TIENS MAIS C'EST CE CHER SERGE!

par Phil26

 

4h le reveil sonne, Serge se reveille les cheveux en bataille, dehors, il pleut. Serge se lève péniblement en se grattant les couilles. De là, il enfile son froc et se cogne la tête contre son TX, il meugle. Vu que de toutes façons, il y a rien autour de son camion, il attrape sa cafetière et fait son café. A 4h10, il a fini son petit dej, et sors pisser un coup et se brosser les dents avec son bidon de flotte.
Il roule une paire d'heures, sur une autoroute bien déserte, et une fois passé le péage, il tombe sur un flot d'automobilistes qui vont bosser, sur son trajet, il voit aussi un bon nombre d'autobus à destination de la "ZI de la rase motte" qui sont résolument vides.

Quand il arrive chez son client, gros hard discounter, il pose son camion sur le parking qui pue la pisse et se rend avec son CMR au guichet, il pleut toujours un peu. Il rentre dans un bungalow à la lumière glauque, et patiente derrière 6 autres gugusses qu'il ne connait pas, ça sent les pieds, et il y a même un connard qui a pété en silence.

Au bout de 20 minutes, il fait face à une blondasse décolorée qui en même temps qu'elle s'occupe de ses papiers, parle au téléphone avec une copine. Elle n'a ni dit bonjour à Serge, ni ne lui a adressé un regard. Elle note juste un numéro à l'arrache sur un papier, et lui lance un "allez au camion on vous appelera il y a de monde avant vous". Serge, ose lui demander si elle sait grosso modo pour combien de temps il y en a car il a un rechargement à quelques kilomètres de là avant 10h, ce à quoi elle lui répond: "je sais pas, c'est pas moi qui m'en occupe".....

Serge attend donc au camion. Pour patienter, il passe un coup de chiffon sur le tableau de bord de son camion qui a certes 5 ans bientôt, mais n'a pas une égratinure. Il n'a qu'un Renault Premium 420Dci, mais il en est content. Sur son Transics il reçoit des messages: vide? auquel il répond non.
Vide à quelle heure? Il a envie de repondre "prends ton téléphone chef, et appele la connasse de l'accueil", mais il se contente d'un "je sais pas" il y a du monde. En fait, ce matin, ce qui fout le boxon, c'est qu'il y a grève SNCF, du coup, pas mal de caisses arrivent par la route. Au bout d'une heure, il entend enfin son nom et celui de son voisin dans un haut parleur qui a dû connaitre des jours meilleurs. "Transports Jacqueprez porte 59, transports SOTRAMO porte 58... Transports Jacqueprez porte 59, transports SOTRAMO porte 58... "

Bien entendu le SOTRAMO à côté n'avait pas coupé son moteur, et part comme une flêche pour gratter le tour de Serge. Le SOTRAMO, il sait qu'il n'y a qu'un transpalette pour deux, premier arrivé, premier servi, et effectivement, une fois en porte, le SOTRAMO a déjà empoigné un superbe Jughenrich, de toutes façons, de loin le responsable a vu debarquer Serge et lui a lancé un "TAPASLEGILET!" cinglant! Putain, ils font chier ces cons se pense Serge qui retourne mettre sa saleté de gilet de merde qui ne passe pas par dessus sa parka.

Une fois le SOTRAMO vide, c'est au tour de Serge de vider, il faut bien mettre les palettes au milieu des lignes, mais quand on a des palettes qui font bien 80 de large, ça va, mais avec les palettes qu'il a, ça dépasse un peu. Du coup il dépasse légerement du cadre une fois les 3 lignes de 10 palettes posées, ce que ne manque pas de faire remarquer le responsable du quai, étrangement parti ailleurs pendant le dechargement. Le contrôle de la marchandise est toutefois rapide, mais il y a deux palettes europ PKP au milieu que l'on refuse de lui rendre. Muni de son bon de palettes, il doit aller se mettre à quai au fond de l'entrepôt pour y recuperer ses Europ, le SOTRAMO on lui a apporté les siennes, mais vu que Serge n'est pas un habitué des lieux... Il fait la remarque quand même au cariste qui hausse les épaules en lui disant qu'il n'a qu'à appeler son patron s'il est pas content.

Il se tait donc, de toutes façons, si le cariste savait à quel point Serge le méprise, le cariste serait bon pour l'internement. Quelques autres camions attendent leur tour mais ça va vite, il lit les bâches, c'est rigolo : WILLY KRALOWETZ, DAPROWABA, Filli Di Giacomo, Hermanos Rodriguez Guanter de la Fuentes, et se dit que traverser l'europe pour voir un tas de cons pareil...

