Issu d'une famille de charpentiers, après mes études, je me suis tout naturellement orienté vers les métiers du bâtiment. Jusqu'en 1970 j'ai travaillé comme technico-commercial pour une société de constructions normalisées. A cette époque le préfabriqué a disparu, balayé par le retour en force de la construction traditionnelle. J'ai perdu mon emploi et bénéficiant d'un permis poids lourds passé pendant mon service militaire, j'ai décidé de faire chauffeur… provisoirement. Une période provisoire qui a duré 15 ans.
Pour passer du costard à la blouse à viande, d'un bureau confortable à une cabine de F88, il fallait s'accrocher ! Mais immédiatement j'ai aimé ce métier. D'abord 2 ans de national : Bretagne/Méditerranée en viandes pendues… la belle époque du dépotage, tout sur le dos. Le plaisir ou le désagrément de rouler à deux, beaucoup d'heures de volant, pas ou peu d'autoroute, pas de confort (F 88) mais une ambiance extraordinaire. J'ai appris le métier avec des durs à cuire, commandé par des patrons qui, parce qu'ils nous donnaient carte blanche, ne nous faisaient pas de cadeaux.
Juste un exemple: un dimanche matin à Sète, deuxième client sur 15 dans la semi, j'ouvre les portes… La penderie entière s'est décrochée du plafond et toutes les carcasses sont tombées. J'appelle le boss à Rennes… Sa réponse: "oui et alors ? Tu m'appelles pour que j'aille te donner un coup de main ? Non! Hé ben tu te débrouilles!". Alors je me suis débrouillé et c'était pas une mince affaire. Résultat pas de réserve mais une bonne facture de manutention pour nous aider à relever la penderie et la viande. Je reconnais que la réflexion de mon patron m'a donné envie de baisser les bras mais tout réfléchi, il avait raison. C'était comme ça pour tout le monde à l'époque et fallait faire avec. Aujourd'hui je l'aurais sans doute envoyé promener et à contrario les chauffeurs actuels placés dans le contexte de l'époque auraient certainement assumé eux aussi.