Edgardo, routier argentin

Edgardo, un Argentin avec un coeur gros comme ça !

C’est alors que j’étais perdu dans une grosse usine bien pourrie de la région de Barcelone, que j’ai rencontré Edgardo qui m’a renseigné. Une armoire à glace, un type qui force le respect mais qui porte le sourire en permanence comme d’autres portent la casquette ou la moustache. D’emblée, j’ai eu envie de papoter avec lui, et quand il m’a annoncé qu’il était Argentin, j’ai eu plein de questions à lui poser. En pleine période de repli sur soi, chez nous en Europe et de grand retour du racisme le plus malsain, j’ai trouvé ça plutot interessant.

Pour vous brosser le tableau, Edgardo est ce que j’appelle un vrai passionné de transport. Né en Argentine il y a 49 ans, il vit en famille depuis 10 ans en Espagne. Ce jour-là, Edgardo était accompagné de Tomas son garçon d’une douzaine d’année qui n’a pas de souvenir d’Argentine.

Edgardo lui, a débuté comme apprenti routier en accompagnant son père transporteur dès ses 12 ans, puis il a roulé sa bosse au volant de son propre camion en Argentine jusqu’en 2003. Puis un jour, il a décidé de rejoindre l’Espagne. Qu’est ce qui peut pousser un homme à quitter sa terre natale et son univers pour venir en Espagne? En premier lieu, c’est l’insécurité qui règne en Argentine. Si ici on se plaint de la recrudescence des vols, là-bas, les bandits de grand chemin n’hésitent pas à tuer pour voler les cargaisons, le metier est devenu dangereux. La vie n’a pas la même valeur, les gens qui n’ont rien, sont prêts à tout pour s’en sortir. Alors, l’envie de sécurité d’un père de famille, mais aussi l’envie d’améliorer l’ordinaire et d’offrir le meilleur à ses êtres chers, l’Argentine n’offrant que bien peu de perspectives, ils ont quitté leur pays. Après avoir passé un an sans papier et après avoir effectué toutes sortes de petits boulots, Edgardo a pu faire convertir son permis de conduire et enfin retoucher un volant.

Une petite année à faire du frigo en international, et depuis il bosse en national pour une maison de Lugo, au volant d’un Fh12-420. Son salaire est le même qu’un espagnol moyen en national, il tourne autour de 2200€ tout compris. C’est bien entendu pas assez, mais c’est déjà trés bien. Quand on parle de la crise à Edgardo, il rigole immédiatement : Quelle crise ? Mais il y a pas de crise ici ! Les gens arrivent à se payer du pain tous les jours, et dans les champs, la plupart sont encore immigrés, les gens peuvent encore se permettre de « choisir » de ne pas bosser. Les gens ici parlent de crise, mais au fond, ils ne savent pas ce que c’est.
Je n’ai pas pu m’empêcher de demander à mon argentin, ce qu’il pensait du fait que des routiers de l’est venaient en masse s’installer en Espagne pour 2 fois moins de salaire. Interessant le point de vue d’un immigré hispanophone ! Pour lui, même s’il est vrai que ça peut paraitre injuste cette histoire de salaire, c’est quand bien la seule manière pour ces gens là, d’échapper à une vie de misère à Bucarest ou Sofia. C’est leur seule issue, et il est bien conscient qu’un jour peut être il pourrait perdre sa place.

Bien que son intégration dans la société espagnole est facile du fait de la langue, il n’en reste pas moins qu’il est souvent victime de remarques plus ou moins drôles de la part de certains collègues de travail, ou dans son environnement quotidien. Il y a des jours ou c’est supportable, d’autres moins. Malgré tout, Edgardo reste lucide et ne voudrait pour rien au monde retourner vivre en Argentine : « Ici en 10 ans, mon niveau de vie s’est plus amélioré qu’en 40 ans en Argentine ». Il possède un appartement, et n’a pas la boule au ventre au travail… S’il compare sa vie de routier ici, les choses sont differentes, les opérations de chargement et dechargement bien plus rapides, en Argentine, il faut des journées entières car l’administration dans les usines est lente et tatillonne. En International, il faut parfois attendre une semaine en douane, tout le monde se fout de tout, et la corruption est partout. Par contre l’absence de tachy rend la vie du chauffeur plus simple. L’entraide entre chauffeurs n’est pas vaine et souvent nécessaire pour survivre, les chauffeurs restent groupés la plupart du temps, font la route et mangent ensemble. Ici, c’est le tachy qui décide, et les grands voleurs de la route sont plutot ceux qui te plument à coup de 301€ de procès pour des péccadilles. En Argentine, c’est bien moins cher…

Nos chemins se sont séparés sur cette belle leçon d’optimisme et d’humanisme, ça fait du bien par les temps qui courent ! Hasta luego Edgardo !