Par la suite, ayant récupéré mon permis, j'ai gardé mon camion remorque et j'ai commencé à faire de l'Italie. Ce Berliet n'était hélas pas une merveille. La base du moteur étant celle des TR 300, qui avaient la renommée d'user un peu trop de joints de culasse. Le mien n'a pas échappé à la règle, mais il n' y a pas eu que ça, hélas. A chaque tour d'Italie, en montant le Mont Blanc, au Fayet, à un endroit où la montée devenait beaucoup plus raide, la pédale d'embrayage devenait de plus en plus dure, au point de ne plus pouvoir appuyer dessus pour débrayer et changer de vitesse. Cela était systématique, toujours au même endroit. La première fois, je n'avais pas eu le choix, que de caler en pleine côte, et attendre le supposé refroidissement de l'embrayage pour repartir, soit environ une petite demi-heure, cela en plantant tous les autres camions qui arrivaient dans la côte et à qui je coupais l'élan. Par la suite, je descendais une ou deux vitesses, avant d'attaquer cette portion de route, et je pouvais donc grimper sans problèmes, avec ma pédale dure, car malgré le fait d'être sur des rapports inférieurs, le problème persistait, toujours et uniquement à cet endroit. Sur le plat tout redevenait normal, et cela roulait bien. J'ai eu aussi un autre gros problème avec la boite de vitesse, le levier cette fois-ci se bloquait au point mort, lors d'un changement de vitesse, et idem, au bout d'une petite demi-heure, il se débloquait. Je n'ai jamais su pourquoi, mais c'est franchement prenant, surtout quand on se fait bloquer à une heure de la maison. Ce problème avait eu lieu trois ou quatre fois en deux années.

Entre Moulins et Macon, il fallait prendre la route des coteaux, une petite route vallonnée, qui n'avait plus rien à voir, avec celle d'aujourd'hui.

Entre Moulins et Digoin, je me suis retrouvé en haut d'une descente, au cœur de la nuit. Au creux de la descente, il y avait un petit pont, qui avec ses trottoirs, occasionnait un rétrécissement de la chaussée. Puis évidemment la route remontait. Avant de descendre, j'avais vu sur la butte en face, les phares d'un autre camion. Après de rapides calculs et connaissant bien les lieux, ainsi que mon taux de chance en pareil cas, je m'étais dit que nous allions nous croiser sur le petit pont. Comme un con, j'avais descendu à la vitesse normale, et le collègue aussi, certainement. Comme prévu, nous nous étions croisés sur le pont. Nos deux rétros s'étaient rencontrés et avaient fait tilt. Ce ne fût qu'après en repensant à cela que je m'étais dit, que je n'était pas passé loin de la mort, car si les deux rétros s'étaient touchés, le reste des cabines n'était pas passé bien loin. Deux camions qui se rentrent de plein fouet à quatre vingt, c'est la mort assurément.

Au cours d'un voyage en Italie, j'avais emmené ma grand-mère avec moi. Elle avait la forme la mémé, pour son premier voyage à l'étranger. Ce week-end là, nous avions été bloqués en douane à Turin. Elle avait été prise en main par trois autres routiers Français de la région de Nice. Elle était heureuse de son voyage. Ah gast !!! Oui.

Je reviens à la route de l'Italie, pour faire un tour par semaine, ce qui était la norme, il fallait systématiquement, travailler et rouler une journée, passer une nuit blanche complète à rouler et continuer le lendemain. Ensuite, douane à Aoste, soit une demi-journée, puis rouler jusqu'à Vicenza, ou Santa Croce près de Pise. Vider les peaux de vaches le matin. Avec un peu de chance, nous pouvions faire toute la ramasse de carrelages l'après-midi, environ une dizaine de clients, dans la région de Bergamo, puis refaire la douane le lendemain à Aoste, et enfin dédouaner en France, à Cluses en début d'après-midi. Il est évident que le moindre grain de poussière dans ce plan, mettait tout à l'eau et il était courant de se retrouver bloqué un week-end en Italie, soit à cause de la neige, des grèves ou des pannes.

