De Crest à Riga avec Régis et Phil26

A moins d’avoir suivi assidument les cours d’histoire géo et d’en garder une mémoire intacte, il faut reconnaitre que l’on ne sait pas grand chose au sujet des Pays Baltes. Au mieux peut-on les citer : Lituanie, Lettonie, Estonie ; De là à savoir lequel est au dessus ou en dessous, de là replacer sans erreur les capitales Vilnius, Riga, Tallinn, de là à évoquer l’enclave Russe de Kaliningrad, la proximité avec la Biélorussie, la position géostratégique aux confins de l’influente Russie, de l’Europe de l’Ouest et de la toute proche Scandinavie… Fierdetreroutier se devait de faire le point sur la situation en envoyant ses deux éminents spécialistes géopolitiques sur place.
La mission est la suivante : Deux camions chargés en matériel événementiel au départ de la Drôme et à destination de Riga. Phil, alias Phil26 et Régis, alias Ray derrière les volants.
Nous n’avons pas chargé ensemble et nous nous rejoignions en Alsace un mercredi matin pour le premier des innombrables cafés que nous allons partager.
Le ciel est chargé, la température nulle, et il suffit d’ouvrir une application météo pour se faire peur : neige en Pologne, neige en Lituanie, neige en Lettonie. Gardons le moral, nous ne sommes qu’aux portes de l’Allemagne, pour le moment ce n’est que moche et pluvieux. Nous quittons donc la France au plus court, à Ottmarsheim afin d’éviter la portion Colmar-Strasbourg, saturée – en circulation et en radars discriminants. Nous lui préférons donc la portion Freiburg-Baden-Baden, qui pour environs 12 euros, vous offre le luxe d’être légèrement moins saturée, avec néanmoins bon nombre de voitures de polizei et autres BAG en embuscade à intervalles réguliers. Il faut simplement « accrocher » le camion de devant – en l’occurrence celui de Phil -, avec une distance de sécurité raisonnable, et ne plus le lâcher. Là réside tout le plaisir de rouler en Allemagne. Plaisir décuplé depuis l’installation à bord des OBU, appareil fantastique qui va chercher l’argent directement sur le compte en banque lorsque le camion passe devant les capteurs. Fini la queue devant les bornes Tollcollect ! Fini le dictat de l’itinéraire obligatoire dans un créneau horaire donné ! Aujourd’hui est un jour nouveau : on choisit sa route, on prend le temps de s’arrêter manger et surtout on enlève un peu de stress au périple. L’Allemagne en deviendrait presque attirante, on se surprendrait à quémander un voyage pour Karlsruhe, on délaisserait presque un complet Granada contre une tournée de groupage dans la Ruhr…
« Mieux vaut un tu l’as que deux tu l’auras » : sage parole de Phil qui nous amène à la pause douche à Bruchsal. Un autohof avec des sanitaires propres, gérés par un homme d’entretien Afghan avec qui Phil parvient à échanger quelques mots, ce qui je le confesse m’en bouche un coin.
Un café plus tard nous reprenons la route vers le nord. Nous passons Frankfurt dans l’optique d’atterrir  à Mücke pour la nuit. Objectif atteint, il y a de la place sur le parking, j’ai 8h43 de conduite, c’est parfait. Nous usons nos 10 euros de « voucher » au restaurant. Phil se fond dans le décor avec ses spaghetti bolognaises, tandis que je la joue un peu plus locale avec un choux farci – kartoffel. Cette fois c’est en Espagnol qu’il communique avec la serveuse, ce qui m’en rebouche un coin. Après avoir fait le tour de la boutique et écumé toutes les blagues possibles et imaginables devant la quantité de choses inutiles que l’on y vend, nous retournons aux camions. Il fait froid, le webasto tourne a plein régime ; le parking affiche complet et quelques galériens commencent déjà à tourner à la recherche d’une place improbable.

Deutschland, jeudi matin. Toujours pas de neige mais on s’en approche, ça se sent. Petit-déjeuner express dans nos cabines respectives et c’est parti pour des kilomètres d’autobahn, tranquillement, au lever du jour, Phil toujours devant – moi derrière. Nous ne sommes pas pressés.

