Maintenant, qu'il y a prescription, et suite à cette aventure, je dis bien suite, donc après ce fameux contrôle, j'ai vraiment cherché à le bricoler, plus par défi que par besoin. Et j'ai fini par trouver le truc imparable. J'avais donc réussi à neutraliser le limiteur de vitesse, mais je continuais malgré tout à rouler à 80, comme d'habitude. Le respect du code de la route est une de mes priorités, mais le respect du social, en ce qui me concerne personnellement est une infamie pour moi, mais ne l'était pas pour mes chauffeurs. Donc sur ce Renault, le capteur de vitesse était optique et branché sur la boite de vitesses. En gros un pignon de la boite tourne devant le capteur, et en fonction de sa vitesse de rotation, le capteur, calculait la vitesse du camion, et les données étaient transmises au mouchard. La solution était donc de brancher en parallèle un deuxième lecteur optique devant lequel rien ne devait passer. En rajoutant tout un système d'interrupteurs et de voyants lumineux, j'avais trouvé la solution. Le tout planqué dans le capitonnage de la cabine, c'était discret et même invisible, car même au garage aucun mécano, ne s'en était aperçu. Seuls les dix interrupteurs étaient visibles, mais comme à coté, il y avait ceux du four, de la TV, du magnétoscope et du frigo, tout paraissait normal. Dans une position, le capteur marchait normalement, et en inversant certains boutons, dans un ordre précis, l'alimentation en gasoil fonctionnait, mais le tachygraphe restait en position repos. En cas de contrôle à ce moment précis, il suffisait d'annoncer que le mouchard était en panne.
La benne commençant à être usée, j'ai donc acheté un autre plateau ridelles à la Sami. J'avais coupé toute la partie haute de la remorque, qui se trouvait au dessus des ridelles, et fais mettre un plancher en tôle d'acier au fond. Depuis longtemps déjà la principale ferraille que je chargeais était du « 50 étamé ». Car les ferrailles sont classées en plusieurs catégories en fonction de leurs formes, de leur densité, etc. Le 50 étamé, c'était les chutes des feuilles de métal à partir desquelles les boites de conserves étaient faites. C'était de la bonne marchandise, relativement dense, donc ne prenant pas trop de place, quoique les boites vides loupées elles, prenaient de la place. De plus en vidant, cela n'abîmait pas les remorques, à l'instar de la « DI », (démolition industrielle), qui se composait de morceaux de poutrelles acier et des ponts de camions. Donc avec ma savoyarde, je pouvais enfin charger des ardoises en retour. J'étais connu et cela avait commencé par un ou deux retours par mois, puis un peu plus, petit à petit, mais c'était dur et long pour en avoir. Par contre, les usines Espagnoles acceptant les plateaux ridelles, devenaient de plus en plus rares. A une certaine période, il fallait envisager l'achat, d'une benne palettisable. Une benne, oui, mais pas avec un moteur électrique, les Espagnols n'en voulaient plus, car elles mettaient trop de temps à monter.
C'est alors, que je suis retourné à la SAMI à Sautron, qui était concessionnaire Kayser, afin de prendre des renseignements sur une remorque neuve. J'ai donc expliqué mon projet au représentant. C'est alors, qu'il me dit, que j'avais un collègue qui faisait de la ferraille aussi, qui venait de commander une remorque sur mesure.14 mètres de long, palettisable, hauteur, épaisseurs des parois et du plancher spécifiques, marque d'essieux, porte roues etc.. Le tout pour 330 000 FRF. Malgré une longueur importante, et connaissant le maniaque que c'était, j'ai commandé la même, sans chercher à discuter. Certainement, qu'il avait de bonnes raisons de faire comme cela. D'ailleurs, quand il avait été chercher sa remorque à Longuyon, près du Luxembourg, il l'avait ramenée tout de suite chez le concessionnaire et il l'avait laissée deux mois sans y toucher parce que les jantes en alu qu'il avait demandées n'étaient pas de la bonne marque. Le garage avait du céder, et il avait eu ses jantes.
L'usine étant donc près du Luxembourg, la réception de ma remorque fut l'occasion d'un petit voyage avec mon fidèle compagnon de route, mon fils, Sébastien. C'était en 1995, il avait un peu plus de neuf ans.
Avec cette remorque, le travail fut un véritable plaisir. D'autant plus que le nombre de voyages hebdomadaires était redescendu à deux, car non seulement, je rechargeais des ardoises, mais je respectais les temps de conduite, ce qui était un exploit pour moi, qui avait été « élevé » à l'ancienne. Etant un peu maso, de temps en temps, quand même, je faisais un troisième tour, histoire principalement de tirer une nuit complète, et accessoirement d'arrondir les fins de mois.
