Mon calcul était fait depuis longtemps. A cette époque, 1987, une descente en ferraille rapportait environ 5000 FRF, et j'avais 2000 FRF de frais pour le gasoil, les péages, mes repas, et les taxes de douanes. Il me restait donc 3000 FRF, pour le coût du tracteur, de la remorque et les divers frais fixes. Alors que la logique était de faire deux voyages par semaine, aller et retour en charge, j'en faisais trois avec le retour à vide. Beaucoup de kilomètres, mais au bout du compte, une rentabilité accrue. D'ailleurs, plus tard, le fils Duclos, concessionnaire DAF, à qui j'achèterais le 500SSC, était étonné du terme kilométrique que j'avais, et ne comprenais pas que mon affaire était rentable. En fait il vaut mieux faire 15 000 kilomètres à 4 FRF, ce qui fait 60 000 FRF de recette, que 8 000 kilomètres à 6 FRF, qui ne font que 48 000 FRF de recette. Bon, quant aux heures de travail, par contre, il faut fermer les yeux, dans les 100/110 par semaine. Soit :
Lundi matin, chargement sur Lorient. Mardi livraison en Espagne, et mardi soir, vers 23heures, retour à la maison. Mercredi on remet çà, et on rentre le jeudi soir. Vendredi on remet çà et je vidais le samedi matin, pour rentrer le samedi soir. Le dimanche était consacré à faire mes factures et ma comptabilité, ainsi que celle du salon de coiffure de ma tendre épouse. Les vacances? Jamais ou presque, une semaine de temps en temps, quand les usines fermaient en Espagne.
Mes enfants fréquentaient depuis quelques années, la bibliothèque de Noyal. Me souvenant de mon livre « Les Champions du gasoil », j'ai demandé à ma fille de se renseigner, afin de savoir si la responsable pouvait le trouver. Après quelques semaines, j'ai pu enfin l'obtenir, et le relire. Que de souvenirs. Maintenant que j'avais une bonne expérience de la route, je pouvais comprendre tous les termes et expressions, qu'il y avait.
Au début des années 90, il y avait eu un afflux de voyages humanitaires vers la Roumanie. Une association avait alors été crée à Muzillac, à l'initiative de quelques professeurs de collège. Parmi les adhérents, il y avait une cliente de ma femme, Anne Marie Le Bot, qui m'avait contacté, afin de monter un convoi.
Les préparatifs ont été consacrés à des réunions, témoignages, prises de contacts, visites des centres concernés par les dons et par le projet. Cela me changeait un peu du quotidien habituel. Ensuite venait le coté disons technique, qui me concernait. A savoir la location d'une remorque, les demandes d'autorisations de transit et de transports, etc.…
Notre fille, Céline, avait été impliquée dans ces préparatifs, mon épouse aussi dans la mesure où son travail le lui permettait. D'ailleurs, il était prévu qu'elle venait avec moi là bas. C'était d'ailleurs une condition impérative, pour que j'accepte cette mission. Sébastien, lui avait cinq ou six ans, il était donc un peu trop petit, pour vivre l'aventure.
Le voyage étant prévu pour deux semaines, ma volonté était que nos deux enfants, devaient passer ces deux semaines, chez ma mère, à Damgan. Mais, Jeanne ayant sans doute été vexée, exigea qu'ils aillent une semaine, chez sa mère et la seconde semaine, chez la mienne.
Dimanche soir, place de la Poste à Muzillac, c'est le grand jour. Comité de départ, photos, avec un petit groupe de sympathisants. Puis Jeanne et moi, nous montons dans le camion et c'était parti, pour Podue Illuae, près de Iasi, à dix kilomètres de la frontière Russe. Petite pose café, 20 kilomètres plus loin, à Nivillac. Ensuite, dodo au péage de La Gravelle, près de Laval.
Le lendemain matin, nous allons au bureau du péage, où nos tickets gratuit pour les autoroutes Française étaient bien arrivés. Hé oui, pour une fois, je vais pouvoir rouler gratuitement sur les autoroutes, et même passer le tunnel du Mt Blanc gratuitement au retour. La journée du Lundi s'est déroulée normalement, sur l'autoroute d'un bout à l'autre, jusqu'à l'arrivée à Strasbourg le soir.
Le regroupement avec les deux voitures suiveuses du convoi, devait se faire le mardi matin à 8 heures, juste avant de traverser le pont de Kehl, c'est à dire la frontière Allemande. Première déconvenue, ils n'arrivent qu'à 10 heures. Evidemment, n'ayant pas de téléphone portable, nous ne savions pas où ils étaient, et ce qu'il fallait faire. Déjà cela commençait à me prendre la tête. Ces messieurs dames, avaient fait la grasse matinée avant de démarrer, et ils n'avaient pas cachés, qu'ils se sont permis de visiter un peu la ville avant. Ben tiens, il ne faut pas se gêner, nous, on est peut-être en vacances?
