piqûres de rappels leur analyse de ces images muettes qui colorent sans relâche l'écran plasma, entre la porte des toilettes et le calendrier du FC Rennes.

Je prends ma douche, je me coiffe, je me parfume... c'est bon, je peux aller pousser de la viande. Ce matin j'ai volontairement "trainé" pour ne pas démarrer trop tôt mon amplitude en vue d'une grosse journée. Ainsi je décolle à 10h30 pour le premier abattoir du jour.
L'endroit est plutôt grand, d'ailleurs je me trompe et j'entre du coté des bétaillères. Avant de charger je dois laver, j'aperçois un karcher dans ce qui ressemble à une fosse : je recule, je lève la suspension devant, je la baisse derrière, j'enfile mon scaphandre, je prends le pistolet... et merde il y a un cadenas. A l'accueil une charmante secrétaire bien qu'un peu fripée me demande 35 euros pour l'utilisation du lavage... "35 euros?!!! Il s'agit d'un tuyau avec de l'eau!!?? A ce prix là partout ailleurs il y a le laveur et le produit bactéricide qui vont avec"... Pas moyen de négocier, nous ne sommes pas en Italie. La secrétaire me suggère de charger avec le plancher sale... Je lui réponds que je ne serais pas ravi de manger un steak avec un bout de palette coincé dedans... J'ai un minimum de conscience professionnelle : je lâche les 35 euros.

Le tachy me compte des minutes à la pelle lorsqu'il s'agit de faire le tour de l'enceinte 3 fois entre le lavage, le bureau et le quai. Je charge du veau. Les crochets sont alignés au fond de l'entrepôt, j'attends un instant, personne ne se préoccupe de moi. Je commence à pousser la viande vers ma semie et bizarrement un mec blouse blanche apparait enfin. Nous chargeons tous les deux pendant une demi-heure.

Ma dernière ramasse se situe près de Caen, je ne mange pas, j'enchaine.
En route je croise Nico72 avec qui je peux tester ma cibi, elle à l'air de fonctionner, c'est la première fois que je parle dedans, un grand moment dans ma carrière de vieux routier.
Il est 15h lorsque je me présente au poste de garde de l'abattoir de boeuf. La gardienne m'inscrit sur le livre d'or puis appelle le service expéditions. L'échange est bref, elle raccroche et m'annonce : "ce soir 21h...". Je pense tout d'abord à une erreur, la viande étant à livrer au plus tôt en Italie, je demande à parler moi-même à la responsable des expéditions... elle me confirme 21h.
Changement de programme donc... je me vois obligé de couper sur place : par chance je peux passer les 9h à quai, ce qui me permettra de charger en coupure. Aujourd'hui je n'ai pas trois heures de volant, et bien entendu je n'ai pas assez sommeil pour improviser une nuit en plein jour. Alors j'écoute la radio en surfant machinalement sur internet. Le temps passe vite finalement... Mon Dieu j'ai déjà 28 ans.

21h, toujours personne, aucune lumière dernière les hublots des portes de quai, j'attends. 21h15, je retourne voir la gardienne qui me répond en gros : "nan, vous inquiétez pas, tout est normal, ils attaquent à 21h..." Je me demande un instant si elle mesure seulement la stupidité de sa justification... apparemment non, elle à l'air satisfaite, je me casse.
22h approche et deux types traversent la cour dans le noir, je les attrape au vol, je leur explique ce que je fais là et l'un des deux me répond "Bah nous on attaque à 22h mais pour ton chargement ce ne sera pas avant demain matin, la viande n'est pas encore coupée". A deux doigt du pétage de câble et résolu d'aller couper moi-même la barbaque s'il le faut, j'obtiens un léger mieux : "Allez, si on s'y colle de suite, tu pars avant minuit...". Le gars est sympa, du genre dévoué. A 22h j'enfile ma blouse et je réceptionne les quartiers de boeuf fraichement découpés pour les ranger méthodiquement dans la semie. Gros travail de manutention qui dure jusqu'à 23h30, je n'ai plus qu'à attendre une demi-heure marquant la fin de ma coupure.

Chateaubourg

le violeur de vaches coure toujours...

je charge en face de la gare

Mercredi 2

Il est minuit et 5 minutes lorsque je repasse devant l'accueil où ce n'est plus la gardienne à l'esprit d'analyse obscur derrière la vitre, mais un homologue masculin dont la capacité de synthèse plus aiguisée lui suggère d'actionner simultanément la barrière vers le haut lorsque je me présente pour sortir. Bien joué mec!
J'ai des chocos, une bouteille d'eau, ma boite à CD, je peux m'engager en toute quiétude dans la grande diagonale nocturne qui de Caen me conduira à Bourg en Bresse. Je choisi un itinéraire autoroutier qui en plus d'être le plus rapide, me permet de consacrer pleinement les longues heures du petit matin à quelques concerts de Nirvana, Radiohead, ou Michel Sardou.

Paris par le périphérique, il n'y a personne. Je roule jusqu'à Nemours où je case 45 minutes sous les pompes en sirotant un café dans son gobelet en plastique. Je reprends ensuite la voie de droite, toujours seul au monde. Le jour se lève à mesure que la jauge à gazole décline, j'entrevois l'éventualité d'une pause à l'IDS Beaune pour ravitailler, cela me motive que très moyennement. Je tombe sur réserve au niveau de l'aire du "Chien blanc". En bas du col du Bessay l'ordinateur indique "85l restant". Je décide de tenter le coup malgré toute la réserve légitime que j'accorde à cette jauge de Volvo FH. Je fais bien. J'arrive à Bourg en Bresse il est 9h15, l'ordinateur de bord m'indique toujours "85l restant"... incroyable je viens de rouler 1h30 en roues libres!

Je présente ma tronche pas très fraiche au bureau, rebois un café, et enfile une blouse pour une séance de manutention laborieuse qui nous occupe, avec Crustacé Philippe et Gille, jusqu'à l'heure d'aller manger. Chez Badou. Une fois de plus.
Je passe une partie de l'après midi sur l'un des PC du bureau, puis, une fois lavé, rincé et séché, je décide de mettre un terme à cette longue journée de deux jours en regagnant ma couchette et les bras de Morphée.

sur l'A6

attention, Momo monte la garde!

Jeudi 3

J'ai tellement dormi, j'ai tellement bien dormi, que je suis un peu déboussolé ce matin lorsque le réveil sonne, je me demande d'ailleurs pourquoi il sonne? Quel jour on est? Qu'elle heure est-il? C'est quoi le programme?... puis petit à petit tout me revient : ce camion, cette viande à livrer, cette tête dans le miroir...
Il est 2h30, je m'habille et j'habille mon camion avec une Lamberet chargée de quatre clients. Je pars pour l'Italie.

A Viverone je partage mes 45 minutes avec un collègue de chez Chappat, Serge, sympa.

Je dois tout d'abord livrer des emballages vides vers Alessandria. Lorsque j'arrive dans la grande usine je place directement le camion devant le "coin des emballages vides" et je pars à la recherche d'un cariste. Sans succès. Alors je me présente à l'accueil. Cela doit bien faire une dizaine de fois que j'effectue cette livraison, à chaque fois je tombe sur cette fille, et à chaque fois elle ne comprend rien. Elle croit que je viens charger, ensuite elle ne comprend pas ce que je viens vider, pourquoi, quand, comment... elle appelle des gens au téléphone, elle appelle des gens dans le bureau d'à coté, elle appelle un ami, elle utilise le 50/50... et tout cela pour me sortir au bout de 10 minutes : "et donc, vous chargez quoi?". Partagé entre la haine et le dépit j'attrape mon CMR et je retourne "au coin des emballages" où je décharge moi-même, grâce à la force invincible de mes petits bras musclés. Cette opération est peu protocolaire... il y a un peu de casse... mais j'aligne les huit palettes au cul du camion, je prends une photo, et je la montre à la fille de l'accueil, simplement pour qu'elle signe le CMR. Elle est apparemment contente que j'aie eu l'idée lumineuse de la photo, du coup elle m'envoie quelqu'un pour décharger... elle ne comprend décidément rien la pauvre.

Je remonte sur Milan, ou plutôt dans les environs de Monza. Hasard ou mauvais calcul j'arrive à 11h50 et personne ne répond à la sonnette du portail - je suis en warning devant. Vers midi, un type sort, pas aimable, et me balance sans me voir "à 2h"... génial. Je suis contraint d'attendre, je ne peux pas en livrer d'autres, je perdrais de précieuses heures de conduite. Alors je squatte devant le portail et je me fais un cordon bleu avec des petits pois.
A 2h15 donc, toute la scuderia revient... mais seulement un type s'occupe du déchargement, les autres passent un long moment à s'engueuler, j'ai même cru qu'ils allaient se battre. je pousse les veaux, Maurizio les récupère avec sont bras articulé, les autres continuent à s'engueuler ce qui nous fait marrer dans la semie... Le déchargement dure une petite heure.

Je me cogne une bonne dose d'embouteillage pour rallier le nord-ouest milanais, la région de Busto Arsizio. Sur le canal 5 de la cibi c'est l'émulation : ça cause sans arrêt, ça chante parfois...