Ciel gris, pluie, brouillard, paysage ternes à base de forêts et de prés dont seules les parties enneigées apportent le minimum de clarté nécessaire pour ne pas sombrer dans une lourde dépression : tel est le décor ce matin en direction de Dresde. Rien à prendre en photo, rien à raconter, la sinistrose de bout en bout avec en plus une circulation pénible : ça se double pour 1km/h de plus ou de moins sur une route détrempée : moi j’abdique, je me cale à 85 et du coup j’impose ma lenteur à Phil. Finalement on n’est pas si mal, comme ça, en se trainant : on est moins stressé (surtout en ce qui me concerne), on consomme moins, on prend moins de risque d’attirer l’attention des contrôleurs en embuscade et surtout… surtout… graal des graals : on profite du beau paysage ! On ouvre grand ses yeux et on dévore cette fresque sublime qui se déroule dans les environs de Erfurt. Le bonheur.
Coup de théâtre : Phil m’annonce que son téléphone ne recharge plus. Parti pour trois semaines cela peut s’avérer contraignant.  Nous faisons le point le temps d’une coupure quelque part dans les environs de Weimar. Pas grand monde à la station hormis deux ou trois LKW fahrer qui déjeunent leur café-saucisse en regardant les exploits de Donald Trump sur une chaine info.
D’ordinaire la poisse c’est pour moi, aujourd’hui c’est pour Phil. Nous reprenons la route à notre rythme de croisière effréné. A hauteur de Chemnitz, il décide de prendre la sortie 69 avec l’idée d’aller faire réparer son téléphone. J’avoue que sur le coup je nous vois mal barrés. Trouver un centre commercial ? Avec de la place pour deux camions ? Alors qu’il se met à neiger à plein temps ?
Mais voilà dans la vie il y a les inquiets et les autres : à peine sorti de l’A4, nous prenons à droite, puis à droite encore… voici une immense zone commerciale avec toutes les enseignes possibles et imaginables, et surtout de la place pour garer nos camions, là, juste en face. Incroyable. Nous réglons ce fâcheux problème de téléphone, nous hésitons devant le kiosque à pizza… finalement en bon vieux routiers nous mangeons au camion et nous repartons.
Il neige mais ça ne tient toujours pas, direction Görlitz, direction la Pologne.
A peine passée la frontière nous devons sortir pour nous équiper du système de paiement local, à savoir une box « Viatoll » qui ne couvre même pas l’intégralité du réseau d’autoroutes polonaises, certaines portions se réglant en CB. Va comprendre quelque chose dans toutes ces modalités au niveau européen. Aujourd’hui il n’est pas rare de voir des pare-brises avec 7,8,9 badges, des vignettes, des autocollants, des capteurs en tous genres. Chaque pays son système de paiement, chaque chauffeur sa galère pour se mettre en règle.
Pologne donc, et une box à obtenir dans une station accréditée. Nous tentons le premier centre routier venu… échec, on nous indique la BP à 8km. Va pour la BP donc, 8km plus tard nous arrivons dans un immense centre routier où l’on trouve tout ce dont à besoin le routier polonais, et même ce dont il n’a pas besoin. Station service, lavage, boutique, supérette, bureau de change (on paie en zlotys ici), douane, prostitution… c’est la Jonquère dans le brouillard et sous la neige.
Compter une bonne demi-heure pour obtenir la box, avec un caissier dégourdi. Les justificatifs de classe euro6, de domicile personnel, les photocopies du passeport, la caution pour la boite, la « précharge » pour l’itinéraire, les signatures à apposer sur les documents écrits en polonais : c’est la procédure la plus simple imaginée par les cerveaux à l’origine de la Viatoll.
Il est possible de faire tuner son GPS pour 100Zt, c’est à dire 25euros, dans une petite boutique qui jouxte la supérette. Le mec nous demande une heure, il ferme son commerce et s’en va avec nos deux GPS. On s’interroge un peu… mais bon. Puisque nous avons une heure à tuer, autant l’optimiser: nous allons nous décrasser. 7zt la douche, c’est grand, c’est propre, rien à dire. Ensuite nous faisons le tour de la boutique d’accessoires PL : des produits de mauvaise qualité, des rayons entiers dédiés au matériel de siphonage (du simple tuyau à la pompe de compétition), on trouve aussi un rayon « pour adulte » avec toute une panoplie d’accessoires en latex (là aussi du simple tuyau à la pompe de compétition) bref… nous passons en face dans la supérette où l’on s’enquiert du goût prononcé des Polonais pour la bière, la Vodka, les saucisses séchées, les boites de pâté et les gâteaux apéritifs : un voyage dans le palais du raffinement.