Le centre routier de Cluses, ah la la! Des bâtiments en dur pour les douaniers et les transitaires, mais des préfabriqués pour les chauffeurs. Faisant la ligne régulièrement, une jeune serveuse du restaurant, qui me connaissait, me ramenait à chaque fois un steak frites et un Orangina, dès qu'elle me voyait. J'avais déjà mes habitudes. Peut-être avais-je déjà la cote avec elle, mais j'étais plus intéressé par les motos que par les filles. Pour rentrer de Cluses sur Janzé, près de Rennes, nous devions traverser toute la France, et ce par les routes nationales. Il fallait environ dix sept heures de conduite en direct avec juste un arrêt à Moulins pour reprendre du gas-oil et boire un café quand même. Sinon c'était bien dix sept heures d'affilées. Nous étions des « bêtes », tout cela forge le moral d'un homme.

A Digoin, le soir, il y avait la grande Jacqueline, qui promenait son chien sur le parking des camions. En fait de Jacqueline, c'était le coiffeur du coin qui faisait le travelo la nuit. Ensuite après Digoin, il y avait une route qui passait par les flancs des coteaux et qui rejoignait Mâcon. A Mâcon, passage en plein centre-ville. Nous passions sur un pont pour enjamber la Saône. Fleuve qui a vu plus d'un camion Anglais de très près. Plus loin en effet, il y avait un relais routier, qui servait de point de rencontre pour les routiers d'outre-manche. Certains d'entre eux prenaient des bitures pas possibles, et ils n'arrivaient plus à viser l'entrée du pont.

Après Mâcon, la circulation des camions devenait plus dense. Cette route était commune à tous les routiers Français, Belges, Hollandais qui allaient en Italie. Bourg en Bresse, puis le Cerdon. On abordait alors, les contreforts des Alpes. A partir de ce moment, cela commençait à grimper dur. De plus, dans les virages, ce n'était pas vraiment large, et il ne valait pas mieux croiser des camions à certains endroits, car cela donnait des frayeurs. Surtout pour celui qui descendait et qui de ce fait se trouvait coté précipice. Ce n'était pas le petit muret en pierre qui aurait arrêté un camion. Cela montait, cela descendait et quelques heures plus tard, on se retrouvait à Cluses. Soit à une bonne trentaine de kilomètres du tunnel du Mont Blanc. Donc au centre routier de Cluses, la pause café était quasi obligatoire, histoire de faire souffler le moteur, et aussi le chauffeur. Après Cluses, on attaquait le gros morceau, le Fayet. Très dur et très long. On gravissait tout doucement, en espérant qu'il n'y avait pas une poubelle devant qui se traînait, car il était pratiquement impossible de dépasser, sans prendre de gros risques. C'était un peu comme le Cerdon, mais en pire. C'était ici que plusieurs camions qui descendaient sont tombés dans l'usine en contrebas, à 800 mètres. Un jour un Volvo F88 Anglais, y avait eu le droit aussi. Mais par chance, malgré le fait que c'était un camion Anglais, il avait le volant à gauche. Le chauffeur avait donc sauté sur la route juste avant, et il s'en était tiré avec juste un bras cassé. L'hiver, c'était souvent sur ces portions de routes que nous avions des soucis avec la neige et la glace.

Enfin Chamonix et l'entrée du tunnel. A cette époque, il y en avait pour 350 FRF, pour un passage en camion remorque aller et retour. 11 kilomètres de boyaux, puis la sortie sur l'Italie, et le suspens quant au temps qu'il faisait. Il pouvait très bien avoir de la neige ou de la pluie en France, et un superbe beau temps en Italie, ou l'inverse. C'était vraiment la roulette Russe. Déjà à l'intérieur du tunnel, nous avions un aperçu de ce qui nous attendais en regardant l'état des véhicules que nous croisions. S'ils n'étaient pas couverts de neige, c'était bon signe.

