Le 25 sera-t-il sauvé?

une bien jolie histoire signée Geronimo

 

Mardi 28 mars 2000, Eric, un jeune homme de 21 ans, grand blond avec de magnifiques yeux bleus ciel et de carrure solide, passe comme à son habitude près du dépôt de camions où travaille son père, et immanquablement, va voir si son père est rentré. Une joie l'envahit lorsqu'il aperçoit le vieux R 340 de 1990 de son père, mais, le véhicule n'est pas à sa place, et les fanions sur le pare-brise ont disparus. Peut-être doit-il le laisser là pour les mines ou tout autre intervention sur le bahut pense Eric, mais quand même, le camion n'est pas lavé, et ça ne ressemble pas du tout à son père de laisser un peu de poussière sur la carrosserie !

En rentrant, Eric se presse d'aller voir son père, qui, malgré un grand sourire jovial, l'acceuille la larme à l'oeil. L'homme s'asseoit et devant le regard inquiet de son fils, l'invite à s'installer en face de lui pour répondre aux questions qu'il connait déjà.

"- Mon fils, tu a vu mon 25 sans ses fanions, et tu te demande pourquoi, je sais.
La raison en est simple, je change de camion demain matin pour un Magnum neuf et mon bahut sera mis au rebut d'ici la fin de la semaine. De ce fait, si d'ici le 26 juin il n'a pas de repreneur, il sera ferraillé avec les autres qui vont grossir les rangs et les épaves au fond du dépôt."

L'homme baisse la tête, et sanglotte, dix ans de sa vie qui partent d'un coup, ce camion qui à vu naître le petit dernier de 5 ans sur sa couchette lors d'un voyage à Tours, premier poid-lourd qu'il à conduit lors de sa reconversion professionnelle et premier camion de sa vie, deuxième plus grand amour après sa femme bien sûr.

Eric se lève silencieusement et laisse son géniteur seul avec sa tristesse, le comprenant parfaitement, et à lui aussi, les larmes commencent à venir car c'est ce camion qui lui a donné la passion de la route et permis d'éviter l'échec scolaire auquel il était voué. En rentrant dans sa chambre, il voit le poster qu'il avait fait faire, avec son père posant fièrement devant le 25 flambant neuf avec les fanions et la plaque de son père. D'un coup, il ravale ses larmes, ouvre un tiroir d'où il tire une vieille photo de lui lors qu'il habitait encore en Isère avec ses parents. Dans un coin de la photo, une vieille grange qui se situait sur un vieux terrain familial à moitié oublié et sans grand interêt pour personne, mais que tout le monde veut garder à tout prix !
Une idée surgit alors dans son esprit...

Certes, il ne fallait pas de suite se laisser submerger par ses sentiments, de toute façon, ce n'est qu'un camion, mais quel camion, pensait Eric, non, c'est décidé, il ne terminera pas en vulgaire tas de ferraille ou en casserole ! De toute façon, il a encore des chances d'être vendu pour les pays étrangers ou à un patron qui à besoin d'un camion de parc, mais les chances sont bien minces ! Et puis, rien n'empêche de programmer son sauvetage, même si un nouveau propriétaire s'offre à lui, au moins on est sûr qu'il restera tel qu'il est.

Eric songea toute la nuit à son projet, en rêva sans arrêt ! Ses petits boulots le week-end lui avait permis d'économiser pas mal d'argent, peut-être que le patron de son père comprendra la démarche et lui fera certainement un prix "d'ami" étant donné qu'il le connait très bien. Malheureusement, si c'est pas le cas, cela va plus que compliquer les choses, mais le jeune homme à plus d'un tour dans son sac ! Sa priorité, maintenant était de pouvoir ouvrir la vieille grange, son père lui avait un jour donné une vieille clé comme on en fait plus, en lui disant que c'était celle de la porte du "hangar à foin", seul lieu suffisament grand pour héberger le 25 à l'abri des intempéries et des regards indiscrets, car sa crainte était le vandalisme.

Le lendemain matin, profitant d'une grève de ses professeurs et du départ de son père pour Macon avec son nouvel ensemble, Eric alla rencontrer le propriétaire du R 340.

"- Salut Eric, alors, tu viens travailler pour moi ?
- Bonjour Monsieur, non, pas encore, mais en Juillet, promis, si tout vas bien, je serais un de vos employés. En fait, je viens vous voir pour autre chose.
- Attend, vient dans mon bureau, on sera mieux installé. Que me veux-tu ?
- Ce serait pour savoir si papa pouvait reprendre le 25, en effet, ça lui à fait de la peine de le quitter et vous savez, il l'aimait bien son bahut, alors...
- Impossible. Le contrôle technique est à expiration, d'où ce changement improvisé, et ce sera pareil pour les deux autres R qui restent en circulation.
- Et si je vous le rachète. s'écria promptement Eric.
- P.. Par.. Pardon ? Eric, tu vas bien ?
- Parfaitement. Je veux vous le racheter en l'état, c'est dix ans de la vie de mon père, combien pour ce camion ? Ce sera un cadeau d'anniversaire, il ne rouleras plus en PACA, rassurez-vous, je solliciterais seulement votre aide pour l'achat de pièces en vue de sa remise en état.
- Eric, voyons, tu n'y pense pas ! Je veux bien te le vendre, mais ce sera trop cher pour toi, même si je te fais un bon prix ! Et puis, où le gareras-tu ? Réfléchis bien !
- S'il vous plaît...
- Non, désolé, mais je ne peux pas, et puis, si mes souvenirs sont bons, il avoisine les 850 000 kilomètres, tu vas te ruiner pour qu'il finisse à la casse, c'est du gaspillage, je ne peux pas.
- Bon. Très bien, merci quand même, excusez-moi de vous avoir dérangé.
- Pas de mal petit, tiens, si tu veux, vas récupérer des pièces sur le 25, je te les donne, mais tu te débrouille pour les démonter.
- Merci Monsieur, à l'occasion, je passerais."

En partant, Eric alla regarder ce camion, avec une grosse boule dans le ventre, et voyant la calandre mal fermée, partit pour la remettre en place. En la soulevant pour mieux la plaquer, il vit les clés de contact accrochées dans le moteur, inconsciemment, il les prit referma la calandre, et monta au volant. Une drôle de sensation l'envahit.
Eric descendit et retourna voir le patron qui venait justement à sa rencontre.

"- Excusez-moi, mais j'aurais souhaité le déplacer pour avoir plus de place afin de travailler dessus.
- Aucun problème, tu n'as qu'à le garer le long du grillage, et met un écriteau "Réservé" derrière le pare-brise, comme ça personne n'y toucheras. Mais attention, le 26 juin, le ferrailleur le découpera, alors ne traine pas trop !
- Vous inquiètez pas, merci Monsieur !"

Le patron partit en souriant et Eric s'empressa de démarrer le vieux Renault.
En attendant de voir la pression d'air arriver atteindre son niveau habituel, le jeune homme s'inquit de décrocher le tracteur. Comme l'ensemble n'avait pas été dételé depuis belle lurette, la selette refusa obstinément de s'ouvrir, qu'a cela ne tienne, il remonta au volant, profita des deux minutes pour vérifier la présence de tous les papiers avant que les freins ne se débloquent, et déplaca l'ensemble à l'endroit convenu. Immediatement, il mit en place l'écriteau, rangea les clés de contact du camion dans sa poche, et partit. Hors de question de cannibaliser le 25, maugréa Eric, je passe au plan B....

Soudain, en apercevant au sol un fusible, une pensée lui vint à l'esprit. Finalement, cette remorque va servir. Le jeune homme approcha sa voiture du 25, ouvrit le coffre, sortit sa boîte à outil et se mit à démonter sur une épave attenant à sa vieille super 5, les phares, clignotants, rétroviseurs, flexibles, etc... Ainsi receuillies, les pièces furent entassées dans la tridem bachée de l'ex camion de son père. Cela prit toute la journée ! Personne ne remarqua sa présence, car les véhicules étaient stockés loin des ateliers, au bout du parc, derrière la vieille maison du gardien qui ne servait plus depuis belle lurette ! Les arbres, des pins parasols plus que centenaires, typique de la provence, offraient un toit naturel à ces véhicules réformés et leur ombre était bienfaisante. Ce bout de terrain non goudronné était relativement grand, et parmi tous les véhicules, au fond, envahi par la végétation luxuriante, se trouvait un vieux R 310, un des premiers construits par la régie et acheté neuf par la société. Sa calandre noire commencait à être envahie par de la mousse, et la curiosité d'Eric n'en demandait pas plus. Doucement et avec mille et une précaution, il s'en approcha. Derrière ce véhicule, était encore accroché une semi savoyarde à 2 essieux avec une bâche tellement délabrée qu'Eric eut peur de s'en approcher, et derrière, se cachait encore quelques 310, tous en piteux état ! Cela faisait maintenant 10 ans qu'ils étaient là, sagement rangés et pris d'assaut par des toiles d'araignées et autres insectes, attendant patiemment que l'on statuent sur leurs sorts. Le jeune homme le connaissait parfaitement, et se mit à imaginer le carnage du grappin tirant et déchiquetant impitoyablement les châssis et les cabines avant d'y entasser dans une grosse benne. Certes, ces véhicules n'étaient pas dans des états plus que reluisants, parmis eux, beaucoup ne pouvaient plus qu'êtres bons à donner quelques une de leurs pièces, mais les autres, avec un peu d'huile de coudes et de la bonne volonté, étaient parfaitement restaurables ! Tant pis pensa Eric, de toute façons, on ne peux pas tout sauver ! Continuant son exploration, il aperçut, bien caché par des bosquets et des arbustres, un pauvre TR 280 Berliet, complet, mais rouillé jusqu'à la moëlle, ne tenant debout que par l'opération du saint esprit.
En tout, sans compter les R 340 récemment mis au rebut, c'était une dizaine de camions qui avaient été entassés ici avec seulement deux semi-remorques, les autres ayant été utilisées jusqu'à limite d'usure et ferraillées sur place, pour preuve, par-ci, par-là, une porte, une jante, parfois un essieu complet, ou bien un morceau de châssis. Toute cette place perdue à stocker des épaves allait être prochainement débarassée et la vieille maison du gardien rasée pour agrandir à des fins utiles, le parc de cette entreprise.

