J'avais eu l'occasion de faire un tour de Yougoslavie, avec mon 320 Berliet, pour livrer des barres d'acier du coté de Zagreb. Pour moi, cela devenait une vraie expédition, car si pour l'Italie, il y avait des T2 comme documents principaux de douane, pour les pays de l'Est, il fallait « casser » le T2, à Fernetti, refaire une douane passer le cordon TIR et plomber. Ce voyage, s'était bien passé, d'autant plus que je suis revenu à vide jusqu'en Italie pour recharger.
Le virus des grandes expéditions était en moi.
Un jour en discutant avec d'autres chauffeurs, j'avais entendu parler que la Stouff, une grosse société de transports, spécialisée sur le Moyen-Orient, recherchait des chauffeurs. Le siège de l'entreprise étant à Annemasse, en Haute-Savoie, je passais pratiquement devant pour revenir d'Italie. Donc ni une, ni deux, je m'y étais rendu. Les conditions de salaire étaient bonnes, quoique calculées au rendement. A savoir, une prime en fonction du nombre de jours passés à faire un tour complet. Ayant quand même un peu d'expérience du métier, à savoir deux années quand même, je n'avais plus qu'à attendre l'accord définitif. Accord qui n'a pas tardé à arriver à la maison, sous forme d'un télégramme me demandant de les contacter au plus vite. Aussitôt, j'appelle mon patron René Philippe, pour lui dire que j'arrête à la fin de mon tour d'Italie. Hou !!! Il a encore hurlé au téléphone, mais ce n'était pas grave pour moi.
Donc, c'était parti. J'avais mis toutes mes affaires dans la 4L de ma mère. Elle, avait gardée mon cabriolet 204 que j'avais à ce moment. Puis j'ai traversé toute la France avec cette 4L. Le soir j'ai dormi à Pont d'Ain, près de Bourg en Bresse, à l'hôtel de la gare. D'un coté le bruit des trains, de l'autre celui des camions, toute la nuit, bien quoi. Nous étions en Janvier 1976. Moi qui devais avoir un camion remorque, je me suis retrouvé avec un tracteur Magirus 232 attelé à une semi-remorque de location Rentco. Je suis donc monté à vide à Paris avec cet ensemble pour allez charger des tuyaux en plastique pour l'Arabie Saoudite. Dans l'usine, je dois reconnaître que je frimais un peu. Je n'avais évidemment pas dit que c'était mon premier tour, et j'essayais de répondre évasivement aux questions que l'on me posait.
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Manifestement, je changeais de monde. En faisant du Moyen-Orient, je passais dans le camp des durs, des routiers respectés. Au sujet de mon chargement, la douane se faisait au port de Gennevilliers, dans la banlieue parisienne. Je ne sais plus pour qu'elle raison, je me suis retrouvé le vendredi soir bloqué en douane sans mes papiers, sachant que tout serait régularisé le lundi. J'avais donc pris le train pour Vannes, afin de rentrer à la maison. Les voisins, qui étaient au courant de mon nouvel employeur, se sont étonnés de me voir rentrer si vite, car ce n'était pas prévu. Donc le lundi, j'étais de retour dans la capitale. Puis une fois tous les documents en règle, j'ai repris le chemin d'Annemasse, sous la neige, en arrivant dans les Alpes. Il y avait des bouchons dans certains petits villages, à cause de camions en travers de la route. Arrivé au siège, j'ai laissé mon Magirus, pour prendre un Saviem, un SM300, moteur V8 et cette fois en camion remorque. Un petit porteur et une longue remorque avec des petites roues. Exactement le contraire de ce que j'avais avant.
A ce stade de mon récit, je vais vous narrer au présent, un voyage qui relate ma première mission, à l'aller et la dernière au retour. La destination étant la même à savoir Bagdad en Irak.
