Chez Le Roy, c'était la vie de fonctionnaire, le jour et la nuit. Matériels neufs, lignes régulières, camions bien entretenus, bonne ambiance entre les chauffeurs.

A l'exploitation, il y avait Yakowenko, surnommé Yako. Avec lui, le courant est bien passé dès le premier jour. Mon tracteur était un DAF DKSE 310 chevaux. Il n'y en avait que deux comme ça, sur la cinquantaine de camions, un Renault 310, un Volvo F12, et le reste était des DAF DKTD de 280 chevaux. La majorité des remorques étaient des frigos. Dans les premières semaines, Yako m'avait confié un tour de Yougoslavie. Pour l'entreprise, c'était le premier tour dans ce pays. Quand le P.DG avait su que c'était le nouveau qui allait le faire, il a tiqué, mais Yako l'a rassuré.

J'étais donc parti le dimanche après-midi avec des produits laitiers afin de vider à Seclin dans le nord de la France, le lundi matin. J'avais rechargé à suivre dix tonnes de fromage du coté de Lille. Puis je suis descendu à Chambéry pour le mardi matin, où j'ai complété avec dix autres tonnes. Ensuite douane à chambéry. Traversée de l'Italie et arrivée à Koper en Yougoslavie le jeudi matin dédouanement et livraison l'après midi. Le vendredi, j'avais rechargé des pommes en Italie, près de la frontière Autrichienne, pour Lyon. Au chargement, j'avais compté les cartons et il y avait une bonne dizaine en plus. Mais comme je rentrais de Rennes à la maison en moto, je n'ai pu prendre qu'un seul, car j'avais laissé cette remorque à l'agence de Lyon, et j'étais rentré avec une autre à Rennes pour le dimanche matin.

Par la suite, il y a eu d'autres tours à faire, mais comme j'avais alors une tournée en régulier, d'autres chauffeurs ont fait les voyages suivants, et manifestement personne ne voulait y aller.

Une semaine après mon embauche, un autre chauffeur est rentré aussi. Il s'agissait de Le Cry, un gars de l'agence de Lille. A l'occasion d'une navette de messagerie entre Lille, Caen et Rennes, je l'avais ramené au siège afin qu'il fasse son essai. Essai concluant, et c'était devenu un bon copain.

Au hasard d'un voyage, il m'est arrivé de me retrouver tout bête, au milieu d'un bistrot, avec des consommateurs me regardant comme un animal exotique. J'avais donc chargé une après-midi des cerises dans la région de Montélimar, je crois. En tout les cas, c'étais dans le midi de la France, pour vider le lendemain matin à Lille, dans le nord. Une fois la remorque pleine, je prends l'autoroute à 80 Km/h, comme il se devait chez Le Roy. Au début de la nuit, il commence à faire frais. Puis un peu plus tard, je mets le chauffage. Au bout d'une heure, je pousse un peu le chauffage, et ainsi de suite en roulant. Au petit matin en arrivant pas très loin de chez mon client, j'avise un petit bistrot de campagne, non loin d'un terril. Il va être temps de prendre un petit déjeuner, afin de remettre les idées en place. Chose dite, chose faite, et je me retrouve au bar, avec un très léger T-shirt sur le dos, un short sur les fesses et des sandales au pied. La température au lever du jour dans le nord était de l'ordre de dix degrés environ, et tout le monde dans le bar était avec un pull-over. Ce n'est qu'une petite anecdote, mais qui reste amusante quand on y repense. J'avais alors tellement froid, que je suis vite revenu au camion me changer avant de revenir prendre mon café.

Chez Le Roy, j'ai eu plusieurs tournées. Parmi elles, une qui consistait, le lundi, à faire la ramasse de cartons d'oeufs dans des fermes du Finistère. Quatre ou cinq dépôts avec un fourgon ou un frigo. Donc systématiquement tous les cartons étaient à porter un par un d'un bout à l'autre de la remorque. Bonjour les reins. Il fallait envoyer le tout pour le mardi matin à Strasbourg. Ensuite, je reprenais un autre frigo à l'agence de Strasbourg pour aller en Allemagne livrer de la levure.

Ce fût à l'occasion d'un voyage de ce style, que j'avais emmené ma fille Céline. Elle devait avoir, quatre ou cinq ans. Toute la journée du lundi s'était très bien passée. Le soir, sur l'autoroute, au niveau de La Ferté Bernard, nous nous étions arrêtés manger. En ressortant, il faisait nuit, et nous sommes repartis. Un peu plus loin j'ai entendu Céline pleurer, elle était dans la couchette. Elle avait peur et elle voulait retourner avec sa mère. J'étais mal barré, c'était le moins que l'on puisse dire. Je rappelle qu'il n'y avait pas encore de téléphones portables. Mais heureusement, nous avions le téléphone à la maison. Je m'arrête donc à la station suivante, soit à Luigny. Dans la petite guitoune qui faisait office de resto, j'explique mon cas à la serveuse. Elle appelle sa collègue qui se trouvait de l'autre coté de l'autoroute, afin de savoir, s'il y aurait un camion qui descendrait sur Rennes. Justement, il y en avait un qui était prêt à la prendre. Du coup nous traversons les deux voies de l'autoroute à pied par-dessus les rails de sécurité. J'ai discuté avec le gars. Sa mission était d'envoyer Céline chez Le Roy et pour Jeanne de rejoindre le camion chez Le Roy, au milieu de la nuit. Bon, je n'avais pas le choix, je ne connaissais pas le gars. J'avais donc pris ses coordonnées et les numéros de camion, il fallait faire confiance. Finalement tout s'était bien passé, car j'avais appelé dans le milieu de la nuit à la maison, et tout le monde était rentré à bon port.

