Les chauffeurs de l'Est,

comment sont-ils arrivés...

Mikolaj

une fiction signée PKW90

 

 

Il fait chaud en ce mois d'août 1980 dans les faubourgs de Czestochowa. Ville du sud de la Pologne située en Voïvodie de Silésie. Les sirènes de l'usine sidérurgique « Huta Czestochowa » retentissent.

Mikolaj sort du travail. A ces coté son ami Stefan. Ils sont apprentis tous les deux. Ils discutent de la nouvelle de la semaine. Tout au nord, à Gdansk, une syndicaliste nommée Anna Walentynowicz a été licenciée pour avoir crée une association syndicaliste indépendante.

-« Et qu'est ce que cela va bien pouvoir donner ? » Demande Stefan.

-« Rien de bon, si j'en juge par la présence de blindés à la porte de l'usine. »

Ils contournent les deux blindés d'origine russe et s'éloignent d'un pas lourd. Ils longent les longs tuyaux à l'air libre qui enjambent la route et déambulent sur les pavés jusqu'au carrefour. Mikolaj s'arrête à l'ombre d'un arbre. Il fouille dans sa poche et sort deux cigarettes. Il en tend une à Stefan.

-« Merci … » Il ne peut finir sa phrase…

Un Mercedes allemand arborant de magnifiques plaques TIR s'arrête juste à leur coté. Le chauffeur en descend et leur montre un papier comportant une adresse en Polonais. Mikolaj prend la feuille de papier. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas l'adresse de livraison, c'est l'adresse de départ. Il arrive à lire : Rotterdam Holland …

Ses yeux se perdent de le vague et il imagine l'Ouest.

Est-ce vrai qu'ils ont chacun une voiture ?

Que les magasins dans ces pays sont grands comme des usines ?

Que l'on trouve de tout et en toute saison ?

Stefan le sort de ses rêves en lui prenant le papier des mains et en indiquant au chauffeur sa destination. Le chauffeur remonte dans sa cabine et donne à chacun une paire de collants et un stylo publicitaire en guise de remerciement. Le camion redémarre dans un nuage de poussière.

Mikolaj, ses cadeaux à la main est toujours perdu dans ses pensées. Il se promet, dès qu'il sera rentré, de regarder dans le vieux dictionnaire où se trouve Rotterdam.

-« Oh, Miko, tu rêves ? »

-« Hein ? Non… Tu sais où c'est Rotterdam ? »

-« Oui, c'est aux Pays-Bas, après l'Allemagne. »

-« Eh bien un jour, j'irai à Rotterdam… »

Le 14 août, sur les chantiers navals de Gdansk, le syndicat « Solidarnosc » décide la grève.

Neuf ans plus tard…

Il fait très froid en ce mois de février 1989. Les discussions de « la table ronde » ont lieu entre le gouvernement et Solidarnosc. C'est déjà une ouverture.

Olenka, la femme de Mikolaj a peur. En ville, les militaires sont nerveux.

-« Et si ça faisait comme à Prague » dit-elle.

Mikolaj lui, est décidé. C'est l'occasion ou jamais. L'usine étant toujours en grève, il est parti de bonne heure avec son petit pécule serré contre sa poitrine. Il doit retrouver Stefan. Ensemble ils iront voir son beau-frère Pavel qui a un vieux camion à vendre. Le rendez-vous est pris à coté des jardins ouvriers. Les deux hommes patientent en grillant une cigarette.

Ils tapent les pieds au sol pour se réchauffer. Dans toute la ville, il flotte une odeur de charbon. Les poêles tournent à plein régime.

-« Dis, il est à la bourre ton beau-frère ! J'espère qu'il n'a pas eu de problème avec le camion ? »

-« Je le connais, s'il a dit qu'il venait, il va venir et avec ton futur camion ! » Répond Stefan en riant.

-« mouais…Futur camion… Tu sais Stefan, j'ai pris toutes nos économies, j'ai demandé de l'argent à ma famille, et à la famille d'Olenka. Mais ça ne fait pas grand-chose… »

-« Bah, ça suffira… »

Mikolaj réajuste sa chapka. Il fait un froid de canard et le vent du nord c'est levé. Il jette son mégot et remet son gant.

Au loin, on entend un bruit de moteur. Et ils voient arriver le fameux camion bleu. Sur le pare-brise, seul un rond est dégivré devant la tête du chauffeur. Pavel s'arrête à leur hauteur et leur crie :

-« Allez, montez derrière, vite ! »

En ces temps troublés, il ne faut pas chercher à comprendre. Ils grimpent à l'arrière, soulèvent la bâche et enjambent la ridelle. Ils n'ont même pas le temps de s'asseoir que le Saviem redémarre dans une fumée du diable.

