LETTRE OUVERTE ...

par Rockregis


"A l'attention de Monsieur Dominique Bussereau; Secrétaire d'Etat chargé des Transports; Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Developpement durable et de la Mer.

Monsieur le Secrétaire d'Etat chargé des Transports,

Conducteur routier depuis 2004 et témoin de la constante dégradation de mon cadre de travail, je m'interroge en voyant avec quelle ardeur les mesures se succèdent ces derniers mois sous couvert de juguler l'insécurité routière. Ici, je veux mettre l'accent sur la recrudescence mais surtout l'incongruité des diverses interdictions imputées aux Poids lourds sur les axes majeurs de notre pays: interdiction de dépasser sur l'A31, report de l'intégralité du transit lyonnais sur la rocade-Est, application définitive des restrictions estivales dans le Col du "Grand Boeuf" (A7), sans compter la manne des projets à venir dont la vitesse de mise en application surprend les plus aguerris.

Je ne remets pas en cause leur prétendue finalité - j'essaie moi-même d'oeuvrer au quotidien pour la sécurité de tous - mais beaucoup de ces restrictions m'apparaissent inadaptées, voir contestables. Aussi j'en viens à penser que notre corporation ne représente que très peu d'influence lors de vos prises de position, et que les droits du Poids Lourd ne pèsent finalement que très peu. Ce qui me pousse à agir en vous contactant, outre le mutisme de mes représentants, c'est ma parfaite incompréhension d'un système qui fustige son propre mode de fonctionnement en ayant parfaitement conscience d'apporter de fausses solutions à de réels problèmes.

Je suis le premier à déplorer - au même titre que le prêcheur le plus affuté des croisades anticamions - le nombre de poids lourds sur les routes françaises et je reconnais qu'il s'avère difficile de faire cohabiter le vacancier et le professionnel sur une même infrastructure. En recadrant sans cesse le champ d'intervention des poids lourds, vous faites illusion de réactivité auprès de l'opinion publique, certes, mais vous savez mieux que moi que vous n'apportez nulle solution au problème de fond...

Bien entendu à l'heure de l'hyper-réactivité politique, on privilégie le coup d'éclat et son impact médiatique indispensable pour remplir les urnes. J'aimerais vous faire comprendre qu'avec la prolifération des obstacles venant enrailler le bon déroulement de leur activité, beaucoup de conducteurs - et j'en suis - en arrivent à préférer braver les interdictions au nom de la bienséance, plutôt que d'en accumuler les conséquenses. Le routier jadis considéré "sympa" devient alors un bandit à honnir. Entendez-moi bien, je ne parle pas ici de ces écervelés fous du volant dont les médias se font l'écho sans vergogne pour abrutir un peu plus la populace. Je parle ici de vous, de moi, et quiconque préférera garder un droit de réserve face à l'incohérence.

Pliez-vous à toutes les mesures en cour et vous verrez à quel point la situation peut s'avérer grotesque: roulez à vide à 30km/h derrière un grumier dans le col du "Grand Boeuf" alors que l'autoroute est déserte; rallongez votre itinéraire de 20 minutes au détriment de votre heure de repos pour traverser Lyon en pleine nuit; abandonnez un itinéraire "logique" de plusieurs centaines de Km car il y a une seule ville interdite aux PL et vous comprendrez facilement la désimplication croissante de mes collègues ainsi que le gel des vocations... Mais peut-être là n'est pas votre souci à l'heure où l'on projete des yeux doux mais scabreux vers une main d'oeuvre "facile", que l'on ne rechigne pas à aller chercher toujours plus à l'Est; aussi permettez-moi l'insolence d'une mise en garde: la cohabitation n'est pas forcément aisée lorsqu'en plus de subir les interdictions sus-mentionnées l'on est exploité et l'on croupit des weekend entiers sur une aire de repos.

