Les chauffeurs de l'Est,

comment sont-ils arrivés...

Mikolaj (suite)

une fiction signée PKW90

 

 

MIKO ET OLENK

Il est déjà tard quand il gare le camion dans la cour. Les enfants sont couchés. Seule Olenka l'attend.

Mikolaj vide son sac de linge, il tend les cartes postales et la petite bouteille de parfum et deux boites de Coca Cola.

Puis, tout au fond du sac, il sort deux petites peluches.

« C'est pour les enfants… » dit-il.

« Merci Miko ! » Dit-elle en l'embrassant.

Il peut enfin s'asseoir dans son vieux fauteuil. Il soupir et se frotte les yeux.

Sa femme, le regarde en serrant son parfum contre elle.

« Alors ? C'est comment ? » Lui demande-elle timidement.

« Eclairé ! » Répond Mikolaj en riant.

Il lui raconte alors la débauche de néons, de lumière.

« Les plus petites ruelles sont éclairées, … toute la nuit ! Et les voitures, il y en a partout ! »

Il parle alors de son voyage pendant de longues minutes. Olenka s'est assise sur l'accoudoir et l'écoute sagement avec des yeux d'écolière.

Miko s'est endormi. Elle part chercher une couverture, le recouvre chaudement et lui caresse les cheveux.

Une semaine plus tard, alors qu'il vient de rentrer de Varsovie, le vieux Marek frappe au carreau.

« Mikolaj, Olenka ? » Crie t-il.

« Entre Marek ! » Lui répond Olenka.

« Non, il faut que ton mari vienne tout de suite au téléphone ! »

Mikolaj sort et après une rapide poignée de main court derrière le vieux Marek.

Tout intimidé, il s'empare délicatement du combiné.

« Allo ? » Pas de réponse…

Marek le regarde en souriant. Il lui prend délicatement le combiné des mains et le retourne.

« Vas-y ! » Lui souffle t-il.

« Allo ? »

« Allo. Je n'ai trouvé que ce moyen pour te joindre. Il me faudrait le même transport que la dernière fois. Toujours en France mais un peu plus loin. Tu pourrais partir quand ? »

« Ben… demain s'il le faut. »

« Disons lundi, le temps de faire les papiers de douane. »

« D'accord ! »

« Je compte sur toi ! A lundi ! »

« Oui, à lundi. »

Il raccroche le téléphone. Puis se tourne vers Marek.

« Je repars en France ! Combien je te dois ? »

« Rien… J'aurais juste besoin d'un petit service ? »

« Tu sais que c'est d'accord d'avance ! »

« Pourrais tu me rapporter une bouteille de vin français et un paquet de ces cigarettes bleues, celles qui ont un casque dessus ? »

« Je vais te trouver ça ! Mais ne sois pas presser… Il me faut le temps d'aller et de revenir. »

« Ca fait depuis la guerre que j'attends, je ne suis plus à une année près… »

En rentrant chez lui, Olenka, inquiète, lui demande ce qui ce passe.

« Nous partons en France lundi ! »

« Nous ???? »

« Oui, toi et moi ! »

« Et les enfants ???? »

« Ta mère pourrait les garder. Elle sera tellement contente. Ils sont trop petits pour faire le voyage. »

En cette magnifique journée de juin, le vieux Saviem est chargé et prêt au départ. Mikolaj a monté un coffre supplémentaire sous la caisse pour ranger leurs affaires. Olenka s'est installée et s'impatiente déjà. Pendant que son mari rempli ses papiers, elle fait l'inventaire du matériel.

Un petit tour de clé et les voilà partis.

Il prend la route habituelle qui l'a conduit jusqu'à la frontière allemande. Le passage de la douane à Görlitz se passe non sans mal. Et c'est en fin d'après midi que nos tourtereaux se retrouvent de l'autre côté.

« Je pense que l'on va rouler toute la nuit. »

« Mais tu ne vas pas dormir ? »

Mikolaj est pressé de lui montrer les lumières de l'Allemagne de l'Ouest. En fait de lumière, Olenka ne verra rien de l'Allemagne, elle dort comme un loir.

Ils traversent l'Allemagne durant la nuit et au petit matin, ils sont sur le parking de la douane d'Ottmarsheim.

Olenka se réveille. Elle s'étire et va faire quelques pas dehors.

« J ‘ai le dos en compote et j'ai mal aux jambes… »

« Marches un peu. Nous avons de l'avance. »

« Où sommes-nous ? » Demande-elle.

« A la frontière française. »

« En France ? » Ses yeux se sont agrandis en prononçant ce mot.

« Bientôt ! C'est juste derrière les bâtiments.» Dit-il en souriant.

Olenka regarde le fleuve derrière elle.

