FDR - Carnet de bord
Carnet de bord de Janvier 2015 Partager sur Facebook
  • Photos
  • A75, 2h30
    échoué...
    garonor
  • Vendredi 30 Janvier 2015
  •  


    2h, le réveil sonne. J'entrouvre le rideau : le parking est blanc, mais sans plus, à peine une fine couche dans laquelle je laisse mes traces pour aller attraper un café chez BP. J'interroge le caissier, il n'a pas entendu parler de perturbation. Alors je décide de démarrer ma journée.

    Ça glisse à l'accélération, mais la chaussée est seulement recouverte d'un léger voile blanc. Pour jauger le danger, je fais quelques "tests" sur les premiers tours de roues : j'accélère volontairement fort pour voir si ça tient, je mets des petits coups de volant, je teste le freinage... Je fais une sorte de contrôle technique rapide pour me mettre en confiance.

    Je roule en direction de Saint-Flour. Ça ne se passe pas trop mal. Jusqu'aux abords du viaduc de Garabit où je vois un véritable mur blanc devant moi, et j'entre dedans sans rien comprendre. On est passé de rien, à tout. En quelques secondes : gros flocons, vent latéral, et chaussée toute blanche. Une tempête soudaine comme je n'en ai jamais vu.
    Je dois bien avouer que je flippe un peu : visibilité nulle, le vent qui me pousse au point que je me demande s'il ne va pas verser la remorque, adhérence minimale. Je flippe surtout d'arriver sur un accident, un véhicule en vrac, et le voir au dernier moment.

    Mon cœur tambourine, mes bras sont crispés, j'ai coupé la radio, tous mes sens sont aux aguets.

    (Je dédis ce passage de carnet de bord à la horde de connards qui nous méprisent et nous fustigent lorsque l'on montre des camions dans le décor au JT de TF1)

    L'épaisseur de neige devient conséquente, ça patine de plus en plus. Passé le viaduc la visibilité s'est un peu améliorée. Au loin j'aperçois les feux rouges d'une voiture que je rattrape progressivement, ça m'emmerde autant que ça doit l'emmerder : lui va prendre peur, moi je vais devoir "rompre mon rythme". Car il s'agit de ne pas s'arrêter, sous peine de ne pas pouvoir repartir.

    Doucement, entre 40 et 50 Km/h, ça avance. Jusqu'à cette côte interminable : l'ultime monté du col de la Fageole (1107m). Toujours avec cette bagnole en ligne de mire, je ne peux pas trop prendre d'élan... et du coup je régresse... patine de plus en plus... tombe les vitesses une à une... jusqu'à m'arrêter pour de bon, planté, là, sur ma voie de droite, à une centaine de mètres du sommet. Je balance tous les noms d'oiseaux que je connais (pigeon, hirondelle, poule, autruche, buse, corbeau, renard, étourneaux, rouge gorge, rouge tête, rouge bec, colibri, épervier, moineau, canard, pingouin, phoque, méduse... ils sont tous là)

    Que faire ? Je tente bien de repartir, mais impossible : ça part en crabe direct, il s'agirait de ne pas trop décaler le porteur de la remorque afin de toujours pouvoir m'aligner en marche arrière sans me rapprocher des glissières... difficile à expliquer tout ça, mais il y a un réel risque de se foutre en vrac pour de bon.
    Mon seul espoir : le chasse neige. S'il chasse vraiment la neige, même à côté, je pourrais peut-être repartir.
    J'attends une bonne demi-heure, avec mes warnings, il neige à plein temps. Et puis, enfin, ça clignote derrière moi, il arrive avec deux - trois bagnoles et camions dans son sillage. Le convoi passe sur ma gauche. C'est maintenant qu'il faut opérer : et pas de droit à l'erreur. Profitant de la pente, et m'assurant que personne n'arrive, je laisse reculer l'ensemble en faisant une sorte de créneau sur la voie de gauche. Grosse tension pour cette opération chirurgicale, je m'aligne et appuie avec appréhension sur l'accélérateur. Ça part, tout doucement... mais ça part. Bêtement j'encourage mon camion, comme s'il s'agissait d'un bourricot... c'est ridicule, mais personne ne me voit. Une fois au sommet je le félicite, une petite claque amicale sur la croupe et c'est reparti.

    Me voici donc à nouveau en piste. Passé le col de la Fageole c'est plus facile : quelques coups de cul tout au plus, rien de terrible.
    Et puis la route redevient noire, la température redevient positive, on respire un peu.

    Je passe Clermont, je passe l'Auvergne, et décide de rallier l'A77 via Moulins, itinéraire moins monotone à mon goût.

    A 9h je m'annonce pour 11h à destination. Le client trouve moyen d'exprimer son mécontentement... j'ai une soudaine envie de meurtre. Murcia mercredi 17h30 - St Denis vendredi 11h, avec neige, optimisation maximale dans le respect de tout ce qui est à respecter. Je ne peux pas faire mieux, je suis au max.
    Aussi lorsque j'arrive à 11h05, après avoir bouffé une bonne dose d'embouteillages pour me chauffer définitivement, je lui fais part de mon avis, au type, sans m'énerver, avant même de lui dire bonjour : en gros ça se résume à "si tu veux que j'arrive avant 11h, il fallait juste que je parte de Murcia avant 17h30". Le débat est clos.

    Je décharge à la cité du cinéma, le complexe de Luc Besson. On m'indique d'entrer en marche avant. Une fois au fond, impossible de faire demi-tour. Alors, après une heure sous la neige fondue à me geler les doigts de pieds, il me faut tout refaire en marche arrière, avec passage de la barrière d'entrée à contre main, le top. Une vingtaine de minutes envolées.

    C'est qu'il n'en reste pas lourd : j'ai 8h de volant. Je recharge à Garonor, tout près. Et puis, parce qu'il reste de la place, je rends visite à Pascal, à Gennevilliers où je termine ma journée. Heureusement qu'il y a Pascal d'ailleurs, je me voyais mal couper à Garonor. Ici on est bien, il y a du café, et plein de trucs à se raconter.