Le jeune homme retourna à sa voiture, la tête pleine d'images de ces pauvres camions en attente de démolition. En rentrant chez lui, ses pensées étaient vraiment ailleurs. Sans vraiment la chercher, il retrouva la vieille clé dont il allait avoir besoin. De ce fait, samedi, il ira dans l'Isère pour rendre visite au "hangar à foin".

Le jeudi soir, n'y tenant plus, le jeune homme partit avec son appareil photo prendre quelques clichés de ces pauvres laborieux en fin de vie et récupéra le volant d'un R 310 en guise de "trophée". Le "cerceau" du Renault fut difficile à enlever, la rouille et le temps ayant scellé ce dernier à la colonne de direction, mais l'obstination et la force de notre héros vinrent à faire abdiquer l'écrou récalcitrant. A peine arrivé chez lui, Eric partit à grandes enjambées dans sa chambre, oubliant de saluer son père récemment arrivé. Après avoir dissimulé son "butin", tranquillement, le jeune homme descendit saluer ses parents qu'il n'avait pas vu depuis la veille.
Immédiatement, le sujet entre le père et son fils fut le nouveau Magnum :
"- Salut fiston, je croyais que tu faisait la tête en te voyant partir comme un voleur !
- Oh non, papa, je croyais avoir oublié de débrancher quelque chose dans ma chambre, alors, t'as bien roulé avec ton nouveau camion !
- C'est vrai qu'il est pas mal, même très bien à vrai dire, mais cette cabine qui bouge dans tous les sens, j'ai encore un peu de mal à m'y faire. Mon R me manque un peu quand même, je savais où était planqué mes affaires, que dans ce chameau, j'ai même pas encore trouvé le livret d'utilisation et d'entretien ! Enfin, bref, je finirais par lui mettre la main dessus.
- Tu repars où demain ?
- Je vais à Villard de Lans pour un complet de je sais plus trop quoi encore, je que je sais, c'est que je vais faire fissa pour être là le soir même ! Enfin un week-end complet à la piaule !"

La discussion continua encore un peu, puis, pensant à sa journée du lendemain, Eric partit se coucher, la tête pleine d'images et de souvenirs de son escapade au milieu des vieux camions et se prit à rêver en train de faire une cabane, comme dans sa jeunesse avec ses copains, entre les branches des pins parasols au dessus de toutes ces épaves lorsque, soudain, son père frappa à la porte de sa chambre.

"- Eric, excuse-moi de te réveiller, mais je voulais savoir si demain tu voulais venir avec moi. Je reprend mon 25 pour aller à Villard. Ta mère est d'accord.
- Non, merci, j'aurais bien voulu, mais je préfère aller faire un peu de soutien en informatique pour mon bac-pro.
- Tant pis, une autre fois peut-être !
- Oui, une autre fois papa. Bonne nuit.
-Tchao fiston, à tantôt !
- Papa, tu as bien dit que tu prenait le 25 demain, réagit enfin le jeune homme, j'ai bien entendu cela n'est ce pas ? En quel honneur ?...."

Dans la tête d'Eric, tout se bousculait, les clés du camion dans sa poche, la remorque pleine de pièces détachées, comment sortir sans se faire voir, et puis, quand il va rentrer, la serrure va faire du bruit et réveiller tout le monde, etc... jusqu'au moment où son père, le sourire jusqu'aux oreilles, répondit en riant :
"- Je rigolais gamin, j'aurais tellement voulu le reprendre encore une fois... Mais ma proposition tient toujours pour demain !
- Ah ! Non, je reste sur ma décision, j'ai besoin de ces cours, je vais au lycée demain.
- Ok, mais tu aurais revu tes montagnes, ton Isère natale, et avec un peu de chance, de la neige !
- N'insiste pas, et arrête de jouer avec mes sentiments, tu sais que j'en crève d'envie.
- Rassure toi Eric, je préfère te savoir à l'école, et tes montagnes, tu vas bientôt les revoir. Bonne nuit mon fils, et à la prochaine !
- Bonne nuit papa, soit prudent sur la route !"

La journée du vendredi parut affreusement longue au jeune homme, ne suivant que distraitement ses cours. Sa tête était déjà dans les magnifiques montagnes de l'Isère, se promettant de passer dans les gorges de la Bourne, aller voir la maison où est née sa mère et le tremplin olympique des J.O. d'hiver de 1968. Ses parents savaient qu'il ne rentrerait pas du week-end, mais n'avaient aucune idée des projets de leur fils. Le vendredi soir, après les cours, muni d'une carte routière, il partit à l'assaut des quelques 300 et quelques kilomètres de ruban qui l'attendait, et, fidèle à lui même, Eric préfèra prendre les nationales et départementales plutôt que l'autoroute qu'il trouve monotone et bien plus longue. Ainsi, il profitait d'un paysage changeant au gré de la lumière du soleil qui déclinait doucement dans le ciel. Petit à petit, les montagnes se dessinaient lentement devant lui, offrant leurs hauteurs encore enneigées à ses yeux emmerveillés. Depuis trop longtemps il avait attendu de retrouver ces paysages où le jeune homme avait vu le jour, une décennie à rêver en permanence de grands prés verdoyant agrémentés de troupeaux de vaches et de fleurs multicolores, des hivers généreux en or blanc ainsi que de bonhommes de neige dans les jardins et sur les pistes de skis.

La route ne lui parut vraiment pas longue, la circulation était fluide et le jeune homme arriva bientôt à destination. Le "hangar à foin" était là, majestueux, immense, simple, et quelque peu délabré aux premiers abord. Eric sortit la vieille clé, l'introduit dans la serrure, et après un petit coup de dégrippant, la grande double porte s'ouvrit enfin. La place dans la bâtisse était impressionnante, l'ensemble articulé y rentrerait sans problèmes et la structure de cette grange surdimensionnée dans un état des plus satisfaisant ! La toiture ne demandait que très peu de réparations, et les murs n'offraient un aspect décrépit que depuis l'extérieur. Après avoir rentré sa voiture à l'intérieur et refermé le bâtiment, le jeune adulte s'installa sur la banquette arrière de sa super 5 et se prépara à rejoindre les bras de Morphée !

Le lendemain matin, fourbu, Eric se réveilla à grand peine et s'attela immédiatement à la tâche en allant réparer le toit de la future cachette du R 340 de son père ! A l'aide des quelques outils de son coffre et des matières premières récupérées aux quatres coins du généreux terrain alentours à la bâtisse, le labeur fut des plus aisés !

Après avoir longuement travaillé durant la journée, il se prépara de nouveau à passer une nuit à l'arrière de sa voiture. Malgré le confort tout relatif, le jeune homme passa une nuit fort réparatrice et profita de la matinée à venir pour visiter les lieux qui lui tenaient tant à coeur ! Le repas fut des plus simples, un sandwich fleurant bon les produits des paysans du coin, et ensuite, il fallait bien penser à rentrer. A plusieures reprises, il s'arrêta au bord de la route pour contempler ces décors auquels il vouait un amour passionnel ! Jamais Eric n'aurait pu croire son chemin aussi long et le vague à l'âme l'envahissant au fur et à mesure qu'il approchait sa Provence adoptive aussi déprimant, ce qui lui fit presque regretter son projet !

Très tard le dimanche soir, il rentra chez ses parents. Sa mère veillait, attendant le retour de son fils aîné, et Eric la rassura aussitôt, malgré tout, il ne s'attarda point, partant prendre une douche des plus bénéfiques, avant d'aller rejoindre son lit qu'il idôlatra tout au long de son périple de fin de semaine !
Le lundi matin, Eric fut réveillé par son père. Ce dernier l'invita à le rejoindre au plus vite dans la cuisine, afin de lui parler :
"- Eric, mon patron m'a parlé de toi vendredi dernier, et il souhaiterais que l'on se voient tous les trois en comité restreint mardi soir à mon retour, c'est très important à ce qu'il parait !"

A ses mots, Eric blémit ! Ce qu'il redoutait le plus était-il arrivé ? Son père avait-il été mis au courant de son projet de rachat du 25? La disparition des clés de contact, on savait qu'il les avait dérobées ? Et si il les remettait à leurs place n'allait-on pas les prendre et ruiner ainsi son projet ? Pleins d'autres questions lui traversait l'esprit.

A cause de ça, Eric ne put suivre sereinement ses cours de la journée. Sans cesse, il repensait à la phrase de son père, et même si parfois le jeune homme essayait d'avoir une pensée positive, la réalité et sa mauvaise conscience le rappellait à l'ordre. Son inquiètude grandissait au fur et à mesure que le temps passait, et le soir, il ne put réussir à dormir correctement. Dès qu'il sombrait dans le sommeil, il rêvait du 25 en train d'être découpé au chalumeau sous ses yeux, ou il voyait le patron et son père rire à pleine gorge de son idée de racheter le vieux Renault.

L'échéance approchait à grands pas, et la journée du mardi fut des plus pénibles pour le jeune homme. Comment le rendez-vous allait se passer, pourquoi que tous les trois, bon sang ! Le midi, Eric préféra ne rien manger plutôt que d'aller le rendre ensuite dans les toilettes, ce qui n'arrangea en rien son état de fatigue. A plusieurs reprises, il se prit à avoir des nausées.