Serge est enfin prêt à repartir, les minutes, les heures ont défilé ce matin, déjà 9h! En sortant de cette base de minables, il a quand même fallu qu'il ouvre une dernière fois les portes de sa taut, des fois qu'il ai volé une boite de petits pois inmangeable ou une sale bouteille de copie de Coca-Cola. La rocade à cette heure là, roule pas trop mal, et comme la pluie a cessé, il peut enquiller. Rattraper le temps perdu, essayer d'être à l'heure au chargement, bon heureusement son Premium à vide marche pas trop mal, mais il faut toutefois se méfier, dans les heures ou ça roule le mieux il y a souvent la municipale avec ses jumelles toutes neuves achetées pour Noel par Monsieur le Maire en personne. L'adresse ne dit rien qui vaille à Serge, de toutes façons il connait mal le coin, en tous cas, c'est joli par ici, il viendrait bien y passer des vacances, le jour ou il aura trois sous et du temps, parce qu'à la maison Patrica lui reclame tout le temps de finir de poser les meubles de la cuisine.... 5 ans qu'ils sont posés sur des moellons en équilibre! C'est donc plongé dans ses pensées que Serge debarque à Sainte Vertu des Bois, village classé, mais bien entendu il n'a aucune indication quant à l'emplacement de sa ZI. En vieux briscard, Serge guette les éventuelles traces de ripage de roues de semi, mais il ne voit rien, et traverse Ste Vertu, c'est étroit mais pittoresque, Serge éteind la radio pour se concentrer. Au beau milieu du village, un passant en jogging, la cinquantaine bien rasé de près l'interpelle! Vous savez pas lire, c'est interdit aux camions ici! Vous vous croyez tout permis avec vos gros culs!!! Alors Serge bafouille un, "je cherche les ateliers ATB" le passant lui répond alors qu'il faut passer par "La misère sous bois" que tout le monde le sait putain! Serge remet un coup de 3e et à la sortie du bled, il distingue entre les arbres un vague entrepôt. Ce coup-ci, c'est bon, il est arrivé, saloperie d'adresse! Il se pointe pile à l'heure prévue face à une gentille secretaire qui appelle le chef des expéditions, qui ne voit absolument pas à quoi correspond la commande. Il faut donc appeler le commercial qui ne répond pas car il est avec un gros client, finalement, c'est Momo le tourneur qui sait ce que c'est. On fait mettre Serge en place. Bien entendu, on est en rase campagne, mais on a fait en sorte que les rues de la ZA soient les moins larges possibles, et vu que les ouvriers n'ont pas de parking ils se garent le long du grillage. Fort de son expérience, il se met en place sans rien accrocher, le pire étant d'éviter le compacteur déposé un peu à l'arrache.

L'avantage dans ces petites boites, c'est que ça va vite, que les gens sont souvent gentils, bref c'est humain. Par contre, il y a beau y avoir 4 millions de chomeurs dans ce pays, c'est quand même Serge qui tire les palettes de 900kg de vis et boulons chacune. Une fois ses portes refermées, Serge previent son exploitation, la suite arrive sans tarder, il s'agit d'un lot de 8m d'articles divers pour un magasin Bouboudiscount. C'est bon ça, c'est pas bien lourd, le seul truc, c'est qu'ils ferment à 15h, et que c'est à 4h de route d'ici, bon, Serge à compris, il va encore s'asseoir sur le repas de midi, et sur sa sieste.

Pour ne pas se faire pieger à nouveau et tomber encore sur un quinquagénaire aigri en jogging, Serge a demandé par où passaient les autres qui venaient par ici, et 20 minutes plus tard, il arrive sur l'autoroute, le badge fait "biiip" et la barrière se lève lentement. Il est 13h quand le téléphone sonne, pile au moment ou démarre le journal à la radio. Merde.... Il regarde sur son portable qui affiche "maison" C'est sa Patricia chérie qui vient aux nouvelles. Elle commence par lui egréner un par un les faits divers de la maison, une ampoule qui a claqué dans le cellier, l'obligeant a trier les chaussettes à la lampe de poche, le harcelement des vendeurs en tout genre au téléphone auquel elle continue de répondre poliment, l'odeur des pieds de Jeremy, leur grand de 16 ans quand il revient du basket, et lui raconte tout un tas de trucs qu'il ne comprend pas forcement, mais auquel il répond "oui oui", car c'est sa femme, la seule qui le comprenne quand il lui raconte son début de journée et le ras le bol qu'il peut avoir certains jours, elle a bien ri quand il lui a raconté sa rencontre furtive avec le réac anti-camion, "t'aurais dû lui poser la question de savoir comment il est arrivé jusque sur son cul son jogging a ce con!!" Mais Serge y avait pas pensé sur le coup. Si seulement, sa Patricia pouvait venir un peu avec lui, ils rigoleraient bien! Mais voilà, il faut quelqu'un à la maison...

