Le BERNARD au banc d’essai au Maroc

Fondée dans les années 1920, la marque des camions Bernard, disparaitra au milieu des années 1950, reprise par la marque americaine MACK. Très appréciée par les routiers de l’époque de la vieille route, la marque était synonyme de prestige et de qualité, un peu comme le SCANIA aujourd’hui.

Jean Dejean, malheureusement emporté par l’âge s’est remémoré son Bernard de l’époque, qu’il avait affectueusement surnommé Rodrigue…

« C’est comme se souvenir de la première fille que l’on a aimé, même si rien ne s’est concrétisé, elle est parée de beaucoup de qualités. »

Jean appuyé contre l’aile de Rodrigue

J’ai commencé à rouler avec des camions US, Dodge, Fargo ou Ford. Je descendais de l’Atlas du bois, du charbon et liège pour 5T de charge utile, on en mettait 8T. Ils etaient assez fiables et cela m’a familiarisé avec les pistes de montagne et les grandes descentes, 8 à 10 km au frein moteur.

Par la suite, je suis rentré à la compagnie des transports marocains ( CTM ), département marchandises et j’ai touché un BERNARD 105cv grande cabine, un bon petit moulin, pas très gourmand et qui fonctionnait avec très peu de pression d’huile. Le matin à froid 4kg, puis 1kg et en haut des longues côtes 500 grammes. je n’ai jamais coulé de bielles. j’ai ensuite été muté à Kenitra et j’y ai pris un 150cv n°872 calandre chromée, tablier de radiateur s’ouvrant par sonde. Comme le thermostat n’existait pas, nous le tenions ouvert avec un bouchon. C’est vrai que pour le climat, il aurait supporté un radiateur plus vaste… Une pompe avec levier permettait de pulveriser du gasoil pour les demarrages à froid. L’accelerateur etait très dur, une paire de sabots auraient été les bien venus. Doté d’un embrayayge multi disques, d’une boite 5 vitesses qui passait bien au régime sans debrayer, mais fragile, surtout en marche arrière, la première quand à elle l’aurait fait monter un mur. Un jour en livrant du ciment avec un autre collègue, alors que je discutais avec le chef de chantier, le camarade m’appela : « Viens voir » , j’y allais… S’étant legerement embourbé, il avait voulu sortir en marche arrière d’un coup sec. Les pignons gisaient sur 3 mètres….. Au démontage, le mécano n’a pas eu de mal, il ne restait que le couvercle.

Les freins, à moitié air comprimé et huile lookid avaient une efficacité très moyenne. Sur les 4 roues, nous avions le « telma » très utile surtout lorsque l’on trainait la belle mère sans freins. Vitesse max 65 à 70 km/h à 1800 tours. Le Bernard avait deux reservoirs de 250 litres et il n’était pas très gourmand.

Les cabines  » Pelpel  » étaient à l’époque de belles cabines semi avancées et à mon gout harmonieuses. il y avait une tablette repliable à droite pour le casse croute ou autre. Capitonnée, la couchette c’était la banquette, on s’en accommodait surtout qu’elle était assez longue….

Le capot avec volets, le plancher ainsi que les portières étaient en tole epaisse, ça ne prenait guère de jeu à l’usure. Les ponts possédaient le réducteur dans les moyeux, j’ai jamais eu de problèmes.

Le Bernard supportait bien la charge, 12 ou 14 tonnes, pas de problème, surtout avec du minerai de plomb à 80%, c’est à dire 15 cm dans la remorque et vogue la galère…

Son utilisation était tout de même très difficile sur les pistes qui étaient souvent des chemins élargis par l’armée ou la legion pour les besoins vers 1900 1910. La poussière soulevée, signalait de loin notre arrivée intempestive. la pluie transformait les pistes en bourbier et on roulait en 1ere, 2eme ou 3eme, quelquefois en 4eme, mais il fallait jongler avec les trous et les bosses. Le Sirocco transformait le bernard en fournaise et dans le sud, c’était les vents de sable, tellement fin que ça rentrait de partout. c’était à se demander si ça rentrait pas dans les boites de conserves. Avec ça, la visibilité etait nulle et quand la neige formaient des congères, à nous la pelle sinon creation de tole ondulée garantie. Là, deux solutions, rouler dessus à 20 km/h ou passer à fond, mais avec de gros risques…. Si sous l’effet du vent une Segia s’était creusée, l’essieu avant avait de grandes chances d’arriver au pont arrière et le « Nanar » était à genoux, c’est arrivé une fois.

C’est vrai que dans ses conditions, avec les tours moteurs et la poussière avalée, et malgré les filtres à huile, arrivés à 150 000 kms, les Bernard avaient fait leurs temps. J’ai fait un agrandissement d’une photo prise au col du ZAD à 2180 mètres, lors d’un retour de Taouz. Lorsque je la regarde, oublié les ennuis, c’est avec les yeux de Chimène que je le contemple mon BERNARD.