L'heure de la sortie arriva enfin. Hésitant, Eric monta dans sa voiture, mit la radio, mais resta sur place. Le jeune homme pesait encore le pour et le contre, mais, comme à chaque fois, le "débat" penchait en faveur du choix de ne pas aller au rendez-vous ! Malheureusement, comment allaient le prendre son père et le patron si d'aventure, il ne passait pas à la société de transports. Enfin, notre héros partit vers son destin, à faible allure, très prudemment, avec pour seul excès, la courtoisie ! Au bout d'un temps quatre fois trop long, il arriva enfin à destination. Instinctivement, Eric regarda si son père était arrivé, et hasarda un oeil en direction du 25, qui avait été rejoint par d'autres R. Avant même qu'il ait eut le temps de finir de se garer et de couper son moteur, le jeune homme fut rejoint par le directeur de la société qui l'acceuilla de manière fébrile !

"- Ah ! Eric, enfin ! Je suis content de te voir ! Bien passée ta journée ?
- Bonsoir monsieur. Oui, merci, la journée fut bonne.
- Rassure-toi, je ne te veux aucun mal, ton père est en retard car il passé cherché ta mère, il va arriver d'un instant à l'autre, tiens, d'ailleurs, c'est pas son camion qu'on entend ?
- Effectivement monsieur, c'est bien lui.
- Tant mieux, allons les acceuillir et partons au plus vite à mon bureau, j'ai hâte d'annoncer ce que j'ai à dire, tu verras, vous serez sûrement ravis tous les trois !"

Eric partit sans hâte au camion de son père. Malgré l'enthousiasme du patron, le jeune homme restait méfiant, craignant toujours le pire, même si cela devenait de plus en plus improbable. Quand ses parents descendirent, le petit groupe se dirigea aussitôt vers le bureau.

"- Messieurs, dames, installez-vous ! Si je vous ai convoqués, c'est que j'ai quelque chose à vous proposer, et je pense pouvoir affirmer que cela peut vous intéresser !
En effet, après plusieurs années de négociations, je viens de racheter une société de 5 camions en Isère, à Grenoble plus précisément, et j'ai besoin d'un responsable d'exploitation pour la gérer, faire les planings des chauffeurs, etc..., mais j'ai besoin aussi d'un chauffeur là-haut car j'ai un départ à la retraite en même temps. Les places étant vacantes pour septembre, j'ai pensé à vous, parce que je sais combien il vous plairait de pouvoir y retourner.

Eric et ses parents restèrent muets à cette annonce.

- Monsieur le directeur, commenca le père du jeune homme, je suis flatté de voir que vous ayez pensé à nous, et après un regard avec son épouse, il accepta l'offre.
- Eric, la place que je te propose, tu l'accepte ?
- Mais... enfin... je sais pas si j'aurais mon bac pro en juin...
- Ecoute, voilà ce que je peux te proposer. Je sais que tu es bon élève, j'ai autant confiance en toi que tes parents, et je ne pense pas te voir échouer. Donc, si tu accepte mon offre, quoi qu'il arrive, je vais t'aider au début dans ta tâche, donc si tu as ton examen, aucun problème, dans l'autre hypothèse, tu partiras en centre pour avoir ton examen, cela ce fera en quelques jours.
- J'accepte votre offre ! De toute façons, vous avez raison, seul un tremblement de terre me ferais échouer mon Bac Pro, et encore !
- Heureux de te l'entendre dire ! Tiens, je suis tellement content que votre démenagement est à ma charge ! Et maintenant, nous allons fêter ça !"

A ces mots, le directeur sortit des petits fours et des boissons diverses, afin de célébrer ces bonnes nouvelles.
Soudain, Eric pensa au 25. En effet, le jeune homme va être pris entre ses révisions, le déménagement, et la sauvegarde du R 340. L'avenir du Renault allait-il être compromis ?

Pendant quelques jours, les discussions familiales ne parlaient plus que du futur déménagement, la date était prévue pour la mi-Août. Le père d'Eric, avait, grace à de vieilles connaissances, rapidement trouvé un appartement à louer dans la préfecture isèroise.

Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'offre du patron. Eric pensait sans cesse au sauvetage de "son" 25, et tous les week-ends, il allait s'occuper du vieux Renault. La date fatidique approchait et les préparatifs touchaient à leur fin. Un vendredi soir, alors que le jeune homme allait rendre visite au R 340, il tomba nez à nez avec le patron.

"- Bonsoir Eric, tu viens voir si ton père est rentré ?
- Euh, bonsoir, Monsieur, euh, oui c'est ça !
- Je crois qu'il va rentrer tard, son client à traîné les guêtres pour le décharger. Au fait, content de ton futur boulot, sans même chercher, faut le faire !
- J'y pense sans arrêt, et ne vous remercierez jamais assez. Au risque de paraître têtu, pour le 25, il n'y à vraiment rien à faire ?
- Non, Eric, rien à faire, je sais que tu voudrais le mettre à Grenoble pour l'entretenir, en plus tu aurais les mécanos, l'outillage et les crédits nécéssaires, mais il est trop usé mécaniquement et ça va faire un mois bientôt qu'il n'à pas tourné. Au pire, tu en préservera un de là-haut, le parc sera à renouveller rapidement, mais on verra tout ça en septembre."

Cette discussion ne fit que conforter Eric dans sa décision. Après s'être assuré que le patron ne pouvait le voir, il partit vers le 25 monta à son bord et vérifia le niveau du gasoil. Bien qu'il y en ait suffisamment, le jeune homme préférait pouvoir en avoir un peu plus dans le réservoir. Ensuite il démarra le moteur qui ne se fit pas prier pour tourner !

Lors de certaines de ses visites au 25, Eric revenait avec du gasoil qu'il avait pu siphonné dans les réservoirs des véhicules mis au rebut. Le vieux Renault était fin prêt, nous étions mi juin, et dans une dizaine de jours le ferrailleur allait venir oeuvrer et débarrasser toutes ces épaves qui, il y a peu, sillonnaient encore vaillamment les routes de France.

Le jeune homme nettoyait méticuleusement l'ensemble, enlevant la poussière dans les endroits les plus inaccessibles et là où ne pourrait jamais aller se poser son regard, mais peu lui importait. Ce qu'il voulait, c'était une cabine la plus propre possible, et sans cesse, il nettoyait le tableau de bord, la couchette, et même les tapis ! Le 25 était rutilant à l'intérieur, on aurait dit qu'il sortait d'usine, en revanche, l'extérieur avait subi les outrages du temps et commencait à avoir des stigmates suite à son arrêt prolongé sous les arbres.

Nous étions maintenant le samedi 18 juin 2000, dans une semaine, le 25 devait être parti, sinon, tous les efforts d'Eric pour l'entretien du R 340 seraient vains. Durant toute la semaine, le jeune homme ne cessa d'y penser, et tous les soirs, il passait voir si le vieux Renault était toujours là, même si notre héros était le seul à avoir les clés du camion, le patron s'étant débarrassé des doubles depuis longtemps. Le vendredi soir, Eric parti avec sa voiture et son vélo dans le coffre, direction l'Isère, arrivé sur place, il dormi à l'arrière de sa voiture. Le lendemain matin, de très bonne heure, il laissa sa voiture au "hangar à foins" et descendit sur Grenoble pour attrapper le premier train pour Marseille. Auparavant, il avait reservé son billet, et dès son arrivée dans la cité phocéenne, il sauta dans un Corail pour le Var.

Arrivé à destination, pas une minute à perdre, il prit son vélo et se rendit le plus vite possible auprès du vieux Renault, eh oui, nous sommes le samedi 24 juin. Eric prit du polish qu'il avait mit dans la remorque, frotta toute la carrosserie du 25, le fit briller comme un sou neuf, s'occupa rapidement de la remorque, y déposa son vélo et, voyant qu'il était 20 heures se prépara à aller dormir sur l'ancienne couchette de son père. Machinalement, il referma le camion derrière lui et s'empressa d'attrapper son coussin et sa couette pour rejoindre le monde des rêves. Au bout d'un long moment, le sommeil arriva enfin lorsque que tout-à-coup, un énorme bruit métallique se fit entendre. Eric bondit de la couchette et découvrit avec horreur la raison de son vacarme : Le camion du ferrailleur venait d'arriver...

Le jeune homme crût d'abord à un cauchemar, mais ce camion était bel et bien réel, tout comme le grappin et la benne mobile dont il était équipé. D'ailleurs, le camion déposait sa benne, et repartit aussitôt, puis, de toute la nuit, ce fut le calme plat.

Le dimanche matin, Eric se réveilla péniblement. Toute la nuit, la peur que le camion du ferrailleur revienne l'avait quelque peu préocupé. Le tachygraphe indiquait 7 heures, le jeune homme mit en route le vieux R 340, ouvrit la fenêtre passager et remit la couchette en ordre. 7H05, le dessicateur indiqua que le circuit d'air était en pression, Eric desserra le frein de parc, enclencha la deuxième petite et décolla l'ensemble routier très lentement. Une boule dans le ventre se fit sentir dans le ventre du jeune garçon lorsque le Renault s'arracha à son immobilité, puis, petit-à-petit, cette sensation se transforma en adrénaline.

Avec mille et une précautions, le jeune homme sortit du dépôt, craignant d'être aperçu, mais fit en sorte de vite rejoindre la route l'emmenant sur Brignoles, Saint Maximin et Rians. Le camion donnait tout ce qu'il pouvait dans les côtes, crachant des volutes de fumées si noirs, que notre voleur en herbe se mit à avoir peur d'attirer l'attention de la maréchaussée sur lui. Son idée de vouloir partir le dimanche 25 juin lui semblait être la plus mauvaise idée dans son plan. Pour se détendre, il mit la radio, laissant "Nostalgie", comme son père en à l'habitude.