« C'est le Rhin ? »

« Oui…je crois. »

« Mais qu'as tu appris à l'école ? » Dit-elle moqueuse, en se lançant dans un cours magistral sur la géographie d'europe.

« … Continues de réviser ta géographie, la douane vient d'ouvrir j'y vais ! A tout à l'heure !»

Peu après, le SG2 a passé Mulhouse, il se dirige sur Belfort. Olenka regarde le paysage comme si elle voulait le graver à jamais dans sa mémoire.

Peu avant Belfort, il bifurque en direction d'un grand magasin qu'il avait repéré lors de son précédent passage.

« Où vas-tu ? » Demande Olenka.

« Chercher du vin…Pour le vieux Marek… »

Il range soigneusement son engin tout au fond du parking. Puis ils passent de longues minutes à observer les gens qui sortent avec des chariots remplis de victuailles qu'ils s'empressent de charger dans leurs coffres.

« Allons-y. »

Ils traversent le parking et entrent dans l'hypermarché.

Un peu comme deux enfants qui se seraient perdus, ils regardent partout autour d'eux en se tenant par la main.

Ils passent le portillon et ce retrouvent au milieu d'Euromarché.

L'émotion est trop forte pour Olenka. Elle se met à pleurer. Mikolaj la console et l'emmène à travers les allées.

« Miko, qu'est ce c'est ? » Demande t-elle, en essuyant ses larmes, devant le rayon des fruits.

« Regarde la pancarte, des ba…na…nes… »

« Et ça ??? »

« Je ne sais pas… »

Ils font tous les rayons du magasin. Emerveillés par tant de produits. Ils trouvent enfin le rayon des vins et achètent deux bouteilles et en profitent pour faire quelques emplettes.

.

Ils passent à la caisse, et se promettent de revenir au retour.

Après avoir soigneusement emballé les bouteilles dans des chiffons, ils repartent par la RN83.

Mikolaj roule jusqu'à l'entrée de Clerval. Il s'arrête sur un parking au bord du Doubs. Il dort un peu.

Pendant ce temps, Olenka à sorti les victuailles. Elle ouvre le coffre et utilise la porte comme table. Elle sort le petit réchaud, deux tablettes d'alcool qu'elle enflamme, et commence à préparer le repas, qu'ils dévoreront en quelques minutes.

Ils continuent sur la RN83, passent Besançon, et continuent jusqu'à Bourg en Bresse. En passant à Villemotier, il montre à sa femme, où il avait dormi la dernière fois.

« Où allons-nous, c'est grand la France ? »

Mikolaj lui avait caché sa destination pour lui faire une surprise.

« Bon, puisque tu insistes, nous allons vers Arles. »

Elle s'empare de la carte et cherche Arles.

« C'est là ! » Dit-elle toute joyeuse.

« Nous y serons demain. » Lui répond son mari.

Le Saviem traverse les Dombes et arrive en fin d'après midi sur Lyon. Il fait un temps magnifique.

« Olenka, il faut que tu m'aide à trouver les pancartes marquées Marseille.»

« Là Miko, Marseille ! »

Il entame la traversée de Lyon. Inquiet de savoir s'il devra payer le péage.

Ils s'arrêtent sur l'aire de repos vers les raffineries de Feyzin. Et s'installent pour la nuit.

« Nous partirons de bonne heure demain matin. »

Au même moment, à coté d'eux, vient se garer un Daf immatriculé dans le 59. Miko regarde l'engin flambant neuf avec l'air rêveur.

Le chauffeur stoppe son engin, il descend de la cabine et leur lance :

« Bonjour ! »

Ils lui répondent phonétiquement « Bonjour. »

Le chauffeur se dirige vers la station et en passant derrière le SG2, il jette un coup d'œil à la plaque comme le font tous les routiers : Pologne !

Un léger sourire illumine son visage.

Quelques minutes plus tard, il en ressort, tenant trois gobelets de café dans ses grosses mains.

Il s'adresse à eux dans un Polonais parfait :

« Voulez-vous un café ? »

Mikolaj et Olenka n'en croient pas leurs oreilles. Ils bredouillent :

« Oui, c'est gentil…Merci beaucoup. »

André, car c'est son prénom, leur explique qu'il est d'origine polonaise. Ses parents étaient mineurs dans le Nord.

Olenka lui propose de manger avec eux.

« Pourquoi pas ! »

Mikolaj lui demande immédiatement combien il devait payer d'autoroute.

« Rien. Ici, c'est gratuit. Il faut que tu sortes un peu plus loin. Attends, je vais te montrer sur la carte. »

Ils passeront une bonne partie de la soirée à discuter. André leur explique les petites astuces qu'il faut connaître en France. Comme ne pas acheter dans les stations d'autoroute car les prix sont très élevés !