J'ai deux palettes à décharger dans une supérette, je les ai volontairement mises devant les portes mais le réceptionnaire refuse de venir les prendre avec son chariot, il me faut reculer dans le tout petit sas de déchargement, le tracteur barrant quasiment la rue. Du coup je le laisse sortir les palettes et je surveille la circulation... les voitures frôles la calandre... je transpire.
Dernière livraison à 3 km... c'est à dire à 3/4 d'heure de route. Lorsque j'arrive le portail automatique est en train de se refermer, je passe une jambe devant le capteur, remonte dans camion et recule dans la cour à contre main : j'avais peur qu'il me refuse via l'interphone mais maintenant que je suis dedans...

Il est 18h, il pleut, parfois il neige mais cela ne tient pas, j'en suis à 9h55 de conduite pour aujourd'hui et je ne peux que squatter un parking voiture dans la zone d'activités. Afin d'éviter d'avoir à chercher une station demain j'entreprends la lourde tache de laver moi-même la moitié de plancher maculée de sang. Pour cela j'ai une raclette, mon bidon de flotte et du paic citron. Il faut près d'une heure mais le résultat est probant : ça brille comme si ça sortait du lave-vaisselle...

Allez, j'ai bien mérité une soupe liebig.

tangenziale

des pans de veaux

je barre la rue

une soupe sous la pluie

Vendredi 4

Ce matin je rejoins Marc, nous chargeons la même chose. Dans l'entrepôt il y a de quoi faire une petite remise à niveau : WC propre, douche chaude, bon café... une journée qui commence pour le mieux. Marc charge le premier mais il m'attend pour que nous fassions la route ensemble. Nous décollons vers 9h30.

Une fois sur l'autoroute, le magnum qui régule plus haut passe devant... je ne le reverrais qu'au tunnel. Entre temps je fais un saut et quelques courses à l'autoport d'Aoste. Je passe en France, toujours dans le sillage du Magnum, puis il s'éloigne jusqu'à disparaitre de mon champ de vision. Bon... tant pis... je roule tout seul. Lorsque j'arrive au dépôt il est déjà sous les rouleaux du lavage.

Je m'occupe jusqu'à la tombée de la nuit, puis je rentre dans ma tanière.

Marc au 3, moi au 4

Mt Blanc

très sobre...

Anthony alias "Mr Propre"

Samedi 5

Dimanche 6

 

Lundi 7

En arrivant ce matin je m'occupe des disques de roues que mon gentil frangin, le désormais célèbre "Frédo aux mains d'argents", s'est chargé de peindre ce week end à l'occasion du restylage non pas de Sweden hélas mais de son camion. Deux écrous à desserrer sur chaque roue : c'est à ma porté... malgré mon titre moins glorieux de "Régis aux mains gauches pleines de pouces".

Je charge en début d'après-midi dans cette champignonnière logistique appelée "plaine de l'Ain". Je ne suis pas en avance, j'ai pris le temps de manger avec Thomas et Crustacé. Dans la cour de l'énorme entrepôt je me laisse guider par les petits panneaux "accueil - expédition" jusqu'à franchir une porte qui s'ouvre sur un sas grillagé de haut en bas avec un bouton pour sonner. Quel accueil! Je suis dans une cage. Devant moi un cariste transmet les documents à chauffeur en les passant à travers les barreaux... et encore il n'a pas peur de se faire mordre! Ce même cariste m'indique le quai 7, ainsi que d'attendre dans la cabine. Je m'en doutais. Je me mets au quai 7 et j'attends sagement. A ma grande surprise le chargement va très vite, à peine 3/4 d'heure. Lorsque je retourne dans la cage d'accueil il y a trois types encravatés qui s'interrogent sur l'endroit de la cage à découper pour y caser un hublot... ont-ils seulement pensé à un abreuvoir, de la paille, et une roulette pour faire un peu d'exercice?
Il est 17h lorsque je quitte cet endroit merveilleux. Direction Clermont Ferrand.

J'emprunte pour la première fois le nouveau tronçon autoroutier de l'Est-Lyonnais pour rallier Villefranche sur Saône, puis couper à travers la campagne sur des routes un peu merdiques certes, mais pas désagréables d'autant plus que je roule léger.
J'arrive à destination avec apparemment deux heures d'avance, je n'avais pas connaissance d'un rendez-vous pour livrer... peu importe, ça les arrange, je passe à quai directement et ici encore je ne touche à rien.

Il ne me reste plus qu'à aller me mettre en place pour mon rechargement de demain.

merci Fred !!!

premier passage

entre Villefranche et Tarare

à Clermont Ferrand

Mardi 8

Je charge pour la Suède... cela faisait deux mois, je suis content d'y retourner. En montant il me faut passer rendre des palettes europes à Steinsel, au Luxembourg. Ma journée commence sur la RCEA, régulateur à 90, ça roule plutôt bien pour une fois. Je rejoins l'autoroute à Châlon.
Sur l'A31 je croise un troupeau de Brignier qui migre vers le sud, avec Sweden et Fly pour fermer la marche. Nous nous captons environs 27 secondes à la cibi, le temps pour Sweden de me faire un compliment sur mes longues portés qui éclairent les étoiles.

Je m'arrête 45 minutes à Sandaucourt, je mange.

Cette semaine j'ai oublié mon GPS et je commence à le regretter lorsqu'il s'agit de localiser mon destinataire luxembourgeois : au Nord de Luxembourg (ville), sur une route pas très catholique. Bon... on ne va pas s'inquiéter maintenant, j'ai fait sans pendant des années. Je reprends le volant. A la barrière de péage de Toul il y a toute une armada de gendarmes et de gugusses en fluo qui sélectionnent leur proie selon des critères qui restent un mystère, je passe à travers les mailles du filet, pas mécontent. Je m'arrête sur la station suivante prendre l'eurovignette, puis je continue.
A la frontière il y a les douaniers... c'est la première fois que je les vois ici, je ne savais même pas à quoi ressemblait leur déguisement.

C'est engoncé dans les sorties de bureaux que je progresse difficilement sur la N7 en direction du Nord. Je perds beaucoup de temps. Mon client se situe au bord d'une route très fréquenté, je suis obligé de me mettre en warning et d'attendre qu'une place se libère dans la cour, faute de pouvoir vider mes palettes à même la route. C'est rageant... perdre du temps simplement pour rendre des palettes.
Un collègue très sympa vient m'aider spontanément lorsqu'il me voit sortir les premières des coffres, j'apprécie.

Il n'y a pas moyen de couper à travers pour rejoindre l'Allemagne, alors je redescends en direction de Wasserbillig. Sur les conseils du collègue très sympa je m'arrête mettre du gazole hors de l'autoroute, dans une grande station Esso nettement moins fréquentée. Mais comme il y a toujours quelque chose qui ne va pas, ici il n'y a pas de borne Toll Collect, je suis donc contraint de m'arrêter quand-même à Wasserbillig. Vu l'heure avancée je n'espère même plus trouver une place coté camion, c'est pourquoi je rentre directement à droite, coté voiture. Il me faut franchir quelques trottoirs, je n'aime pas trop ça et mes pneus non plus, mais en récompense j'obtiens une place de luxe, sans voisins, sans vis à vis, parfaite.

salut Sweden, salut Fly!

il fait beau

rutilant

au Luxembourg

Mercredi 9

Toute la nuit des camions sont entrés en marche arrière sur ce parking voiture, preuve s'il en fallait que cette station manque cruellement de place.
Aujourd'hui j'ai le temps, je dois simplement me rendre au port de Lubeck avant 22h. Je me laisse aller à 13h de coupure, je rattrape le sommeil en retard.
Le restaurant est fermé, pour travaux je crois, alors pour prendre la taxe il faut faire la queue dehors, en aidant comme d'habitude ceux de devant qui peinent à s'en sortir.

Lorsque je passe la frontière, il fait encore à peu près beau, mais très vite le temps dégénère jusqu'à devenir franchement pourri pour le reste du parcours. Je me traine à 70km'h sur les deux portions de nationale, résigné à ne pas doubler car je ne suis pas pressé... Les portions d'autoroute ne sont guère plus intéressantes, avec leurs travaux tous les 5km et cette pluie qui s'intensifie pour attrister un peu plus un paysage qui n'en demandait pas tant.

4h15 de volant, 45 minutes de pause, 4h15 de volant et me voici au port de Lubeck-Travemünde.
J'entre parmi les premiers dans le Finnpartner, je me gare en paroi, je branche le frigo et je vais à la réception. J'obtiens la carte magnétique qui m'ouvre l'accès à une chambre dans un état plutôt moyen.
Au restaurant j'essaie de manger raisonnablement mais c'est un échec : tout est à volonté alors je me gave. Quelques beaux spécimens de routiers Allemands font leur apparitions : un mulet tout droit sorti du Bayern Munich des années 70, un étrange sosie de Sébastien Chabal avec des sabots à poils de chèvre, et enfin ce mec incroyablement grand dont la tête racle quasiment le faux plafond sans même qu'il s'en aperçoive.

De retour dans ma chambre j'ai mal à la tête, j'ai mal à la gorge, j'ai le nez qui coule... et voilà je suis malade.

Freightliner

Deutschland

à l'intérieur du Finnpartner

celui-ci part en Finlande

Jeudi 10

J'ai passé une nuit horrible : non seulement les premiers symptômes d'hier soir ont progressé, mais en plus cette chambre est franchement détestable : ça vibre de partout, dans le plafond, dans les murs, dans la salle de bain... résultat j'ai dormi par intermittence et ce matin ce n'est pas la grande forme.
Une douche. Un café. Je rejoins mon camion.

