Un voyage avec PAT56, chauffeur frigo en Bretagne, pays du soleil.

Donc voici une journée de travail. Celle-ci est d'ailleurs une des plus dures de la semaine. Bon c'est cool comme boulot, hormis le nombre d'heures de travail, c'est peut-être pour cela que je m'emmerde.

 

Lundi matin, 5h30, le réveil sonne, c'est l'heure de bosser. Je me lève doucement en essayant de ne pas réveiller mon épouse, qui dort à points fermés. Café, toilette, et hop je monte dans ma Twingo. Souvent en démarrant ma voiture, me revient à l'esprit une pub Renault. C'était un homme qui passait au tribunal et devant les juges, son avocat leurs disait  - Mais Monsieur le Juge, mon client est honnête puisqu'il roule en Twingo-  Sur le coup je trouvais ça marrant, et lors de mon vrai procès, je roulais aussi en Twingo, mais mon vrai juge n'aurait sans doute pas goûté la plaisanterie.

   Bon ce n'est pas le tout, mais faut bosser. Après 25 minutes de voiture, j'arrive dans la cour de ma boite. Je roule pour les Transports Dejan de Vannes 56, qui font partit maintenant du groupe Rouxel. Je mets mes affaires dans la cabine, et je démarre la bête, un Scania 124.400 qui a près de huit ans d'âge et 1 180 000 km. C'est cher à l'achat, mais au moins ça roule, en général sans problèmes pendant longtemps. Petit contrôle avec ma pile en faisant le tour du camion, pour voir si personne ne m'a fait une vacherie, genre débloquer la sellette, ou subtiliser les cabochons de feux de gabarits. Ne rigolez pas, sur mon ancien Scania, j'ai vu partir les protèges écrous des roues avant, les tapis de sol, deux brosses, des cabochons, et même des bouts de plastiques qui obturent les emplacements pour les éventuels interrupteurs sur le tableau de bord. Bon tout va bien aujourd'hui.

Le temps à l'air clair, malgré la nuit. Cette phrase parait bizarre, mais elle veut dire, qu'il fait nuit et qu'il ne pleut pas. D'ailleurs il ne pleut jamais en Bretagne. Je sors donc de la cour, et traverse la zone industrielle du Prat pour prendre la voie express direction Ploërmel et ensuite Rennes. La remorque est une frigo, et de plus elle est pratiquement vide, car j'ai 10 piles de 4 bacs vides.

.................

A 35 kg le bac, on arrive à 1t4. Donc les quelques grandes côtes sont avalées sans que le moteur fatigue. Le régulateur étant réglé sur 80, je me fais doubler par quelques autres camions, mais cela ne me dérange nullement. Après une heure et quart de route je m'aperçois que le jour commence à ce lever. C'est la plus mauvaise période de la journée pour tout le monde, surtout pour ceux qui ont roulés toute la nuit. Ce moment est propice à l'endormissement, et donc à l'accident. Il est environ huit heures, j'arrive sur Rennes. Surtout ne pas oublier qu'il y a des feux au bout de la quatre voies. En général je n'oublie pas, mais on ne sait jamais. Après quelques arrêts dus d'une part aux petits bouchons à cause de l'affluence de la circulation, je récupère la rocade, et par la suite la voie express Rennes direction Laval. Je passe devant la « Cantine », à Châteaubourg, un relais routier qui est ouvert toute la nuit. Mais qui ne m'attire plus beaucoup non plus.

Il est près de neuf heures moins le quart, j'arrive à la station Total d'Erbrée, un peu avant le péage de La Gravelle (début de l'autoroute A81 qui monte vers la grande poubelle, à savoir Paris). En règle générale, il me faut pile deux heurs pour y venir, toujours en roulant à 80. Je profite de ma première coupure, pour remplir mes feuilles de routes de la journée, entre deux et cinq par jour, suivant les enlèvements à faire, pour aujourd'hui ce sera trois. A noter que le sélecteur du mouchard est sur repos, encore du temps de donné au patron, et il n'y aura pas de merci. Bon après, direction les toilettes ( ben oui à mon âge on est comme les femmes, on pisse tout le temps), et un café.