Une heure a passée et revoici notre bricoleur de navigateur : cartes mises à jour, extension aux pays de l’Est, le tout avec les favoris gardés en mémoire ; on récupère des GPS de compétition !
De retour aux camions nous constatons qu’un manteau blanc s’installe progressivement sur le centre routier et les alentours. Nous sommes larges niveau timing, rien ne sert d’aller faire le guignol sur la glace, nous fermons ici notre session.
C’est un peu plus tard qu’un imprévu vient ternir nos ambitions polonaises : il s’avère que demain 11 novembre est jour de fête nationale en Pologne, « jour de l’indépendance » : c’est à dire qu’une soucoupe volante géante se place au dessus de la Pologne, les camions n’ont pas le droit de circuler, car il faut laisser le trafic fluide pour que Will Smith puisse sauver le monde.
Comment faire ? Nous pensions être large, nous voici à faire des calculs à se tordre les méninges. Nous sommes en événementiel, et nous supposons avoir le droit de circuler… mais pas sûr pour autant. Ainsi nous décidons de partir tôt, afin de rouler au maximum avant 8h, heure d’arrivée de la soucoupe volante.
« La pipe ? L’amour ? » voilà ce viennent demander (en français!) les quelques miséreuses qui tournent sur le parking, dans un froid piquant et sous la neige. Des confrontations toujours étranges. On fait comprendre que « non, non heu… pas la pipe, pas l’amour…heu c’est pas mon truc » un peu gêné, avec un signe de la main. Alors que bon, dans l’absolu, nous sommes tous en quête des plaisirs charnels. Mais là… cette pauvre fille, sur ce pauvre parking, c’est d’une tristesse effroyable. Et puis mince quoi, je mange ! Voilà qu’on me sollicite alors que j’attaque le fromage ! Et voilà qu’on me re-sollicite tandis que je joue de la guitare ! Non pas la pipe, pas l’amour, par contre j’aimerais bien réussir à jouer en picking comme Kurt Vile, ok ?
Nous sommes déjà vendredi et malgré l’heure matinale (4h30), il y a beaucoup d’activité sur le parking : des voitures qui passent entre les camions, des mecs qui discutent dehors dans la nuit, on ne sait pas trop ce qui se passe et on n’est pas mécontent de partir.
Il a neigé cette nuit mais c’est maintenant terminé, la route est dégagée. La nationale est assez roulante et Phil s’obstine à la garder car je le connais, Monsieur ne boit pas son café n’importe où. C’est ainsi que nous nous retrouvons dans le rade le plus sinistre des environs. Le genre d’endroit ouvert 24/24 où la gérante, d’une courtoisie rare, nous pose deux tasses de café sur le comptoir sans nous parler, sans même nous regarder. Ambiance chaleureuse donc, le café est mauvais, la table dégeulasse, la cuillère pour prendre du sucre doit faire office de touillette collective depuis quelques années, Il doit y avoir là-dessus de l’ADN de chauffeurs FRT ou même de la Stouff, va savoir…
Nous repartons, direction l’autoroute. Nouveau coup de théâtre : la box de Phil ne fonctionne pas : aucun « bip » au passage des portiques. J’ai comme l’impression que cette journée va être longue. Et comment expliquer cette poisse qui le suit depuis hier et qui d’habitude ME caractérise ? La différence avec Phil, c’est qu’il y a toujours le coup de chance d’après : la première station sur laquelle nous tombons par hasard est agrée Viatoll (elles ne le sont pas toutes). Il faut attendre qu’un chauffeur finisse ses formalités d’inscription, puis attendre le changement d’équipe des caissières. Attendre donc, encore et toujours, attendre devant le spectacle irréel de ce rôtissoire que l’on trouve dans toutes les stations polonaises, où les saucisses tournent à l’infini derrière la vitre, à la recherche une destinée improbable. Saucisses curry, saucisses aux herbes, saucisses paprika, saucisses faritas… tout ce qui se fait de mieux en matière de saucisse tournoie et tournoie encore dans une synchronisation parfaite, lente chorégraphie hypnotique pour le chauffeur français de passage qui veut sa box viatoll.