Voilà déjà la sortie qui approche, Serge raccroche son téléphone, en se disant que quand même, c'est cool de pouvoir parler à sa douce quand on est loin de la maison, avant il fallait courir les cabines téléphoniques, et faire la queue parfois. Arrivé au péage, Serge attend le Biiip habituel qui ne vient pas, machinalement, il defait sa ceinture, enlève son badge, et fait le guignol en secouant son badge, prévoyant, il a bien sûr actionné ses feux de detresse, mais ça klaxonne déjà. Serge a envie de defoncer cette putain de barrière de merde, mais il se demande toujours s'il y a des caméras. Au bout d'un moment, a force d'appuyer sur le bouton AIDE du péage une voix agacée finit par répondre :

- Ouiiiii?
- Mon badge ne marche pas
- Vous êtes entrés où?
- Raymonville nord est
- Vous pouvez me donner les chiffres du code de votre badge?
- Quoi tous?
- Oui tous!
- Bon, heu vous y êtes? 58969879525897 - 632000166987- 23
- C'est pas bon, il manque un chiffre!
- Bon je recommence : 58969879525897 - 632000166987- 23
- Ah ben c'est bon, bonne route.


Bien entendu, pendant ce temps-là, notre bon Serge s'est fait traiter de tous les noms, et ne peut s'empêcher de penser que nos péages français sont vraiment merdiques comparés aux ritals. Il se souvient avec nostalgie de sa carte Caplis, des regards parfois complices enchangés avec la fille au péage, ah là là! On se contentait de peu!!!

Pour rejoindre Montigny le Brotounois où son chargement l'attend Serge doit prendre la N65, enfin, maintenant c'est la D6501, ça sert pas à grand chose, sinon qu'à brouiller les pistes, l'avantage de cette route est qu'elle est gratos, mais surtout que ça fait gagner 20km par rapport à l'autoroute. De toutes façons, il a calculé, son affaire, en 4h30 ça passe.

Cette route, il la connait bien, quand il a débuté dans le métier, il passait là, la nuit, parce qu'il y avait un gastro ouvert 24/24, au bon accueil ou il se faisait servir sur le coup des 3h du mat un bon steack à cheval. A la place du resto qui a été rasé, il y a maintenant un Bricobabiolle, les temps changent.

Ce qui a changé aussi, c'es que tous les 5km, il y a un rond point, certains sont justifiés, d'autres moins, le pire c'est que certaines sorties de rond point ne mènent à rien! Juste en prévision de. Il reste quelques portions ou on peut rouler un peu... A la sortie de Villeneuve des Maïs, il y a un troquet, Serge se pose là un petit quart d'heure pour prendre un café, demande un sandwich, mais il n'y a plus de pain, déjà, la serveuse a fait la tronche quand il est rentré car elle venait juste de finir de passer la serpillière. Alors il sirote son café en regardant les vieilles photos jaunies au mur, il voit des vues aériennes du gastro, et s'amuse à reconnaitre les camions sur le parking en terre battue. Il y a un MESFROID, un transport Dubry, un BANATRA, que des boites disparues, on voit bien aussi la vieille pompe à essence avec sa boutique à côté.

Quand il remonte dans son taxi, il y a un message : "t'es ou???", Serge voulait répondre dans les nuages, mais comme c'est un pro, il a dit "je sors du bistrot, je serai en place pour charger comme prévu". En route il croise" L'aventurier31" il lance bien un appel à la CB, mais personne ne répond, de toutes façons, il y a personne la dessus, alors Serge remet la radio et trace son chemin. Après "Le Creustet" il y a une série de coups de cul, et il ne faut pas se louper, surtout avec un 420dci de 753.651km, c'est juste dans la cuvette d'un coup de cul que Serge aperçoit un Mini Ligier Turbi Diesel sorti de nulle part, la visibilité est excellente, Serge mort légérement la ligne blanche avant la zone de dépassement, pile poil sous le panneau d'interdiction de doubler aux PL. Quand il se rabat pratiquemment aussitôt, son sang se retire de ses doigts à la vue des deux gendarmes embusqués derrière une affiche du Club Med, ils ne l'arrentent pas, mais lui font des gestes desapprobateurs. Au fond de lui notre bon Serge se sent traqué, épié, un prisonnier en sursis, il imagine la vente de sa baraque, sa Patricia qui le quitte, son Jeremy qui le fuit et bien sur son clébard qui le mord!

Les heures de notre Serge diminuent fortement, déjà 3h57 de volant, il n'est plus trés loin de son chargement, le stress l'avait épargné jusque là, mais il commence a monter...

