Lettre ouverte au ministre des transports, des politiques et des personnes concernées

 

Ce courrier à été envoyé à

Mr Le Ministre des Transports

Mr Le Premier Ministre

Mr Le Président de la République

Aux partis politiques représentatifs de la population

Aux revues France Routes, les Routiers, et l'Officiel des transports

Aux sièges de la CGT, CFDT et FO

 

Mesdames, Messieurs

Je me présente sommairement, j'ai 51 ans je suis depuis 33 années sur la route, en tant que conducteur routier, puis artisan transporteur. J'ai parcouru l'Europe, et même un peu plus en long et en large. J'ai connu les anciennes douanes avec des journées bloquées en frontières. J'ai roulé des nuits entières en camion. A mes débuts, des conduites continues de 15 ou 17 heures étaient courantes. J'ai aussi commis des bêtises réelles ou fictives je ne sais pas, mais qui m'ont conduit à faire une période de prison. Bref si cela vous intéresse, mon parcours est relaté sur Internet, car je n'ai rien à cacher.

http://www.fierdetreroutier.com/zoom/lebrec/index_livre.php

J'écris aujourd'hui, cette lettre ouverte, car je n'en peux plus de cette France corrompue de partout. De cette impossibilité de travailler correctement. De l'absurdité de cette réglementation sociale européenne. Nous ne sommes pas des fonctionnaires. Nous sommes sur la route en permanence, à la merci du moindre contretemps. Avec cette obligation faite de rouler 9 heures maximum par jour, de dormir 11 heures par jour, mais où va t'on? Nous ne sommes pas des robots. Si on arrive le vendredi soir à 10 km de la maison, on passe la nuit, voire le week end sur le bord de la route? Car si on veut rentrer et que l'on fait 4h 33 de conduite, on est passible d'un PV. C'est normal ça?

Autant nous étions libre avant, qu'en l'espace d'une génération, nous sommes la profession la plus contrôlée. Où est donc notre liberté maintenant? Sommes nous des bêtes?

Mesdames et Messieurs les politiques, descendez de vos piedestals et regarder le peuple en face. L'image que vous donner au monde entier n'est pas des plus jolies, et ne vous étonnez pas que la majorité de la population boude les isoloirs, quand ils doivent voter pour des incapables, voire des escrocs.

Autant nos heures de travail sont réglementées pour que nous n'en faisions pas beaucoup, autant il devrait y avoir une réglementation sur votre travail afin de le faire correctement, et dans l'intérêt de ceux qui vous ont élus, et non de vos seuls intérêts qu'ils soient pécuniers ou d'ego personnel.

Afin d'illustrer mes propos voici une histoire qui reflète bien ce qu'est devenu le transport routier.

"""Nous sommes en Juin 1976, à Lorient, haut lieu de la pêche bretonne. Armand est sur le port, près de la criée. A ses coté, un Saviem SM 240 tout neuf, il en est fier. Au loin, il voit son pote Lucien qui arrive avec son Berliet 250 chevaux. Ils se connaissent bien ces deux là, et ils vont faire la route ensemble pour livrer leurs chargements à Marseille.

Après une bonne partie de musculation, car ils ont du charger eux mêmes leurs caisses de poissons, ils prennent la route. Leur route ils la connaissent bien depuis le temps. Que des petites nationales, où il n'y a pas de circulation, pas de contrôles, pas de radars, rien.

Les kilomètres défilent et les moteurs font se qu'ils peuvent pour aller vite, c'est à dire pas grand chose, car 240 ou 250 chevaux sont malgré le fait d'être des maxi codes pour l'époque, très faibles dans les côtes.

A la tombée de la nuit, le Berliet crève une roue. A deux, la réparation est faite en 3/4 d'heure montre en main. Solidarité oblige. Arrêt repas le soir, avec d'autres routiers, ambiance. Puis vers 3 heures du matin, un petit sommeil s'impose.

7 heures, il est temps de se remettre au travail. Nos deux compères, commandent un steack frites. Oui à 7 heures du matin. C'était courant dans les relais routiers de l'époque. Ça réveille et ça met en forme.

Dans l'après midi, ils vident leurs chargements sur le port de Marseille. En fait rien à signaler. Histoire banale de routiers, quoi.