Direction Wroclaw. Ça y est il est 8h et dorénavant nous ne sommes plus sûr d’être en règle. Ajoutez à cela que tout, absolument tout aujourd’hui est sinistre, terne, moche, gris : le temps, le nom de cette ville « Wroclaw » (moins guilleret que Chantemerle-les-Blés), le paysage : quasi-invisible avec le brouillard – mais que l’on devine triste, les couleurs, la radio, les camions, les pubs géantes, tout !
Le « bip » de la viatoll en devient le truc le plus gai du monde.
Il n’y a rien à voir de Wroclaw à Lodz, si ce n’est de moins en moins de camions, et de plus en plus de flocons. Les contrôleurs sont de sortie, dans ma tête c’est une sorte de bras de fer entre la sinistrose et l’anxiété.
Pause midi, sur une aire d’autoroute, après 4h15 de volant. Il neige de plus en plus et la circulation des voitures est très dense.
Pour rajouter encore un peu de piment à notre périple il y a la traversée de Varsovie : apparemment autorisée avant 16h, mais pas sûr. Il n’y a quasiment plus aucun camion passée la sortie du contournement.
On n’en mène pas large au moment de croiser une voiture de flics en planque, Phil (devant) me dit au téléphone « je passe sans les regarder », et moi (derrière) j’essaie de ressembler à Will Smith… en vain, mais ça passe.
Nous voici en transit dans la capitale Polonaise, et contre toute attente, on se croirait à Gênes, en Italie. Partout des palissades : des bleues, des jaunes, des vertes, des palissades anti-bruit, anti-vue, anti-pollution, anti-tourisme, anti-curiosité, anti-tout. On roule là-dedans comme dans un mauvais jeu vidéo.
Une traversée inintéressante à souhait. On se réconforte en faisant des blagues sur les immenses panneaux publicitaires, seuls témoignages de vie dans ce pays. Vous trouviez l’Allemagne triste ? La Pologne vous en offre plus !
Enfin nous quittons l’autoroute pour la S8, et nous découvrons ce qui ressemble à de la civilisation. Drôle d’impression, mêlée au soulagement d’avoir évité les contrôles. En ce jour de fête les drapeaux ornent chaque lampadaire, chaque bus, chaque devanture.
Nous roulons vers le Nord sur une sorte de route express aux portions de travaux interminables.
Pause douche dans un relais routier perdu au milieu de rien sur cette S8, et première impression d’être loin : sur le parking il y a en majorité des Russes, des Polonais, mais aussi des Ukrainiens, des Biélorusses, et bien sûr beaucoup de EST-LV-LT. Presque autant que sur la RCEA, c’est dire.
Là nous réalisons plusieurs constats édifiants :
_ Après avoir roulé une journée entière en Pologne nous n’avons vu aucun Norbert Dentressangle (oui XPO) ou aucun Harry Vos… aucun camion de toutes ces grandes enseignes de l’Ouest qui arborent des plaques polonaises en masse depuis des années. Preuve s’il en fallait de la grande arnaque. On trouve plus de plaques polonaises sur les ferry transmanche que sur la cette S8.
_ Quasiment pas vu non-plus de Roumains ou de Bulgares de manière générale.
_ Et puis autre constat : Où sont les Waberers ? Depuis l’Allemagne ils ont disparu. Certes il ne s’agit pas d’une boite polonaise, mais on est tellement habitué à les croiser en France et tout autour, qu’on en viendrait presque à s’inquiéter de ne plus les voir.
Nous nous posons trop de questions.
Notre centre routier est très moyen, il faut attendre pour la douche, c’est une vieille bonne-femme qui gère l’affaire, et qui nous explique ça comme si on parlait couramment sa langue. Nous voici donc à siroter nos Coca, tandis qu’un bus dépose un groupe de gens étranges : des mecs bodybuildés, des filles aux formes audacieuses et pas très naturelles… et puis au milieu, deux bon vieux Français du genre pas très net. Alors bien sûr ça laisse place à l’imagination : casting de télé-réalité ? Les Chtis à Varsovie ? Recrutement de hardeurs ? Bref… quoiqu’il en soit ça ne ressemble pas trop aux jeunesses catholiques de Lisieux en route vers les JMJ….
Nous poursuivons jusqu’à Bialystok où nous échouons sur un simple parking en bordure de rocade. Nous avons évité la neige, mais la nuit s’annonce glaciale. A 17h on a l’impression qu’il est 23h.