Ce qui me contrarie le plus dans ma simple quête de bon-sens, c'est d'apprendre le même jour l'interdiction de dépassement dans le col du "Grand Boeuf" et les derniers résultats du fret-SNCF... Tout est là... Alors, comme pour rassurer la veuve et l'orphelin, on annonce triomphalement la semaine suivante le déblocage de 7 milliards d'euro pour ce même fret-SNCF sous la bannière du grenelle de l'environnement. Bien. 7 Milliards... laché comme ça, dans le poste, ça claque comme un coup de tonnerre... en montant un peu le volume, on apprend que divers projets d'autoroutes ferroviaires vont voir le jour, que des TGV-Fret sont à l'étude pour des traffics inter-aéroports, que des activités non rentables comme le "wagon isolé" vont disparaître... Le tout sous condition de remaniement de la branche - les syndicats étant déjà sur le qui-vive.


La méthode - mainte fois éprouvée - s'avère gratifiante: on occulte les véritables enjeux, on fait une parfaite illusion médiatique à grand coup de chiffres pompeux et termes salvateurs; dès lors, la ménagère - en écoutant d'une oreille - retient: 7 milliards - ferroutage - moins de camion... et le tour est joué! Le gouvernement en ressort grandi et pendant ce temps là, comme ça ça s'accumule sérieusement dans le "Grand Boeuf", il n'y a qu'à gendarmer à tout va.


7, 15 ou 50 Milliards quelle est la différence si l'on ne remet pas fondamentalement en cause un systême économique basé - et je ne vous apprends rien - sur le camion. Il y a quelques années, la filière fret de la SNCF devait connaitre un essort sans pareil avec l'investissement colossal en terme de locomotives... le tout bien sûr sur fond de matracage médiatique, avec l'apparition du nouvel habillage vert des motrices. On en avait beaucoup parlé, sur tous supports (papiers, radio, télévision, internet) et puis la flamme s'est peu à peu épuisée, et puis on a oublié...


Alors que la situation économique de la filière s'enclave dans des profondeurs abyssales jamais explorées, on parle d'autoroutes ferroviaires, un projet qui absorbera une goutte d'eau du traffic pour peu qu'il fonctionne, on parle de TGV-Fret qui désengorgera peut-être les aéroports à défaut de désengorger les routes, et on entend récupérer 25% des échanges de marchandises... Je ne suis pas si optimiste... J'en viens à vous suspecter de véritable schizophrénie, d'autant plus, lorsque j'entends les fonctionnaires du rail avouer l'incapacité de leurs institutions à être compétitives. Aujourd'hui vous avez d'un coté un dinosaure inébranlable et de l'autre un secteur qui tire sa rentabilité dans sa capacité à s'auto-détruire... Déontologiquement cette situation est chaotique. Que trouve alors nos politiciens pour y remèdier? on préfère épuiser le transport routier, quitte à colmater les brèches à grands coups de réformes pas fraîches qui ne font que compacter et ralentir les flux, on préfère oublier que tout en aval de ce mécanisme il y a un chauffeur réduit au statut de mouton servile, et parallèlement on renfloue les comptes du Fret SNCF comme on remplirait un seau percé.

Le jour où l'argent récolté à la pelle dans les péages autoroutiers servira à autre chose qu'à construire des aires de repos payantes; le jour où l'on jugera bon d'étudier des plages horaires aux interdictions; le jour où l'on préférera une politique de prévention à une politique de répression; le jour où l'on enseignera une bribe d'informations concernant notre métier dans les auto-écoles; le jour où l'on ne dressera pas des pelotons entiers de gendarmerie en brigades anti-routier; le jour où l'on cessera de fustiger systématiquement les PL et que l'on prendra en compte les attentes du conducteur...

Ce jour là, vous n'entendrez pas parler de moi, mais pour l'heure je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de ma sincère consternation. Régis Riboulet.

Ce texte sera publié sur fierdetreroutier.com sous forme de lettre ouverte à l'attention de Monsieur Dominique Bussereau; ainsi que son éventuelle réponse."

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