J'avais eu un contrat avec les Transports Hautière de Rennes, qui roulaient pour les usines de la Régie Renault en France. J'avais donc acheté en plus un Renault R340 avec la cabine Turboliner. Par la même occasion j'avais trouvé mon premier chauffeur, Navarre, un gars célibataire, un costaud, dans les 1m90 avec une carrure… Mais sympa et sérieux. Jamais d'ennuis avec lui. Il avait donc pris ma suite chez Le Roy avec mon DAF. Moi je faisais donc le Renault. C'était très dur à faire, au niveau des heures, mais très rentable aussi. En règle général, je partais tous les dimanche soir pour être le lundi matin chez Renault à Douai dans le Nord de la France. Je vidais la remorque, et j'allais dans une autre usine, l'échanger avec une pleine. Puis il fallait rentrer tard le soir. En arrivant donc, à Rennes, idem, je décroche et je raccroche pour être le lendemain matin dans une usine de la banlieue Parisienne. Et ainsi de suite, tous les jours. On n'arrêtait pas.

Un jour, Navarre téléphone du Portugal, à Jeanne, pour qu'elle lui envoie de l'argent, car sa cabine avait été visitée par des voleurs. Une chose m'avait parue bizarre quand même, c'était qu'il n'y avait que l'argent liquide qui avait disparu, pas les cartes de crédit. Enfin, tant mieux. Ce ne fût que par hasard, quinze ans plus tard, au cours d'un déjeuner avec un ancien collègue qui roulait avec moi chez mon premier patron, et qui se trouvait au Portugal avec mon chauffeur, que je su la vérité. Monsieur avait ramené une pute dans son camion, et elle avait mis des somnifères dans sa bière pour le faire dormir et lui piquer son argent.

Par contre, j'ai eu beaucoup de soucis par la suite. En une année, j'ai eu douze ou treize chauffeurs, et que des emmerdes. Peut-être étais-je trop exigeant, mais quand même! Le premier, Navarre, était le meilleur, et sur tous les autres, je n'ai eu qu'un seul de bon.

Etant donné les problèmes des dépassements d'heures de conduite, chez Hautière, j'avais donc changé de donneur d'ordre. Je roulais donc pour la STAT à Plounevez-Moedec, en frigo. C'était en 1985, et j'étais payé, pour les connaisseurs, à 5.50 FRF du kilomètre compteur, pour le tracteur seulement. Donc c'était très bien, mais le problème était de nouveau les heures, car faisant des fruits au départ de Cavaillon, il aurait fallu un double équipage. De plus, j'habitais à près de trois heures de route de Plounevez, donc automatiquement, c'était trois de plus au départ et à l'arrivée de ma période de travail. J'avais donc pris la décision de prendre un second chauffeur qui serait de la région. Mon nouveau chauffeur, était un jeune des Côtes du Nord. Il venait de se marier et avait besoin d'argent pour payer sa maison, ce qui le motivait.

Voyant que financièrement mon affaire était rentable, j'ai donc acheté un deuxième R340, et un Iveco turbo star 330. Du boulot, il y en avait, pas d'inquiétudes. Des chauffeurs aussi, mais des bons chauffeurs, là, il n'y en avait pas beaucoup.

Ayant mes quatre camions, la SARL Le Brec International était née. J'avais acheté en plus pour moi, un petit Peugeot J9 de 3T5 de PTAC. J'avais dans la tête de faire des petits lots avec et l'avenir me donnera raison. Car arrivant un jour au bureau de fret de Nantes, je me suis fait foutre de ma gueule par les autres routiers qui attendaient depuis plusieurs jours un hypothétique chargement de 25 tonnes. Après le quart d'heure légal qui doit suivre l'inscription, je me pointe au guichet, et j'annonce à la préposée, les trois petits lots que je voulais. Il y en avait pour une tonne et demi en poids, mais la somme des prix de transports annoncés dépassait le montant d'un envoi de 25 tonnes. Allez au revoir messieurs, moi, je suis chargé. En effet, à cette époque, personne ne voulait s'emmerder avec les petits lots, et il y avait alors des affaires en or à se faire. D'ailleurs, aujourd'hui, beaucoup de transporteurs ont compris, et beaucoup ont des petits porteurs pour faire des petits lots. Mais il y a encore de la place au soleil.

Mon second chauffeur, m'a fait embaucher un de ses copains sur le deuxième Renault. Ce nouvel employé, n'était pas une merveille. Un jour sur le parking d'un restaurant, monsieur met le frein de remorque, au lieu de celui de parking. C'est un peu technique, mais il faut savoir que si il y a une fuite d'air dans le circuit de freinage, le frein de parking garde les roues bloquées alors que le frein de remorque faisant office de frein de secours, ne les gardent pas bloquées. D'ailleurs, maintenant, les freins de remorque n'existent plus pour des raisons de sécurité. Donc dans notre cas, le temps que le chauffeur va manger au restaurant, les freins lâchent et l'ensemble recule dans le fossé. Résultat; Il faut faire appel à une grue pour remonter et cela à mes frais, bien entendu.