J'ai eu aussi, une autre tournée, qui consistait toujours à charger des œufs, mais le vendredi. Puis je rentrais avec le camion à la maison, et je chargeais de la viande de volailles chez Galina à Vannes, pour Chambéry, Grenoble et tous ces coins là. J'emmenais la remorque pour minuit le soir au dépôt de Lyon, où un chauffeur de l'agence de Charbonnières prenait la suite. Puis, les contrats de transports des œufs n'ayant pas été renouvelés, je chargeais directement à Vannes et j'allais livrer tout le reste de la tournée, tout seul. Je faisait ma coupure à Grenoble, une fois vide le mardi matin et je reprenais une remorque au dépôt le mercredi pour rentrer sur Rennes. Ensuite, je faisais du régional sur la Bretagne. Tous les vendredis, je rentrais à la maison avec le camion.

Je me permets un petit encart, afin de signaler que la vitesse chez Le Roy, c'était 80, maximum, autoroute ou pas. D'ailleurs, plusieurs chauffeurs ont été carrément virés à cause de cela.

Au siège de Rennes, il y avait un gardien, Petit Jean. Enfin, gardien était un bien grand mot, c'était un pauvre gars, qui faisait le ménage des bureaux le soir, et qui dormait devant la bouteille la nuit dans le poste de garde. A tel point, que souvent, il fallait entrer dans la cabane ouvrir soi-même la barrière, même les coups de klaxons ne le réveillait pas. De temps en temps, le fameux Le Cry se présentait sous mon nom, et quand j'arrivais après, le gardien ne comprenait plus rien.

«  Mais tu es déjà rentré il y a une heure, et tu n'es pas ressorti !!! »

Il va sans dire, que le cahier de pointage n'avait aucune valeur.

Puis vint la mode des tractionnaires. Chez Le Roy, j'ai été le deuxième à m'y mettre. Le premier était extérieur à l'entreprise. Ce fût là encore un carrefour dans le destin de ma vie, fallait-il se lancer ou pas ? Je l'ai fait.

Dans un premier temps, j'avais commandé chez Le Roy, un tracteur neuf, un DAF 3300 DKX 330 chevaux, et suspension arrière à air, le premier de mes camions à en avoir, quel confort. Je circulais avec les cartes d'autoroutes et de gasoil de chez Le Roy et en fin de mois le décompte était fait. Le résultat était très bon, bien plus qu'une paye de chauffeur.

Pour mon premier tour à mon compte, j'avais été gâté. J'avais chargé un mercredi de la viande congelée à Vannes, pour Alama de Murcia dans le sud de l'Espagne. Je me voyais mal rentré pour le week-end. Ayant chargé le matin, j'ai effectué une petite livraison l'après midi en passant près de Marans, dans les Charentes. Le soir, je devais récupérer une carte de gas-oil auprès d'un chauffeur qui était au centre routier de Bordeaux. Arrivé sur place, il y avait bien la remorque, mais pas le tracteur, le gars était parti en piste. Cela commençait bien pour moi. J'ai donc pris l'autoroute direction Perpignan, où je suis arrivé le jeudi matin. Debout dessus toute la nuit. Je devais dédouaner à la Jonquera, à la frontière. Manque de pot, le T2, était mal rempli et je me suis retrouvé bloqué en douane. J'ai fais appel au chef de l'agence Le Roy Perpignan, un con qui avait été viré par la suite, à ma plus grande joie d'ailleurs. Il a passé le plus clair de la matinée au bar avec un chef de la nouvelle agence de Toulouse qui venait de s'ouvrir. En milieu de l'après-midi je repartais enfin. Il fallait alors dédouaner à Murcia, soit à une quarantaine de kilomètres de chez mon client. Donc le vendredi matin. Le temps de ce dédouanement, j'ai trouvé une banque, qui acceptait ma carte bancaire. Heureusement, car tous mes billets étaient passés dans l'achat de gas-oil. Les stations services ne prenaient pas les cartes bancaires, et je n'avais plus un rond sur moi. Par la suite, j'ai été livrer ma viande, ce qui m'a permis de rencontrer un Français qui travaillait dans l'usine. Il était marié à une Espagnole, et il l'avait suivie. Une fois vide, j'ai téléphoné à l'autre pingouin de l'agence de Perpignan, qui m'a envoyé charger de la litière de chat en palettes, pour Marseille.

Donc résumons : Nous sommes le vendredi soir, je suis dans le sud de l'Espagne, chargé pour Marseille. Et mon week-end? Coincé? Que nenni!! Je dois envoyer cette remorque à l'agence de Cavaillon, et de là en récupérer une autre pour rentrer. Cà, c'est de l'organisation. Au moins c'est agréable de travailler dans des conditions comme çà.

Bon alors, astique Pompon, en plus de ma journée, j'ai roulé toute la nuit, hormis une heure de repos, afin d'arriver le samedi midi à Cavaillon. Je décroche ma remorque et j'en prends une autre qui est chargée de fruits pour le marché de Nantes. Ensuite, debout dessus encore toute la nuit, avec quand même trois heures de sommeil. Je suis arrivé le dimanche matin à la maison. J'ai dormis toute la journée et le dimanche soir, je suis retourné à Nantes pour livrer ma marchandise. Jeanne était venue avec moi, et nous avions été à Quimper pour finir la livraison. Un sacré premier tour. C'était en Juillet 1984.

Par la suite mes autres voyages ont été beaucoup plus conventionnels. Le bilan de fin d'année était très bon. Si bon que j'avais envie de développer mon affaire.

 

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