Il est plus de 7h30 lorsque j'effectue mes premiers tours de roues; je vais livrer sur la côte-est, dans un bled que je ne connais pas mais que j'ai pu localiser sur mon PC. Dehors il n'y a quasiment pas de neige, il fait 2 ou 3 degrés, il pleut... mais surtout il y a un vent à devenir fou. J'aurais préféré la neige.
Je trouve mon client, au bord de la mer. On m'indique d'attendre 15 minutes, c'est la pause. Je me mets à quai et j'attends. Les caristes reviennent et je les aide à décharger : je m'improvise étiqueteur de viande. Pour me remercier, en plus d'une poignée de main le chef-cariste m'offre une glace, un "Magnum" parfum chocolat-noisette... assez surprenant comme cadeau mais pourquoi pas? Je mange mon magnum en attendant les instructions de rechargement.

Ces dernières m'arrivent par mail : 5 ramasses à faire dont 3 que je ne connais pas... un peu d'aventure... à l'ancienne... sans GPS.
La première se situe dans une petite ville au nord d'Ystad, j'arrive et je charge avant midi. La seconde dans la zone portuaire Trelleborg, dans une usine ultra moderne, la troisième à Malmö, la quatrième à Helsingborg et la dernière une heure plus au nord sur la route de Goteborg.

Tous ce passe pour le mieux, je reçois même les félicitations du jury, par contre le revers de la médaille c'est que je me retrouve chargé pour Versailles... à vider lundi matin... traduction : weekend sur la route. Ce n'est pas de manger du cassoulet deux jours de plus qui me dérange, c 'est de rater les 30 ans de Frédo... je suis un frère indigne.

Ce soir j'embarque en avant-avant-dernière position sur le bateau, il est 22h05 et ce temps d'attente dans le froid m'a paru une éternité. Du coup je me retrouve à table vers 22h30 avec peu d'appétit... mais je me gave quand-même... c'est inévitable.

des camions qui font du toboggan

Malmö

un petit scania

une journée au bord de la mer Baltique

vraiment des ensembles étranges...

Vendredi 11

Le constat est simple : je n'ai qu'à descendre sur Versailles et j'ai trois jours pour le faire. Sorti du bateau le dernier, je décide donc, en qualité de conducteur consciencieux, d'essayer de performer sur la consommation. Ainsi je me case sur la voie de droite avec le régulateur à 80.
Pendant le premier quart d'heure on trouve ça pénible, et puis on oublie... les autres camions n'en finissent pas de doubler, je fais les appels pour qu'ils se rabattent, certains répondent, d'autres sont sans doute trop fiers. Reste à régler ce cas de conscience : à combien je roule sur la très longue portion interdite aux dépassements, entre Hambourg et Brèmes... car là je vais vraiment faire chier le monde... même si la vitesse est officiellement limitée à 80 et je suis donc dans mon bon droit. Je décide de continuer comme ça, après tout je ne suis pas le seul sur terre à rouler à 80, moi même je tombe souvent sur de tel grumeau et je prends sur moi!
Dès la première zone de travaux un chauffeur allemand me balance une bonne rasade d'appels de phares tout en s'accrochant à mon pare-choc... c'est imbécile ne le sait pas mais il me conforte dans ma position : ce n'est pas moi qui vais m'adapter à sa conduite, c'est l'inverse, même si apparemment il a du mal à l'accepter. Il me colle au cul durant une dizaine de kilomètres, puis, lorsqu'il peut enfin doubler, le fait appuyé sur le klaxonne, en signe d'intelligence profonde... je ne réponds rien, je ne fais rien, ce type m'est complètement insignifiant.

Je m'arrête manger à 11h20 au Burger King, un menu à 3euro99, moins cher qu'au camion...

Je quitte l'Allemagne et entre aux Pays-Bas, toujours à 80. Le camion ne consomme vraiment pas grand-chose : sur le mois écoulé j'en suis à 32l/100 de moyenne.
A partir d'Utrecht la circulation s'intensifie.
Sur la route de Breda je constate que depuis un moment il n'y a plus personne qui arrive d'en face... il a dû se passer quelque chose... et effectivement quelques instant plus tard je suis moi-même dans un bouchon. A ce moment j'ai 3h30 de conduite continue, cela ne me soucie guère.
Le bouchon progresse au pas, juste ce qu'il faut pour déclencher le tachy. Ca a l'air sérieux, il n'y a toujours personne qui vient d'en face. Les minutes s'égrainent et j'avance toujours au pas. 4h de conduite continue, puis 4h15... à quelques centaines de mètres il y a une voie de sortie, et une bande de bitume juste avant la voie d'entrée sur l'autoroute. Je me pose dessus, en warning, avec 4h28. A ma gauche on continue à rouler au pas, je ne gène personne, même pas la bande d'arrêt d'urgence, mais une voiture de patrouille autoroute s'arrête. Une femme en sort et m'ordonne de dégager, je refuse, je lui explique que je ne peux plus rouler et surtout que je ne gène personne. Elle m'annonce qu'elle appelle les flics. Je ne bouge pas... ils surement autre chose à foutre dans un tel bordel. Entre temps un Portugais s'arrête à son tour, moi je case tout juste mes 45 et je redécolle, sans avoir vu la police mais juste au moment où la patrouille autoroute repointe le bout de son Nissan.
Il y a un effroyable accident en plein milieu d'un pont, dans l'autre sens... de mon coté rien, mais les curieux qui vont jusqu'à s'arrêter pour regarder sont à l'origine du bouchon qui m'a couté plus d'une heure. D'ailleurs je suis à deux doigt de pousser la mercedes juste devant moi dont le conducteur à l'intelligence de tout piler pour mieux tourner la tête à gauche...
Je passe sur l'accident, épouvantable.

Et donc derrière je vois l'embouteillage qui reste à ce jour le plus énorme que j'aie pu rencontrer.

Je m'arrête à Meer avec 9h de volant. Sur le parking, alors que je range quelques affaires dans mes coffres, j'aperçois un FH700 qui me dit quelque chose... et quelques minutes plus tard c'est Aurélien, le chauffeur des transports Bonnet, qui vient me dire bonjour. Nous nous étions rencontré à Lyon, je ne l'avais pas reconnu avec sa Lamberet neuve et toute blanche. Une drôle de coïncidence de se retrouver ici un vendredi soir, nous allons manger ensemble, puis il reprend la route en direction d'Amsterdam...

superbe!

Hollande

embouteillage monstrueux

un Bonnet à Meer : c'est Aurélien

Samedi 12

Le 12 mars 1981 naquit Fredo, qui n'avait pas encore ses mains d'argent à l'époque. Trente ans plus tard, aujourd'hui, je ne suis même pas là pour lui fêter... je m'en veux...

Non, je suis à Meer, je vais prendre ma douche et boire un café en regardant les images de séisme et de tsunami au Japon... j'aurais bien passé le weekend ici, il ya tout ce qu'il faut, mais comme je ne suis parti que lundi je vais rouler aujourd'hui, ne sachant se que me réserve la semaine prochaine.
Je décolle donc tout beau, tout propre, en direction de je ne sais pas trop où vers Versailles.
Je m'arrête mettre 200l à Libercourt, puis manger un sandwich une heure plus tard.

Je vais voir à tout hasard chez mon destinataire, au cas où s'agisse d'un endroit merveilleux avec une rivière, un poney et un arc en ciel... non, comme prévu c'est une zone d'activité pourrie, avec rien autour. Je continue donc en direction de Dreux, et trouve mon bonheur après seulement 10 Km : un parking assez calme juste en face d'une station avec supérette... voilà qui fera l'affaire. En plus il y a deux autres camions, je me sens un peu moins isolé.

Voilà, je pose mon campement, et pars acheter du pain à la superette. La semaine est finie.

couleurs locales

retour en France

y'en a qui roulent les portes ouvertes

Dimanche 13

Au même endroit, toujours vivant.

week-end

Lundi 14

"Like Herod", track 6, 18 minutes 32 secondes, Government Commissions, Mogwai. J'ai écouté ce morceau vingt fois durant mon week-end passionnant, il colle parfaitement avec l'actualité, il est tout aussi imprévisible, tout aussi violent, tout aussi inaudible.
Alors voilà, de l'autre côté de la planète, c'est à dire sous nos pieds, il y a une bestiole indomptable qui menace de répandre ses tripes toxiques dans l'atmosphère, et des gugusses qui s'agitent autour au péril de leur vie. Le message général renvoyé par la radio est plutôt inédit : "ça se pourrait bien qu'on y passe tous pas tard?..." et pendant que sous nos pieds on respire des volutes radioactives, secoué par les répliques, en buvant une tasse du tsunami, nos officiels partent en conjectures sur l'état du parc nucléaire français parce que le Japon ça va, c'est loin... et puis pendant ce temps là un dangereux autophile reconquiert impunément la Libye à grand coup de canons dans la gueule de son peuple révolutionnaire qui lui jette des pierres... et puis avant-hier soir Lyon a gagné 2-0 face à Valenciennes... C'en est trop pour moi, je remets "Like Herod", track 6, 18 minutes 32 secondes, Government Commissions, Mogwai.

Ce matin je vide à Plaisir, et je fais ça avec un grand plai... bordel faut que j'arrête d'écouter Laurent Ruquier.
Je recharge à Crépy, et je fais ça avec un grand Crépy.... voilà, là on est dans l'humour trop marrant.

