Donc j'en étais là, à chercher du travail, voire, à me chercher aussi. J'ai contacté une boite Anglaise (Cadwaller), qui envoyait des camions à Bombay, en Inde. Si j'avais bien compris lors de la conversation téléphonique, ils cherchaient des « aventuriers » de mon espèce. Mais j'ai hésité, à cause de mon anglais. J'étais capable de lire et écrire en Anglais, mais pas de suivre une conversation courante, sans me planter sur beaucoup de mots. Le temps que je réfléchirais à leur signification, mon interlocuteur en serait à la deuxième phrase, d'où un décalage gênant, et qui pourrait être lourd de conséquences. Donc je ne suis pas aller me présenter comme prévu. Tant pis pour moi, et peut-être tant mieux pour mon destin.
Depuis quelques années déjà, mon père était décédé, sans doute de sa cirrhose. Des personnes l'avaient trouvé mort sur les rochers de Damgan. Auparavant, mes parents s'étaient séparés, et la maison que nous avions rue du Champs-Creiss à Damgan avait été vendue. Le jour de la vente, mon père étant en mer, il avait donné au notaire de Muzillac, Maître Duigou une procuration pour racheter la part de ma mère, afin que plus tard, nous ses enfants héritions du bâtiment. A l'occasion d'une magouille du notaire, il n'y a pas d'autre mot, ce fut un collègue de celui-ci qui l'a récupérée pour la somme de 100 000 FRF, une misère à cette époque. De ce fait, ma mère avait donc achetée un autre terrain à Damgan, un mobil homme de dix mètres avec trois chambres salle de bain etc. Ce fut donc notre habitation durant deux ou trois années, le temps de faire une autre maison sur ce terrain. Quelques mois donc après les prouesses du notaire, mon père était mort. A cette époque, j'aurais pu aider ma mère financièrement, mais comme tous jeunes de mon âge, je ne voyais pas ses besoins, et surtout elle ne m'a jamais rien demandé. Elle aurait due m'en parler, aussi, il n'y a pas de honte à çà. Les trois quarts du temps, et même plus, j'étais sur la route, alors je ne voyais pas du tout ce qui se passait. Excuse moi, Maman. Mais tu aurais du m'en parler aussi !!!
Quelques semaines plus tard, j'ai eu des nouvelles de Philippe à Janzé, mon ancien employeur. Il était près à me reprendre. Bon, j'y suis retourné. Mais du coup, je me retrouvais en punition. J'ai donc eu un DAF 250 chevaux, en camion remorque évidemment. C'était la petite cabine DAF, les 2600, avec le pare brise en deux parties et le moteur à l'intérieur de la cabine. Le même principe que mon premier Berliet, mais en mieux fini quand même. Il marchait bien, mais deux cent cinquante chevaux pour traîner trente huit tonnes sur la route de l'Italie, ce n'était pas terrible. Quand je pense que les routiers maintenant veulent des cinq cents chevaux avec wébasto, climatisation, remorque à rideaux etc. ……A cette période, c'était deux cent cinquante chevaux, ridelles et rehausses en acier, avec poteaux en acier. Pour débâcher, il fallait monter sur le faîtage et tirer la bâche. Très physique, surtout l'hiver quand tout est glacé.
Par la suite, j'ai eu droit à un 280 DAF. La cabine était de conception plus moderne, déjà, et basculante de plus. C'était la première base des séries 95 et XF d'aujourd'hui. Toujours en camion remorque avec une petite remorque.
Les chargements par contre avaient évolués. Nous chargions souvent dans les usines Moulinex de Normandie, pour le compte de Barré Ricard à Paris. Destination Milan en Italie, avec dédouanement à la « Dogana centrale », dans le centre ville de Milan. Dédouanement de huit heures à midi et mise en douane de midi à dix sept heures, comme dans toutes les douanes du pays, exceptées celles d'Aoste et deux ou trois autres importantes. Autrement dit, nous pouvions très bien arriver à la douane à onze heures, dédouaner, vider, recharger revenir à seize heure quarante cinq et refaire la douane prêt à partir. Ou alors, arriver à midi et quart. Alors il fallait attendre le lendemain matin pour dédouaner et partir livrer le lendemain après-midi. Déjà une journée de perdue, et si par malheur, on arrivait un peu tard le soir pour remettre en douane, la sortie était pour le lendemain en fin d'après-midi. Soit, carrément deux journées de perdues pour un petit quart d'heure de retard au départ, et pour couronner le tout souvent cela entraînait un week-end passé sur la route.
Dans la boite, il y avait un chauffeur, qui avait une ligne en régulier sur l'Italie. Il partait de Bretagne, descendait à Rome. De Rome, il remontait à Paris et de Paris, il rentrait à la maison. Beaucoup de kilomètres, beaucoup d'heures de volant, mais il avait un 340 DAF, quand même. Qui serait capable de faire çà, toutes les semaines, maintenant ?
