ET SI POUR UNE FOIS
ON ETAIT OPTIMISTE?

par Phil26

 

Le bon Gustave n'était pas destiné à reprendre la ferme paternelle. Aussi, après son service militaire, fâché qu'il était avec son père, il acheta des bœufs, qu'il attela à une carriole.Il rendait divers services aux artisans et paysans du bourg en allant chercher du charbon pour l'un, du sable pour l'autre ou des fûts de vin quand c'était la saison. Années après années, il a vécu comme cela au fil des saisons.

Joseph, son fils, a eu vite fait de s'intéresser aux progrès de la mécanique, surtout depuis qu'un certain Marius Berliet avait mis au point son véhicule à moteur, bien plus économique, et surtout plus rapide que les bœufs du vieux. Le vieux lui, ne pouvait comprendre pourquoi on devrait prendre plus de marchandises, alors que de son temps, on n'aurait pas eu l'affront de « saigner » un contrat. "Tope-là", du temps du vieux, ça voulait dire quelque chose. Le gamin, lui, toujours à l'affût du progrès restera fidèle à la marque à la locomotive.

René, le fils de Joseph, a profité de l'expérience du père pour lui succéder, fini le temps des poussifs porteurs 6 roues, aujourd'hui on roule avec une remorque. Ce qui ne manque pas d'énerver Joseph, qui n'a de cesse de lui dire qu'il a affaire à une génération d'assistés depuis qu'on a inventé le lanceur électrique, plus besoin de manivelle. De plus, fanfaron comme pas deux, le René a installé un autoradio dans son camion, n'importe quoi! Du temps de Joseph, on n'avait pas que ça a faire de chanter en conduisant… Comble du comble, René, grand admirateur des américains, a fait installer des phares supplémentaires pour pouvoir rouler plus tard le soir! Ah ces jeunes!

Quand Joseph eut definitivement fermé son clairon, mangé par les vers, et que René, eut troqué son TR260 contre une retraite bien méritée, c'est son grand fils Gérard qui lui succéda. Il eut à supporter les remarques les plus acerbes de son père lorsqu'il lui annonçat qu'il abandonnait la marque à la locomotive pour une marque Suédoise aux moteurs réputés! N'importe quoi! De mon temps, on faisait vivre l'économie nationale et avant tout, locale… A qui l'agent Berliet allait-il bien pouvoir vendre son camion annuel désormais? Gérard s'attira à vie les foudres du père lorsqu'il lui annonça qu'il avait décroché des contrats pour aller liver des marchandises au Moyen-Orient : “Si tu étais moins pretentieux, tu continuerais le travail dans la carrière!” Pire que tout, ce camion est, selon René, un véritable lupanar, un chauffage de nuit, un frigidaire, c'est bien simple, il ne lui manque plus que le televiseur! Ah c'te fois, on aura tout vu!”

A force de concurrence, et aussi d'un petit coup d'état, Gérard dut se rabattre sur du “petit international”, et parfois même du national. Une nouvelle génération de conducteurs etait arrivée et leur façon de faire ne lui plaisait guère… “Ah si tu les voyais! Ils roulent les mécaniques sur l'autoroute, mais après, sur la nationale, y a plus personne. Et puis, c'est toujours fatigué, et avec leur CB!!! Ils m'épuisent! Ils veulent toujours aller plus vite que la musique, c'est pas possible! Tu te rends compte, ils boivent même le café sur l'autoroute! C'est bien simple, moi vivant, jamais j'installerais le téléphone dans le camion, non mais oh! Je suis pas un esclave! Tu peux crever un pneu devant eux, ils s'arreterons pas! De mon temps, on s'arretait, sinon, on se faisait casser la gueule!”

C'est comme ça, que la boite à Gérard s'est arrétée... Manque de réactivité, il s'est fait piquer le peu de clients qu'il avait. Il est devenu un simple salarié du gros goupe du coin, mais quelle sacrée tête de mule ce Gérard, à toujours être injoignable… Le comble, il dispose d'une clim, d'une grande cabine XXL et d'un GPS dont il n'a bien entendu aucune utilité, mais ça fait bien parait-il... Et le fin du fin, il est suivi par satellite! Pour couronner le tout, il doit partager le tracteur avec un gugusse qui fait la nuit, “pfeuh, encore un de ces chomeurs venus là parce qu' y avait rien ailleurs.”

Bien que ce soit une grande gueule, le Gérard, il avait pas mauvais fond. Un matin, alors qu'il livrait pour la 3eme fois cette semaine le même sinistre hypermarché, il était plongé dans ses souvenirs, Istambul, Oslo, Moscou.... "Et merde, quel con!… J'ai tout passé, j'ai rien apprécié, aujourd'hui, c'est pourri.... Quand je pense qu'hier, je croyais que c'était pourri, mais demain, si ça se trouve, ça sera pire….

Le passé c'est le passé, le futur c'est demain, vive aujourd'hui!

Moralité 1 : Jeune! Si tu lis ce texte, n'oublies pas que tu seras demain un vieux con.

Moralité 2 : Vieux ! Si tu lis ce texte, n'oublies pas qu'hier, tu as été un petit con.

Laissez un commentaire !

 

http://www.fierdetreroutier.com - reproduction interdite