La desillusion ...

par Phil26

 

Je me demande parfois pourquoi je fais encore ce metier aujourd'hui...

Petit, j'étais bien sûr emmerveillé par ces gros camions, les Berliet, les Saviem avaient mes faveurs. Longtemps, j'ai révé, me voyant au volant d'un de ces monstres, parti vers des pays exotiques et lontains, les cheveux au vent.
Rapidement, habitant dans une usine, et près de zone industrielle, j'ai pû approcher des chauffeurs, d'emblée j'ai été séduit par un mode de vie en marge de la société :
Pas d'horaires, une véritable solidarité, et pas réelement de différences entre les catégories, un chauffeur est un chauffeur.
Le discours, était souvent le même, des heures et des heures de travail, mais de la liberté, un métier qui reste à part, ou on ne doit pas compter son temps, parce que c'est comme ça, et parce que le routier à le sens de son travail, il ne doit jamais être assimilé à ces ouvriers qui crient au scanadale s'ils doivent faire une heure supplémentaire.

J'ai pû ainsi, comprendre un peu, les réalités d'un milieu somme toute plutot hermétique, comprendre les codes, ressentir la passion et l'amour pour la machine.

J'ai tout de suite compris que je voulais appartenir à ce milieu, dès mes 19 ans, j'ai donc passé, à mes frais, mon permis poids-lourds, en porteur tout d'abord ; comme j'étais le moins mauvais des 4 prétendants au permis C, on me propose immédiatement du travail chez LLTD, à Romans. Fier comme un artabant à bord de mon S170, je fais du grand régional, Rhone-Alpes/Côte d'Azur/Languedoc, et immédiatement, j'ai été dérouté.

Mon premier week-end de routier en septembre 89, je l'ai passé comme d'habitude au Blue note, une boite de nuit située non loin de Valence. Ce week-end là, je me retrouve sans voiture, et je me rends donc à pieds en discothèque. Aux alentours de 4h du matin, je décide de rentrer dormir un peu à la maison, j'ai pas passé une excellente soirée, sur la route, passe une GS bleue qui fait aussitôt ½ tour après m'avoir vu, le conducteur s'arrête, agé d'environ 50 ans, il me propose de me ramener en ville, sur sa bonne tête, j'accepte. Bien qu'il aurait pû être mon père, je comprends immédiatement ses intentions, que je décline poliment. En discutant, j'apprend ce bonhomme travaille comme chauffeur dans la même société qui affrète mon employeur de l'époque, il ne s'attendait sans doute pas, à « ramasser » un petit routier, et moi, je n'aurai jamais cru qu'il puisse y avoir des gens pareils dans ce métier que je croyais viril.

Cet incident oublié, j'ai donc repris dès le lundi, mes allers et retours entre Rhone Alpes et le sud. Bien entendu, étant donné que je suis désormais un « routier » je me sens le droit, et même le devoir de stopper mes 170cv sur les parkings boueux des restos Rouges et Bleu. Longtemps, j'ai fantasmé sur ces echoppes reservés au chanceux routiers, enfin ! A moi la moresque, et la chance de pouvoir entendre et rêver de toutes ces histoires du quotidien de ces routiers, qui encore en cette fin des années 80 sillonent l'Europe entière. Très rapidement, je me suis rendu compte, que celui qui ne fume pas la Maïs, et ne porte pas la salopette, peut rapidement être considéré comme un trou du cul, s'il à moins de 20, c'est de toute façons un bon à rien, et qui, sans sa direction assistée est perdu, bref, celui qui à moins de 10 ans de volant est un con.

Alors, je me suis mis à rechercher la baraque à sandwich, pour pouvoir manger dans le camion, et vu le prix, je me suis mis à faire ma tambouille.

Puis, je suis parti sous les drapeaux à Toul, au 516e Régiment du Train. Dans mon régiment, que des jeunes comme moi, avec leur petite expérience de petit routiers. Nous nous échangions les France Routiers, et les Newlook aussi. Chacun donnais son opinion, et en sortant de l'armée, je savais que je roulerai en frigo et en international, ça serait ça ou rien. Par contre peu m'importait avec quel camion, un G260 aurait fait l'affaire, pourvu qu'on me donne du boulot. Les AE500, et Scania 142, étaient, à mon sens, reservés à des chauffeurs aguerris, et il me faudrait au moins 10 ans d'expérience, avant de pouvoir prétendre en conduire un.

Dès ma libération, je rentre donc, comme prévu, en frigo et en inter. Mais, mon patron ne me laisse pas partir sur des voyages difficiles tout de suite. Et m'attribue un mulet, un F1020, qui affiche plus de 800.000km au compteur. Qu'à cela ne tienne, je tire tantôt un container, tantôt une bachée du maghreb, tantôt un frigo pour relayer les copains. Cela me permet de me faire la main, et d'avoir les pires ennuis tant d'horaires que de fatigue ou de mécanique. Un jour à la douane de Vintimille, un « collègue » se gare à coté de moi, et se moque ni peu, ni assez de mon tracteur, alors que lui roule dans un superbe Scania 113-360, me laisse tomber, préférant aller manger avec un de ses copains de comptoir. Un autre jour, alors que j'avais crevé, je décide de changer ma roue sur le Parking TIR de Barcelone, mais mon cric ne lève pas, c'est vrai, j'aurai dû vérifier avant. Un chauffeur du 66, de chez TIFESA regarde la scène depuis on volant. Je vais lui demander de me preter le sien, mais : « Tu vois petit, là je fais mes mots croisés, et dans 20 minutes, je vais manger, alosr je peux pas te preter mon cric » Ok, message bien reçu, j'apprends à me demerder. Une autre fois encore, je m'arrête aider un Vialle, un peu avant Venlo pour changer sa roue, évidemment, on s'arrête boire un coup à la frontière, mais bien sûr, il n' a pus d'argent, une autre fois, c'est un Berthoux que je j'aide à changer sa roue, juste après Fleury en Bierre, une fois la roue changée, à peine merci.

