Les évadés du goulag

En Sibérie, il n’est pas rare de voir – en général de loin- de grandes prisons entourées de barbelés. C’est encore les camps de travail du Goulag (on les appelle souvent le goulag tout court). Entre Chita et Khabarovsk, quelques 2000 km avant Vladivostok, la route est en construction. Morceaux de pistes longeant les voies du transsibérien, passages à gué et autres merveilles, la région est super pauvre, l’ambiance embuée de vodka et les villages très rares. Un matin, je passe sur un tronçon qui explique d’où vient le terme « montagnes russes » : à peine plus large que le camion, ça se faufile sur le dos de mille ânes entre les voies du train (qui passe justement dans un vacarme assourdissant) et les palissades grises et miradors d’un de ces riants camp de travail.

Le seul trafic sur cette route, c’est les voitures d’occasion japonaises que des russes ramènent vers l’ouest pour quelques roubles. Autrement presque rien et peu de piétons. Le lendemain, j’aperçois 2 clowns qui font mine de marcher en sens inverse du trafic (je rentre de Vladivostok). Normalement, je ne m’arrêterai pas dans cette région pour des stoppeurs, mais eux me font de grands signes. Je pense qu’ils ont dieu-sait-quelle info à me donner sur la route et m’arrête, portes verrouillées et barre de cabine à portée de main. Popaul et Raoul me demandent en fait si je ne peux pas les prendre avec moi dans ma direction. Comme ils me voient très méfiant, ils me montrent qu’ils n’ont aucune arme de cachée et que dans leur sac en plastique il n’y a qu’une bouteille d’eau et quelques biscuits. À vrai dire, même s’ils sont habillés un peu bizarre (Raoul porte des pantoufles) ils ont l’air franchement sympas et inoffensifs. Alors finalement je les fais monter, ma copine la barre de cabine à deux doigts.

Mes deux nouveaux co-pilotes s’appellent en fait Sergueï et Jenia. Il m’expliquent qu’ils sortent de la prison que j’ai du voir sur ma route (en fait le goulag du jour d’avant). Ils cherchent à rentrer chez eux, l’un au Kazakhstan, l’autre en Ouzbékistan. Je leur demande pourquoi ils ne prennent pas le train qui passe justement là. Ils me disent qu’ils n’ont pas un rond. Je leur réplique qu’ils n’ont qu’à prendre un boulot sur le chantier de la route en construction ( vu le rythme où elle avance, ils auront certainement besoin de personnel motivé…). Et c’est là qu’ils me répondent qu’ils n’ont aucun papiers…

Je sais pas vous, mais moi ma seule expérience carcérale je la tire des films de ma jeunesse et de quelques heures passées dans une cellule en Biélorussie (pour m’être endormi sur un banc public), mais il me semble que normalement un pékin qui sort de prison sans ses papiers, c’est pas par la grande porte… Une fois cet aspect de leur histoire plus ou moins défini, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur le sujet. Ce qu’ils ont fait j’en m’en bas le jonc. On est juste 3 êtres humains au milieu de rien. Content du moment. Et c’est aussi ça la route. Et contents ils l’étaient mes Daltons : Ils n’avaient jamais vu un CD, mais quand ils ont réalisé qu’ils pouvaient choisir de la musique, je crois que je n’ai jamais vu des gars aussi heureux ! Ces gars qui n’avaient presque rien avec eux, ont absolument tenu à partager leurs très maigres provisions.

Cha sliva les gars – bonne chance

Je les ai déposé seulement 30km plus loin (2 heures de route quand même dans ce coin !), non loin d’une voie où les trains marchandises semblaient faire un stop. On en avait presque les larmes aux yeux les 3. Je ne pense pas leur faire du tort en publiant leur photo et souhaitent qu’ils aient entre temps trouvé leur famille et qui sait, un boulot peinard (comme chauffeur de Kamaz par exemple…).