Sujet : Willi Betz suite...

" Conséquences du système et sanctions possibles."

 

Dans un premier temps, je mets en garde sur le fait que mes informations datent déjà de plusieurs années. Mais bizarrement alors que l'on verra dans la suite de cet exposé qu'il y a possibilité de sanctions sur le système Willi Betz, il apparaît qu'à ce jour, non seulement il n'y a rien eu, mais que cette société continue son bonhomme de chemin, sans être inquiétée, ni par les états, ni par la FNTR, entre autres. Sachant que les grands groupes français, Giraud, Dentressangle etc, se lance sur le même créneau social, non seulement, il y a lieu de s'inquiéter, mais aussi de douter de
l'honnêteté de nos dirigeants. Sur ce dernier point, je vous rappelle que c'est un certain Monsieur Butler qui avait racheté la SNCM, compagnie maritime l'été dernier, et c'est aussi le même qui a racheté Giraud, et qui a fermé les agences du sud ouest de la France. Ce même personnage est un ancien fonctionnaire, très ami de Villepin, puisqu'ils ont fait leurs études politiques ensemble, et qu'il a travaillé comme collaborateur de différents ministres. Peut-être aurais-je l'occasion d'y revenir dans une autre chronique. Mais cela ne frise plus le transport, mais la politique et les magouilles politiciennes, enfin on verra plus tard.

   Donc revenons à nos camions bleus et jaunes.

§ Influence des salaires de l'est dans les prix de transports.

   En France la part des salaires et des charges sociales dans le chiffre d'affaire des entreprises de plus de cinq salariés en zone longue, était de 34% environ en 1996.( Ben oui, cela fait dix ans mais je fais ce que je peux).

   Si l'on veut isoler la part du personnel de conduite, il faut utiliser les calcul des coûts de revient du CNR. Dans le cas d'un ensemble de 40 tonnes en savoyarde, la part du personnel de conduite est de 27% environ, et avec les frais de route elle est de 34%.  A chiffre d'affaire égal, l'emploi d'un conducteur des pays de l'est, s'il est payé deux fois moins cher, par
exemple fait tomber le pourcentage de la part salariaile à 14 %environ, soit avec les frais de route, 21 % seulement du CA. Sachant que chez Willi Betz, les frais de route seraient payés en devises des pays traversés, et seraient équivalents à ceux des autres transporteurs. Cela représente 13 points de plus de marge par rapport au CA. Cette différence permet de baisser substantiellement les prix, beaucoup plus qu'un transporteur français ne pourrait le faire.

   Dans l'exemple ci-dessus, on a pris pour le salaire proprement dit la moitié du salaire moyen français. En réalité, on mentionne souvent des salaires de base nets bien plus bas, ce qui accroîtrait encore le poids de la concurrence.

   Il semblerait qu'il y ait très peu de plaintes de transporteurs français sur ce point. La revue "les routiers", avait toutefois fait état des réactions de trois transporteurs, Iochum, Print et Leleu. Ces deux derniers transporteurs ont subi la concurrence du groupe sur les trafics de l'est, et les transports Leleu ont abandonné ce créneau, plutôt que de rouler à perte. Le président de la société Print soulignait l'effet de masse du groupe et le fait qu'il était désormais capable de travailler sans intermédiaires pour démarcher directement les plus gros industriels européens. En fait Willi Betz est capable de répondre très rapidement à une forte, voire très forte demande de clients potentiels.

   Il est en fait possible que les prix pratiqués par WB ne soit pas très éloignés des prix du marché. C'est ce que dit le gérant de WBF, et cela pourrait être expliqué par le fait que des équipages doubles sont souvent utilisés. un double équipage augmente le coût du personnel, même compte tenu du fait que, grâce à cela, le véhicule peut rouler davantage.  Notons aussi que seul le salaire de base est touché par l'abaissement de ce coût. Il est donc possible que le groupe pratique des prix proches de la concurrence et empoche la différence, ce qui lui permet de se développer plus vite. Si l'on en juge par le montant du capital de la filiale française de Lognes, filiale qui n'est qu'une SARL

§ Les possibilités de contrôles et de sanctions

   La filiale de Lognes met, selon ses propres déclarations, un grand nombre de ses véhicules à disposition de la SOMAT, importante filiale bulgare du groupe. Cela concernerait environ 200 véhicules, et sans doute plus maintenant. Ces véhicules restent immatriculés en France. WBF fournit tous les ans un listing de ses véhicules à la DREIF au moment du renouvellement de ses autorisations CEMT. Si l'immatriculation était différente, ils ne pourraient obtenir d'autorisations. Mr Bornstein déclare également que, sauf exception, ces véhicules mis à disposition ne roulent jamais en France. A
partir du moment où ils sont mis à disposition, WBF cesserait de les diriger, mais se verrait pourtant rattacher leur bénéfice. Les comptes rendus des voyages de ces véhicules sont apparemment déposés à la DREIF, mais pas les factures correspondantes.