J'ai eu aussi un autre chauffeur, qui habitait Angers, et qui roulait en traction pour le compte de Dentressangle à Trélazé. Il avait chargé à Nantes pour Angoulême, en début d'après-midi. Il avait donc le temps de descendre tranquillement pour être chez le client le lendemain matin, mais non. Il est rentré chez lui à Angers, et est reparti à quatre heures du matin le lendemain. Le tout sans rien dire. En fin de journée, il avait dépassé son cotas d'heures de conduite, et évidemment, contrôle de gendarmerie et PV, pour le patron, moi.

Dans la série des emmerdements, j'ai eu aussi le cas d'un gars qui avait le Iveco, et qui m'appelle le soir en me disant que le petit bocal du pré filtre à gasoil est cassé. Donc le chauffeur n'avait pas le choix, il devait s'arrêter dormir toute la nuit. Comme par hasard, cela c'était produit à proximité d'un garage. Le lendemain, il en trouve un et m'envoie la facture. Quelques semaines plus tard, je prends le tracteur, et qu'est ce que je vois dans la boite à gants, un bocal tout neuf dans son emballage d'origine. Donc j'en ai déduit, que mon chauffeur n'avait pas envie de rouler cette nuit là, et qu'il avait trouvé une excuse pour pouvoir dormir tranquille. Il avait sans doute honte de l'avouer directement.

Par la suite, il y a eu le cas Santini, Soufflet. Un couple vivant maritalement à Vierzon. Ils avaient été embauchés pour faire des navettes entre l'Italie et l'Angleterre, toujours pour le compte de Dentressangle. Entre autres péripéties qui leurs étaient arrivées, il y en deux que je n'avais pas du tout appréciées. Ils roulaient chacun avec leur camion, enfin les miens quand même, soit un Renault pour Madame, et l'Iveco pour Monsieur.

Un jour sur l'autoroute du Nord, lui avait eu un contrôle de gendarmerie. Au niveau du travail, des heures et des papiers, il n'y avait rien à signaler, tout était en règle. Par contre les pandores lui ont retiré son permis sur le champ. Quelques années au paravent, Santini avait eu un retrait de permis, mais comme il avait changé d'adresse et qu'il ne l'avait pas signalé, il était inscrit dans les fichiers de recherches. Résultat pour moi, je n'avais plus de chauffeur et mon camion se retrouvait tout seul sur l'autoroute du nord avec sa marchandise. Patron démmerde toi, maintenant. De plus, moi je roulais avec mon J9, et le téléphone portable n'existait pas. Donc tous les appels arrivaient à ma femme, dans son salon de coiffure, et c'était à elle de gérer tous les emmerdes, parallèlement à son travail. Elle qui ne connaissait rien au transport, s'était vite mise à la page. Combien de journées de travail de perdues et autant en recettes à cause de tout cela ?

Et ce n'était pas fini. Ensuite c'était au tour de la copine. Un jour elle chargeait dans les Vosges pour la région de Milan en Italie. Une fois vide en Italie, elle devait recharger pour Lyon et de là pour l'Angleterre. Le vendredi elle m'avait appelé pour me dire qu'elle serait bloquée à Lyon le samedi, ayant eue du retard pour des soi disantes raisons douanières. Bref pour des motifs tellement bizarres que j'ai fait mon enquête par la suite. En fait, Madame, en partant des Vosges était rentrée chez elle à Vierzon prendre sa fille avant d'aller en Italie, bonjour les kilomètres en plus pour rien. Evidemment, elle était arrivée en Italie avec une journée de retard et s'était donc retrouvée le samedi à Lyon, sans pouvoir livrer. Qu'à cela ne tienne, au lieu de prendre le train pour rentrer chez elle, elle avait décrochée la remorque et était rentrée en solo à Vierzon. Le lundi, idem dans l'autre sens. Elle avait magouillée le nom de la ville de départ et d'arrivée sur ses disques, ainsi que les kilomètres. Mais elle n'avait pas pensée aux cartes de gasoil, là tout était inscrit, date, heure et lieu de la station. Résultat pour elle, virée aussi. Mais le pire, c'était qu'ils m'ont envoyé aux prud'hommes, elle et son copain, pour licenciement abusif. Comme ils habitaient à Vierzon, c'était le tribunal des prud'hommes de Vierzon, qui était compétant. Il fallait donc, que ce soit nous, qui nous nous déplacions là-bas. Lors de l'audience, nos adversaires qui habitaient à deux cents mètres du tribunal, ne se sont même pas déplacés. Nous avions donc gagnés le procès, mais ce fût encore deux ou trois jours de travail de perdus, sans compter le coût du déplacement.

 

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