Quelle déception au réveil : il fait déjà jour, et il fait plutôt clair. Oui déception car il s’agirait de ne pas dormir au moment où l’on pourrait faire les plus belles photos de notre voyage. Aussi nous ne tardons pas à décoller, dans la froideur de Bialystok.
Enfin des beaux paysages ! Il fait -5, parfois -6, et le givre recouvre les grands sapins qui bordent cette perpétuelle ligne droite E67, manifestement l’axe de transit principal entre la Scandinavie, l’ouest et l’Est. Un flot continu de camions plus sales les uns que les autres atteste que certains doivent venir de loin. Quelle fierté cela doit procurer de de rouler dans un ensemble dégueulasse !  Enfin l’impression d’être un baroudeur ! Nous avons beau tout faire pour les souiller, mon camion et celui de Phil restent désespérément propres.
Dans les derniers kilomètres en Pologne, à plus ou moins 50 bornes de Chodorowka Nowa, il y a un restaurant routier avec beaucoup de monde sur le parking. Un peu las de notre interminable ligne droite nous faisons une pause. L’occasion surtout de se mettre à jour niveau douche et toilettes, avant les Pays Baltes, avant notre entrée en terre inconnue.
Pour ce qui est de l’itinéraire, rien de bien compliqué : il s’agit de garder la E67 jusqu’à Riga.
Nous voici à la frontière lituanienne en milieu de matinée. Pour nous accueillir, quelques clébards errants entre les camions russes et ukrainiens du parking. Dans ce qui ressemble à un vieux bureau de douane il y a cette gentille dame qui, malgré les difficultés de langage, se montre très patiente et nous prépare les vignettes obligatoires. Pas de viatoll, ni de télépéage, ni de télépass, ni de go-box, ni d’eurovignette, ni de toll collect, ici c’est une vignette journalière à coller derrière le pare-brise. Une vignette qui y restera en guise de souvenir, histoire de me mettre un peu de baume au cœur lorsque je ferai du St-Vulbas – Salaise.
Les policiers ne nous contrôlent pas à la frontière, Nous voici donc en direction de Kaunas, Kaunas la célèbre, Kaunas la grande, Kaunas la belle.  Toujours sur cette interminable ligne droite. On imagine que les cartons doivent y être fréquents quand on voit la conduite « décomplexée » des Lituaniens. Lorsque la chaussée est assez large, mieux vaut se serrer à droite pour faire bonne figure et pourquoi pas obtenir un petit coup de warning en récompense.
Des champs recouverts de neige à perte de vue, et beaucoup de concessionnaires de matériel agricole. Case, John Deere, Fendt… ils sont tous là, implantés dans des bâtiments immenses et flambants neufs : tremble céréalier du Val de Saône, ton voisin de la Baltique arrive. Côté transport routier le développement est déjà bien engagé, il suffit pour s’en convaincre de compter les Kreiss, Girteka, Vlatana qui descendent.
C’est sur une station désaffectée avec ici encore un clébard SDF, que nous faisons notre pause déjeuner, je partage mon jambon, mon fromage et mes madeleines car j’oublie toujours les croquettes lorsque je prépare mon sac.
Lituanie toujours, E67 toujours, il se produit un phénomène extraordinaire qui nous surprend tel une apparition : voici que le soleil perce entre les nuages ! De la lumière, des couleurs, de la gaité, de l’énergie, de la vie ! Très vite c’est un grand ciel bleu au dessus de la plaine, et cela suffit à nous rendre heureux. On sort les lunettes de soleil, on se prend en photo devant n’importe où – juste parce qu’il fait beau, Phil a carrément enfilé le t-shirt, j’ai d’ailleurs peur qu’il s’enflamme, qu’il sorte les tongues et le Ricard ; il est temps de poursuivre notre route.
C’est un peu par hasard que nous nous arrêtons à la frontière Lettone. Nous voulions simplement prendre la vignette (encore une, différente), dans une simple boutique-station-café-restaurant… il s’agit en fait de la frontière.
Alors voilà, nous y sommes, et c’est un interminable coucher de soleil qui nous accompagne, le surprenant coucher de soleil de 15h, car oui nous avons changé de fuseau horaire et s’il n’est que 15h à ma montre – il est ici 16h.
Nous ne voyons donc pas grand chose du paysage, on imagine des prés, des forêts et des champs de patates à perte de vu… il faudrait être sacrément original pour y voir des palmeraies ou des carrières de marbre.