Puis un lundi après-midi, après avoir chargé à Redon, de la ferraille, j'ai décidé de rentrer à la maison et de ne repartir en Espagne que le mardi matin. J'ai donc appelé à la maison, où j'ai prévenu mon fils que je rentrais, et j'ai donc repris la route. Dans la série de virages, à la Boucelaye, sur la commune d'Allaire, il y en un qui était limité à 50. Par la suite, au vu du disque, je l'avais pris à 40. Je m'aperçois, à la sortie de ce virage, que la direction devient dure, bizarre. Je regarde machinalement dans le rétro de droite, et je vois la remorque qui se soulève. Je me revois crier « Maman, on chavire », mais cela n'a rien changé. C'est donc la deuxième fois, que j'appelle machinalement ma mère, la première étant lors de mon accident en Bulgarie. Après ce cri de détresse, plus rien, coma. Je ne me souviens plus de rien, et je me suis réveillé à l'hôpital de Redon, en me demandant ce que je faisais là. Durant ce coma, j'ai eu deux visions quand même, celle d'une tête frisée d'un pompier, dans l'ambulance, et celle de ma femme et ma fille à l'hôpital. J'avais un mal de reins terrible et j'ai vraiment eu peur de rester paralysé, d'autant plus que j'avais non seulement interdiction de me lever, mais aussi celle de bouger dans mon lit, tant que les résultats des analyses et des radios, n'étaient pas revenus favorables. Au bout de quelques jours, j'ai su que je n'avais rien et j'ai pu commencer à essayer de me lever et de marcher. C'était très dur, et j'ai vraiment forcé sur la souffrance pour arriver à remarcher. Aujourd'hui encore, j'ai des séquelles d'ordre musculaires dans les bras et les jambes. Quelques années plus tard, j'ai du me faire opérer d'un genou, et par moment, mes mains « lâchent », ce qu'elles tiennent. Enfin je fais avec. Pendant le temps de mon hospitalisation, deux frères de Jeanne, ont supervisés le dégagement du camion et de sa marchandise. Je les en remercie encore, mais avec le recul, je pense que c'est pour leur soeur qu'ils l'ont fait et non pour leur beauf.
Toujours est-il, que le tracteur était bousillé et devait partir en épave. La remorque quant à elle était neuve, environ deux ou trois semaines c'est tout. Elle avait tout le côté gauche à changer. Là où il y avait un gros, un très gros problème, c'est que les boudins de la suspension de la remorque étaient à plat. Il y avait donc eu une fuite d'air sur ce circuit, et c'était j'en était sûr la cause de mon accident. Par chance, il n'y avait personne qui venait en face. Donc suite à cette supposition, j'ai fais venir un avocat, un huissier, et en présence d'ingénieurs des chez Kayser et de chez Dunlop, le fabricant des suspension. Tous venus exprès pour assister au démontage des six boudins, nous avons vus que les boulons qui étaient à l'intérieur et qui fixaient les boudins sur leurs supports étaient carrément dévissés. L'air pouvait s'échapper par là sans problème. De suite la responsabilité du constructeur, devenait flagrante. Nous étions en Juin, et la période des congés arrivait, la remorque devait repartir à l'usine pour être refaite. Comme elle était faite sur mesure, comme celle de mon collègue, il n'y avait pas d'éléments standard pour la refaire avant le mois d'août. Un accord avait donc été passé entre Monsieur Convenant, patron de la Sami, et les ingénieurs, banquiers, et diverses personnes concernées, stipulant qu'ils me faciliteraient le financement d'un tracteur neuf, si je retirais ma plainte, et si tout ce passerait à l'amiable. Dans le cas contraire, ils m'ont bien fait comprendre, qu'indépendamment de la difficulté à trouver un financement, ils pouvaient bloquer la réparation de la remorque, pendant les quelques mois, voire les quelques années que pourrait durer la procédure judiciaire. Cette réunion avait été pour le moins mouvementée, et la présence de ma fille qui était là, m'avait sans doute retenue d'en arriver aux mains avec un représentant régional de chez Kayser, un col blanc, qui n'avait jamais posé le cul dans un camion. Le tracteur neuf, fut donc un DAF 500 SSC, le haut de gamme de chez DAF, avec un moteur Américain, Cummins de 500 chevaux. Ce fut le premier que Duclos vendait. Son coût était de 570 000 FRF hors taxes, comme tous les prix énoncés ici, voilà, je n'ai rien à cacher, cela me faisait donc un ensemble à 900 000 FRF à payer en quatre années. Mais en l'attendant, il fallait travailler. J'ai donc repris ma vieille savoyarde et Duclos m'avais prêté un vieux tracteur DAF tout crasseux, qui sentait plus la pisse, que le frais. Il y avait d'ailleurs des vielles chaussettes qui traînaient dans les couchettes. J'avais donc passé tout l'été à faire mes tours d'Espagne avec çà, en pleine chaleur. Céline ma fille, m'avait accompagnée, sur tous les tours durant ses vacances scolaires. Elle n'en avait loupée aucun. Heureusement qu'elle était là, car je pense que j'aurais tout arrêté, tellement j'en avais marre de tous ces problèmes, qui me tombaient dessus depuis que j'étais marié. C'est vrai qu'elle était dans une école de routier, mais elle n'avait pas encore son permis, elle n'était que passagère. Sa présence me faisait du bien. Cela démontrait qu'elle aimait un peu son père quand même, alors que moi je n'étais sans doute pas là, pour m'occuper d'elle dans sa jeunesse.