Maintenant nous sommes en Juin 2006. Bruno, jeune routier fougueux, vient de se mettre à son compte. Il arrive sur le port de Lorient avec son Scania 500 chevaux, tout neuf. Une véritable petite fortune, et aussi un trésor de technicité. En arrivant, il s'aperçoit, qu'un autre camion est là aussi et qu'il va charger lui aussi pour Marseille. Mais ce camion est Espagnol ( Europe oblige). Du fait de la barrière de la langue, les deux chauffeurs s'ignorent. La marchandise étant maintenant sur palettes, les chargeurs donnent l'avantage au Français pour l'ordre de chargement (chauvinisme oblige).

Parallèlement à cette histoire, il y a aussi Pierre Marie ( Ben oui, je n'y peux rien, c'est le hasard), funeste petit fonctionnaire des impôts, qui prends sa voiture pour aller faire ses 6 ou 7 heures de travail quotidien.

Il n'est pas content notre petit inspecteur, pensez donc, il y a toujours des camions, sur la route qui l'empêche d'arriver à l'heure à son bureau, il en a marre, c'est normal.

En plus de notre Pierre Marie il y a aussi Philippe, autre fonctionnaire, mais plus important celui-là, il travaille dans les bureaux des ministères à Paris. Oui Paris dont le surnom est " la grande poubelle", allez savoir pourquoi?

Donc revenons à nos routiers, Bruno étant chargé le premier il part. Maintenant, il n'y a pratiquement plus de nationales, que des autoroutes, et des quatre voies. C'est " l'Amérique", pense Bruno. 500 chevaux, pied au plancher, mais avec le limiteur de vitesse, c'est quand même du 90 en vitesse de pointe, par contre, les côtes.......on ne les voit même plus.

Au bout de quelques centaines de kilomètres, il voit dans son rétro le vieux Daf de l'espagnol de tout à l'heure. Il ne va pas doubler? Mais si et sachant que le Français roule à 90, l'ibérique doit bien le passer à 100 ou 110. Ni un regard, ni un salut, l'indifférence totale.

Trois kilomètres plus loin, un grand panneau scintille au bord de la route "contrôle poids lourds". Merde, se dit Bruno, encore un contrôle. Mais il a quand même le sourire aux lèvres, car le Daf doit y passer aussi. Enfin le sourire ne dure pas longtemps, car le gendarme qui se trouve sur le parking fait arrêter tous les camions français et fait signe de partir aux étrangers.

Papiers du chargement, corrects, du véhicule idem. Analyse de la carte du tachygraphe. Là problème: " Monsieur vous avez roulé hier pendant une période continue de 4h33. La loi est de 4h30 maximum". PV. Les boules le Bruno. Mais il reprend la route, triste sort que celui du routier français.

Avant de repartir notre ami reprends son itinéraire et ses impératifs de livraison. Il calcule, reprends sa feuille dans tous les sens. Pas d'autres solutions, s'il veut respecter les lois, que de manger son repas du midi à 16h30, pendant une coupure de 45 mn, pas le temps de manger en 1 heure, cela décalerait tout, puis de rouler 3 heures, pas une minute de plus.

Enfin les 16h30 arrivent, il était temps, le café du matin est loin, et il a le ventre vide depuis 7h. A la station Total de l'autoroute, il demande s'il peut manger. Évidement on lui réponds que non, vu l'heure. Il ne lui reste donc qu'à acheter un sandwich industriel sans goût, bref aussi dégueulasse qu'il est cher, et d'aller le manger tout seul dans sa cabine. Mais la loi, c'est la loi.

Il est maintenant plus de 20 heures. Il est temps de s'arrêter pour dormir les 11 heures obligatoires. Qu'elle journée!! Bruno avait bien calculé sa journée. Dans quelques kilomètres, il va pouvoir s'arrêter dans un petit resto routier. Mais quand il arrive, le parking est plein, pas une place libre. Cela est du au nombre très important de camions qui circulent sur les routes, à cela s'ajoute le fait que beaucoup de routes sont interdites aux poids lourds, et donc ceux-ci se retrouvent tous ensemble sur les mêmes axes.

Bref cela ne l'arrange pas le Bruno, il lui reste un quart d'heure à rouler c'est juste, trop juste pour atteindre le deuxième resto. Que faire?

Bruno, toujours soucieux d'éviter les PV, cela afin de conserver sa licence de transport, s'arrête au bout de ses heures. Il est sur l'accotement de la route nationale. Les camions et les voitures passent à moins d'un mètre de son camion. Bonjour le danger. Où est la sécurité? Le second restaurant est à dix kilomètres. Que faire?