Mon nouveau Saviem est donc déjà chargé avec de la levure. Papiers, pognon et c'est parti. Destination Bagdad. En partant, j'avais crié de joie. Enfin le rêve se réalisait. Je ne savais pas où j'allais, mais c'était trop tard pour reculer. J'en avais entendu parler de tous ces voyages, des bonnes aventures, des malheurs. Même à la radio, le célèbre Max Meynier de l'émission « Les routiers sont sympas », sur RTL, avait lancé un appel aux auditeurs pour recevoir des dons afin de verser la caution de libération de Gérard Troyes, qui était emprisonné à Téhéran en Iran. Son employeur, originaire de la région de Lorient d'ailleurs, l'avait laissé en plan, avec ses emmerdes. Mais à chaque fois les mecs étaient prêts à repartir, alors pourquoi pas moi ?
J'avais entre les mains, mon premier carnet TIR. Enfin, je pouvais mettre en pratique ce que j'avais appris à l'école.
Après Cluses, je m'arrête à Sallanches, au dernier supermarché Français avant la frontière. Là où je voyais souvent des camions de la Stouff, ou autres qui se ravitaillaient avant de partir pour leurs longs voyages. Cette fois-ci, c'est mon tour. D'ailleurs souvent, dans les revues de transports, il y a eu des reportages sur les caissières du supermarché. Elles reconnaissaient les routiers qui faisaient la ligne. Ils leurs fallaient deux ou trois chariots de victuailles pour avoir assez à boire et à manger pour deux mois. Sans compter les suppléments pour les bakchichs, et les petits trafics. En effet, en Yougoslavie et en Bulgarie, par exemple, le café est hors de prix, quand il y en a. Donc il est bon d'en avoir en réserve pour se faire des amis. En Turquie, ce sont les cigarettes et dans les pays Arabes, la priorité est aux bouquins pornos, malgré leur religion, ils ont des fantasmes ces gens là.
Bon, on y va ? Le Mont Blanc est passé. Point de non retour. Quoiqu'il arrive, il faut y aller, pas de regrets Pompon ? Non, non, on y va, Allah est grand, il me dictera ma conduite. La traversée de l'Italie, je connaissais déjà, donc pas de soucis de ce coté là. Dodo à la frontière Yougoslave. Le matin, douane évidemment. Puis je reprends la route. Il faut deux bonnes journées pour traverser le pays. Les camions locaux sont en général des petits porteurs de marque TATA. Il y a aussi quelques marques européennes en particulier chez Intereuropa, qui est le principal transporteur du pays. Il est inutile de signaler que les routes sont en mauvais état. De toutes façons, dès la frontière passée, on se sent vraiment à l'étranger, dans un autre monde. Le soir, j'arrête dans une sorte de grand hôtel de luxe qui sert de relais routier, ou du moins de restaurant. Sur le parking, comme sur la route, il y a de la neige. Oh ! Pas grand-chose, pas de quoi fouetter un chat. Lors de ma manœuvre, pour bien ranger le camion sur le parking, la remorque monte sur le trottoir. Une roue motrice du porteur est par contre sur une plaque de glace, et comme la remorque a des petites roues, je suis coincé derrière le bord du trottoir. Pas moyen d'avancer ou de reculer. Après de nombreux essais, j'arrive enfin à me sortir tout seul de ce guêpier, mais j'ai eu les boules quand même. Le dernier repas au restaurant était le bien venu, ensuite, ce sera des conserves et encore des conserves.