Quelques kilomètres plus loin, le camion stoppe en pleine nature. Pavel et son fils en descendent et se précipitent à l'arrière en riant.

-« C'est bon, vous pouvez descendre ! »

-« Peux-tu m'expliquer ce qui se passe ? » Demande Stefan en colère.

-« Ben comme nous n'avions plus assez de gazole, nous avons siphonné un camion militaire qui était devant un café. »

-« Vous êtes fous !!! »

-« Arrêtes de râler. Comme ça, ton ami aura du gazole pour l'essayer. »

Mikolaj grimpe dans la petite cabine, Pavel s'installe coté passager. Stefan et son neveu s'installent sous la bâche. Les voilà enfin partis.

-« Dis, tonton Stefan, c'est vrai qu'il veut aller à l'ouest en camion ton copain ? »

-« Oui. »

-« Tu crois qu'il m'emmènera un jour ? »

Après avoir fait craquer les vitesses à plusieurs reprises, après avoir calé de nombreuses fois, Mikolaj termine son essai devant sa maison. Dans la cour, toute la famille est là. Les gars descendent du SG2 et se dirigent au chaud. Seuls Mikolaj et Pavel continuent de discuter en faisant le tour du camion.

Par la fenêtre embuée, le fils de Pavel regarde la scène. Il les voit se pencher sous le camion. Dans l'air glacé, il devine les transactions. Ils se donnent des grandes tapes dans le dos en riant très fort. Puis une enveloppe change de mains.

Ils finissent par rentrer à l'intérieur en se tenant par les épaules.

-« Olenka ! Vodka pour tout le monde ! » Hurle t-il.

Le lendemain, il se met aussitôt au travail. Il range le Saviem sous l'avant toit, à coté des poules et des lapins. Il se met à peindre sur les portes sa raison sociale : « Transports Miko Czestochowa Polska ».

Olenka le regarde en souriant. Il est comme un enfant qui s'applique pour ses devoirs. Il tire même un peu la langue pour tracer de belles lettres.

Quinze jours plus tard, après avoir remis le SG2 en état, avec l'aide de Stefan et de Pavel, il décroche enfin son premier travail : Livrer des sacs de ciments arrivés par erreur à la gare qu'il faut renvoyer à Cracovie.

Il se présente à la gare. Le préposé le salue et lui montre un wagon dans lequel est entassée une cinquantaine de sacs de ciments.

-« Voilà, c'est ça. Tu les charges et tu les livres à cette adresse à Cracovie. Tu seras payé à l'arrivée.

Mikolaj range son camion à coté du wagon, et se mets à charger son camion. Il est en nage quand il tourne la clé de contact. Les quatre cylindres du Saviem se mettent à ronronner.

Il prend la direction de Cracovie.

Il se sent bien. Le moteur peine dans les côtes mais qu'importe. Il fait ce qu'il a toujours rêvé : Rouler.

Arrivé à Cracovie, il trouve l'adresse du premier coup. C'est un dépôt de matériaux de chantier. Il se présente au bureau et on lui explique où il doit décharger ses sacs. Une pensée lui traverse l'esprit. Et s'ils ne me payaient pas ?

Au moment d'ouvrir la porte du bureau, un homme lui crie :

-« Attends-moi, j'arrive ! »

Ils retournent au camion, l'homme soulève la bâche, compte rapidement les sacs, et lui tend une liasse de Zlotys.

Mikolaj n'ose pas recompter les billets. Il lui fait confiance.

Après avoir déchargé ses sacs, il remonte dans le SG2 et au moment de partir, l'homme l'interpelle de nouveau :

-« Tu repars pour Czesto ? »

-« Oui je rentre ! »

-« Des briques à livrer à Myszkow, ça t'intéresse ? Evidement, je te paye pour le transport. »

-« Myszkow ? Oui c'est sur le chemin du retour. »

-« Alors je vais te charger avec l'élévateur, ça va plus vite. »

Un quart d'heure plus tard il repart avec trois palettes de briques. Dans la poche intérieure de son anorak, les billets sont là. Il n'arrête pas d'y porter la main pour s ‘assurer qu'il ne les a pas perdus.

Il continuera à travailler en régional sans interruption jusqu'en novembre 1989.

Le 9 novembre 1989. Il est en train d'approcher d'une usine dans la banlieue de Varsovie. Et d'un coup, il voit des gens se précipiter dans la rue. Ils chantent, ils dansent, ils crient. Il ne comprend pas ce qui se passe. Il coupe son moteur et descend la vitre.