Notre chauffeur, n'a plus qu'à tirer les rideaux. Le café du matin est loin, le sandwich Total est loin, il a faim. Il n'y a que de l'herbe à manger, comme une vulgaire bête. Pas de toilettes, et ces putains de camions qui passent à un mètre. Ce bruit d'enfer. Onze heures à rester là le ventre vide, et la trouille de l'accident au ventre.

7 heures du matin, Pierre Marie s'étire, il a bien dormi, sa femme lui sert le petit déjeuner, et les croissants. Puis une dure journée l'attend, aujourd'hui c'est 6h30 de travail de prévues. Et toujours ces camions qui l'empêchent d'arriver à l'heure. Partir plus vite le matin? Pourquoi faire, c'est lui le chef, et de toutes façons il y aura toujours ces camions.

7 heures du matin, Bruno n'a pas besoin de se réveiller, il l'est déjà depuis longtemps, très longtemps. Il s'arrête prendre le café au relais cinq minutes plus tard. Enfin, cela fait du bien à l'estomac.

16 heures, Le contrôle 500 franchit la porte de son client à Marseille. Les chariots élévateurs font leur boulot. Bruno peut dire : " mission accomplie". Soudain un coup de téléphone. Sa femme est au bout du fil, elle vient d'avoir un fax de leur client. C'était leur dernier chargement pour ce client. Le camion espagnol, lui a livré sa marchandise à 10 heures du matin, pour un prix de transport de 20% moins cher. Ce sera donc lui qui chargera à Lorient dorénavant.

Pierre Marie petit contrôleur des impôts en a vraiment marre des camions. Même le soir, enfin l'après-midi, ils l'empêchent de rentrer vite fait pour aller regarder sa télé. C'est décidé, demain je prends un transporteur au hasard et je lui colle un contrôle fiscal carabiné. Petite vengeance d'un fonctionnaire sournois, qui ne s'aperçoit pas que s'il est payé et même très bien payé, c'est grâce à des gens qui eux travaillent et qui n'hésitent pas à s'investir, eux-mêmes, leurs familles et leurs biens pour faire avancer la France, et non la faire régresser, par des improductifs.

Maintenant vient le tour de Philippe, l'autre obscure fonctionnaire de Paris. Nous sommes jeudi après-midi. Monsieur prend le gros 4X4, pour aller à la maison de campagne. Un grand week-end, vendredi férié, plus le samedi et le dimanche.4X4, il faut bien ça pour faire les 300 kilomètres de routes. Mais aussi pour montrer que l'on a réussi dans la vie. Bref un parisien, quoi. Philippe est heureux, il pense à lui et ne voit pas le camion de Bruno, sur le bord de la route.

Veille de jour férié Bruno n'a pas le droit de rouler avec son camion à partir de 22h. Bruno est sur le bord de la route, il voit le fonctionnaire partir en week-end avec sa femme. Lui, il est seul sur le bord de la route. Sa femme et ses enfants sont seuls à la maison. Il n'a plus qu'à manger de l'herbe une fois de plus, et boire de l'eau du fossé. Puis quand il va rentrer chez lui, il va ouvrir la belle lettre recommandée qui lui est parvenue des impôts. Elle lui annonce un contrôle fiscal."""

Monsieur le Ministre des transports, cette histoire, tout en étant inventée de toutes pièces est en fait la triste réalité du transport routier français.

Ne vous étonnez donc pas, qu'un jour lors d'une grève ou d'un coup dur, la France risque d'exploser au sens propre comme au figuré.

D'années en années, les conditions de travail des routiers se dégradent. Sachez qu'ils sont le poumon de l'économie française et européenne. A chaque grève le mouvement durcit, les usines sont bloquées, les magasins se vident. Une semaine, deux semaines la dernière fois. S'ils tiennent trois semaines, la France n'existe plus et la République saute avec tous les politiques corrompus jusqu'à l'os, qu'ils soient de droite comme de gauche. Les syndicats, n'ont jamais existés dans le transport, la preuve en a été démontrée dans les précédents conflits. La police, est quasiment inefficace en cas de blocage des routes.

Il suffirait de quelques centaines de camions sur le périphérique pour fermer hermétiquement le couvercle de la "grande poubelle".

Messieurs, vous avez le pouvoir, mais nous avons les moyens de tout foutre en l'air, alors n'abusez pas, car nous sommes aussi des hommes, pas des chiens.


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