   A partir de là, WBF se trouve dans une situation irrégulière du point de vue des autorisations, et peut-être aussi des points de vue de la location de véhicules, de la concurrence et de la fiscalité. En revanche WBF ne semble pas être en infraction du point de vue du travail.

   Si les véhicules étaient loués à la Somat, ou à une autre entreprise, ils ne donneraient plus lieu à autorisations délivrées par la France, puisque WBF ne disposerait plus des véhicules. S'ils étaient contrôlés par l'administration française, ils seraient en infraction, puisque l'autorisation délivrée pour WBF serait utilisée par un tiers. En effet, même si la SOMAT appartient bien au groupe Willi Betz, juridiquement elle est aussi distincte de la filiale française qu'une entreprise étrangère au groupe. Si les véhicules sont seulement mis à disposition de la SOMAT, comme l'affirme Mr Bornstein, les autorisations ne devraient pas davantage être utilisées par cette société, car il y aurait tout de même cession de fait des autorisations accompagnant le véhicule. Si l'on peut mettre en évidence cette cession de fait, on peut penser qu'il s'agit de la même infraction que pour une location officielle.

   Selon Mr Bornstein, le gérant de la filiale française, ses véhicules utilisent essentiellement des CEMT en raison de la nature des trajets parcourus ( ils disposent aussi de copies conformes de licence communautaire). Pour l'année 1999, WBF dispose de 230 autorisation CEMT, or la mise à disposition de la SOMAT concernerait plus de 200 véhicules. Donc
des conducteurs Bulgares conduisent des véhicules français couverts par une CEMT française.

   On cite toujours la SOMAT, mais le bénéficiaire pourrait bien être en fait le siège allemand du groupe. En effet, la SOMAT ne semble pas avoir plus de maîtrise sur ces véhicules que Willi Betz France, dans la mesure où c'est le centre de Reutlingen qui donne les ordres de route. Au delà de la SOMAT, ce serait au groupe allemand dans son entier que bénéficieraient ces autorisations, et non pas à Willi Betz France. On peut donc considérer que l'implantation en France d'une véritable filiale a pour but principal le détournement d'autorisations CEMT vers les besoins d'un groupe étranger.

   Indépendamment du problème des autorisations de transport, WBF n'aurait pas le droit de louer ses véhicules à la SOMAT, puisque cela n'est pas expressément autorisé par une convention bilatérale franco-bulgare. Sa déclaration de mise à disposition sans contrat est donc tout à fait crédible, mais ne peut-elle pas être assimilée du point de vue juridique à une location?

   Les directives européennes rappellent le principe selon lequel les entreprises établies hors de la communauté ne doivent  pas obtenir un traitement plus favorable que les entreprises établies sur le territoire d'un état membre. Or le fait de mettre à disposition d'une entreprise d'un pays tiers un véhicule utilisant des titres de circulation français ou d'un
autre pays européen, va lui permettre de travailler dans des conditions privilégiées, puisqu'elle cumulera l'avantage du bas salaire avec les facilités de circulation ( copies conformes, CEMT supplémentaires, possibilité même sur un véhicule immatriculé dans la communauté de faire du cabotage).  Cela constitue clairement un avantage par rapport aux
transporteurs français ou européens. Même si le bénéfice de ces véhicules est rattaché à la filiale française, la SOMAT bénéficie directement de leur activité, car elle est certainement rémunérée pour son importante participation à ces transports. Il y aurait donc infraction par rapport à ce principe.

§ Au niveau fiscal

   Si les véhicules sont systématiquement mis à disposition d'une autre entreprise, WBF aurait-elle le droit de déduire la TVA afférente aux véhicules? Ce serait une question à poser à l'administration des impôts. Les choses sont assez claires dans le cas d'une mise à disposition à l'intérieur de la CEE; la mise à disposition gratuite serait hors du champ d'application de la TVA et n'ouvrirait donc pas droit à déduction ( article 271 du CGI). En effet le bien acheté, s'il est mis gratuitement à disposition d'une autre entreprise, n'est pas utilisé pour l'exploitation de l'entreprise acheteuse.
Au contraire une location, ou à défaut, la perception en France de revenus liés à l'activité des véhicules conserverait le droit à déduction. A priori, le même raisonnement semblerait pouvoir s'appliquer pour une mise à disposition hors de la CEE, puisque ces véhicules génèrent en France un revenu soumis à la TVA. Toutefois les conditions de fonctionnement de WBF n'étant pas classiques; il faudrait examiner le problème de plus près.