-« Qu'est ce qui se passe ? »

Une jeune femme lui répond en riant :

-« Le mur de Berlin est tombé !!! »

Noël 1989. Le repas de Noël se déroulera chez lui. Olenka attend leur deuxième enfant. Les cadeaux sont là. Il a invité son ami Stefan, Irina sa femme et Pavel avec son fils. Il s'est même payé le luxe de négocier, contre une bouteille de vodka, un petit sapin lumineux à un routier français. Après quelques branchements, il trône au milieu du pare-brise du SG2. Tout le monde va l'admirer.

Le lendemain matin, la batterie est à plat mais qu'importe !

Pendant le repas, ils ont surtout parlés d'avenir. Irina lui à dit que l'usine où elle travaille allait être achetée par les Allemands. Il y aura sûrement des transports à faire. Pavel décide de se lancer dans « l'import-export » comme il dit. Il a dans l'idée d'aller chercher des voitures à l'ouest et de les revendre en Pologne. Stefan veut ouvrir un restaurant. La soirée se termine dans les rires.

Au printemps 1991, Mikolaj doit transporter de la céramique en France.

Enfin, il va pouvoir voyager à l'ouest. Son passeport tout neuf entre les mains, il se dirige vers la frontière de Waidaus. Il quitte Czestochowa au petit matin, prend la direction de Wroclaw. A midi, il passe Legnica. Il avale rapidement un casse-croûte en roulant. Il est presser de passer la frontière. Il fait un temps magnifique. Sur le tableau de bord, son transistor diffuse de la musique. Il y a quelques parasites et il faut sortir l'antenne par la vitre mais qu'importe. Il traverse Boleslawiec. Au passage à niveau, il fait très attention. La terre et le ballast ont disparus sous les rails. Il faut passer tout en douceur. Il arrive enfin vers la frontière. Une longue file de camion attend. Sur sa droite, une base aérienne où attendent les migs frappés de l'étoile rouge.

Il lui faudra 6h00 pour passer la frontière. Il change son argent contre des Deutschemarks. Ca ne fait pas grand-chose…

Mais cette fois ça y est, il est à l'ouest. Enfin pas tout à fait… Sur la route de Dresde, il double sans problème les petites Trabans qui pétaradent dans une fumée bleue. Il passe Chemnitz et se dirige vers Nuremberg. De longues heures de route. Il ne va pas bien vite. Son SG2 est bien chargé. Il tient quand même le 90 sur le plat. Soudain, la nuit s'illumine. Des néons partout, les villes sont illuminées. Il s'arrête à la première station service. Se trouve une place, et reste de longues minutes assis sur son siège à savourer ce moment en profitant de la chaleur qui se dégage du moteur. Il regarde autour de lui. La cavalerie des routiers européens est au repos. Il décide d'aller faire un tour au milieu de tous ces camions. A chaque place, c'est un émerveillement. Mercedes, Man, Daf, Volvo, ils sont tous plus beaux les uns que les autres. Il décide de rentrer dans la boutique…Il se croit au paradis.

Des accessoires pour camions, des tee-shirts, des casquettes, des jouets…Mais que tout cela est cher !

-«  je vais garder mon argent au cas ou il m'arrive un pépin. »

Il s'achète quand même une canette de Coca cola et un paquet de cigarettes américaines. Il retourne dans sa cabine. En grille une et s'endort sur la banquette roulé dans une couverture. Au petit matin, il repart en direction de la frontière française. Le nom des villes qu'il traverse se gravent dans sa mémoire. Bayreuth, Nuremberg, Heilbronn, Karlsruhe, Freiburg. Puis il lit le panneau « Frankreich ».

Il passe le Rhin, et se gare sur le parking de la douane à Ottmarsheim. Cette fois il est en France. Il regarde sa carte routière. On lui a dit que les autoroutes sont payantes en France. Il n'ose pas s'y aventurer. Il prendra donc la route. Il passe Mulhouse et prend la direction de Belfort puis Montbéliard, Baume les Dames et Besançon. Il sort de Besançon est attaque la côte de Larnod. Derrière lui une file de voitures et de camions s'impatiente. Il s'arrête à Larnod pour laisser passer tout le monde puis il reprend la route en direction de Lons le Saunier. Il est déjà tard quand il s'arrête à l'entrée de Villemotier. Il ne connaît pas du tout, mais il a vu des camions garés. D'après sa carte, il n'est plus très loin de Bourg en Bresse. Il videra demain comme prévu. Le lendemain, après avoir vidé et essuyé quelques moqueries des chauffeurs locaux, qu'il n'a d'ailleurs pas compris, il reprend la route. Il s'arrête dans une petite ville où il achète des cartes postales et une petite bouteille de parfum marquée « Paris ». Si tout va bien, dans trois jours, il sera rentré.

 

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