Donc, ce mardi matin, passage de la première frontière, et dernier coup de téléphone à notre famille. Déjà les problèmes commençaient, ma fameuse belle-mère (hé oui, je m'excuse mais on va souvent y revenir, sur celle là), qui avait la garde de nos enfants avait déjà commencée à bourrer le crâne de notre fille, en lui répétant pratiquement en permanence, que ses parents ne reviendraient pas, que nous allions mourir, ou que nous les avions abandonnés exprès. Bref tout un tas de conneries dans le même style, avec pour seul but de déstabiliser notre fille. Seb étant trop jeune pour comprendre, c'est Céline qui attrapait tout sur elle. Cela confirmait déjà que Céline était la bête noire de sa grand-mère, une grand-mère bête. Finalement, c'est bien le mot : bête, c'est tout. Notre fille avait déjà téléphonée en cachette à ma mère, pour qu'elle vienne la chercher, avec son frère. Ce qui a d'ailleurs fini par arriver. Mais tous ces détails de l'histoire, nous ne les saurions, qu'à notre retour.
Bon, revenons à notre voyage. Une fois en Allemagne, il est évident que les voitures ne nous ont pas attendues. Nous avons donc continués notre route, seuls, avec du retard en plus. Retard qu'il a fallu rattraper. Le prochain rendez-vous, était pour le lendemain 10 heures à la frontière entre l'Autriche et la Hongrie.
Suite à une conversation, avec un routier Français qui se rendait en Autriche, nous avons passés par un poste frontière situé dans une petite ville, afin de pouvoir traverser plus rapidement. Un peu après, nous avons fait une pose café dans un bistrot local. Le routier Français, qui faisant cette ligne en régulier, amenait toujours un camembert, au père du patron du resto. C'était un ancien de la guerre 40, qui avait été en Normandie, et qui avait apprécié les fromages Français. Depuis un lien d'amitié c'était noué entre eux par l'intermédiaire d'un fromage. Le reste de la route fût banal, tout comme l'est la vie d'un routier. Le soir, après avoir passé Vienne, nous dormons sur l'autoroute. Enfin, dans le camion, qui était garé sur le parking de l'autoroute.
A notre arrivée à la frontière Hongroise, vers 9 heures, personne. On s'y attendait quand même, faut pas rêver. 10 heures, personne. 11 heures, personne. Midi, personne. Enfin, vers midi et quart, les voilà enfin. Depuis le début de la matinée, Jeanne et moi, nous nous relayons pour aller sur la partie du parking réservée aux véhicules de tourisme, afin de voir s'ils arrivaient. Cela commençait à bien faire. Le prochain lieu de regroupement était à la sortie d'une ville de Roumanie, le jeudi matin.
Les passages aux frontières, ne m'ont pas posés trop de problèmes, les bakchichs, sont toujours de vigueur, et les bouteilles de Coca Cola aussi. Ce ne fut que très tard dans la nuit, que nous approchons de la ville étape. Dans le noir, il nous fût très difficile de trouver un parking. Nous avons donc fait la coupure sur le parking d'une grande usine proche de la ville. C'est un petit lampadaire, qui nous avait attirés dans le noir.
Le matin même, vers 8 heures, nous étions en place sur le bord de la route à la sortie de la ville. C'était la dernière étape de notre voyage. 10 heures, 11 heures, on connaît la suite. Pas de téléphone, rien. En regardant une carte routière, je m'aperçois, qu'il y a deux routes possibles pour rejoindre Iasi. Une normale, sur laquelle nous étions, et une route disons touristique, sur laquelle, peut-être eux attendaient. Plusieurs fois, il me venait à l'idée d'aller voir sur l'autre route, si ils y étaient. Mais comment faire? Je n'allais pas laisser Jeanne ici sur le bord seule, dans les cas où ils passeraient ici. De toutes façons, si eux avaient le même raisonnement, ayant deux voitures, ils auraient pus venir voir ici. Mais on en avait tellement marre de les voir faire les touristes, et de perdre notre temps à cause d'eux, que nous sommes partis seuls, vers notre destination.