Il ne se passe rien de particulier dans ces traversées parisiennes d'ouest en est puis de Nord vers le sud. J'écoute les infos, encore, toujours, en attendant de savoir quand est-ce qu'on y passe. Plus je roule vers le Sud, plus le temps devient magnifique. Le Morvan s'annonce verdoyant, pour mieux en profiter je sors à Avallon et continue via la nationale.
En arrivant sur Châlon mon chef me suggère d'aller vider dans la foulée (à coté de Bourg), en sachant que j'ai rendez-vous demain et que j'ai calculé mon coup pour arriver au dépôt en 9h... je vais voir, un peu amer... et comme prévu je tombe sur un gardien qui m'annonce triomphalement que j'ai rendez-vous demain. Ce n'est pas d'avoir fais le détour qui m'embête le plus, c'est bel et bien d'avoir vu ce con de gardien.

Je vais finalement au dépôt, j'arrive avec 8h57... c'est donc toujours tendu, même quand ça n'a pas de raison de l'être. Je retrouve Antho qui, une fois qu'il en a fini avec le lavage, m'accompagne chez Ronald parce qu'on ne sait pas trop où manger à cette heure-ci.

Je passe la deuxième parti de soirée à dételer, rateler, faire les pleins, laver... puis je manque de me casser le tibia droit en voulant monter sur le quai comme si j'étais souple... enfin je ressers mes longues-porté parce les étoiles n'ont pas besoin qu'on les éclaire, elle brillent toutes seules... mon Dieu que c'est beau ce que j'écris.

Je dors au dépôt.

au coeur de la machine logistique

on sous-estime souvent l'accélération des XM

la tronche....

Alaya du camion!

Mardi 15

Une douche, un café, un bonbon piqué à Guylaine, toutes les joies d'un réveil chez Asotrans. Il est 7h ce matin lorsque je franchis le portail pour fuir Bourg en Bresse sous un soleil qui s'annonce radieux. Les bouseux de la campagne profonde affluent vers leur citadelle pour y récolter les trois sous qui leur permettront d'aller à la Clé des Champs samedi soir pendant que serait en pleine contemplation du mur de mon salon en écoutant Grandaddy, parce que j'aime bien Grandaddy. Je suis moi-même un bouseux de la campagne profonde (je précise), mais ce matin je suis dans l'autre sens, je charge en Bresse Bourguignonne.

Lorsque j'arrive dans l'entrepôt aux couleurs d'un grand prestataire national, on me dit d'attendre, puis on m'indique la salle de pause pour accompagner cette attente d'un café si mon ventre-jaunisme me le permet. Cette pièce, commune à toutes autres salles de pauses : un distributeur - une poubelle, a la particularité d'offrir à ses visiteurs l'accessibilité à des panneaux d'informations recençant tous les évènements notoires déroulés au sein de l'entreprise et du groupe tout entier. Ainsi, avec parfois les photos à l'appui, le grand prestataire national y expose sans complexe les accidents, les incidents, les vols... dans ce que je pense être une stratégie de communication qui joue sur la transparence pour, pourquoi pas, éveiller les consciences et les guider dans le droit chemin, celui tracé par le grand prestataire national. Il est vrai qu'il suffit de rester quelques minutes au café pour tomber sur des chauffeurs stupides et fiers de l'être à un niveau à vous dépiter de promouvoir l'image de la profession, mais ce qui me qui me chagrine sur ces panneaux d'affichage, c'est de voir écrit par exemple : "Le lundi 13 janvier, un affrété du groupe s'est fait volé sa semie-remorque à Saragosse alors qu'il l'avait décroché sur un parking où un second affrèté devait l'atteler"... traduction : on affrète tous le monde et n'importe qui, ça se passe n'importe comment, on fait n'importe quoi et on en est fier; car il ne s'agit pas là d'aventure concernant des chauffeurs de l'agence Bresse-Bourguignonne, eux ne sortent que rarement de la Bresse-Bourguignonnie.

Je suis au quai N°14 en train de ranger mes palettes dans les coffres. Au quai N°13 une semie recule, lorsque le chauffeur ouvre les portes je vois un Fût de matière dangereuse posé sur une palette en plein milieu, derrière, pas sanglé, pas calé. Je dis bonjour au chauffeur et l'interroge épris d'un élan de naïveté :
"_wahou... t'as roulé comme ça? le bidon pas sanglé?"
Et lui de me répondre pas peu fier :
"_T'inquiète, moi c'est "volant de velours""
"_ha d'accord... je comprends alors..."
Et oui, je suis tombé sur "Volant de velours", le seul, le vrai, celui qui est épargné par la malchance d'un freinage d'urgence, celui qui n'a donc pas besoin de sangler son bidon de dangereux...

Une fois à quai, "Volant de velours" me rejoint pour pousser la conversation dans les retranchements de l'insignifiance, puis en voyant la penderie de ma semie il y va de ses plus ferventes recommandations :
"_dis-donc, faut faire gaffe avec ça, faut y aller doucement dans les virages...etc."
Cela ne fait plus aucun doute, "Volant de Velours" est un con.

Il me faut transiter par l'auvergne pour rejoindre le Sud-ouest et livrer à Toulouse en foulée. Lorsque je suis parti j'ai demandé "à quelle heure on livre" et on m'a répondu "au plus tôt". Le "plus tôt" s'avére être 17h30. J'arrive dans l'agence toulousaine du prestataire national, et j'apprends qu'on ne réceptionne pas avant 20h... super.

Je traine entre le camion et le téléphone, puis à 20h j'apprends que c'est finalement 21h... et à 21h j'apprends qu'on ne me vide pas en premier... bon, j'ai eu ma dose de prestataire national pour aujourd'hui, je vais me coucher, de toutes façons je suis à quai, qu'ils se débrouillent du moment qu'ils ne viennent pas me réveiller...

la jeunesse se retrouve au marché

Auvergne

faut assumer après...

entre-aide scandinave

Mercredi 16

Non seulement j'ai bien dormi, mais en plus les gars ont bien travaillé : lorsque je soulève la porte du quai je tombe sur une semie vide, propre, avec la barre et le bac de crochets bien en place, ça fait plaisir. Alors je vais voir le cariste en chef pour récupérer les papiers et lui proposer un café qu'il refuse, ça fait plaisir aussi.
Comme prévu ma journée débute à 3h, je descends sur Toulouse, puis sur St Gaudens, puis vers le sud-ouest du sud-ouest. J'arrive à 6h30 à l'abattoir, les chargeurs ne sont pas arrivés, je prends le temps de laver à grandes rasades d'eau et de produit bactéricide dont les effluves ultra-agressives s'attaque directement à mon pantalon ainsi qu'à mon espérance de vie. Un pantalon tout neuf...
A 7h je suis à quai. J'ai la bonne surprise d'apprendre que l'heure d'embauche est 8h pour les personnels de chargement. Cool. Je vais prendre ma douche. Cette dernière se situe au milieu d'un immense vestiaire, à côté des toilettes dont les effluves ultra agressives...etc. Sous les vestiaires il ya la salle le réfectoire, immense lui aussi. Je m'accorde un gobelet de thé à la menthe ainsi qu'un paquet de brownies avec trois brownies dedans. Quart d'heure détente, je me laisserais presque aller à feuilleter les prospectus syndicalistes qui trainent ça et là s'ils m'intéressaient un temps soit peu. Finalement j'achève cette escapade intra-abattoir, je retourne au quai numéro 1 où un cariste m'attend pour me dire de me mettre au quai numéro 3.
Ici il y a beaucoup de place pour manoeuvrer, par contre un architecte bien inspiré a décidé, sous le lobbying des fabricants de pare-chocs et de bavettes, de placer deux bonnes grosses bordures en guise de ligne blanche, avec une marge d'erreur très sympathique de trois centimètres de chaque côté. Pourquoi autant de battons dans les roues du conducteur routier?

Une fois chargé à ras-bord, 20 tonnes de jambons frais, je décolle avec au coeur un cruel dilemme : Est-ce que je prends le temps de m'arrêter au LeaderPrice? Certes ça pue LeaderPrice, mais je suis bientôt à court de boites de pâté et de sopalin... après un rapide état des lieux et en vertu d'une vielle tradition qui consiste à ne pas prendre le temps de vivre, je trace tout droit direction Toulouse.