Assez rapidement, Eric se retrouva sur la mythique et non moins célèbre Nationale 7, et prit la direction du village de Vidauban. La route était encore déserte en cette heure matinale, le camion montait doucement en température, la radio passait très bien, et les musiques diffusées plaisaient au jeune homme qui se surprit à chanter. Dans ses rétroviseurs, le soleil commençait à se lever et embrasait le ciel d'une couleur jaune orangée du plus bel effet avec les quelques minces nuages violacés qui ponctuaient ce feu des plus bienfaiteur et magnifique. La lumière commencait à inonder le paysage varois et le jeune homme eut le souffle coupé de pouvoir se trouver au milieu de ce tableau idyllique que lui offrait la nature. Ainsi, ses préoccupations restaient en second plan et tout allait pour le mieux. En sortant du village du Muy, Eric entama le long ruban presque rectiligne qui allait lui faire longer le village de Les Arcs. En longeant la voie ferrée, il aperçut un train de wagons porte-voitures tirés par une BB 26 000, elle aussi ayant vu le jour dans les années '90. Le jeune homme sourit inconsciemment, faisant le comparatif entre un camion en fin de vie et cette machine à la pointe du progrès en électronique et au début de sa carrière sur les rails français. Le camion passa enfin Les Arcs, filant bon train sur la nationale. Peu avant Vidauban, il passa sur une portion bordée de platanes, lui faisant penser à la "belle époque" où cette mythique N 7 était bordées d'ormes, de publicités peintes sur les murs des maisons, en bref, l'époque ou c'était la route des vacances des familles françaises et le seul moyen d'aller de Paris vers la côte d'Azur sans l'autoroute.

En traversant le village de Vidauban, il passa devant le terrain d'une maison où dormaient devant le grillage quelques Simca Marmon de l'Armée, un peu en retrait, caché sous de la végétation, un camion Henschel ou Mercedes, Eric ne put le discerner de manière sûre, et un car Berliet PBR 10 b ex Gendarmerie, certainement un ancien de la DCN de Cogolin. Bien collé contre un mur, au fond du terrain, un vieux camion Renault AHN continuait de se couvrir tranquillement de rouille, sans compter toutes les autres pièces jonchant le sol, tous des anciens véhicules de l'armée. Le jeune homme, bien que connaissant ce terrain, fut surpris de découvrir autant de pièces sur cette propriété, d'habitude, les Marmon l'empêchant de pouvoir tout découvrir ! Le jeune homme se promit de revenir voir cette "mine d'or", car il était passionné par les vieux véhicules, et plus particulièrement, les poids-lourds français.

En sortant du village, Eric ralentit à l'approche du rond-point et comme depuis le début de son aventure, utilise le ralentisseur sur échappement. Le camion dégagea un épais nuage de fumée noire et un bruit sourd se fit entendre, comme à chaque utilisation, mais, en voulant changer de vitesse, le camion cala subitement. Le jeune homme comprit de suite et s'arrêta sur le bas côté, le "champignon" venait de se gripper...

"Quelle plaie !" se dit Eric, tout en descendant du camion. Immédiatement, il partit dans la remorque chercher un carton où le jeune homme avait laissé ses produits d'entretien, prit du dégrippant et aspergea la pauvre commande de ralentisseur, ensuite, il leva la calandre, contorsionna son bras dans tous les sens et essaya de rajouter un peu de produit miracle par dessous le plancher de la cabine, ce qui lui valu d'avoir le bras quelque peu humidifié par un liquide qu'il ne put avec certitude identifier, malgré le radiateur devant ses yeux. Une fois cette opération faite, Eric manipula plusieurs fois la commande à la main et repartit, tout en se maudissant de ne pas y avoir pensé avant.

Malheureusement, la petite mésaventure arriva juste devant un rond-point suivi d'une côte assez courte, mais relativement sévère. Le pauvre R s'époumonna à la gravir avant de rattrapper une longue ligne droite au profil plat, ce qui permis de retrouver un bon 90 km/h de croisière sans trop sourciller. En lançant le camion, dans une entreprise de négoce de pierre de taille, Eric aperçut 2 porteurs SAVIEM SM accompagné d'un SG 2, en apparence abandonnés, tout comme cette société. Décidément, se dit le jeune homme, c'est une zone propice pour les épaves ! En moins d'un kilomètre, plus d'une dizaines de vieux coucous, il doit y en avoir un élevage, c'est pas possible autrement, continua à penser le jeune homme.

En arrivant à l'entrée du village du Cannet des Maures, le jeune homme découvrit dans une station à essence ayant conservé son charme d'antan comme on ne sait plus le faire de nos jours, un vieux GMC jaune convertit en dépanneuse, trônant sur une espèce de pont fixe surélevé, en guise de mascotte pour ce vieil établissement. Son état était décrépit, la rouille y avait élu domicile de manière presque envahissante, mais le fait d'avoir été mis ainsi en valeur lui donnait une allure superbe que bien des épaves envieraient.

La route continuait en direction du village de Le Luc, puis Brignoles, toujours sur la Nationale 7 et encore accompagné ponctuellement de façades publicitaires fleurant bon les années '60, '70. Le profil se corsait un peu, les côtes devenant plus fréquentes et plus longues, donnant à Eric un concert de cylindres du vieux moteur Renault des plus enivrant, le replongeant dans son enfance où son père le faisait se pencher en avant pour pouvoir grimper plus vite ! Depuis longtemps maintenant, les ormes avaient quittés le bord de la route, afin de pouvoir l'élargir et la rendre plus sûre, ce qui eut pour effet de permettre aux "Fangio" en herbes de rouler plus vite, et finalement, d'aller rejoindre la grande faucheuse, ou de plier sa voiture tel un accordéon dans les mains d'Aimable ou de Yvette Horner, sans pouvoir prétendre qu'un arbre vous à coupé la route sans prévenir ! D'ailleurs, dans le bas côté, une voiture attend d'être sortie de son mauvais pas, sans doute encore une victime de la déesse "Vitesse". La porte du conducteur est restée ouverte et des rubalises signale le véhicule, tant mieux, Eric, malgré son âme chartable et son grand coeur, n'avait aucune envie de s'arrêter avec le 25. Certes, lui aussi dans sa jeunesse, il s'est amusé avec sa pauvre Super 5, essayant même de se débarrasser d'un de ses collègues quelque peu corpulent dans un rond-point du côté de Fréjus alors que la fermeture de la portière arrière de sa voiture dû abdiquer devant le poid non négligeable auquel elle ne fut pas habituée de cette sorte de yéti poilu sur le moindre centimètre carré de sa peau, ce qui devait certainement influencer le pèse personne à indiquer un chiffre arrondi à la dizaine supérieure, mais rarement notre jeune voleur ne s'est amusé à essayer de se faire une étape de rallye sur une route ouverte, la preuve en est, sa vénérable Renault est encore là, malgré les quelques années de bons et loyaux services qu'elle rend tous les jours à son propriétaire.

Perdu dans ses pensées, Eric ne vit pas la route défiler, et il reprit ses idées devant une grande chicane ornée de petites stelles en l'honneur de ceux qui virent leur vie les laisser à leurs tristes sorts sur cette portion encore "d'origine" malgré sa dangerosité, et annonçant l'arrivée toute proche du village de Flassans sur Issole. Cela faisait environ une heure que Eric avait arraché le vieux R 340 à son triste sort, pensant de manière émue à ses congénères restés sur place et bientôt livrés à leur bourreau sans pitié qui les recyclera, avec un peu de chance, en un autre serviteur de la route, ou au pire, mais ce n'est souhaité à aucun véhicule, même celui que vous detestez parce qu'il vient d'emboutir votre porte de garage, en casserole pour ménagère avec bigoudis dans les cheveux, crème anti-rides au concombre sur le visage, rouleau à pâtisserie dans la main droite pour aller l'étaler sur la tête de la cave à bière vautrée sur le canapé et mules de grand-mère aux pieds, toujours prête à voler à travers la salle à manger pour atterir sur la pauvre cible précedemment citée de Germaine.

Un voyant rouge au tableau de bord ramena Eric à la réalité, en effet, le yoyant de température d'eau venait de s'allumer...

Le jeune homme immobilisa le camion rapidement et descendit le plus vite possible. De l'eau coulait par terre et à travers les stries de la calandre. Bizzarement, le liquide de refroidissement n'était pas très chaud et lorsque Eric voulu repérer l'origine du problème, il constata avec dépit que l'erreur venait de lui. En effet, quand il avait fait le niveau, il avait pas très bien refermé le bouchon et le liquide, aidé par la pression, se faisait la malle petit à petit. Heureusement, notre héros avait prévu de l'huile, de l'eau et aussi du liquide de refroidissement, récupéré dans le dépôt ou en ayant siphonné les autres R qui tenaient compagnie au 25. D'un coup, il comprit certaines choses qui lui étaient arrivé lors de son précédent arrêt... Décidément, c'était pas son jour, alors que d'habitude, la chance lui sourit sans arrêt et sans que le jeune homme y pense ! Un signe du destin ?

Une fois le niveau refait correctement, et le bouchon bien refermé (et vérifié deux fois plutôt qu'une !) Eric reprit sa route. A l'entrée de Flassans sur Issole, le jeune homme aperçut une vieille pancarte indiquant un routier dans les alentours. Malheureusement, depuis l'existence de l'autoroute, les camions et leurs chauffeurs avaient deserté les lieux, hormis une vieille Haulotte encore préservée de l'imbécilité de gamins en mal de loisirs.