Les villages que nous traversons paraissent moins ternes, mieux agencés que ce que l’on a vu jusqu’à présent. On y ressent une influence Scandinave, un peu.
Les bas côtés nous prouvent qu’il a beaucoup neigé dans les environs de Riga. Nous atteignons notre point de destination, la capitale, en ce samedi soir glacial. Pour fêter l’événement Phil nous trouve un superbe spot photo dans la neige tandis que je m’inquiète déjà d’y rester planté.
Quelques clichés plus tard, nous parvenons à nous sortir et nous roulons jusqu’à la zone industrielle. Nous sommes autorisés à squatter un parking privé pour le weekend, c’est Alex qui pour le coup nous dépanne bien !
On a l’impression qu’il est 23h mais il n’est que 17h française, 18 ici. Nous sommes plutôt bien sur ce parking, dans la neige. Le bémol c’est qu’il y a deux gros chiens de garde en liberté à partir de 20h. Apparemment ils ne seraient pas méchants…. mais pour pisser ça attendra quand-même demain.
Pas de réveil dimanche matin, le paradis !
Sauf que décidemment  le décalage horaire, et la faible luminosité sont assez déboussolant. Je me suis couché à 21h30 comme s’il était minuit, et je me suis levé à 6h30.
Nous n’avons absolument rien à faire de la journée, si ce n’est justifier notre coupure de weekend. Au programme : ménage, cuisine, guitare, France Inter… ça ressemble à un dimanche à la maison… sans douche et sans toilettes.
Un vieux Magnum Russe débarque et se Gare à côté de Phil. Nous nous apprêtions à partir faire des courses, et du coup Dimitri, le chauffeur nous accompagne. Drôle d’équipée dans la zone industrielle, dans la neige, que ces deux routiers français accompagnés de Dimitri le Russe. On parvient à peine à communiquer, lui ne parlant pas anglais et nous très peu russe.
Nous allons au « Mego », un supermarché au pied de barres d’immeubles héritées de l’aire soviétique. On y trouve beaucoup de produit russes, du bouillon de volaille au poisson séché, en passant par la vodka et le corned beef. Autant de produits avec des grosse inscriptions en  cyrillique tellement inhabituelles pour nous qu’on a envie de les ramener en souvenir. Un sachet de bouillon de volaille peu s’avérer plus tentant qu’on mug ou un magnet pour le frigo.
Tels des galériens nous marchons à même la neige, le long des énormes conduits de chauffage, de gaz ou je ne sais quoi, toujours en essayant de communiquer. C’est difficile. Nous arrivons aux camions et puisqu’il fait sacrément froid, Dimitri nous montre comment on se réchauffe en Russie : un shot de Vodka cul sec accompagné d’une tomate pelée. Dans la convivialité il nous raconte un peu sa vie : apparemment il gagne 500 euros par mois, pour faire de la Russie vers le reste de l’Europe, voire le reste du monde, il nous parle du Kazakhstan, du Turkménistan et d’autres pays improbables en « stan »… qu’il parcourt avec son vieux Magnum et sa savoyarde Belge. Il est difficile de se faire une idée de la vie de ce mec. Reste que nous sommes des petits joueurs.
La journée se termine comme hier, à 16h. Retour à la cabine ; à 17h je pense déjà au repas du soir, à 19h j’ai sommeil ; le manque de lumière est assez radical.
Une nouvelle semaine commence, elle sera dédiée à l’installation de notre matériel et nous restons sur place le temps de l’exposition. Un peu de travail, et pas mal de temps libre ; sauf qu’avec Phil dans mes pattes je suis obligé de faire ce dossier, et en y réfléchissant je me demande si tout n’était pas calculé dès le début… le voyage hors du commun, avec Phil comme par hasard, j’en viens à croire la théorie du complot Duarigo-fierdetreroutier pour me pousser à faire un dossier.
Extraordinaire, cette mission l’est jusqu’au bout. Rares sont les occasions dans notre quotidien de routier de pouvoir profiter des lieux, des spectacles, des cultures. Rares sont les occasions de voir concrètement ce qui nous à fait rouler.
Sincères remerciements donc à la société drômoise qui nous fait confiance depuis des années (et qui se reconnaitra), et à notre chef, toujours partant pour de nouvelles aventures.