Les essuie-glaces balaient à grande vitesse sur la majeure partie du trajet, à defaut d'éffacer la tristesse du paysage ils parviennent à écarter les seaux de flotte qui s'abattent sur le pare-brise. Je fais une pause de 45 minutes pour manger du maquereaux devant les toilettes d'une aire d'autoroute... je réalise alors que je suis en train de manger du maquereau devant les toilettes d'une aire d'autoroute, un rêve de gosse, une consécration. Je lâche un soupir plein d'espoir et je remets le contact pour rouler les quelques heures qui me sont généreusement octroyées par Monseigneur tachygraphe.
Ô destinée improbable, j'atterris ce soir à Nîmes. Je ne voulais pas atterrir à Nîmes, je n'ai pas le choix, j'ai 9h55 de conduite.

en attente

et avec une sangle?

pays Cathare

Le Languedoc sous les eaux

Jeudi 17

Le bruit du poste finit par me sortir de la couchette, j'étais resté sur Europe1 en grandes ondes mais la réception a dégénéré jusqu'à devenir une mixture sonore plus inaudible que la bande à ruquier... (pourtant la barre était très haute) Il fait encore jour, je pense qu'il est 17h environ, mon portable affiche 18h30, j'ai dormi presque 2 heures. Je m'assieds sur la couchette et plonge mon visage dans mes mains pour le malaxer un peu. Je sens comme une présence sur ma droite... je regarde furtivement, il y a un type qui m'observe dans une voiture. Bordel. Déjà avant de faire ma sieste un autre type était venu parader sous mon pare-brise, lui aussi dans sa bagnole. Je suis garé sur un repère à gros-gays. bordel. Et celui-là continue à me mater... je re-regarde furtivement : il tend le coup avec les yeux bien grand ouverts, un peu comme mon chien "Loulou" lorsqu'on sort le fromage et qu'il sait que les croutes seront pour lui. J'arrête de regarder furtivement de peur qu'il prenne ça pour un signe, un langage codé. Je décide d'aller ranger l'intérieur de la semie avant la tombée de la nuit. J'ai mon blouson, mes gants, mes bottes de pêche et me voici en train de ramasser les crochets, les ficelles et les tiges. Ce n'est pas très agréable à faire, et le type du parking passe tout naïvement devant les portes de la semie... genre "tiens je me balade". J'en suis à deux doigts de lui balancer un crochet en pleine tête. Attention, attention; de la même manière que je n'ai rien contre les grands, les roux, les supporters du PSG ou les auditeurs de FunRadio, je n'ai rien contre les gays : chacun fait ce qu'il veut avec ses fesses du moment qu'il ne vient pas tripoter les miennes... En revanche, l'espèce de traquage attentiste des prédateurs de parkings insalubres peut m'amener un viser une tête avec un crochet...

Je suis à Reggiolo, sur le parking d'une station ERG. Ce matin j'ai décollé de Nîmes à 1h55, j'ai roulé 4h30 pile jusqu'à un refuge de l'A10, puis 4h23 jusqu'à mon client à Modena... j'ai pu vider in extremis. Une journée tendue. L'objectif était de ne faire qu'une seule coupure de 45 minutes, histoire de gagner 45 minutes... (oui en effet il s'agit là d'une explication Johnny Halidaysque). J'ai par exemple hésité à m'arrêter mettre du gazole au Muy... finalement j'y suis allé et il m'a fallu encore plus courir contre la montre sur la suite du parcours. Heureusement les PL étant interdits en Italie pour cause de je ne sais quel jour férié, j'ai voyagé en solitaire, me payant ainsi le luxe de choisir les meilleures trajectoires pour faire passer mon chargement de cochons sur cette autoroute sinueuse et détrempée.
Anthony a vidé chez le même client et a pu prevenir de mon arrivée. Je suis arrivé à 11h30. Une fois vide, avec Antho qui a eu la gentillesse de m'attendre, nous sommes partis en direction de "La Vela", pour une pizza ou une assiette de pâte. Echec... "La Vela" est aussi fermée aujourd'hui... tout est chiuso à Castelnuovo. Je suis donc parti en direction de Mantova et Antho en direction de Reggio Emilia. Stop avec 9h52 de volant, sur le parking de la station ERG, avec un gay qui matte.

J'ai maintenant tiré les rideaux pour profiter seul de ma gamelle de haricots. Je trie quelques photos, je tape un peu de carnet de bord, j'écoute "Daydream Nation", et j'éteins la lumière. Il est minuit passé.

IDS Le Muy

sur la côte

avec Antho à la Vela

mieux cette calandre noire

Vendredi 18

Je cherche la "via Cantone" dans un épais brouillard typique de cette région des bords du Po. Je ne vois pas grand chose, les longue-portés ne m'aident pas - au contraire. C'est quasiment à tâtons que j'arrive à ce carrefour où, sur ma gauche il y a un panneau "via Cantone", et sur ma droite un autre panneau "via cantone". Que faire? Droite ou gauche? Chirac ou Jospin? Sarkozy ou Royal? Le Pen ou Strauss Kahn? la Peste ou le choléra? Droite avec cette route étroite aux horizons obscurs, sans autre panneau que "via Cantone"... ou bien gauche avec cette route étroite aux horizons plus clairs, mais avec ce panneau "interdit PL" en plus du "via Cantone". J'hésite, en warning sur la route, je m'en remets au rituel du "plouf-plouf" qui m'a toujours guidé lorsqu'il s'agit d'exprimer mon avis dans une urne ou pour un itinéraire. Allez, droite, l'absence d'interdiction PL finit par me convaincre.
Me voici donc embarqué vers l'inconnu, dans le brouillard de plus en plus épais car je me rapproche du Po. La route devient franchement étroite, sinueuse, et surtout je n'entrevois aucun signe de tomber sur un abattoir. Au bout d'un kilomètre cela ne fait plus aucun doute : je me suis trompé. Reste à faire demi-tour, alors que croiser une voiture est désormais impossible. Je commence à flipper. Encore 500 mètres et mon coeur sursaute devant la vision cauchemardesque d'un panneau "voie sans issue", je suis arrivé sur la rive gauche du fleuve. Pas dans la merde le Régis. J'en suis à maudire l'abattoir, la municipalité et la terre entière pour cette signalisation ou plus plutôt "absence de signalisation" à l'origine de ce qui ressemble de plus en plus à la galère du jour, de la semaine ou de l'année - je ne sais pas encore. C'est bien simple, soit je tente un demi tour dans une pate d'oie, soit je refais tout en marche arrière... "plouf-plouf", je choisis le demi tour.
Il s'agit d'une pate d'oie "un peu élargie", mais je sais d'avance qu'il va falloir prendre très large. Je recule en serrant au maximum sur ma gauche, puis j'envoie tout à droite, en m'assurant une dernière fois qu'il n'y a aucune bordure, aucun panneau susceptible d'être balayé par le cul de la semie. Je parviens presque à mes fins, mais, avant que je ne redresse l'ensemble, je vois que ça penche dans le rétro de droite. Je descends faire un état de la situation : j'ai deux roues de la semie au bord du fossé, la terre est meuble car gorgée d'eau, j'imagine déjà les trois essieux glisser dans le champ en contre bas. J'ai envie de tout casser, je vais d'ailleurs peut-être le faire malgré moi. Si je recule ça ne sert à rien, si j'avance c'est risqué, si je ne fais rien c'est risqué aussi. Allez courage, il n'y a qu'une seule chose à faire, s'en remettre à sa bonne étoile et surtout ne pas hésiter : je remonte dans la cabine, je souffle un grand coup,je lache le frein de parc et j'accélère plein pot pour éviter d'être happer par le fossé. Victoire, ça passe, et rien de cassé. J'en tremble encore, et surtout je relativise quant à la possibilité de faire un jour une grosse connerie... c'est vite arrivé et mieux vaut garder de la retenue devant celles des autres.

Il fallait bien tourner à gauche, ou plutôt il fallait continuer tout droit et prendre la suivante à gauche, là il y à même un grand panneau avec les couleurs de l'abattoir, je l'aurais peut-être aperçu s'il n'y avait pas ce fichu brouillard.
Il est 5h45, sur indication du gardien je trouve une piste de lavage où, à défaut d'avoir un Karcher, il y a cet énorme tuyau, une sorte de lance à incendie difficile à contrôler à cause du débit. Je lave et je finis trempé. je retourne voir le gardien qui m'annonce "8h, pas avant"... bingo, 2h de sommeil passées à la trappe, et surtout 2h d'amplitude qui poseront problème en fin de journée - c'est certain.
Je me gare sur le parking et me dirige vers la porte "Bagno autisti" derrière laquelle je trouve pour mon plus grand bonheur : un WC, turc mais propre, et surtout une douche nimbée d'une odeur chatoyante de Javel. Pas d'eau chaude, et merde. Je cherche désespérément une éventuelle vanne, un robinet ou je ne sais quoi susceptible de réchauffer cette pluie glacée; en vain. Alors je m'en retourne vers mon ami le gardien, lui explique comme je peux la situation, et obtient le privilège improbable d'accèder au vestiaire du personnel, de l'autre coté de l'abattoir, à 2km à pied. Il est 7h et je tombe mal : c'est l'heure d'embauche. Je me retrouve à chercher la doccia au milieu d'une armée de découpeurs de viande, entres blouses blanches et cottes de maille. Il y a 5 douches, aucune n'a de pommeau, une seule a un mitigeur. Je me lave vite fait. Lorsque je ressors le vestiaire est vide, il est 7h Passé, la fourmilière est en émulation, au hasard d'une porte avec hublot j'assiste au spectacle de la chaine d'abattage, ce qui est assez peu courant dans ce genre d'endroit souvent confiné derrières des portes bien opaques.
Il y a le préposé à l'arrachage des tripes; puis le scieur qui d'une bête entière fait deux demi-porc - la tête restant accolée à l'un des deux; ensuite il y a le bourreau : celui qui coupe des têtes à la chaine en espèrant qu'il ne garde pas ce réflexe malencontreux en rentrant chez lui le soir; il y a le type qui range les têtes sur un présentoir, comme des ballons de foot, le cuir renvoyant ici une terrible expression de cruauté et non pas les trois bandes addidas ou la virgule nike; il y a une fille qui met trois coups de tampon sur chaque demie-bête; et puis la suite se déroule dans une autre pièce où les crochets sont guidés automatiquement sur ce rail qui aboutira à une penderie de camion du quai 1, ou du quai 2.
Je bois un café, la machine ne rend pas la monnaie, je bois deux cafés.
Je quitte le coté "operai" de l'abattoir, celui où l'on vient mettre les mains dans la viande et dans la merde en vélo ou en Fiat Panda jaune, pour rejoindre le coté "offici", celui où l'on vient s'occuper des ressources humaines et de la stratégie commerciale en BM X5 ou Audi TT. Contraste saisissant.