La route se continuait à un bon rythme agrémenté du ronronnement régulier et puissant du R 340 et de la r adio qui passait toujours des chansons des années '60 à '80. La traversée de Brignoles se fit sans encombre, et maintenant, direction St Maximin, puis Rians. La chaussée avait été refaite depuis la dernière fois qu'Eric avait pris cette route avec les camions école de son lycée Fréjussien, ce qui permettait d'avoir une meilleure vitesse, mais surtout quelque peu épargner les lombaires du voleur en herbe, ce qui était appréciable !

Le vieux Renault maintenait le 80 km/h sans sourciller sur ce billard encore en très bon état malgré le flot impressionnant de véhicules empruntant cet axe, mais Eric commencait à regretter les arbres au bord de la route car la chaleur commencait à devenir pesante dans la cabine, même si l'ensemble routier tournait le dos à l'astre solaire ! Bien qu'il n'aimait pas le faire, le jeune homme ouvrit sa vitre, laissant entrer un air encore relativement frais, ce qui n'était pas fait pour déplaire à notre jeune héros ! Peu avant l'arrivée sur Saint Maximin, un pont en pierre, en forme d'arc de cercle, redouté par les poids-lourds, mais surtout les angles des semi-remorques pour des rencontres forcées et peu recommandée pour le matériel routier, s'élevait sur le chemin du vieux Renault, Eric, distrait par une odeur inquiétante, ne le vit que tardivement et préféra tenter une manoeuvre, certes efficace, mais brutale et qui aurait pû, si le camion avait été chargé de marchandises, inviter le camion à se coucher sur l'un de ses rétroviseurs. En effet, tous les camions empruntant cet axe, sont obligés de rouler sur la ligne médiane, au milieu de la route, pour éviter une détérioration de leur matériel.

L'odeur qu'Eric sentait toujours, devenait de plus en plus forte, ce qui n'était pas fait pour rassurer le jeune homme, encore sous le coup d'avoir failli détruire la remorque de son père. Malgré une surveillance constante de son tableau de bord et de sa rétrovision, aucun indice ne se présentait au regard du conducteur de ce vénérable et très fiable camion qui continuait sa route en direction du village de Rians, quiitant ainsi la mythique nationale 7 afin de récuperer le réseau secondaire maillée de départementales et de villages ayant chacun, un indéniable charme faisant le plaisir des voyageurs de passage.

Malgré le chemin parcouru, l'odeur suspecte continuait à hanter la cabine du R 340 et les narines du jeune homme qui soudain, horrifié, équarquilla les yeux ! N'en revenant pas, Eric s'arrêta et sauta de son siège, faisant fi des règles tant répétés par ses professeurs pour descendre d'un camion, et partit en courant en direction de la remorque. On dirait que de la fumée s'échappe de dessous la "belle mère"...

Mais, en arrivant au niveau des essieux, plus rien ! Eric toucha les jantes, elles étaient froides, toutefois, en se penchant, il vit quelque chose l'intriguer. Un liquide coulait du plancher de la remorque. En allant ouvrir les portes, une longue traînée s'étendait sur la chaussée, d'où la soi disante fumée. En ouvrant les portes, le jeune homme comprit, dégouté, ce qui ce passait !

Lors de son écart à saint Maximin, toutes les affaires qui était dans la semi avaient bougé, et deux gros bidons de 50 litres avaient perdus les petits robinets que le jeune homme décida de placer avant son départ. Toute sa reserve d'eau potable venait de disparaître !

Eric se remit au volant tout en maugréant tel un vieil homme bourru. Des nerfs, il enleva son T-shirt gris et le lança sur le siège passager, tout en remontant derrière le volant. En refermant sa portière, une expression certe souriante, mais cachant une extrême nervosité apparut soudain sur le visage de notre infortuné conducteur ! En effet, en sortant du camion, Eric avait laissé "carte blanche" à la porte pour s'ouvrir, et celle-ci décida de terminer sa course dans le rétroviseur qui ne trouva rien de mieux que de se dérègler.

Ses mésaventures enfin remises en ordre, le jeune homme reprit la route en direction de l'Isère. La radio commençait à emmettre de la friture, en un seul geste, et sans regarder ce qu'il faisait, le blondinet aux yeux bleus transparent attrappa une cassette et l'introduit dans le poste. C'était une compilation "maison" de ses tubes préférés passant des "Pet shop boys" et leur "Go west", par "Dire strait" avec "Sultans of swing" et "Walk of life" suivi par le non moins célèbre "Apache" des "Shadows" sans oublier les "Rubbets" et leur indémodable (et presque inimitable) "Sugar baby love" ainsi que leur tube "Juke box Jive" et "Mike Olfield" avec "moonligt shadows". Toutes ces chansons aux rythmes entrainant remirent un peu de sérénité dans l'esprit du jeune homme qui roulait bon train vers ses montagnes natales, préssé d'en finir, craignant le prochain contretemps éventuel qui risquerait de l'immobiliser sur place et lui apporter quelques ennuis bien indésirbles !

La départementale 3 était relativement calme et c'était de la belle route, permettant aux 340 ch de se dégourdir les bielles, en frisant un bon 90 km/h afin, d'essayer, de combler le retard déjà pris. Malgré ses 850 000 kilomètres au compteur, le camion roulait encore très bien, proche de ses performances de sa sortie d'usine. L'amour que portait le père d'Eric à ce camion se ressentait. Rien de dégradé, rien de sale, peu de fumée à l'échappement, sauf lors de l'utilisation du ralentisseur pneumatique, de bons freins, bref, l'idéal pour un collectionneur en manque de temps pour une complète restauration !

Le décor avait désormais changé, de hautes collines entouraient le paysage avoisinant, et les grands prés avaient laissés leurs places à des petites falaises. Les virages devenaient plus fréquents, ainsi que les changements de vitesses. La visibilité n'était pas des plus grande, quand, tout à coup, au détour d'un virage...

Un accident de circulation. Tout bête, et pourtant. Deux véhicules, des voitures, se sont percutés de face et les secours sont en train d'oeuvrer. La circulation se fait par alternance, sur une seule file, pas très large, le R 340 risque de ne pas passer. Sa position surélevée permet à Eric de pouvoir assister à la désincarcération d'une des victimes, mais, le jeune homme préfère détourner le regard et commencer à se concentrer sur sa future manoeuvre. Le temps parait très long, trop long même ! Soudain, un gendarme s'approche du camion. Notre jeune héros est pétrifié, ses pulsations cardiaques tambourinent dans ses tympans, mécaniquement, notre voleur en herbe descend du Renault et attend le représentant des forces de l'ordre.

"- Monsieur bonjour, vous pensez arriver à passer avec votre camion ?
- Bonjour, aucune idée. Je pense que oui, en prenant tout mon temps.
- Bien. Nous allons essayer, de toutes façons, impossible de faire demi-tour !
- Exact...
- Au fait, vous avez pas le droit de rouler avec un tel ensemble aujourd'hui !
- A vrai dire... Sa voix se nouait et dans un effort surhumain, s'écria : Je transporte un groupe frigorifique pour une semi en panne, si vous voulez voir les papiers...
- Non. Passez votre chemin, vous entravez la circulation. Bonne journée ! Au revoir.
- Au revoir monsieur l'agent."

En remontant au volant, Eric souffla un bon coup et redémarra le camion. Le passage allait être très délicat, le pneu du camion était à la limite de la chaussée, et la semi se rapprochait du véhicule accidenté. Le virage étant à droite, pour faciliter les choses, le jeune homme se faisait guider, surveillant son rétroviseur en se contorsionnant tel un accrobate de cirque. Encore un mètre et les pneus de la semi auront passé l'obstacle, toutefois, la savoyarde se rapprochait encore et toujours de la carcasse toute tordue et le croisement devenait vraiment critique. Encore 50 cm, mais décidément, cela devient impossible, Eric replie son rétro côté conducteur, élargit sa trajectoire, frôle la colline du plus près possible encore trente centimètres, le virage ne va pas tarder à se resserer et si les pneus de la remorque n'ont toujours pas passé l'obstacle, l'ensemble articulé sera bloqué interdisant toute circulation et là...

Vingt centimètres, Eric sent ses jambes qui commencent à trembler, il sue à grosses gouttes, c'est pas le moment de paniquer ! Encore dix centimètres, à peine quelques millimètres séparent les deux carrosseries. Le jeune homme s'arrête, s'essuie le visage, ferme les yeux et respire très profondément. Lentement, Eric appuie sur l'embrayage, enclenche la première vitesse et redémarre. Très doucement, le camion s'ébranle. Le premier essieu est enfin passé, ouf, bientôt le second, ça y est, voilà, c'est fait ! Immédiatement, le jeune homme accélère, n'entendant pas les applaudissements des automobilistes préférant regarder ce spectacle plutôt que la désincarcération.

Le village de Rians se profilait enfin. En regardant les panneaux indicateurs, Eric se dit qu'il avait bien roulé, mais qu'il était en retard sur ses prévisions. Inutile de rouler vite, tant pis, il préfère assurer une bonne moyenne et éviter les soucis. Le village est laissé sur la droite, et maintenant, direction Ginasservis. Malgré tout, le jeune homme pressa un peu le pas.

La route était redevenue relativement plate et les collines alentours avaient laissées places à de grands champs cultivés. Tout allait enfin pour le mieux, le soleil ne dérangeait plus personne par sa lumière, mais commencait sérieusement à faire grimper le thermomètre ! Regardant dans son rétroviseur, il remarqua une longue file de véhicules derrière lui, gentiment, il se gara où il trouva un semblant de place, et quelques voitures le remercièrent à coups de feux de détresses. En repartant, il souleva de terre un énorme nuage de fumée et de poussière, rendant presque impossible à un véhicule arrivant à vive allure la possibilité de dépasser l'ensemble articulé en toute sécurité, fort heureusement, personne ne vint, ni derrière, ni en face. Les vitesses se passaient toutes seules, comme dans du beurre, au rythme des dépressions de l'embrayage et de divers bruits environnant se trouvant dans le moteur.