Et c'est reparti. Quelques kilomètres plus loin, c'est le début de la section à péage, je ne prends pas. Non pas parce qu'elle est à péage, mais ma destination première est Sablé dans le 72. Donc il me faut traverser Laval. A cette heure, cela passe bien. Là aussi il y a des boulevards extérieurs, mais aussi des feux. La vitesse est limitée à 70 pour les voitures, mais pour les camions c'est 50, puisque nous sommes en agglomération et de plus c'est interdit de doubler pour nous. Cela ne dérange pas quelque uns qui me dépassent quand même, en gueulant que je respecte le 50. Une fois même j'ai suivi un tracteur agricole d'un bout à l'autre de la ville, donc à 30 ou 40 maxi. J'avais les boules, mais réglo, réglo. A la sortie de la ville, il pleut, ben oui, nous sommes en France, et évidemment il pleut. Le pire c'est qu'il faisait relativement beau en Bretagne. A vide sous la pluie, je débranchais mon ABS. Oui je sais il ne faut pas mais le mien ne doit pas fonctionner normalement, de plus il doit être de la première génération. Car sur la remorque, je n'ai qu'un capteur monté sur une seule roue. Donc s'il se déclenche, il débloque les freins des six roues de la remorque. Suite à cela il n'y a plus que le tracteur qui freine donc il plonge de l'avant et la remorque s'allège, et automatiquement quand le freinage de la remorque revient, elle freine moins fort puisqu'elle a moins de charge. Enfin de mon poste de conduite je vois çà comme çà, mais en tout cas, cela fait une drôle d'impression au volant quand on sent que la remorque ne freine plus derrière. Donc j'ai pris une grande décision, le cordon ABS, hop dans le coffre à outils et je freine à l'ancienne, en « sentant » et en dosant le freinage, au moins là je sais à quoi m'attendre.

....................

Nous arrivons donc chez mon premier client LDC à Sablé dans le 72, il est dix et demi, c'est un abattoir de dindes et de poulets. J'ai deux quais à faire, un premier où je prends des foies de poulets et le deuxième pour les foies de dindes. Pour le premier pas de problèmes, le quai est libre et je m'y mets, par contre pour le second un autre frigo est déjà en place, j'attends une dizaine de minutes et c'est à mon tour de charger. Je fais des échanges de bacs, entre les vides et les pleins. Le problème en début de tournée, c'est qu'il faut vider tous les vides afin de mettre les pleins à l'avant de la remorque, et remettre les vides à suivre. Chez certains clients, ce n'est pas évident, car les quais sont vraiment petits. Sur ce coup, aujourd'hui, j'en ai neuf à prendre, ce qui me fait environ cinq tonnes de foies. Cela fait un nombre important de volatiles abattus, quand on imagine le poids d'un petit foie, disons 50 grammes.

.............

Onze heures, allez on s'en va, direction Socopa à Evron dans le 53. Je retraverse toute la ville, et je prends la D24, direction Ste Suzanne. La route n'est vraiment pas belle, mais c'est la plus courte. Auparavant je l'avais essayée avec mon vieux 113 Scania, mais je ne la prenais plus tellement j'étais secoué dedans, je passais alors soit par Vaiges, soit par Brûlon. Mais maintenant la cabine est plus confortable quand même donc je prends le chemin le plus court. Systématiquement je croise un Daf de chez Lahaye en porteur. Lui ne ralentis jamais, déjà la route n'est pas large, mais il me croise plein pot, et monte sur l'accotement, jusqu'à maintenant ça passe. Un jour je me suis dit que je vais le foutre au talus celui là. Bon faut que je me calme. Je passe près d'un élevage de poulets de Loué, toutes la volaille est dans les champs. Plus loin sur la gauche ce sont des canards qui sont à l'air libre. A la sortie d'un petit bled, je ralentis pour voir si mon ami Bourriquet est toujours là. Bourriquet c'est un âne, un vieux certainement, tout gris tout vilain avec une grosse croupe. Il est en général toujours dans son jardin. Je suis sur qu'il s'en fout de moi, mais j'aime bien le voir en passant. J'ai toujours une petite pensée pour lui. Et si par malheur il est caché au moment où je suis là, ça me gâche la journée. Qu'est qu'il faut être gâteux quand même, pour penser çà.

   Bon je baratine et j'arrive au croisement avec la RN 157, qui fait Laval, Le Mans. Il y a là un relais routier où je m'arrête reprendre un café. Cela dure cinq minutes mais c'est un peu comme une drogue, c'est pratiquement indispensable. Je suis quand même loin du nombre de café que je m'enfilais du temps où j'allais en Espagne. C'était alors un minimum de dix dans la journée.