A 8h pétante j'ai l'autorisation de me mettre à quai. A 8h30 il ne se passe toujours rien dans la semie. A 8h45 on décide de me charger... me voici mal barré pour rentrer ce soir.
Je quitte le quai à 10h30, j'ai les papiers à 11h. C'est encore jouable, et ça reste jouable jusqu'à ce coup de téléphone qui m'annonce une ramasse surprise au Nord de Parme : deux palettes de viande pour tasser définitivement la semie. Bon, inutile de courir comme un dératé, je vais prendre ces deux palettes et remonte tranquillement vers la France, impossible désormais de rentrer ce soir.

Je décide de faire ma pause à l'autoport d'Aoste, où j'ai l'idée géniale d'aller me faire couper les cheveux dans la galerie commerciale... oui il s'agit d'une idée géniale qui m'est apparue comme un flash : "si je vais chez le coiffeur en Italie, nul besoin d'entretenir une quelconque conversation!?! génial!"...
Je fais aussi des courses à carrouf et j'achète une paire de baskets à 20 euros pour aller en boite ce week end.

Anthony remonte lui aussi vers la France et vient me rejoindre à l'autoport.

au lavage

un camion de rallye

la région de Broni sous le soleil

Phil26 en 1995

Samedi 19

Je ne sais pas ce qu'il ya avait dans le café de la station mais Antho et moi sommes tous deux malades en redescendant sur Bourg en Bresse... à moins que ce ne soient les pâtes au ragoût d'hier... Bref nous voyageons avec la pluie et un mal de bide sur tout le parcours.
Arrivé dans la cours il y a quelques transvasements à faire, en plus des rituels pleins et lavages. Tout juste le temps d'admirer le dernier venu, un Actros qui ne me fait pas regretter d'avoir touché un Volvo... mais les goûts et les couleurs...

on ne se quitte plus

Bourg un samedi matin

le carrosse de Christophe

tous le monde se bat pour voir le new mercos

Dimanche 20

Lundi 21

Incroyable coïncidence je commençais ma semaine dernière en évoquant un titre de Mogwai... hier soir j'ai eu l'opportunité de les voir en live, au Transbordeur, à Villeurbanne. Je me suis couché tard ce matin... Lorsque le réveil a sonné à 6h j'avais encore de la musique plein les oreilles, je me suis donc levé à 8; j'ai sauté dans un jean puis dans une voiture pour foncer sur Bourg en Bresse, avec un sac de croissants pour faire sympa - et surtout parce que je n'ai pas eu le temps de manger...
Guylaine fête aujourd'hui son départ, j'ai raté l'évènement, je constate juste qu'elle m'a devancé pour les croissants...Alors comme il y en a trop j'en mange trois et je laisse les autres près de la machine à café. Je ne suis pas en retard. J'attelle un chargement de jambons que je pars compléter à l'abattoir.

Il est tout juste midi lorsque je quitte Bourg. Deux livraisons : une à Turin, l'autre à Reggio Emilia.

Le soleil est de la partie en France comme en Italie, je roule jusqu'au Gran Bosco.
Il n'est pas l'heure de manger mais mon estomac se manifeste derrière la vitrine de l'autogrill où les panini aguicheurs étalent au grand jour la couleur saillante de leur charcuterie, l'onctuosité de leur fromage, la rodeur charnelle de leur pain doré... il m'en faut un et vite! je sacrifie mon budget-saloperies du mois de mars pour la chaleur d'un "capri" resté trop longtemps dans le grill... Bonheur éphémère, cher et indigeste qui me laissera en souvenir des brulures d'estomac pour la soirée, cette fois c'est décidé je ne succomberai plus à la tentation, je m'en remets à Hervé Villard, "capri" c'est fini...

La livraison à Turin me prend dix minutes.

D'un point de vu stratégique l'idée de m'arrêter au Gran Bosco n'a pas été très lumineuse... car je me retrouve dans les embouteillages turinois avec une bonne heure de volant, Reggio Emilia en point de Mire et le risque de devoir refaire 45 minutes de pause pour y parvenir.
Je roule, nez dans le guidon, il n'y a pas grand monde sur l'A21, puis sur l'A1. Je sors à Campegine et je continue sur la nationale - à cette heure-ci il n'y a pas encore les nombreuses esclaves en cuir et décolleté, posées à même le trottoir pour ralentir la circulation et y soutirer les sujets les plus en rut. Mais comme prévu le tachygraphe s'affole et je suis obligé de m'arrêter à moins de 5 Km de mon point de chute... pour attendre 45 minutes... avant de repartir rouler 5 minutes et me mettre en coupure journalière... Ôôôô drame atroce de la règlementation sociale. D'une servilité sans faille et sous la menace de 28 jours de contrôle potentiel je me retrouve ainsi à manger ma salade de thon sous la lumière d'un lampadaire, dans une rue quelconque d'une zone quelconque d'une ville quelconque...

50 minutes plus tard, le gardien m'ouvre la barrière, je me gare devant la benne à os - comme d'habitude, ce même gardien me fait un signe avec le pouce : il a l'air content de me voir garé devant la benne à os... alors j'acquiesce en levant moi aussi le pouce parce que c'est cool d'être garé devant la benne à os.

On s'en cogne

Vallée de la Maurienne

un série 4

Les panini de l'autogrill

Mardi 22

Réveil, bascule, manoeuvre à contre main... et puis beaucoup d'attente. Ici il n'y a ni douche, ni café... seulement des toilettes crades et puantes au fond d'un bungalow. Le rêve. Le cadre est pourtant renommé, il s'agit d'une usine historique, j'imagine qu'on y fabrique du jambon de qualité, les grosses bagnoles sont légion, les encostardés se bousculent au portillon - tous derrières leur lunettes de soleil à 7h30 du matin... et donc dans cet endroit qui pue le fric je suis forcé d'improviser un petit déjeuner avec un yaourt et une orange.

Je suis vide à 10h30.

Je recharge du Lardello (Couenne de porc) à Mantova. Je tente un raccourci qui me fait perdre plus d'un quart d'heure, dommage, bien tenté.
La piste de lavage de l'abattoir est en travaux, pour la remplacer j'ai à ma disposition un jet d'eau qui ne va pas au delà de la moitié de la semie... je lave comme je peux, en aspergeant à distance - puis en frottant avec une raclette. Une fois que c'est à peu près propre je contourne le bâtiment pour me mettre au quai-couennes, un endroit magique... on imaginerait presque une affiche publicitaire avec ma tronche en grand et une inscription dessous : "ON VA AU QUAI-COUENNES!"

Il est 12h30, c'est la pause.
Une heure plus tard, alors que je commence à m'assoupir - le visage retenu par la joue qui fait ventouse contre la vitre, l'équipe de chargement arrive... équipe constituée de... une seule personne : un type d'origine asiatique qui me demande de baisser la suspension du camion tout en le faisant lui-même. Je lui demande s'il a besoin d'aide pour charger, il me répond que non. je retourne donc m'accrocher à la fenêtre par la joue pour dormir en écoutant un truc qui ressemble à France Inter en grandes ondes - je capte très mal.
J'imagine avoir quelques heures devant moi, vu qu'il n'y a qu'un seul chargeur, alors je repousse encore l'écriture de mon CDB... et puis bon, Phil passe le week end sur la route, c'est les vacances non?
Contre toute attente, à peine deux heures se sont écoulées lorsque ça tape sur la droite de la cabine. Pas moyen de pioncer tranquille! je tends le coup pour voir de quoi il s'agit... et là, vision d'horreur : il y a mon chargeur asiatique, le sourire jusqu'aux oreilles, en train de taper avec le plat de la main - c'est à dire avec un gant maculé de graisse de porc - contre le déflecteur du camion... lorsqu'il me voit il dresse le pouce droit pour faire "OK", toujours avec le sourire, toujours en badigeonnant mon déflecteur de graisse... J'hésite entre le meurtre et l'assassinat, puis finalement je m'incline, je lève moi-aussi le pouce droit pour faire "ok", je le fais même avec le sourire (pas très franc mais sourire quand-même). En effet je ne m'imagine pas faire une quelconque réflexion à ce type qui vient de se cogner 20 tonnes de couennes pendant que j'en écrasais sévère contre la vitre... après tout rien à foutre de la graisse sur le déflecteur.

Je repars en direction de la France avec ma tache de gras à droite.
Je fais le rituel passage par l'autoport, 10 minutes pas plus.
J'arrive à Bourg en moins de 10h, nous sommes déjà mercredi matin, je lave, je fais mes pleins, je prends une douche et je vais dans la couchette.

à quai

des couennes de porc

je traverse une brèche temporelle

"On va charger des couennes de porc!"

Mercredi 23

En attendant la fin de ma coupure je trainasse au bureau et j'enchaine les cafés. Je garde mes couennes de porc à destination de Rungis, je ne suis donc pas pressé. Tellement pas pressé qu'à midi je suis toujours dans les parages, je pars manger un Kebab avec Olivier, kebab que je termine tout seul en terrasse car Olivier - lui, est pressé.

