Ensuite, direction le commissariat de police de Vannes, pour les dépositions officielles et dodo dans une cellule de ce commissariat. Un banc et deux couvertures, comme en Bulgarie, triste retour des choses. Et les flics qui faisaient exprès de faire du bruit dans le couloir. Le lendemain matin, on remet ça, interrogatoires et dépositions. Puis je suis conduis au tribunal, devant le juge d'instruction Monsieur Seys. D'après lui je fraudais pour alimenter un réseau de la mafia internationale, il m'avait fait tout un cinéma, en me posant sans cesse, la même question, « Où étais passé l'argent ? ». Ma réponse était, et avait été toujours la même, l'argent était passé dans l'entreprise, ils avaient les documents comptables, ils n'avaient qu'à refaire la comptabilité, un point c'est tout. Toujours est-il que le procureur avait son mot à mettre et il fut le même que celui du juge, la prison.
Ce fut très dur à entendre, ce n'était pas possible, et pourtant si, c'était vrai, j'allais en prison préventive. La préventive, c'est des doutes, des peurs, de l'attente, l'impression que tout s'est arrêté. Car si on sait quand on y rentre, on ne sait pas quand on sort. Quoiqu'il arrive dans la famille, la décision de sortie est due au bon vouloir du juge. Là c'était ma vie qui défilait en mémoire. Où était donc la faille, qui m'avait fait plonger ?
Une fois passé la porte principale de la prison, j'entre dans une cour assez grande. A droite, il y a des bureaux, en face un atelier, et sur la gauche l'entrée principale. Dans la première partie du couloir, il y a les bureaux des gardiens, du greffe et du directeur. Il y a aussi dans le couloir une grosse porte qui ferme à clefs, une porte impressionnante, qui s'est ouverte pour moi. Une fois refermée, je savais que j'étais officiellement un prisonnier. Je suis monté au deuxième étage et on m'a fait entrer dans une petite cellule désuète où se trouvait un jeune d'une vingtaine d'année. Pascal était là pour quelques semaines, suite à des vols mineurs. C'était un habitué de la maison, il connaissait tous les rouages de l'administration, et régulièrement, il venait faire des « stages » ici.
La cellule fait environ deux mètres de large sur quatre de long, un lit à étage, un petit lavabo, une cuvette de wc, ainsi que quelques étagères bricolées. Il y a aussi une petite fenêtre avec des barreaux, elle donnait sur une cour où avait lieu les promenades, une heure par jour. Les premiers jours ont été difficiles moralement, c'est le moins que l'on puisse dire. Souvent j'ai regretté d'être marié et d'avoir des enfants. Non pas par égoïsme, mais par ce que je leur infligeais, des peines inutiles, par ma faute.
Au bout de trois semaines, mon collègue de chambrée est sorti, je me suis retrouvé pendant quelques jours, seul. Ensuite, j'ai changé d'appartement, j'ai alors été dans des bâtiments plus récents donnant sur le collège Jules Simon. La situation était la même, mais au moins je voyais un peu plus d'animation par la fenêtre. Dans cette deuxième chambre, je me suis retrouvé avec un escroc international, un Canadien.
Au bout de deux mois environ, j'ai appris que la demande de libération conditionnelle présentée par mon avocat avait été acceptée et moyennant le versement d'une caution, je pouvais enfin sortir. Donc en deux mois de cabane, j'avais eu des adresses pour avoir des téléphones volés, du sheet, de la drogue etc. avec mon premier collègue. Avec le second, j'avais toutes les combines pour avoir des faux passeports etc. Quand on entend dire que la prison est l'école de la délinquance, c'est bien vrai. Un gars qui entre ici avec un faible niveau intellectuel, et sans trop de volonté, en ressort en devenant un délinquant pour la vie. Et il y en a plein de gars comme cela ici. J'ai l'impression, que la justice en fait son fond de commerce, car en les remettant une quinzaine ou une vingtaine de fois en prison, les juges doivent bien savoir qu'il y a des problèmes de réinsertions quand même. Mais je crois que la justice et tous ceux qui se greffent autour, en particulier les avocats et les huissiers, ne visent qu'un seul objectif, leurs petits commerces personnels, les délinquants, ils s'en foutent royalement.