Arrivée vers midi moins cinq chez mon deuxième client. Là c'est du genre grand abattoir international. D'ailleurs il y a en permanence des camions Grecs, Italiens et des pays de l'est en chargement. Ils font dans le cochon ici. A l'odeur, cela se sent. J'ai eu l'occasion d'assister chez un autre client à l'arrivée et à l'abattage de porcs et de vaches, c'est horrible à voir. Les animaux sentent la mort venir, et ils savent qu'ils ne vont pas pouvoir y échapper. Je ne vous en raconte pas plus, car moi ça me traumatise.

Ayant mes petites habitudes, et ne voulant plus attendre jusqu'à cinq heures de l'après-midi que ces messieurs du quai daignent me charger, je me mets à quai d'office s'il y en a un de libre. Je m'équipe avec ma blouse blanche, les gants et le casque, et je rentre sur les quais de chargements. En général je n'ai jamais de bonjour, mais maintenant, je m'en balance. Je recherche un transpalette électrique et je vais dans l'usine chercher mes bacs, environ une bonne quinzaine, voir vingt, soit douze tonnes de foies de porcs. Il y a une semaine, j'étais parti dans l'usine à la recherche d'un éventuel transpalette, je me suis retrouvé parmi les cochons pendus qui attendaient d'être chargés dans les camions, quand un chef m'a vu. Je me suis fais repérer car je n'avais pas le pantalon blanc ni les bottes. Je lui ai donc expliqué ma présence ici, et pourquoi je voulais charger mon camion tout seul. En fait c'est simple, mes bacs sont dans un frigo qui donne sur le quai de chargement de frais sur palettes. Il y a cinq emplacements pour charger, les deux manutentionnaires font mettre les camions à quai, les chauffeurs vont manger dans l'usine pendant ce temps, et moi j'attends dehors. Alors que ma marchandise est prête du matin, et que celle des autres camions arrive au fur et à mesure. Donc pour quinze à trente minutes de chargement, ils me font attendre deux ou trois heures dehors, alors là non. Ce fameux chef m'a promis de s'occuper de ce problème, car c'est à eux de me charger, ils sont payés pour çà. Cette entrevue, c'était la semaine dernière, mais à ce jour, il n'y a rien eu de changer. J'attends donc le prochain conflit.

.............

  Ensuite donc, je vais au bureau transport, pour récupérer les papiers, et je vais me cacher sur le parking pour manger mon sandwich, boire ma Badoit et manger mon yaourt nature en dessert. Cela me fait environ une demi-heure de pose à rajouter à la première pose du matin, et je suis à jour avec ma coupure.


   Je contourne Evron et je récupère l'autoroute, sous la pluie évidemment, on est en France, pour aller chez mon troisième et dernier client, secoué à Chaillans, près de Laval. Sur l'autoroute, je roule à fond, 89 km/h, un vrai dingue. Même qu'il y a des camions qui me doublent quand même. Un peu après, sortie n° 4, je prends la D31, et mon usine se trouve une vingtaine de bornes plus loin sur la gauche. Il est 14h05. Là, jamais de soucis, personnel sympa, et tout, secrétaires gentilles et mignonnes, ce qui ne gâche rien. Bref si ce serait partout comme ici, le transport routier serait le paradis. Dans cette usine, je charge une dizaine de bacs de carcasses de volailles.

Maintenant retour au pays, il commence à faire tard. Je reviens donc sur Laval, et en fonction du poids de mon chargement soit je prends l'autoroute direction Rennes, soit je passe par la ville de Laval, ce afin d'éviter de mauvaises rencontres au péage de La Gravelle. Des fois, il m'arrive d'avoir 23 tonnes net de came, (non de marchandises) si on rajoute les poids des bacs vides, ça fait un peu beaucoup.


   A la sortie de Rennes, arrêt à une autre station Total, pour le ..café. Il est 16h00. Puis je reprends la route pour livrer mes deux clients. Plus loin, il pleut. Enfin non, puisqu'il ne pleut jamais en Bretagne, ce n'est que de l'eau qui tombe pour arroser les jardins et les champs c'est tout. Putain qu'est ce que je suis de mauvaise foi, moi.

................