Enfin, le village de Rians fut contourné. Eric retrouva à la sortie de la déviation un paysage un peu plus torturé par les éléments. Certes, ce n'était pas encore la montagne, loin s'en faut, mais ça y faisait quand même penser. Le camion délaissa maintenant la D 3 pour s'engager dur la D 23 en direction de Ginasservis. Quelques raidillons plus tard, montés à faible allure, une légère redescente annonçait de nouveau de belles plaines vertes et agricoles. Quelques maisons bordaient la route, certaines anciennes, faites de pierres et de bois, d'autres plue récentes gâchant quelque peu le cachet de cette ruralité longtemps délaissée. De nouveau, Eric s'arrêta pour laisser passer le convoi qui le suivait, et se délectait du spectacle de dépassement tous plus dangereux les uns que les autres de ces personnes qui, dans la rue, seraient méconnaissables ! Derrière un sourire se cachait le soulagement de voir cette bande de sauvages devant lui, plutôt que les voir en train d'essayer de le dépasser dans des virages sans visibilité ou à des vitesses laissant perplexe plus d'un radar ! Le village se montrait enfin, après un passage dans de petites gorges sans prétentions, puis, la traversée de Ginasservis. De nombreux enfants, partis acheter le pain ou le journal regardaient passer ce monstre de puissance et d'acier, rutilant malgré son âge avancé. Peu d'entre eux en voyait des comme ça, et beaucoup de ces chères petites têtes blondes faisait un signe au jeune homme qui leur répondait par un appel de phares ou un signe de la main. Les plus petits montraient le R du doigt, devant des parents gênés et parfois envieux ! Notre héros, lui, dès ses dix ans, avait le droit de monter dans un camion, faisant des envieux dans la cour de récréation, et souvent, il racontait ses voyages à travers la France aux côtés deson père, fier devant ses collègues d'avoir un fils passionné de camions. Aujourd'hui, c'était lui qui conduisait cet objet de convoitises et de rêves de gosses, quel bonheur !

Puis, vint la sortie du village, et ainsi la fin de la civilisation dans un village plein de vie. Le long ruban ne s'arrêtait pas de se dérouler sous les roues du brave Renault, montrant sa réjouissance à pouvoir éviter le chalumeau en développant toute sa puissance lors de reprises de vitesse tel un scooter d'adolescent trafiqué ! Le jeune homme rattrappa la D 554 peu après et savait que jusqu'au petit hameau de Boutre, il aurait droit à une belle route, puis, quelques virages serrés dans une petite montagne annoncerait le village de Vinon/Verdon. Le 80-90 km/h était maintenu sans peine par les 340 chevaux du moteur. Le beau tronçon cessa rapidement, laissant place à des arbres, une déclivité soudain prononcée et des lacets très étroits. Bien que cela n'allait durer qu'un ou deux kilomètres, le jeune homme savait qu'il allait devoir se battre avec son volant s'il ne voulait pas faire de rayures sur la carrosserie ou se sortir de la route bien que les roches et les arbres l'en aurait volontiers empêché.

Le panneau d'entrée du village arriva enfin devant les yeux de Eric. La descente l'avait épuisé momentanément, il ralentit afin de mieux prévenir le danger, tomba les rapports un à un, évitant de se servir du ralentisseur à l'échappement qui lui avait cassé les oreilles peu avant, et, alors qu'il prit une bouteille d'eau pour se désaltérer, en oublia de regarder correctement la route et les panneaux indicateur, grave erreur !

En effet, au lieu de prendre la route contournant le village, et étant plus large, il s'engagea directement vers le centre. Eric s'arrêta aussitôt, mais, impossible de faire demi-tour ou de reculer. Tant pis. Le camion reprit doucement de la vitesse. Les murs des maisons se refermait petit à petit. Le jeune homme luttait contre lui même afin de ne pas céder à la panique. Plusieurs petits vieux, assis devant leur porte, ou accoudé à leur fenêtre regardait avec passion le Renault s'engager dans un véritable guêpier. Les commentaires allaient bon train :

- Ca passera pas !
- C'est la fernande qui va être contente, depuis le temps qu'elle voulait se faire payer un nouveau balcon !
- Le garde ne va pas le rater celui-là !
- Boudiou qu'il est jeune, va pouvoir chercher un nouveau patron...

Certainement pas se pensa Eric ! Ce bahut en à vu d'autres ! Vous m'aurez pas les vieux, j'y arriverais, avec ou sans votre aide, mais il passera, c'est moi qui vous le dit !

L'ensemble roulait maintenant au pas, se frayant un chemin entre les véhicules garés ça et là ! La cabine allait à gauche, à droite, regardait tantôt le sol, tantôt les oiseaux, frôlait les murs, les pots de fleurs, les pneus rasaient le trottoir, quand devant lui, sur la route, le garde municipal. Regardant ce véhicule d'un air perplexe, il s'approcha et monta sur le marchepied.

"- Bonjour, alors, on s'est perdu !
- Bonjour, oui, j'ai loupé mon intersection.
- Bah, comme beaucoup ! Ce sont encore les galopins qui ont planqué le panneau "sens interdit", ça les amusent d'enquiquiner les touristes !
Bon, prenez par la "rue grande", ça tourne un peu, mais ça passera un peu mieux, et attention la prochaine fois ! Surtout un dimanche ! Et dites à Dédé de vous filer un plan de sa ferme la prochaine fois, un jour il va falloir que je sévisse, à faire rouler ses arpetes le dimanche pour son lait, les flics vont l'épingler !
- J'y manquerais pas ! Merci pour le tuyau !
- De rien, jeune, bonne route !"

Le jeune homme suivit les conseils du garde, et effectivement, la chaussée devenait de taille un peu plus compatible avec le gabarit deu R 340. Enfin, il rattrappa la D 4 et partit en direction de manosque, au bruit viril du moteur et de l'échappement !

Eric passa sous l'autoroute, évita soigneusement le centre ville de Manosque, et à la sortie, à gauche, abandonnés là, plusieurs camions dont un vieux SM, probablement un 280, veillaient sur son périple, enviant fortement le Renault. Après s'être arrêté pour les contempler, il redémarra son moteur et s'engagea en direction de Sisteron. Peu après, Volx, il longea l'A 51 en empruntant la D 4096 et aperçu au loin, le tristement célèbre village de Lurs, avec l'affaire Dominici. Les reportages qu'il avait pu voir sur ce pauvre homme ne le laissait pas indifférent, et bien que le village est changé depuis le procès, le jeune homme aurait bien fait un crochet si son véhicule n'était pas aussi imposant !

Perdu dans ses pensées et souvenirs, il eut à peine le temps d'apercevoir un panneau annonçant Ganagobie, nom qui l'avait depuis longtemps marqué lorsqu'il passait sur l'autoroute du val de Durance avec son père !

Peyruis, une activité au ralenti, des rues désertes, et, fort heureusement, pas beaucoup de circulation. La traversée se fit sans encombres, le tracé étant relativement rectiligne, le Renault avalait les kilomètres sans sourciller, à un bon 80 km/h, offrant un peu plus de temps pour admirer les paysages magnifiques et ensoleillés des alpes de hautes Provence !

Le village de Montfort, et des souvenirs de camps d'ados qui ressurgissent, lorsqu'il était descendu en une dizaine de jours en kayak sur la rivière l'emmenant avec sa colonie de vacances sur les plages de Fréjus et St Raphaël, offrant un calme et une immersion au coeur de la nature comme jamais il n'avait connu depuis. L'autoroute s'éloignait un peu maintenant. Au détour d'une route, il aperçut dans un champs, un vieux Berliet GLR, de première version avec encore les essuies glaces en haut des pare-brises, impeccablement entretenu, affecté au transport de paille, mais, sur son plateau, trônait pour l'instant un représentant des tracteurs agricoles surnommé "petit gris". Le jeune homme resta admiratif devant un tel duo illustrant fièrement le monde agricole et industriel de la France des années '50 et ultérieures, mais dû se résoudre à regarder la route car son périple n'était pas encore fini.

Après une "virée" sur les routes secondaires, le vieux Renault allait pouvoir de nouveau fouler un tronçon de nationale, mais pas la 7, seulement la 85. Cette partie était restée encore à l'ancienne, amenant grâce à ses arbres ornant le bord de la route, un peu de fraîcheur dans la cabine du camion. En face, une très longue file de véhicules approchait, Eric n'en croyait pas ses yeux, des 4 chevaux, un citroën type H, un Renault Galion, des Tractions, quelques Dauphines, des 2 cv, Des R 8 et R 10 et, à la fin du convoi, des poid-lourds tel Volvo F 88, Unic Izoard, Saviem SM 8, un antique Berliet GDR à gazogène, un TLR tractant une semi à un essieu en porte engin sur laquelle un pelle Poclain TY 45 avait pris place, et pour terminer, un car Chausson ASH 522 et un AP de 1949, tous deux remplis de passionnés de vieilles mécaniques ! La route des vacances avant l'heure, ou des retardataires voulant profiter des trente glorieuses avec un peu de retard ! Eric avait les yeux d'un enfant en regardant ces véhicules chargés d'histoire !

Sous le coup de ces belles carrosseries, il passa au droit d'Aubignosc s'en presque pas s'en rendre compte et repris ses esprits quelques kilomètres plus loin, en voyant la commune répondant au doux nom "les bons enfants". Sisteron n'était plus très loin maintenant. Tout en roulant, il attrappa sa bouteille d'eau, sans lâcher la route des yeux, une fois avait suffit, pour faire ce qu'il n'avait pû faire à cause de son erreur à Vinon, c'est à dire, boire !