Il faut encore compter 6km pour arriver à Montigny le Brotounois, on est à quelques jours de Noel, il y a la queue dans les accés aux centres commerciaux, ça n'arrange pas vraiment Serge de devoir patienter, mais il n'a pas bien le choix. Encore quelques ronds points, et il sera arrivé chez JPK Distribution. A l'heure comme d'hab! S'il avait bossé à la SNCF, Serge aurait été pointillieux sur l'heure, mais l'école le passionnait pas plus que ça, et il voulait vite gagner sa croute, et ben voilà, bien fait pour lui!

Enfin, la ZI est là, il voit l'enseigne decrepie de JPK Distribution. Quand il arrive, un container Belge est encore à quai, mais il en a plus pour longtemps, les gens ici sont plutôt sympa. Le chauffeur du container, un magnifique R620 noir regarde un DVD et ne fait que bien peu de cas, d'un charlot comme Serge qui roule dans un antique Premium. Mais Serge, s'en fout, alors, il regarde discretement les cartons empillés un peu partout, des brosses à chiotte Made in Italy, des cartons de Jeans Made in Bangladesh, des jouets Made in China, des boules avec la neige qui tombent sur Notre Dame de Paris Made in Turquey, et enfin des après ski made in Tunisia. Le receptionnaire toque à la porte du Belge, lui rend son CMR et libère le quai. Serge regarde ce jeune de 25 ans qui roule au sond mélodieux du v8 en se disant que jamais son radin de patron n'achetera un camion pareil! Mais au fond, il s'en fout Serge, ce qui l'importe c'est que son singe lui foute la paix.

Quand il finit par se mettre à quai, notre Serge à 4h28 de route. A deux minutes près, il devenait un criminel. Le chargement se fait rapidement, et dans la bonne humeur, il y a une machine à café juste à côté, et des graffitis un peu partout, on peut y lire : John was here 04/05/10, Fred la suceuse, Giacommo Napoli, FDR, David, CGT, pipi caca prout, ... C'est rigolo!

Il faut dire qu'ici, on bosse moins aussi depuis la crise, alors les heures d'ouverture de l'entrepôt ont diminué, aux chauffeurs de faire avec! Heureusement, il n'y a pas trop d'impératifs pour les livraisons. C'est le patron lui-même qui aide ses ouvriers à finir de préparer les commandes, éditer les BL, il y a encore de sgens qui bossent, et sans gilet fluo!... Comme ils sont très sympas ici, ils lui filent un balai, cadeau!!! Quand il est chargé, Serge fait le point sur ses heures de route, il ira pas bien loin ce soir. Vu qu'il a malgré tout le temps, il décide de se poser chez "Martine la bonne cuisine" à deux heures de là, ce soir, c'est décidé, un bon resto, une bonne douche!

Lorsqu'il arrive, il se remet à pleuvoir, et la nuit est déjà presque tombée. Il prépare vite ses affaires et fonce se laver. "Tu me la marqueras avec le repas??" Enfin, tranquille sous la douche, le meilleur moment de la journée!!! C'est donc frais comme un gardon que notre Serge se retrouve au comptoir pour prendre un petit apéro, à sa gauche un mec écrit nerveusement des SMS, à sa droite un autre parle fort avec son oreilette blue tooth, il décide donc de vite passer à table, la serveuse est gentille, polie, il l'imagine vivant seule et travaillant dur pour s'en sortir, et jolie comme elle est, Serge se demande bien ce qu'elle peut foutre ici!? Ses voisins de table sont un peu comme lui, crevés par des journées bien remplies d'aventures insignifiantes mais qui font à la fin une vie de routiers, certains en rajoutent, mais au final, ce sont tous de bons gars qui font ce qu'ils peuvent avec les outils qu'on leur donne et les régles qu'on leur impose.

Il est 21h bien tassées quand Serge retourne dans sa cabine, sa maison, et regarde le boxon eparpillé, un atlas Michelin avec des pages arrachées, une carte pliée en 12, un gilet fluo roulé en boule au fond de la cabine, des grigris un peu partout qui trainent, c'est décidé, demain, ménage à fond, quoiqu'il arrive! Il passe un dernier coup de fil à sa Patricia, sa chérie, son amante, son amie, ça dépend des jours! Jeremy a ramené une bulle en Français, car il avait zappé son devoir, mais Serge, il va faire quoi? Il le voit déjà pas souvent, alors si en plus, c'est pour lui passer un savon... Du coup, Serge et Patricia sont à deux doigts de s'engueuler, mais comme souvent, chacun remet la discussion dans le droit chemin pour s'eviter une nuit pourrave.

Quand Serge se glisse sous la couette, il empoigne son roman policier, celui qu'il a commencé à lire voici déjà 3 mois, au bout de quelques minutes, il se rend compte qu'il vient de lire 3 fois le même paragraphe. Il laisse tomber mollement son bouquin sur le capot moteur, et s'endort comme une masse. Demain, le reveil sonnera à 5h, grasse mat!

 

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