Il est plus de 14h lorsque je me décide enfin, dans un incroyable élan de motivation, de quitter cette belle ville de Bourg en Bresse, ses kebab, ses cours des transports Asotrans, pour prendre le volant sous un soleil rayonnant.
Je décide de monter par la nationale, j'ai envie de voir le Morvan de plus près. Mon rêve se réalise quelques heures plus tard : il y a une déviation entre Chalôn et Saulieu, elle fait froid dans le dos, je passe sur une route à la limite du chemin de terre où toute croisure est fortement déconseillée, mais il me semble que cette déviation est à sens unique.

Cette ascension vers la capitale est des plus plaisantes. Au hasard d'une traversée de village, entre Avallon et Auxerre, je vois un Vieux qui promène son clébard; le Vieux s'engage sur un pont et le clébard saute sur le muret pour un numéro de funambule qui l'élève au rang de super star devant son maitre, mais surtout devant moi reste ébahi et qui manque de me payer un trottoir.

J'arrive au MIN dans la soirée, je mets le camion à quai, je coupe à moitié la route mais à cette heure-ci il n'y a aucun problème : le MIN dort encore. Moi je décide de repousser mon sommeil à après le déchargement - normalement au milieu de la nuit. Pour l'heure je pars en vadrouille dans les allées de Rungis, armé de mon appareil photo, à la recherche de je ne sais quel truc insolite à immortaliser. J'ai beau marcher il n'y a rien à voir... le Min ne dort pas, il est mort, aucune activité, aucun camion intéressant, rien. Alors je retourne au camion. J'attends l'équipe de déchargement et je finis par somnoler à mesure que la fourmilière sort de son coma. Finalement les type arrivent plus tard que prévu, ne me vident pas en premier, posent eux-aussi leurs grosses papates sur le camion... bref un cauchemar, d'autant plus que ça y est : la ruche est en émulation, les camionnettes jaillissent de toutes parts, les camions pressés frôlent la cabine à la recherche d'un énièmene quai de déchargement, les ouvriers n'ont pas encore sali leur blouse blanche; Rungis est réveillé et je vais me coucher. Avant cela je passe un coup de jet dans la semie et je range les crochets... foutue pour foutue la nuit sera de toutes façon très courte.

ça ressemble à un transalliance

Châlon sur Saône

classe

23d une nuit au MIN

Jeudi 24

C'est incroyable. Je n'en reviens pas. C'est dingue.
Aujourd'hui je suis redescendu de Paris, à nouveau par la nationale... J'ai passé Auxerre... et puis je suis entré dans Saint Moré. Au cour de la traversée du village mon regard est attiré vers la droite : il y a ce même pont avec le muret, ce même Vieux et ce même clébard au bout de la laisse. Au moment précis où je passe : le Vieux s'engage sur le pont, et le clébard saute sur le muret pour son numéro d'équilibriste! Incroyable! De deux choses l'une : soit le vieux promène son chien sur le muret à chaque fois qu'un camion passe, pour faire le malin; soit je vis véritablement dans une sorte de Truman Show... je me pose des questions.

Avant cet épisode rocambolesque j'ai chargé un complet de surgelé dans l'Est de la capitale, un chargement d'une rare efficacité qui me permet, tout comme hier, d'avoir tout le loisir de trainer mes roues tranquillement sur la N6, toujours sous un soleil de mois de juillet.
Je m'accorde une bonne pause repas + sieste... et je me dis que faire ça tous les jours serait du pur bonheur.
Il n'y a plus la déviation merdique à hauteur de Saulieu mais la simple traversée du village se montre particulièrement pénible : je n'ai pas croisé un camion sur 20Km, j'en ai croisé 5 dans Saulieu, juste pour bien faire plaisir, d'autant plus que certains ne prennent même pas la délicatesse de lever un minimum le pied lorsqu'il y a un croisement difficile et que je suis arrêté contre le trottoir droit en train de regarder mon beau rétro gauche la larme à l'oeil.

Je vide dans la foulée, tout près de Bourg. En arrivant sur place, dans la soirée, j'apprends avec un bonheur immense que j'ai rendez-vous à 1H du matin; génial. Sans même avoir insisté et alors que je m'apprétais à sortir le réchaud, un cariste vient taper à la porte au bout de seulement quelques minutes. "Tu peux te mettre à la 14, on vide maintenant".
C'est incroyable. Je n'en reviens pas. C'est dingue.

Je termine ma journée dans la cour, comme avant-hier je mets du gazole, je lave, je prends une douche et je vais dans la couchette.

désert

chargement bien réparti, bien arrimé

mieux qu'un premium

le Vieux et son clébard funambule

Vendredi 25

J'ai dormi sur place dans le doute, mais aujourd'hui il n'y a finalement pas grand chose à faire : emmener un camion à l'abattoir tout au plus.
Je fais donc en sorte d'être prêt à partir dimanche pour une nouvelle semaine de camion, de viande et d'Italie. D'ici là toutes les oreilles se tournent vers Arbigny et vers les Thirsty Selenits pour un week end qui s'annonce très court.

le FH de Pierrot

ça bosse dure aux bureaux

Samedi 26

Dimanche 27

Y'a de la vaisselle plein l'évier, y'a du linge qui traine par-terre, y'a des boitiers de CD un peu partout... et dans ce joyeux bordel je peine à trouver mes clés, mes téléphones, leurs chargeurs, 5 caleçons, 10 chaussettes, 5 t-shorts, 2 jean, 2 pull, une serviette de bain, ma trousse de toilette... pour faire mon sac et m'en aller vers des horizons tout pourris, il pleut et il fait froid. Marre de partir à l'arrache.
Je balance tout dans le camion, je rangerai plus tard. Dans mon casier je découvre le programme de ce début de semaine : tournée de groupage de Cuneo à Bologna avec pas moins de 10 clients. Il est 15h, je pensais être dans les temps, je ne le suis pas. Alors pas une minute à perdre, j'attelle la bi-temp' et je me sauve.

Je roule jusqu'à St Julien de Maurienne où je commence à localiser un à un les clients : sur les 10 j'en connais 6, c'est pas si mal...

En Italie il pleut et il fait froid... tout pareil.

Je descends dans la région de Cuneo avec l'espoir de vider ce soir : il s'agit d'une petite salaison et les gérants habitent sur place apparemment. Lorsque j'arrive, à 22h, il y a la grand-mère qui sort et qui m'indique la procédure à suivre. Je la connais la procédure : il faut faire demi-tour sur la place du village et revenir se serrer sur la gauche pour ne pas bloquer la rue étroite. Je vide deux palettes, la grand-mère ainsi que le type qui m'aide à décharger sont très courtois, c'est plaisant de travailler avec des gens courtois. Je refuse le café (je vais bientôt me coucher), je repars en direction de Turin.

Lorsque j'arrive chez ce second client il y a Florent garé dans la rue, lui aussi décharge ici demain, du surgelé.

à Turin avec Florent

Lundi 28

Personne n'est venu me réveiller, même pas Florent, j'ai tout juste le temps de lui faire signe de loin : il est en train de partir lorsque je tire les rideaux.
Je fais bouger une camionnette pour pouvoir me mettre à quai, je décharge 4 palettes et bois 1 café, il y a une grosse journée qui m'attend.

Direction Asti, pour une livraison en centre-village, en warning, dans la rue. Je n'ai pas le temps de caser un quart d'heure de coupure, j'enchaine. Pour la suivante j'ai un numéro de téléphone, j'appelle... mon interlocuteur me donne rendez-vous au péage d'Alessandria-Est pour me guider jusqu'au lieu de déchargement qu'il décrit comme "introuvable". Une demie heure plus tard, au péage, il y a une Mercedes avec 3 types qui attendent... c'est moi qu'ils attendent. L'un des trois monte à bord et nous suivons les deux autres dans la voiture devant. Bon... je ne risque pas de me perdre au moins...
Nous prenons une route que je n'aurais effectivement pas eu idée de prendre tellement elle est étroite, et nous arrivons à un entrepôt au milieu de nulle-part. Les types ouvrent la grande porte, me font reculer à l'intérieur, puis referment la porte. C'est quoi ce trafic? on se croirait dans un film? Il est où Bruce Willis?
Finalement il ne se passe rien de spécial, je ne me fais même pas braquer, je n'échange aucune valise de chocos Prince, je vide mes deux palettes de bidoche et je ressors du batiment pour reprendre la toute petite route et continuer mes livraisons.

La suivante est juste à coté, à Tortone, 3 palettes. Le réceptionnaire me dit d'attendre, lorsque je lui demande "combien de temps" il me répond qu'il ne sait pas, lorsque je lui demande "combien environ", il me dit "une bonne demie heure"... Alors, toujours avec beaucoup de calme et de détermination, je tente un coup de bluff : je lui dis : "allez redonne moi les CMR je n'ai pas le temps d'attendre, je m'en vais, on videra ça ailleurs...", je la joue sûr de moi... alors que s'il me redonne les CMR je suis effectivement dans l'embarras. Pour le coup ma stratégie fonctionne : le type délègue un "opérai" en urgence et un petit quart d'heure plus tard je suis vide...
Je vide ensuite au nord de Piacenza, tout se passe bien.
Il est 15h lorsque j'arrive chez ce marchand de bidoche en Parme et Reggio. Je n'ai qu'une seule palette à poser. Sur la porte je peux lire : "réception 7h-12h". Je trouve un type, il se montre aussi causant qu'une porte de réception, il me sort complètement indifférent : "réception 7h-12h". J'insiste, je n'ai qu'une palette, et il fini par me sortir : " ok, je la décharge lorsque j'en ai fini avec ce camion... dans 1h30 environ". J'ai une soudaine envie de coup de boule...ce type est un véritable enfoiré à qui je ne peux même pas faire le "coup de bluff" de tout à l'heure : il s'en tape d'avoir sa palette où pas...
Alors je m'en remets au téléphone, et bizarrement quelques minutes plus tard il m'indique le quai 3...