Avec ce 280 DAF, j'ai eu quelques petits soucis, dont un qui aurait pu avoir de graves conséquences. En effet, en allant vers l'Italie, aux environs de Nantua dans l'Ain, le volet qui était à l'intérieur de la tuyauterie d'échappement, et qui de fait, faisait office de ralentisseur, s'était bloqué en mauvaise position. Après une rapide réparation avec un bout de fil de fer, j'avais pu repartir, mais ce ralentisseur devenait inefficace. Qu'à cela ne tienne, j'avais un Telma. Au retour, avant de repasser la frontière, c'était au tour de l'alternateur de lâcher. Donc une fois passé le Mt Blanc, il ne me restait que le simple frein à pied pour descendre toutes les Alpes coté Français. Etant bien chargé, je n'avais pas trente six solutions, mais une seule, faire toute la descente en première petite, soit à quatre ou cinq Km/h. Il y avait des bouchons derrière, mais tant pis, les autres camions connaissaient les risques et chacun respectait l'autre. Quoiqu'il en fût, le moindre échauffement des freins, et c'était la chute assurée dans un ravin.
En Italie, j'ai du subir deux attaques, ou plutôt des tentatives qui se sont bien terminées pour moi heureusement.
La première s'était passée la nuit. J'étais en train de dormir dans le DAF, sur le parking d'une station service d'autoroute, vers Bologne. Le chargement, des peaux de vaches pour Santa Croce. En plein sommeil, je suis réveillé par des coups de poings dans la porte de la cabine. Je me lève et regarde par le rideau. Je vois un homme qui me fait signe. Puis il regarde un autre qui devait être vers l'arrière du camion. Soudain, ils sont partis, je supposais que les peaux de vaches ne les intéressaient pas.
La deuxième par contre était plus inquiétante quand même. Je devais charger des téléviseurs dans une usine du centre ville de Milan ou Turin, je ne me souviens plus. L'usine étant immense, et ayant plusieurs entrées, je me gare sur le bord de la rue, je ferme la cabine à clefs, comme toujours, et je vais au poste de garde pour me renseigner. N'étant pas à la bonne porte, je reprends ma route, et à l'intersection suivante, je tourne. J'entends alors des coups de klaxons de la part de voitures. Je m'arrête et que vois-je? Les portes arrières de ma remorque étaient ouvertes. Le temps que j'allais voir le gardien, la remorque avait été visitée et je ne m'étais rendu compte de rien. Heureusement que j'étais à vide. Ensuite lors du chargement, les papiers de douane étaient fait dans l'usine même, et j'avais l'interdiction formelle de m'arrêter en route avant d'avoir passé le tunnel du Mont-Blanc. Inutile de dire, que je n'ai pas traîné ensuite pour revenir en France.
La nuit, sur le bord des autoroutes en Italie, il y avait des feux de camps. Non, non, ce n'était pas des scouts, mais des putes tout simplement.
Comme il y avait des pénuries de billets de banque et de monnaie, il était courant sur les autoroutes Italiennes de recevoir sa monnaie en bonbons, ou en jetons de téléphone. Mais par contre, nous ne pouvions pas payer comme cela, il fallait donner des billets.
A cette époque, la majorité des camions Italiens était des Fiat ou des OM. Les fameux « mille pattes ». Ce surnom venait du nombre d'essieux que les camions avaient. En général, c'étaient des camions remorques avec quatre essieux sur le porteur et quatre sur la remorque. Le plus souvent, en plateau ridelles. Leurs puissances? Disons 200 à 250 chevaux pour les plus puissants. Mais avec des démultiplications de boites de vitesses pas possible.
Souvent, les transporteurs Italiens originaires de Sicile ou du grand sud, remontaient sur le nord de leur pays, avec des chargements tels que, un complet de palettes de briques, d'un bout à l'autre du camion, par dessus trois ou quatre citernes de 8000 litres de vin pleines, et une voiture, ou autre chose. Si bien, qu'il était courant que la charge dépassait allègrement les 70 ou 80 tonnes, d'où l'intérêt du nombre d'essieux. En cas de contrôle, il leur suffisait de payer une fois l'amende de surcharge, et le tour était joué. A ce stade, ces camions plafonnaient à 50 ou 60 Km/h, sur le plat, et les montagnes se gravissaient à 5 ou 10 Km/h. Il était courant de les voir l'été avec la porte entrouverte, pour cause de chaleur, en train de lire le journal en conduisant. C'était à nous de faire attention, car nous arrivions beaucoup plus vite derrière eux