J'avais vingt ans, la belle époque.
A cette époque, les rois du confort s'appelaient Mercedes1928, Volvo F88…
Autre chose que nos merdes actuelles. Les vitres faisaient le tour de la cabine et il y avait peu d'isolation. Sur certains modèles G260, 1928 pigeonnier), même pas de rideaux si tu voulais changer de dessous, tout le monde avait droit au spectacle. Les pigeonniers pour gagner du volume et les cercueils en porte voiture étaient monnaie courante. Il faut dire que le confort n'était pas une préoccupation des transporteurs, la couchette du Scania 110 était à peine plus large qu'un tableau de bord de Premium.
On se les gelait l'hiver et on crevait de chaud l'été. Le Webasto était une option rare, des boites comme Bourgey Montreuil les faisaient démonter. Les nuits d'hiver il faisait aussi froid dehors que dans la cabine. Quand on sortait du resto, il fallait faire vite pour se couler dans les draps. Les matins froids, on sortait difficilement du lit et on claquait des dents pendant quelques kilomètres. La clim. ? Personne ne pensait que ça existerait un jour.
Je me souviens d'une nuit particulièrement froide à Cluse. Le matin en prenant ma douche, j'ai été obligé de dégeler ma bouteille de champoing, il faisait -18.
Ah le bon vieux temps…
L'isolation légère valait aussi pour le bruit, on pouvait conduire à l'oreille. Pour entendre la radio, c'était un peu plus dur. On mettait le son plus fort et on finissait la journée avec la tête comme un compteur à gaz.
La législation sur les heures était plus simple, 4h de conduite, 1h de repos et aucun fractionnement possible. De toute façon, personne ne respectait. On se faisait insulter pour avoir « oser » dormir 4h dans la nuit.
Les flics te faisaient les excès de vitesse au disque, un excès du lundi pouvait te valoir une prune le vendredi.
On n'était pas emmerdé par le portable, on téléphonait d'une cabine ou d'un bistro où l'on était obligé de consommer. Certain acceptaient de mettre la consommation sur la fiche. Quand tu attendais un chargement, il te suffisait de trouver un bistro d'où on pouvait te rappeler. Tu passait des après midi à consommer au lieu de dormir. Si tu n'avait pas beaucoup dormi la nuit d'avant, tant pis tu te rattrapait plus tard.
Et en fin de journée :
- Vite, tu vas charger chez machin pour vider demain matin à Loindici.
- Et je dors quand ?
- Tu vas pas me dire que t'es fatigué, t'as rien foutu de la journée !
Que celui qui n'a jamais entendu ce dialogue me jette le premier boulon de 19.
L'avantage, c'est que la majorité des gars repartaient après manger ce qui te permettait de trouver de la place la nuit.
On se marrait dans les douanes, tu tirais toute la nuit pour être à Concorezzo à 8h00 et tu poireautais toute la matinée en attendant les papiers. A midi, tout le monde récupérait les papiers et on sortait tous en même temps. De belle pagailles et quelques constats aussi.
A La Jonquière, tu te faisais un bon kilomètre à pied et les transitaires se faisaient un malin plaisir de faire passer les espagnols avant ta gueule. A Irun, il fallait prendre un taxi pour aller dédouaner au centre ville. Au lieu de dormir, tu faisais le con en attendant tes papiers au bistro du coin. Inutile de préciser que les restos des autoports te faisaient des factures d'enfer en te faisant bouffer de la merde, clientèle captive oblige. Quand les douanes on fermé, certains ont tout simplement perdu leur clientèle en quelques jours comme à Modane et les tarifs des repas on baissé subitement de 3-400 pesetas à la Jonquière Etonnant ?
J'avais une vingtaine d'années et, bien sur, j'étais un jeune branleur faignant et incapable. Car, bien sur, seul les vieux savaient travailler et le bon temps c'était vingt ans plus tôt, nous on était des bons à rien. Pourtant, des vieux abrutis incapables et fainéants qui n'avaient rien à faire sur la route, il y en avait déjà aussi.
Bizarrement, ces jeunes incapables, dont je suis, sont devenus des anciens de la route. Des pros sans reproches qui critiquent les jeunes de maintenant. Ces jeunes qui ne pense qu'aux filles et à faire la fête.
J'avais une vingtaine d'années, je faisais la fête et je regardais les filles. Parfois une se laissait attraper. Je ne regrette pas cette époque seulement mes vingt ans.
C'était le bon temps.
Alors quand j'entends les gars de mon age critiquer les jeunes de maintenant et nôtre époque, je me demande s'ils n'ont pas oublié certaines choses.
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