« Je dois trouver des cigarettes avec un casque ? »

« Avec un casque ???? »

« Oui des paquets bleus avec un casque dessus… »

« Ah ! Des gauloises ! »

Mikolaj lui raconte l'histoire du vieux Marek.

« Tu peux m'écrire le nom en Français ? »

« Bien sûr ! »

André lui écrit un texte et lui tend la feuille.

« Tu n'auras qu'à donner ça au bureau de tabac… »

Au petit matin, le petit camion bleu quitte le parking. Olenka a laissé un petit mot sous l'essuie-glace du Daf : Merci pour tout.

Ils longent le Rhône et Mikolaj ne peut s'empêcher, après avoir lu le panneau de dire : 

« C'est le Rhône, ce fleuve ! »

Elle part d'un éclat de rire et lui passe la main dans les cheveux.

Puis ils récupèrent la nationale 7 et continuent leur course vers le sud. Il commence à faire chaud.

Dans l'après midi, ils sont enfin arrivés à destination. C'est un transporteur.

Miko se gare dans la cour de l'entrepôt. Il se dirige vers un cariste ses papiers à la main. Il montre l'adresse, le gars confirme qu'il est au bon endroit et lui indique un bureau.

Par la porte vitrée, il voit une très grande pièce où s'affairent pleins de gens au téléphone. Il frappe… Personne ne lui répond.

Il attend dans le couloir…

Un grand gaillard avec une chemise blanche, téléphone à l'oreille, lui fait signe d'entrer.

« Tu viens livrer ou charger ? »

« … »

Pour toute réponse, Mikolaj lui donne ses papiers.

« Polak ? Hein ? Ok ! Je t'envoie quelqu'un. »

Il raccroche, fait signe à Miko de le suivre et une fois sur le quai, il lui montre où garer son camion. Il hurle :

« José ! Vide le Miroslav !!! »

Cinq minutes plus tard, le SG2 est vide.

Alors qu'il s ‘apprête à repartir, le grand gaillard le rappelle.

« Oh Miroslaw ! Vient voir ! Toi pas avoir gros camion ? »

Mikolaj ne comprend pas.

Le responsable lui montre une photo d'une semi sur le calendrier et lui explique par gestes que s'il avait un plus gros camion, il aurait plus de travail.

« Moi chercher gros camion pour apporter fer de Polska. »

Mikolaj a très bien compris. Il hausse les épaules et prend un air désolé.

« C'est pas grave, si tu en connais, donne leur ma carte. Salut ! »

Miko ressort dans la cour. Il regarde cette carte qu'il essaie de déchiffrer. Il la range précieusement dans son porte feuille, puis ils redémarrent et quitte le transporteur.

Quelques kilomètres plus loin sur la droite, ils déchiffrent l'enseigne un magasin marqué « Tabac ». Il stoppe le camion et ils entrent un peu gênés dans la boutique. Une énorme dame les accueille avec un grand sourire et l'accent chantant des gens du sud.

« Bonjour Messieurs Dames ! »

« Bonjour. » Répondent-ils avec un fort accent.

« Oh ! Peuchère, vous n'êtes pas d'ici vous ?… »

« Po…lo…gne ! » Répond timidement Olenka.

« Vé ! De la Pologne ? Moooon dieu ! Et bé, vous n'êtes pas rentrés ! »

« Et qu'est-ce qu'il leur faut ? »

Olenka tend le papier.

La buraliste chausse ses lunettes et lit : Ils voudraient des gauloises pour un service rendu par un de leur voisin.

Elle rend la feuille, et demande :

« Filtres, ou sans filtres ? »

« … »

« Allez, prenez un paquet de chaque… »

Olenka tend un billet de 20 francs. La dame lui rend la monnaie puis leur dit :

« Té, comme c'est pour un cadeau, je vous en rajoute deux de plus ! C'est pas tout les jours que j'ai des Polonais comme clients !»

Après lui avoir serré longuement la main, en la remerciant, ils ressortent du magasin et reprennent la route.

« Où allons nous maintenant ? » Demande Olenka.

« Surprise….. ! »

Ils refont quelques kilomètres et soudain la mer s ‘offre à eux. Il stoppe le moteur.

« Voilà Olenka, c'est ta surprise ! »

« La mer méditerranée ! Oh merci Miko… »

Ils passeront la soirée assis sur le sable à regarder la mer.

Le lendemain matin, il entreprend de vérifier le camion, il fait les niveaux, regarde si le SG2 n'a pas trop souffert du voyage. Rien à signaler. Le Saviem à tenu le coup.

Olenka en profite pour aller se baigner. Lorsqu'elle revient, Miko est assis contre le pneu arrière. Perdu dans ses pensées, il tient à la main la carte que lui a donné le transporteur.

En s'essuyant les cheveux, elle lui demande :

« Oh Miko ! Il y a un problème ? »

« Il faut que je trouve un camion plus gros … »

 

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