Autant la traversée de Sisteron fut sans encombres bien que très longue, à la sortie, il n'en fut pas de même. Des panneaux et des barrières entravaient la route interdisant tout passage, et un homme avec un gilet fluo lui faisait signe de s'arrêter...

Eric s'executa et un jeune gringalet arriva en courant !

"- La ballade des vétérans de la route est de l'autre côté, faites demi-tour, vous êtes en retard ou alors, partez avec le second convoi.
- Je pars avec le second convoi, je dois réparer quelque chose en vitesse !
- Ok, on vous ouvre, le parking est à 200 mètres à gauche. Dites, il est pas un peu récent pour cette sortie ?
- Si, mais je ne fais que l'assistance, j'ai des pièces pour les autres véhicules et le tracteur que je devais avoir ne démarrait plus. J'avais pas mieux.
- Bon, allez, bonne roulade !
- Merci, au revoir !"

Eric pû passer, les barrières furent écartées pour son passage, et reprit sa route vers Villard de Lans au nez et à la barbe des organisateurs ne comprenant pas comment cela se faisait que ce camion passe par ici !

Le jeune homme suivait maintenant la route de Laragne-Montéglin, esperant ne plus être retardé sur son chemin car le temps passait très vite ! Le décor avait changé, des montagnes commencaient à faire poindre leurs sommets, maisce qui attirait encore plus l'attention de notre "routier" en herbe, c'était la voie ferrée ! Une voie simple, non éléctrifié, gratifié de quelques ouvrages d'art en pierre de taille du plus bel effet ! Le chemin continuait inlassablement vers Ribiers et le profil de la route devenait de plus en plus vallonné !

Ribiers, tout était calme, la circulation commencait à s'amplifier et la chaleur ne cessait de monter dans la cabine ! Décidément, ça allait être une chaude journée ! Maintenant Aspres-sur-Buëch ! Eric essayait de se dépêcher, mais le Renault restait inlassablement à 90 km/h, et quand la route permettait plus de telles vitesses, le jeune homme maugréait ! Le pauvre, soudain, il pensait que tout le monde se rappellerait du camion roulant sur une nationale un dimanche, téléphonerait à la maison "Poulaga" pour se faire bien voir, tels des collabos de 39-45, bref, il risquait de se faire attrapper, et ça allait chauffer pour son matricule ! Pourtant, depuis qu'il était parti, personne ne l'avait interpellé pour l'arrêter et lui mettre une contravention ! Bien que cette pensée le réconfortait, Eric ne pouvait s'empêcher de se poser des questions, esperant ne jamais avoir d'ennuis pour cet "enlèvement" !

Perdu dans ses pensées, comme souvent, il ne rendit même pas compte de l'arrivée devant ses roues du village d'Aspres, et le traversa avec une rapidité impressionnante ! Machinalement, il attrappa sur le siège passager un post-it où était marqué un resto "routier" où il aimait s'arrêter avec son père quand ils avaient le temps ! Pour cela, il fallait encore traverser le village de la Croix Haute, et c'était encore à quelques kilomètres ! En attendant, il traversa La Valette, ce qui le fit sourire, étant donné qu'un de ses oncles habitait à La Valette-du-Var et qu'il était lui aussi routier !

Laissant le village de Lus-La-Croix-Haute à sa droite, il se dirigea sur ce qui était en fait plutôt un hameau aux yeux du jeune homme, le village de La-Croix-Haute, différent du premier !
Sans aucune hésitation, et confiant, il traversa ce hameau à tombeau ouvert, l'appel du ventre devenant plus que pressant tout à coup ! Après quelques minutes, il s'arrêta sur un parking avec quelques camions. En voyant l'enseigne "Le relais de la commanderie", il se rappella pleins de souvenirs ! 2ric laissa tourner encore un peu le moteur de son camion avant de le couper, juste le temps pour lui de récupérer quelques affaire pour aller manger, mais alors qu'il fermait le 25, son téléphone sonna, par refexe, il décrocha :

" - Salut fiston, t'es où ?
- Ben... en ballade, pourquoi ?
- Pour rien, je suis à mon camion là, et je viens de voir que le 25 à disparu..."

En entendant cela, le jeune homme susurra le mot de cambrone, mais pas pour les mêmes raisons que son père croyait !

"- Bah, de toutes façons, il était vieux et fatigué ! Faut pas t'en faire fiston, c'est pas grave !
- Non, c'est sûr, mais... je voulais le prendre en photo une dernière fois en fait !
- Tu peux, mais il est dans des grosses bennes de ferraille, en petits morceaux, je ne reconnait rien de mon ancien camion, et le casseur est venu encore ce matin, il à commencé à demonter quelques pièces sur les épaves restantes, il se fait un stock de pièces détachées pour son bahut apparemment et demain, il revient finir le travail avec le grappin !
- Bon, ben je sais qu'il est inutile de passer alors ! Je te laisse, je vais manger !
- Ok fiston, bon appétit et à la prochaine !"

Eric se voyait soulagé, pour tout le monde, le camion était détruit, c'était presque une bonne nouvelle ! Maintenant, dans un peu plus de 2 heures, si tout se passait bien, le camion sera définitivement sauvé de la destruction !

Machinalement, il jetta un oeil sur les camions à côtés desquels le 25 venait d'être garé, un Renault Magnum du 56 avec une tautliner, un Man assez récent du 13 avec une citerne derrière lui et un vieux mercedes 1935 bleu très pâle du 38 attelé à une tridem fourgon à peine plus jeune que le camion la tractant et qui attira l'attention de notre héros qui en fit une photo.

Le jeune homme partit enfin manger. En entrant dans l'établissement, l'animation venait essentiellement d'une table ou des types à la carrure imposante discutaient bruyamment ! Le patron invita son nouveau client à s'installer et lire la carte. Soudain, venant du groupe de "gros bras," il fut interpellé.

"- Dis, jeune, t'es le chauffeur du R ?
- Oui, répondit Eric de manière presque inconsciente et sans lever les yeux de la carte.
- Bouffe pas tout seul, amène toi avec nous, on à la même maîtresse !
- Merci pour l'invitation, j'arrive !"

A table, il y avait trois hommes, deux dans la cinquantaine d'année, le troisième, plus vieux, avait dépassé sa soixantième et était tatoué un peu partout sur le corps. C'était aussi le plus imposant, d'environ 1 m 90, des muscles bien dessinés sur ses membres et le torse, avait des moustaches à la gauloise, des yeux bleus ciel, très clairs à en être troublants et le crâne dégarni sur l'avant et le dessus, mais portait les cheveux restants mi-long un peu à la manière de Hulk Hogan, le catcheur dont il partageait vraiment l'allure !

Après les presentations de faites, le repas commenca. La discussion tourna bien evidemment autour de la route et du métier, le plus mélancolique étant Christian, ce vieux de la vieille aux cheveux blancs, proche de la retraite et au caractère bien trempé. Soudain, il s'exclama :

"- De toute façons, si le nouveau taulier me les brise, je lui envoie les clés de mon merco dans les gencives et je fait valoir mes droits à la retraite !
- Pourquoi, interrogea Eric, ta boîte est rachetée.
- Mon boss se tire à la retraite et les enfants ne veulent pas entendre parler de cette boutique, et c'est un varois qui reprend l'affaire, d'ailleurs c'est sûrement ton patron Eric qui à racheté, il parait qu'en plus, il va nous foutre un jeunot sans experience comme gérant, bonjour la galère !
- Merci lança le jeune homme ironique, le jeunot, c'est moi !"

Le silence s'installa momentanément dans le restaurant.

"- Ah bien, il te fait rouler le dimanche ! Ca commence ! Et nous, ce sera quand ?
- En fait, le 340, n'est plus à ton futur patron, je l'utilise pour mon déménagement, avec une dérogation que j'ai beaucoup de peine à décrocher ! Après, la première casse que je vois, hop !
- Rentabilité, efficacité, pognon, et exploitation, vos nouveaux mots les jeunes !
-Erreur docteur ! Ce bahut est H.S. le moteur tourne rond, mais plus pour longtemps, la rouille est partout, sinon, j'adore les vieux bahuts et je verserais une larme quand je devrais le laisser à son bourreau qui le massacrera impitoyablement. De plus, je compte bien garder la taille "humaine" de ta boîte Christian, ensuite, moi la rentabilité et le pognon ne m'attire que très moyennement, je ne veux pas de bénéfices énormes, juste des employés heureux de bosser à mes côtés et de faire vivre "leur" engtreprise !
- Tu marque un point gamin, mais je te le dis de suite, je suis là tous les week-ends pour battre le carton, avec "MON" 1935 et le jour où il part à la casse, je me barre illicot...
- Du calme ! Tu fait ta vie, moi la mienne. Je suis pas encore en place, je ne compte pas changer toutes les petites habitudes et ne connaissant pas le parc où je vais oeuvrer, les réformes des bahuts ne seront pas effectives avant au moins un an ! Désolé de devoir te faire encore bosser au moins 300 jours si tu veux rester sous les ordres d'un "jeunot sans experience" ! Enfin, on verra tout ça plus tard ! Pour l'instant, je dois emmenager dans mon Isère natale !
- Tiens ! Je resterais, pour le plaisir de voir "mon jeunot" faire ses preuves !"

Le patron interrompit la discussion :

"-Excusez-moi les gars, mais ces messieurs veulent vous voir !"

Tout le monde se retourna, et, dans l'encadrement de la porte, deux gendarmes, visiblement très intérressés par les camions garés sur le parking de l'établissement...

"- Messieurs bonjour dirent les representants des forces de l'ordre, nous sollicitons votre aide svp, on vient d'éclater et on à pas de cric dans notre fourgon."