J'avais à l'occasion commencer à écrire mon premier journal intime, sur mes pensées, jour après jour. C'était à ce moment qu'était né le projet d'écrire ce livre, sur ma vie. Mais seulement lorsque toute mon affaire serait terminée, afin de relater toutes mes aventures, et surtout les conséquences de mon arrestation.
Pendant la période de mon incarcération, tous mes véhicules ont été mis sous scellés, la voiture, le camion, la remorque neuve, qui n'avait rien à voir dans mon histoire, mais pas mon trike. Le trike, je l'avais vendu au début de l'été, afin de le remplacer par un nouveau modèle. Mais vu la tournure des événements, ma commande avait été annulée vite fait. Ma grue aussi, avait eu le droit. Elle était à Nantes au garage, et de ce fait, elle y est restée. Etant donné qu'elle n'avait pas de carte grise, je me suis toujours demandé, comment les services fiscaux avaient su que j'en avais une, et où elle était. A mon avis, il y avait bien une dénonciation quelque part.
Dans mon affaire, je n'ai jamais entendu parler du comptable. Il ne m'a jamais envoyé de factures, il n'a jamais été entendu par le juge, rien à son sujet. Pourtant, il avait eu lui aussi tous les documents, et de plus il les avait avalisés.
Près de deux mois après mon incarcération, je m'en suis sorti une fois de plus grâce à ma mère. Il y avait une caution de 100 000 FRF à payer. C'est elle qui l'avait sortie de son compte, afin de me libérer. Entre autres obligations, je devais pointer à la gendarmerie de Muzillac tous les premiers lundi de chaque mois, et j'avais aussi, une interdiction de sortie du territoire Français, le tout en attendant mon procès. Par la suite, je me suis aperçu que sans ma mère, j'y serais encore en prison. Ce n'est pas ma belle famille, qui nous aurait prêtée cet argent. Ils font pourtant partie des personnes les plus fortunées du canton. Ils n'auraient pas levés le petit doigt pour moi. Au contraire, dans les jours qui ont suivis, tout Damgan et Noyal, était au courant de mon histoire, et savait que j'étais en prison. Les rumeurs allaient bon train, drogue, alcool, trafic d'armes, de femmes, les paroles les plus folles ont été débitées sur mon compte. Bref, les mêmes conneries qui étaient écrites sur les lettres anonymes que ma mère recevait depuis des années. Sachant qu'hormis mon épouse et sa mère, personne n'était au courant de mon nouveau lieu de villégiature, le cercle des auteurs potentiels des lettres anonymes et des fouteurs de merde se refermait. Même les camarades d'école de Céline, qu'elle avait connue à Pont l'Abbé dans le Finistère, étaient au courant. Il faut dire que dans son école, il y avait un certain Le Pallec, originaire de Muzillac, dont le père qui me connaissait, avait de bonnes relations avec la fameuse tante de mon épouse, donc la sœur de sa mère.
Comme prévu, lors de mon incarcération, j'ai pu acheter un petit camion en sortant, un Iveco Daily de 3T5. Je l'ai eu pour Noël, hé oui ! Comme j'avais gardé ma licence de transport, pas de problèmes. Armé de mon ordinateur portable, ainsi que de mon téléphone portable, (qui remarchait très bien, d'ailleurs), je pouvais avoir le minitel dans le camion, et donc avoir les bourses de fret, afin de trouver du fret en permanence. La vente de mon trike, m'avait alors permis d'avoir un petit pécule, qui me servait de fond de roulement. Car le jour de mon incarcération, tous mes comptes bancaires avaient été bloqués et saisis par le fisc.