Je vide ensuite à Modena-centre, puis dans les montagnes de la région de Vignola, dans une petite salaison introuvable.
Il ne me reste alors qu'une seule palette pour Bologne. J'arrive à 17h45, la réception est fermée depuis un quart d'heure et il s'avère impossible de trouver une entente pour poser cette petite palette d'échantillons qui va m'obliger à faire tourner le frigo toute la nuit et jusqu'à demain 8h... merci... c'est génial.
Je ne dors pas sur place, c'est impossible et surtout la zone est déconseillée car du genre mal-fréquentée. Je trouve un parking plus loin.

Voilà toute la difficulté des tournées avec beaucoup de livraison : ce n'est pas de trouver les clients où faire les manoeuvres, c'est de négocier sans arrêt et sans s'énerver avec les réceptionnaires tout puissants, de jouer des coudes pour protéger sa place et d'essayer perpétuellement de ne pas perdre trop de temps dans les boites à la cons... dure métier que celui de routier.

cuisine en plein air

pas facile de rentrer là dedans

les environs de Modena

bidoche congelée

Mardi 29

Ce matin la réception ouvre bien à 8h et je suis là... là derrière les trois autres camions qui sont arrivés avant moi.
Je ne perds pas d'énergie inutilement, je donne mes papiers et j'attends au camion, j'en ai marre. Je vide à 8h45. La manoeuvre est difficile, sur la route... et certains automobilistes mériteraient des baffes à passer coute que coute dans les moindres angles morts.

Je recharge à Reggio Emilia, ici aussi il y a de l'attente, ici aussi je reste stoïque. Pour passer le temps je sors mes palettes-europes des coffres en essayant d'esquiver le cariste Napolitain qui vient toujours parler avec moi et c'est toujours pareil : il parle, j'écoute, il parle s'en s'arrêter, je ne comprends pas grand chose et ça me soule... bref il s'agit de ce genre de conversation à sens unique où l'un des deux interlocuteur se fait un plaisir de relater ses exploits à l'autre sans se soucier de savoir si ça l'intéresse un minimum, c'est pénible.

Je pars juste avant midi. Direction Lyon.

Je fais la désormais traditionnelle pause au Gran Bosco pour prendre ma douche. Je n'ai pas de monnaie, seulement un billet de 10... le type de l'entretien, "l'homme-pipi", me dit que je paierai la prochaine fois... sympa... c'est la deuxième fois que je me douche gratos ici.

J'arrive trop tard pour vider à Lyon, alors je me pose devant le quai et je mange des nouilles.

tiens, un Dubois?

pas encore mon tour

carreleurs

on construit un grand truc à Turin...

Mercredi 30

A 6h ça tape au camion, le temps que je tire les rideaux il n'y a déjà plus personne... j'ai compris qu'il faut mettre le camion à quai. Quelques instant plus tard je comprends aussi qu'il faut décharger moi même car bizarrement il n'y a pas de cariste ce matin : comme la dernière fois ainsi que l'avant dernière fois.
Je vide, reprends les palettes, appelle le chef pour les instructions du jour : retour à Bourg.

A peine le temps de faire mes pleins et laver, il me faut retourner à l'abattoir pour charger une nouvelle tournée de groupage.
Nous partons avec Florent en direction de Milan. Nous commençons une fois de plus chez le même client, on ne se quitte plus. Il vide en premier car il est plus pressé, moi je n'ai qu'à descendre ensuite sur Agrate pour me garer au fond de la cour car il est trop tard pour vider dans la grande usine où je pensais pouvoir décharger de nuit...

J'ai un retard carnetdeboristique considérable mais je suis fatigué : je décide comme d'habitude de mettre le réveil tôt demain en imaginant que je vais sauter derrière mon écran d'ordinateur avec toute l'inspiration d'une bonne nuit de sommeil pour me motiver...

plein de nouveaux Daf

pentes d'Aoste

Verrès

Milano

Jeudi 31

Le réveil a bien sonné à 3h ce matin...

Il est 7h lorsque j'enfile un caleçon tout neuf, une chaussette gauche toute neuve, une chaussette droite trouée et différente, et enfin mon vénérable t-shirt "Arthur Green" de 1999 avec deux vaches qui se font un tête à tête dessus - je n'ai jamais compris pourquoi.
Lorsque je me présente au nouveau gardien, à 7h15, ce dernier me dit de revenir à 7h30... bon... ça commence fort. Juste en face il y a une station Agip avec du carburant et du café. Je partage un petit coin de bar avec des ouvriers du batiment sur ma droite, et des types en costard sur ma gauche. 80 centimes : moins cher et meilleur que chez Selecta.

Je suis complètement bête et discipliné : à 7h28 je démarre, à 7h29 je mets "pays de début : I" sur le tachy, j'attends un court instant... top, il est est 7h30 pile poil, j'avance le camion jusqu'à la grille.
Le gardien, sans doute sympa en dehors des inébranlables rituels protocolaires qu'il nous impose, m'explique - plan à l'appui - le parcours du combattant à suivre pour livrer mes 7 malheureuses palettes... Tout y est : la bascule, le bureau "réception", le lieu de déchargement, le lieu pour récupérer les palettes, la bascule à nouveau, le bureau "réception à nouveau", et enfin le ce même gardien pour finir le périple, toutes ces étapes étant bien entendue réparties aux 4 coins de l'usine, cette dernière étant à peu près grande comme trois fois Pont de Vaux, Pont de Vaux étant grand comme trois fois Chevroux, Chevroux étant grand comme sept fois Boissey.
Concrètement je passe plus d'une demie heure de volant à tourner en rond, et lorsque je peux enfin partir, à 8h50, j'ai tout le loisir de me jeter dans les embouteillages milanais. Content.

Gros coup de Klaxon de l'autre coté de la tangenziale, je tourne la tête et aperçois furtivement un Volvo bleu avec deux flèches danoise dessus et une flèche suèdoise dedans : Sweden, le seul, le vrai. Comme hier impossible de se capter plus de 10 secondes sur le 19 : tout juste le temps d'entendre "hein quoi?... ho bordel j't'entends pas...", content d'avoir des nouvelle de Sweden...

Je remonte en direction de Lecco, sur cette même SS36.
J'ai cette fois-ci dix palettes de porc à décharger et l'opération s'avère tout aussi pénible que la précédente, je perds à nouveau du temps.
Conduire énervé sur les routes des environs de Lecco n'est pas très recommandé : en partant de l'usine à saucisson je me dirige tout droit vers un pont à 4m sous lequel je suis déjà passé... mais aujourd'hui j'ai une Lamberêt récente et plus haute que les autres, au dernier moment et même en ayant baissé la suspension je constate que ça ne passe pas : bonne frayeur, j'évite le drame grâce à mon antenne cibi qui me sert de pige (à défaut de servir d'antenne).
Et puis un peu loin je tombe face à un autre piège : un pont interdit aux plus de 2m30 de large pour enjamber l'Adda... il me faut choisir un autre itinéraire et perdre encore un peu plus de temps. Si bien que j'arrive chez mon troisième client à 12h20, prêt à tomber nez à nez avec la grille du portail. Non. Ici changement de décors : on bosse de 12 à 14, tout va même très vite, pas de procédure à la con, le cariste tente même la discussion - il est apparemment soucieux du temps qu'il fait en France... bref, une bouffé d'oxygène dans cette matinée de patinage dans la semoule.

J'ai tout juste eu le temps de caser un quart d'heure de coupure à quai et je pars à Montichiari faire le quatrième. Mon chef m'a prévenu à l'avance, il paraît que chez ce client "c'est des cons". Effectivement je le constate par moi-même, c'est des cons.
Il est plus de 16h lorsque j'arrive chez le dernier, près de Rovereto. Au terme d'une manoeuvre difficile je me sépare de la dernière palette et m'octroie le bonheur suprème d'éteindre définitivement, du moins jusqu'à demain, ce fichu frigo qui n'a cessé de tourner en continu depuis mon départ. Je ne recharge que demain à Mantova. Alors j'y vais, et lorsque j'arrive je vais quand-même au bureau juste pour récupérer les papiers afin de ne pas faire la queue demain matin... Il y a dans le bureau une jeune femme qui feint de ne pas me voir, qui passe de coup de fil en coup fil... et puis lorsqu'un autre arrive elle lui demande ce que je fous là, en Italien et avec beaucoup de dédain, imaginant sans doute que je ne la comprend pas... l'autre répond qu'il n'en sait rien, moi je me casse, je préfère perdre du temps derrière 10 chauffeurs qui puent la sueur demain matin... je voulais seulement la liste de chargement.

livré là...

puis là...

puis là...

dormi là...

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