   Le problème de la relation de travail se poserait dans le cas où le conducteur pourrait être considéré comme relevant en réalité de WBF. Cette éventualité semble peu probable, aussi bien du point de vue du détachement que de l'embauche. L'article L 341.5 sur le détachement d'un salarié à l'étranger ne s'applique qu'à des prestations exécutées en France. Or les conducteurs de pays de l'est conduisant les véhicules de WBF prêteraient leurs services sans entrer en France. Cela suffirait à les placer hors du champ de l'article L 341.5.

   Quoiqu'il en soit; dans le cas de WBF, il paraît plus pertinent de parler de mise à disposition de véhicules par WBF à la SOMAT, que de mise à disposition par la SOMAT de conducteurs à WBF.

   Du point de vue de l'embauche. Si les véhicules sont mis à disposition de la SOMAT, si cette mise à disposition se fait sans papier et sans rémunération, ainsi que l'affirme WBF, et s'ils restent immatriculés en France, les véhicules relèvent bien officiellement de la filiale française. Si en plus le bénéfice réalisé grâce à ces véhicules est bien rattaché à WBF, on peut soutenir que leur trafic se fait, au moins partiellement, pour le compte de la filiale française. Mais comme la maîtrise des opérations échappe apparemment à WBF, dans la mesure où les ordres de transport ne sont pas donnés par la filiale française, et qu'il n'existe aucune relation de type hiérarchique entre son gérant et ces conducteurs bulgares, dont le travail n'est ni contrôlé, ni dirigé par WBF, il ne paraît donc pas possible de considérer que les conducteurs sont embauchés indirectement par WBF. En revanche ne pourrait on pas considérer que le siège de Reutlingen est le véritable employeur de tous ces conducteurs?

Les autorisations de transport

   Un contrôle en entreprise peut faire apparaître plusieurs signes de cession des véhicules à une autre entreprise. l'absence de preuve d'embauche ou de l'utilisation des chauffeurs correspondants, l'impossibilité de l'entreprise concernée de fournir des factures établies par elle et correspondant aux comptes-rendus de voyages de ces véhicules, de revenus qui peuvent être assimilés à un revenu locatif. Que cette cession s'accompagne ou non d'une cession des autorisations correspondantes, il sera possible de retirer les autorisations de transports correspondant à ces véhicules. Pour les CEMT, elles sont attribuées sur une base déclarative qui devrait être contrôlée en fin d'année. Pour les bilatérales, elles sont discrétionnaires, elles peuvent très bien ne pas être renouvelées. Quant aux licences
communautaires, les copies conformes ne devraient pas être mises à disposition d'entreprises de pays tiers. Les articles 5 et 8 du règlement 881/92 du conseil du 26 mars 1992 pourrait sans doute permettre le retrait des copies correspondant aux véhicules dont l'entreprise ne dispose plus en réalité. Le décret du 30 août 1999, prend aussi en compte le critère de la
disposition des véhicules dans la délivrance de ces copies conformes.

   La question du rattachement des salariés du groupe au siège allemand de Willi Betz, à travers des filiales dont l'autonomie dans l'affectation de leurs véhicules est réduite à peu de chose, peut être posée.


Quelques chiffres encore:


Toujours pour la période 1999.2000

Bulgarie                                      3000 camions immatriculés et 3600 salariés


Biélorussie                                  400 tracteurs   et ??? salariés


Hongrie                                         0 véhicules ( affrètement), 5 salariés


Pologne                                        0 véhicules ( affrètement), ?? salariés


Turquie                                        16 véhicules  et 65 salariés dont 18 chauffeurs


Espagne                                      ??? véhicules et 2 salariés


France                                        338 véhicules 52 salariés, dont 15 chauffeurs français


Italie                                              0 véhicules immatriculés en Italie, utilisation de véhicules allemands   15 employés


Allemagne                                  ?? véhicules        2300 salariés


Autriche                                      352 véhicules        67 salariés.


   Donc voici la fin de mon dossier sur Willi Betz. Il y a certainement quelques modifications et mises à jour à faire, car pratiquement toutes mes données datent de quelques années. Mais le principe est toujours le même, celui d'une très grande connaissance des lois et des failles européennes, qui sont exploitées par des personnes très bien renseignés, qui ont des entrées dans le monde politique européen. Il est évident qu'un artisan transporteur qui tenterait une expérience de ce genre serait très vite repéré et mis au pas. D'ailleurs et ce sera le mot de la fin, je suis très bien placé pour le dire, car j'en ai subi les conséquences.

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