La Bulgarie, pays de l'Est s'il en est. Tout est gris, fade, d'autant plus que c'est l'hiver. Finalement, ce n'est pas beau à voir. C'est dans ce pays que j'ai ma première vision qui m'a le plus étonnée, à savoir, les pares brises poids lourds en contreplaqué. Cela fait vraiment drôle de croiser un camion avec çà. Ce fut le cas plusieurs fois durant mes voyages. Il s'agit en fait d'une plaque de contre-plaqué, avec un gros trou d'environ trente centimètres de coté au niveau des yeux du conducteur. Cela remplace un pare-brise cassé et d'ailleurs introuvable dans ces régions. De plus il est hors de question de rouler sans pare brise avec des températures de l'ordre de moins vingt. Je pense qu'en France, il est inutile d'essayer de passer aux mines avec çà, ni même de prendre la route. J'ai voulu m'arrêter prendre du gas-oil dans une sorte de station service, mais le pompiste n'a jamais voulu m'en donner. Ce ne sera que plus tard, que j'apprendrais qu'il fallait acheter des bons en rentrant dans le pays. C'est le métier qui rentre, mais ce n'est pas grave, j'en ai assez pour traverser ce pays misérable.
Viens ensuite la Turquie. Je suis à la frontière, la Turquie est devant, mais il faut sortir de Bulgarie avant. Papiers, douanes etc. Encore et toujours. Ensuite pour rentrer dans le no-mans land, il faut passer les roues du camion dans un pédiluve, sorte de fossé, rempli de désinfectant. En cas de périodes relationnelles tendues entre la Turquie et la Bulgarie ce qui était le cas, le pédiluve est obligatoire afin de montrer à la Bulgarie, que les Turcs n'acceptent pas leurs microbes. Si, si c'est vrai. Donc, je passe dans le fameux no-mans land. J'y vois entre autres camions, deux remorques de la Stouff. Il y a un chauffeur Stouff avec un 280 Berliet qui va en Jordanie, et un tractionnaire qui va au Qatar. Le tractionnaire a lui un Magirus 312, aux couleurs, bleue et beige des Transports Coing.
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En fait à cet instant de mon récit, cette rencontre avec le tractionnaire avait eue lieu lors de mon dernier voyage, mais du fait de la miction des deux périodes en une seule pour raconter mon histoire, et étant donné la suite des évènements, je suis obligé d'inclure cette rencontre à l'aller .
Le gars n'a pas le moral, car il est bloqué depuis quelques jours pour une sombre histoire de carnet de passage en douane, qui n'est pas conforme. Etant à son compte, s'il ne roule pas, il ne gagne rien, et dans sa situation, il ne peut rien faire d'autre qu'attendre. Le chauffeur Stouff me guide dans le dédale des douanes Turques. Le hasard fait que nous avons le même transitaire et qui de plus, est une femme qui parle le Français aussi bien que nous. Elle avait fait ses études en France, à Toulouse, voila pourquoi. Nous avons eu le droit au thé de bienvenue. Moi qui d'habitude n'aime pas du tout ça, je l'ai trouvé très bon. D'ailleurs dans tous les pays musulmans que j'ai traversé dans ma carrière, je n'ai jamais eu de complications gastriques en buvant du thé, alors qu'en France, cela me fait gerber aussitôt. Bon cela dit, ou plutôt écris, revenons à la douane. Il nous faut donner tous nos papiers à un gosse d'une dizaine d'années pour qu'il effectue les démarches auprès des douaniers. Il faut avoir confiance, car il s'agit des factures, des carnets TIR et surtout des passeports. Moyennant des bakchichs, ce sont eux qui font toutes les démarches, ce qui leurs permets de se faire des petits salaires afin de nourrir leur famille. A posteriori, je suis certain que les douaniers font partis de leur famille. Au début, cela surprend, on hésite. J'avais déjà entendu parler de ça, mais je croyais à des histoires. La femme qui nous servait de correspondant nous a dit d'avoir confiance. Nous n'avions pas le choix de toutes façons. La preuve, moins d'une heure après, tous les documents étaient validés et nous étions prêts à partir. Je fais la route avec mon collègue, nous arrêtons au Londra Kamping à l'entrée d'Istanbul. C'est un vrai camping, immense avec hôtel restaurant, parking PL. Bref c'est le point de rencontre de tous les routiers européens.
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