Environ une cinquantaine de kilomètres avant d'arriver au village de Podue Illuae, nous croisons, une Dacia, qui nous fait des appels de phare. En fait, la Dacia n'est qu'une simple Renault 12 qui est construite en Roumanie, depuis que la Régie Renault, a vendue les chaînes de montage à ce pays. La voiture est passée de la marque Renault, à celle de Dacia. Donc me souvenant de la préparation du voyage, il y avait un couple d'acteurs Roumains, très célèbres dans leur pays, qui était en contact avec la présidente de l'association. Reconnaissant leur voiture, puis peu après en les rencontrant, leurs visages, je m'aperçois qu'en fait ils étaient à la base de ce voyage, chose que nous ne savions même pas. Ne voyant pas de camion arriver à l'heure prévue, et pour cause, nous étions toujours en retard à cause de nos touristes, ils sont venus au devant de nous sur notre route. N'ayant eux non plus pas de nouvelles des voitures, nous les avons suivis, jusqu'à l'école de Podue Illuae, où nous avons reçus un accueil peut-être pas triomphal, mais qui nous a fait chaud au cœur, Jeanne et moi. Une petite heure plus tard, voilà nos touristes qui arrivent. Embrassades etc. Parmi eux, il y en a certains qui ont été vexés d'avoir été devancés par le camion. Je suis sûr qu'ils avaient prévus une entrée en fanfare, filmée et tout, manque de chance, tout est tombé à l'eau. Il nous a fallu quand même ressortir le camion, de la cour de l'école, afin de le filmer, rentrant dans la cour.
Le camion étant sous scellés, un gendarme local, a été chargé de le surveiller toute la nuit, car nous dormions, chez les deux profs de Français qui habitaient à Iasi, soit à une vingtaine de kilomètres de l'école.
Jeanne et moi, avions donc été logés chez Helena, une très jolie femme, très gentille, qui vivait avec son mari, ancien ingénieur, qui hélas avait subit l'explosion de la centrale atomique de Tchernobyl, en Russie, de plein fouet. Cet homme était malade, et décèdera quelques années plus tard. Notre prof, parlait couramment le Français, et cela sans jamais sortir de Roumanie, qu'en lisant et écoutant des cassettes, chapeau, Madame.
La journée du vendredi, fût essentiellement consacrée au déchargement du camion. Ce qui m'avait donné l'occasion d'essayer de discuter avec des gens du pays, sur les avantages et les inconvénients des pays capitalistes. Ce qui est très intéressant, dans ces cas là, c'est le langage pour se faire comprendre, beaucoup de gestes, des mots, d'un peu toutes les langues. Dans les cas les plus limites, il fallait demander le concours des profs de Français, mais elles étaient déjà occupées ailleurs.
Nos touristes, n'étant pas trop pressés de rentrer, nous les avons laissés le dimanche matin. C'est donc, avec la conscience tranquille, du devoir accompli, que ma charmante épouse et moi-même, reprenons le chemin du retour. Afin de voyager un peu nous aussi, il était prévu que nous rentrions par l'Italie. Donc, nous roulons jusqu'à la sortie du territoire Roumain, où arrivant une fois de plus en pleine nuit, nous dormons. Le matin, j'étais parti faire les procédures de sortie du territoire, au poste de douane, Jeanne à la surprise de voir grouiller sur le parking poids lourds une dizaine de gros rats. Il était donc temps pour nous de quitter le coin. La route était la même qu'à l'aller, jusqu'à Budapest, capitale de la Hongrie.
Ensuite ce fût le passage de Hongrie en Yougoslavie, où j'eu la surprise de ma vie, en m'apercevant qu'il y avait des autoroutes en Yougoslavie, des vraies comme en France, et gratuites en plus. Bon pas partout, d'accord. Mais il y en avait au moins une sur notre route. L'entrée dans le pays, a donnée lieu aussi à un transfert d'argent au poste de change. Là, je n'avais rien compris, j'avais des billets de 1 ou 2 Dinars, et d'autres de 100 et 500 000 Dinars. Je savais qu'il y avait une inflation terrible, mais quand même. Sur l'autoroute, nous avions mangés au restaurant. Enfin, un repas normal. Du coup nous ne savions pas pour quel prix nous avons mangé, mais le principal était de revenir un peu dans la civilisation.
Ensuite l'étape suivante a été très rapide. Etant à vide les passages aux frontières n'étaient qu'une simple formalité. Traversée de l'Italie, les doigts dans le nez. Mt Blanc, gratos. Nous arrivons le soir, vers Nantua, dans l'Ain. Dans un relais routier, nous trouvons une chambre de libre. Super, une bonne douche, un bon steak frites, enfin nous revoilà au pays. Il ne restait plus qu'une étape à faire, et nous étions à la maison. Mission terminée, chef !!!