Mais le meilleur restera ce chauffeur de chez TRADIMAR, plutot agé, qui roulait dans un 143, je le rencontre sur le ferry, nous sommes, 2 seuls français à table, il va au même endroit que moi à Londres, c'est mon premier voyage, je suis mort de trouille. Il me propose de m'accompagner, mais à la condition que je le suive. Je l'ai suivi, jusqu'à la guérite de la douane, et mon bon vieux 36, n'a pas fait le poids, j'ai tourné au moins 2h en rond dans Londres avant de trouver le COVENT GARDEN.
Quant à mon collègue qui se moquait de moi alors que je n'avais qu'un vieux F1020, il a un jour fait une grosse connerie, que je ne lui pardonnerai jamais : Il monte en double en Belgique, avec MINUS38, un ancien de chez Romulus toujours accompagné de son petit chien. Sur place, les 2 compères qui ne sucent pas que la glace, se retrouvent avec 4 grammes dans chaque bras, il font un rafut pas possible à Rekkem, les douaniers débarquent, insultes, brusqueries, ect… Les douaniers Belges demandent de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre des 2 chauffeurs, sous peine de retrait d'autorisation de circuler en Belgique. Mon patron reçoit les 2 chauffeurs à part, l'un 2 déclare n'avoir rien fait, et charge MINUS. Mon patron licencie MINUS, pendant que l'autre continue son chemin à bord de son 113.
La même semaine, la copine de MINUS le quitte, et MINUS se tuera contre un rocher du coté de St Jean en Royan.

On dira se qu'on voudra, mais la solidarité, en prend un coup, quand soi-même on y croit dur comme fer.

Bien sûr, je ne peux de m'empêcher d'avoir une pensée pour ce chauffeur d'un R390 du 39, qui m'aura aidé à faire toutes les formalités de Brindisi à Patras et Athènes. Je ne peux ausssi m'empecher d'avoir une pensée toute particulière pour VITAMINE77, qui n'a pas hésité une seule seconde, pour tirer mon F10 chargé à l'aide de sa barre et de son G260 grand volume, le toute dans la première épingle de la montée du Fréjus à Susa, fallait le faire ! A noter que ce jour là, je roulais depuis Prato Callenzano, avec un gars du 03, qui, bizarement n'avais pas entendu que je lui disais que j'étais en train de tomber en rade.

Avec tout cela, je me suis tenu de plus en plus à l'écart. Roulant assez fort à l'époque, je me faisais régulièrement insulter sur le 19, soit je répondais, sois j'ignorais. Je ressentais malgré tout, la haine, ou la jalousie de certains aigris du métier.

En 93, lorsque j'ai touché mon 48 flambant neuf, alors là, je ne me suis pas fait que des copains, ça faisait 2 ans que je ne dérangeais personne à faire de la « merde », mais lorsque mon patron, passablement émméché au reveillon à annocé devant tout le monde la nouvelle, je me suis fait tout petit, d'autant que j'en ai été le premier surpris.

Plus tard, lorsque j'ai eu mon accident à Lauterbourg, certains de mes collègues, ont dit que c'était bien fait, ça m'a fait plaisir….

Alors, aujourd'hui, je me demande si la solidarité, a un sens réel, si ça n'est pas purement et simplement, plus un fantasme, un rêve, qu'une réalité. Les jalousies, les manque d'honneur, la délation, existe autant dans notre métier qu'ailleurs.
Je crois sincèrement, que si les routiers étaient solidaires entre eux, il y a quelques decennies, beaucoup l'étaient plus par obligation que par réelle conviction. Il y avait peu de camions, les pannes fréquentes, et elles pendaient au nez à tous.
De nos jours, non seulement la solidarité n'existe plus, ou peu, mais les jalousies et la connerie ne sont pas tombés aux oubliettes, ceux qui jugent aujourd'hui déplorable l'attitude des ces routiers exotiques, prenant des cuites monumentales alors qu'ils sont bloqués sur les parkings de l'autouroute Laissant leurs déchets sur place, ont sans doute oublié, qu'il y a 10 ou 20 ans, ils en faisaient de même, bloqués sur des parking TIR à Vercelli, à la Jonquera, ou ailleurs. Je ne parlerai pas de ceux qui faisaient leur vidanges sur place et abandonnant tout sur leur passage.

La tolérence, n'est visiblement pas le maitre mot de la profession. Alors ajourd'hui, 18 ans pratiquement après mes premiers tours de roue, je pratique la politique de l'autruche. Je ne roule que de nuit, afin d'avoir la route pour moi seul, et rouler comme bon me semble, je dors à l'écart du bruit et de toute agitation, je vais manger lorsque tout le monde a fini, et je prend ma douche la nuit, fort tard, lorsque c'est désert. Cela peut paraître surprenant venant de ma part, avec l'âge, je suis devenu timide, de plus, precher dans le desert ces dernières années m'a un peu usé, alors, en restant seul, en compant parfois le téléphone, en écoutant de moins en moins les informations à la radio, je m'installe dans un monde certes irréel, mais qui me permet de tenir le choc dans ce monde de faux culs, et j'en ai pas mal cotoyé….

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