Eric resta pétrifié sur sa chaise. Christian, lui, se leva, lançant un regard moqueur sur les nouveaux venus, et partit à son Mercedes, suivi par ces malchanceux. Un instant plus tard, il revint finir son repas en compagnie du jeune homme et des autres routiers.

Le déjeuner se termina. Je jeune homme, bien qu'invité à battre le carton avec ses collègues, partit reprendre son voyage sur le grand ruban. En mettant le moteur en route, il repensait à Christian et son 1935, imaginant le futur parc qu'il allait devoir gérer et les gros bras qu'il risquait de trouver dans l'équipe de routiers.

En traversant Monestier de Clermont, Eric jetta un regard distrait sur la voie férrée qui longeait son chemin depuis un bon moment maintenant, et aperçut un autorail quelque peu singulier sur cette ligne mais qu'il ne put avec certitude identifier. Bien que depuis son départ le jeune homme avait eu le temps de s'habituer à la position excentrée du volant, cette disposition particulière et spécifique à ces camions, insupportait maintenant notre héros. Toutefois, il prenait patience car la destination finale se faisait de plus en plus proche.

Soudain, une sonnerie se fit entendre. Un des multiples passages à niveau croisant la route du R 340 venait de se réveiller. Le moteur de l'engin ferroviaire se faisait bien entendre dans un rugissement rauque assez caractéristique des 825 ch d'un vénérable X 2800, quelque peu égaré loin de son massif-central, fief de cette charismatique autorails. Le jeune homme reprit sa route, essayant de courser l'engin, mais c'était peine perdue, une autre petite série de virages s'annonçait devant le vieux Renault.

Les passages de vitesses se succédaient sans relâche et la mécanique répondait aux moindres sollicitations de son conducteur. Au loin, l'autorail laissait paraître sa silhouette et ses fumées d'échappement fortement teintées de noir ! La route en direction de Vif s'écartait de la ligne de chemin de fer, laissant Eric se concentrer sur sa conduite et la circulation routière relativement importante en cette journée dominicale. D'ailleurs, les automobilistes croisant cet ensemble routier sur leur chemin paraissaient interloqués de voir un camion circuler en ce jour, ce qui paraissait amuser le jeune homme, bien qu'une énorme appréhension se faisait ressentir au plus profond de son anatomie, craignant encore et toujours d'être remarqué par un "honnête compatriote ne faisant que son devoir" d'avertir les autorités compétentes. Mais, très bientôt, si rien ne si oppose, le vieux R sera définitivement mis bien à l'abri des regards indiscrets.

Vif fut traversé d'un trait sans même s'attarder sur les vues, magnifiques par ce temps, offertes aux usagers de la route, des montagnes se dessinant dans un ciel bleu azur d'une pureté rarement observée sous ces lattitudes.

Pour l'instant, le long ruban continuait impertubablement à défiler sous les roues du R 340 toujours vaillant et préssé de rallier son point final afin de prendre un repos bien mérité car un tel périple après de longs mois d'inutilisation, la chaîne cinématique commencait à souffrir de ces multiples efforts lui étant sans cesse demandé, surtout maintenant que le profil du tracé devenait vraiment vallonné.

Le pont de Claix s'annoncait enfin, la fin du voyage était vraiment proche quand le jeune homme décida d'immobiliser son véhicule pour ravitailler sa bouteille en précieux liquide, indispensable par la chaleur de ce jour, à un point d'eau bordant sa route. Le moteur du camion fut arrêté sans même s'en rendre compte par Eric, tellement préssé de se désaltérer alors que le soleil avait atteint son zénith. Après avoir bien satisfait sa soif, Eric remonta dans sa cabine, tourna la clé de contact, et là... Rien... Tous les voyants s'éteignirent et le démarreur refusa obstitément de lancer le moteur...

Notre héros, stupéfait, refusa de comprendre. A nouveau, il essaya de réveiller les chevaux du moteur, mais, rien n'y faisait ! Curieux, il descendit inspecter les batteries, et là, horreur, un "nid" de vert de gris pululait sur les cosses et les câbles.

Immédiatement, notre routier du jour partit en direction de la semi-remorque pour récupérer de quoi libérer le passage du courant de toute cette oxydation guère tolérée pour un démarrage dans les règles du vieux Renault. Après un bon nettoyage, le "jus" passait nettement mieux et enfin, après ce léger contretemps qui ne prit pas plus de cinq minutes, Eric pu repartir arpenter les routes de l'Isère.

Grenoble s'offrait à présent au pare-brise du vénérable percheron du bitume qui s'engageait maintenant en direction de fontaine pour aller se cacher dans ces montagnes verdoyantes surplombant la préfecture pleine de vie en ce jour.

Eric s'engageait maintenant sur Sassenage, mais, concentré sur ses rétros et son chemin, il ne vit pas un panneau jaune au bord de la route. Une côte acceuilla le Renault qui donna toute sa puissance pour la gravir, se contorsionnant dans les virages tant bien que mal. Un kilomètre venait d'être parcouru, le deuxième était bien entamé et le troisième s'annoncait, quand, devant lui, un second panneau jaune se découvrit, indiquant : "Route barrée". Le jeune homme n'en revenait pas, le sort s'acharnait encore contre lui. Malgré tout, il le dépassa pour permettre à l'ensemble articulé de rebrousser chemin afin de passer par St Nizier du moucherotte et Lans en Vercors. Cela rallongeait un petit peu le périple, mais rien de grave.

Retour en direction de Fontaine, nouveau passage dans la civilisation et la circulation fortement touristique en cette période estivale. Devant lui, la même voiture de son père, elle aussi immatriculée en 83, ce qui surprit le jeune homme, mais ne l'empêcha pas de sourire lorsqu'il fut certain que ce n'était pas lui.

Enfin, le bon itinéraire, l'ascension vers le moucherotte, devant lui, le pic des trois pucelle veillait sur le R 340. Le ciel était limpide et pur, dégagé de tout nuage, prédisant une vue magnifique et panoramique sur Grenoble. Le camion mettait tout son coeur dans cette montée infernale, mais un repos de longue durée l'attendait, ce qui devait motiver les explosions sur les têtes de pistons. Jamais de sa vie, il n'avait dû gravir une telle déclivité à cette vitesse qui était une réelle prouesse pour son âge. Malheureusement, cet exploit pour un poid-lourds ne l'était aucunement pour les voitures qui le suivaient ! Alors, quand il pouvait, le jeune homme s'écartait pour laisser filer un maximum de véhicules et reprenait sa procession inlassablement sur le goudron brûlant, cramé par le soleil qui laissait cuire littéralement notre héros à travers le pare-brise, déjà bien en sueur à cause des innombrables efforts qu'il devait livrer contre la mécanique.

L'ancien tremplin olympique se laissait entrevoir à travers les arbres peu avant le village de St Nizier et le pic des trois pucelles montrait désormais une autre facette de son visage.

Une joie indescriptible envahissait peu à peu le jeune homme au fur et à mesure que le restant de parcours s'amenuisait. Son projet voyait enfin le but s'accomplir, des vaches regardaient au loin l'ensemble routier passer dans un bruit du tonnerre, et bien que l'autoradio continuait inlassablement à diffuser les chansons copiées sur la cassette, le garçon ne l'écoutait plus. A Lans-en-Vercors, l'ancienne gare du GVL (Tramway "Grenoble ==> Villars de Lans") depuis longtemps déchue de ses rails vit débouler le R 340 et filer bon train vers le "hangar à foins". Beaucoup de villageois regardèrent passer l'ensemble routier.

Tous ses souvenirs revenaient en mémoire à Eric, tous ces paysages l'ayant vu grandir et faire toutes les bêtises qu'un enfant peut faire à cet âge, le col de l'arc se dessinait à la gauche du vieux Renault, oh, combien de fois le jeune homme l'avait parcouru avec son VTT de long en large, profitant de ses trop chers moments d'insoucience juvénile tant regrété par nombre d'adultes, nostalgique de leur passé.

Villard de Lans, encore quelques petits kilomètres et voilà enfin le terminus loin du centre ville, des regards curieux, et à l'abri des flots de touristes visitant la région tout au long de l'année ainsi que de la neige tombant en hiver !

Eric se précipita pour aller ouvrir le cadenas du portail délimitant l'entrée du terrain familial, il en profita pour ouvrir la grange ou serait entreposé le camion, et retourna au poste de conduite pour ranger le véhicule juste à côté de sa vieille voiture qui allait faire le trajet inverse, sans, nous l'espérons pour notre héros, tous ces petits désagréments ayant pimenté le voyage du poid-lourds.

Mais avant, le jeune homme se reposa un peu, admira une dernière fois son occasionnel compagnon de route, referma la lourde porte de bois et verrouilla la serrure avec l'antique clé qu'il prit soin de dissumuler dans la boîte à gants de la super 5 avant de commencer son retour, les yeux pétillants et l'esprit pleins de souvenirs de cette journée mémorable, qu'il se jura de ne plus recommencer de si tôt. Certes, son action n'était que très peu recommandable, pourtant, notre héros éprouvait de la fierté d'avoir pu mener son projet à bien.

Désormais, l'attente du mois de septembre allait se faire longue pour le futur gérant de la société qu'on lui confieras pour la rentrée scolaire, et il ne manqueras pas de venir, au moins une fois par semaine, rendre visite à son complice de ce sublime enlèvement, et qui sait, peut-être un jour, l'ensemble routier partira se dégourdir bielles et pneus dans les montagnes isèroises l'environnant, mais cette fois-ci, en bonne et dûe forme, avec de nouvelles plaques d'immatriculation, une nouvelle carte grise et un nouveau propriétaire officiel, Eric, bien sûr, mais ça, c'est une autre histoire...

F I N

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