Coté Italien, c'était là aussi des baraquements en préfabriqués. Tampons, papiers, argent pour les taxes, et un délai pour rejoindre le centre de douane d'Aoste, en bas dans la vallée. Dès la sortie du tunnel, la route descendait à pic, mais cette descente était moins dangereuse que celle du coté Français. Il fallait environ trois quarts d'heure pour rejoindre le parking de la douane d'Aoste. Il fallait donc faire attention à ne pas faire chauffer les freins, sinon… Un accident bête était arrivé une fois à un camion des transports Caillot de la Vienne, Le chauffeur descend au frein d'échappement avec un Fiat, (c'était avant les Iveco), et cela en écoutant la radio. A un endroit, il rétrograde une demie vitesse, mais le relais ne passe pas, et il se retrouve en roue libre. Avec le bruit de la radio, il ne s'est pas rendu compte de l'incident et a appuyé de nouveau sur le bouton du frein d'échappement ce qui à eu pour résultat d'éteindre le moteur. Donc plus de moteur, plus de direction assistée en pleine descente avec de l'élan et 24 tonnes qui pousse derrière, il y a eu le droit. Un mort de plus, sans commentaires. Arrivé à Aoste, il faut en général dédouaner. Ou tout au moins, signaler son passage au garde à l'entrée du parking. Ce grand parking, est divisé en plusieurs parcs, sur la droite en rentrant, il y avait celui des visites sanitaires, où nous allions avec la poudre de lait ou les peaux de vaches. En plein été, les peaux étant salées pour la conservation, il y avait un substrat nauséabond qui coulait des remorques. De plus le sel se chargeait d'oxyder les fils électriques, ce qui entraînait souvent des pannes de lumières. Sur le parc sanitaire, il y avait surtout, un défilé de camions Hollandais et Belges de cochons vivants. Souvent des Volvo F88 et F89 ou des 140 Scania. Les gars partaient la veille de Hollande. Ils étaient pied au plancher d'un bout à l'autre, passant par l'autoroute du Nord et Paris, puis par l'autoroute du sud qui était en partie ouverte, 100 / 110 tout le long. Et ils ne dormaient que lorsque la livraison était faite, puis retour à vide en Hollande. Autant dire qu'à Aoste, il y avait en permanence des odeurs de garnitures de frein brûlées avec de la fumée s'échappant des essieux, mais aussi des odeurs de cochons mal lavés. Pas brûlés, mais des fois……ce n'était pas loin. Sur la partie gauche des parkings, il y avait un garage de mécanique poids lourds, Fiat évidemment, c'étaient les seuls garages PL qu'il y avait en Italie. Depuis, cela a bien changé. Un électricien aussi vendait des « klaxons Italiens », qui étaient interdis en France. Puis les bureaux, ceux des douaniers et des transitaires. Un restaurant, et un bar avec des douches. Luxe suprême en Italie en ces temps lointains. Quelques années plus tard, il aura fallu une grève générale des transporteurs Italiens, pour en avoir dans les stations services des autoroutes du pays. Accolé à ce bar, il y avait un petit magasin de souvenirs, remplis entre autres de bouteilles d'alcool, de toutes les couleurs et de toutes les formes.

A cette époque, mentalement, j'étais bien, je roulais et je faisais le métier que je voulais. Mais, il y a toujours un « mais », j'évoluais. Quand je ne faisais que la France, je voyais des camions partir en Italie. Maintenant que je faisais de l'Italie, je voyais des camions faire du Moyen-Orient, (Stouff, Carry international, VIT, Yochum). Je voyais des Anglais aller jusqu'au Pakistan et quelques uns jusqu'en Inde, Bombay, cela donnait envie…..

 

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