J'arrive donc à ma première livraison, il est 17h30. les horaires n'ont pas trop d'importances pour livrer, car l'usine tourne toute la nuit, même les week-ends. La nuit tombe déjà. L'usine, SPF à Elven 56 est bien entendue fermée avec une barrière, c'est pire qu'une caserne ici. Heureusement, j'ai un badge pour ouvrir, mais au début, il fallait attendre dix minutes pour que quelqu'un réponde à l'interphone. Je fais le tour de l'usine, et je vois qu'il y a déjà un camion à quai avant moi. J'attends donc une vingtaine de minutes, et c'est mon tour. Marche arrière du coté droit, et en évitant de taper dans les espèces de menhirs qu'ils ont plantés pour décorer le site. C'est dingue de voir une usine comme çà, pratiquement neuve à la pointe de la technologie, et avoir de telles conditions de mises à quai, alors qu'il y a quatre ou cinq hectares de pelouses autour. Non, il nous faut faire des marches arrière à droite. La nuit il y a des lampadaires partout sauf ici. Enfin, c'est à croire que c'est fait exprès. Pour vider pas de problèmes, maintenant je connais le personnel et le courant passe bien, il faut vider les bacs de carcasses, car ils ne prennent que le foie, ensuite je remets les carcasses et hop c'est reparti pour la deuxième usine à savoir SPI à Berric 56. Le principe est le même, barrière, mais là il n'y a pas de badge, c'est l'interphone. 18h40, mise à quai, pour vider, ensuite mise à un autre quai pour laver, et remise à un autre quai pour recharger les bacs vides du prochain tour. Au moment de refermer les portes, j'ai toujours un moment de fébrilité et de décompression. Ca y est la journée est pratiquement finie, il ne me reste plus qu'à rentrer, le devoir accompli. En fait à vue de nez, cela fait quand même près de 13 heures d'amplitude avec une heure de repos.
Dans le temps on faisait pire, mais maintenant je ne suis plus tout jeune,
ça commence à tirer quand même sur les os.

   Encore un petit quart d'heure de route, et je laisse mon camion sur mon ancien terrain dans la zone artisanale de Noyal. Il est 19h30, ma journée est officiellement terminée. Deux cents mètres à pied et je suis à la maison. Demain sera un autre jour.

Maintenant vous allez me demander ce qu'ils font avec ces déchets. Ce n'est pas compliqué, tout ça, c'est broyé, malaxé, et traité pour faire des arômes. En fait le produit final est transparent et aussi propre que de l'eau et est mis pour le foie et les poumons de porcs dans des containers en plastiques d'un mètre cube, et envoyés vers tous les coins du monde. Si je vous dis que Nestlé en reçoit. Vous comprendrez que c'est pour l'alimentation, soit humaine ou animale. En fait il en sort des arômes pour les bouillons cubes, pour les croquettes à chien, pour tout quoi. Dès que vous voyez sur un paquet de bouffe qu'il y a des arômes de poulets  ou d'autres choses, hé bien, c'est çà. Au sujet des carcasses, de volailles, le principe est le même, mais le résultat n'est pas en liquide, mais sort sous forme de blocs de viande.

..................

Voila donc une de mes plus dures journées. La plus complète étant la même à laquelle on rajoute un client en plus à charger, à La Guerche de Bretagne, et une ramasse de cagettes vides dans mes usines, pour livrer dans une troisième dans mon pays, à savoir la CAP à Pleucadeuc. Il y a des journées plus cool avec par exemple seulement deux usines à charger et une seule à vider. Mais il faut faire avec, et puis peut-être que dans quelques mois les tournées vont changer suivant les contrats passés. L'année dernière par exemple, on devait aller tous les jours charger à Droué dans le 41, puis aller à Sablé et Evron et vider le soir. Là on était pas bon pour les heures, donc il a fallu faire un système de relais avec deux remorques et trois chauffeurs et ainsi panacher avec une autre tournée qui allait sur le nord de la Bretagne. Tous les dimanches soir, il y avait un départ, avec à suivre trois tours par semaine. Evidemment il y en avait un qui ne partait jamais le dimanche soir. C'est comme partout, il y a des préférences. Mais moi, ce que j'en dis..J'en ai vu tellement en 32 années de route, que plus rien ne m'étonne aujourd'hui.

 

Temps de conduite     :  8H15

Temps de travail         :  2H35

Temps de présence     :  0H30



Total des heures         : 11H20                    553 KM