Puis vint enfin la date de convocation pour mon procès, le 16 Mai 2002. Une semaine avant, lors d'une discussion avec Jeanne, elle me demandait pour la énième fois, d'arrêter la route, de redevenir salarié afin de rentrer le soir à la maison et vivre plus sereinement notre vie de couple. Notre fille Céline, étant partie de la maison, elle vie avec son copain Yannick. Sébastien devant rentrer en pension dans une école de routier aussi, au mois de Septembre, Jeanne serait toute seule en permanence à la maison, si je n'étais pas là. Etant décidé à lui faire plaisir, je me suis souvenu qu'au mois de Février, soit trois mois avant, j'avais vu une annonce dans le journal, comme quoi les Transports Dejan de Vannes cherchaient un chauffeur. Je me souvenais de l'annonce, car je savais que l'entreprise était ancienne et de bonne renommée. Donc j'appelle, mais honnêtement, sans grandes convictions. La chance me souriait, car la place était toujours libre. Après avoir fait à la hâte un CV, sur l'ordinateur, je prends la voiture, pour me présenter.

Pas de problèmes pour l'embauche. Par contre ma convocation au tribunal était pour le lendemain, et je n'ai rien dit à mes futurs employeurs, car je pensais avoir une peine de prison de deux mois, ceux que j'avais déjà fait, et quelques autres avec sursis. Enfin quelque chose qui ne m'empêcherait pas de travailler. J'étais très confiant sur le verdict.

Ce fut donc très confiant que je me suis présenté devant les juges. Lors de ce procès, j'ai été sidéré par les propos de la Présidente, qui me trouvait trop intelligent pour un routier. Idem pour les représentants du fisc, qui ont failli ne rien voir dans ma comptabilité frauduleuse. Pourtant, je dois être encore plus intelligent qu'ils ne le croient, car les failles qu'ils avaient vues, je les connaissais et je savais comment faire pour les effacer. J'ai d'ailleurs même été félicité en public par le représentant du fisc, pour la qualité de ma fraude. S'ils savaient tout, ils auraient sans doute eu une autre appréciation de moi. Avec la substitut du Procureur, on frisait le folklore. Elle s'étonnait que j'avais près de 20 000 FRF de gasoil par mois. Sachant qu'un camion consomme environ 35 à 40 litres au cent, et que je faisais dans les 10 à 12 000 kilomètres mensuels, j'avais donc dans les 4500 litres à acheter. Le prix du litre étant autour des 5 FRF, on voit bien que les sommes déclarées sont loin d'être fantaisistes. Manifestement, le procès était orienté, et le verdict était sans doute prévu d'avance. Le Procureur demandait à l'issue du procès, quatre ans de prison ferme. Dingue. Ma fille qui était avec Jeanne dans la salle était en pleurs. Les juges se sont retirés, pour délibérer, et le résultat définitif est devenu, 15 mois fermes et 33 mois avec sursis. Les journalistes qui étaient là en permanence, se sont donnés à cœur joie. Devant l'ampleur de l'affaire, celui de Ouest France n'avait pas traîné pour appeler sa rédaction, afin d'avoir la Une du journal le lendemain. Donc j'ai eu droit aux gros titres, avec mon nom, mon adresse, la totale, quoi. Au moins les gens de Noyal seraient au courant.

Pour moi, ce n'était pas du tout prévu. De plus ce n'était même pas la peine de faire appel, car j'attendrais encore une ou deux années de plus, pour un résultat, peut-être pire encore. Il aurait aussi fallu débourser encore 80 ou 100 000 FRF d'avocat en plus. Non j'en avais eu largement assez comme cela depuis quatre ans, il fallait maintenant assumer, et en finir le plus vite possible.

Le lendemain, il m'a donc fallu appeler chez Dejan. Evidement, ils avaient lus les journaux et ma place était perdue. Tant pis je reprendrais mon Daily. Dans l'après midi, on me rappelle, car ne trouvant pas de chauffeurs, ils consentent à me prendre en attendant mon entrée en prison, soit, un ou deux mois, d'après mon avocat.

Mais la convocation pour entrer en détention est longue à venir, les mois passent et je n'ai toujours pas de courrier pour me présenter à l'Hôtel Zanzibar de la Place Nazareth de Vannes. Entre temps, à l'occasion du 14 Juillet 2002, j'ai bénéficié de deux mois de grâce sur ma peine. Donc faisons les comptes. Sur les quinze mois à faire, j'en avais fait deux en préventive, plus deux autres en moins avec la grâce, il me restait donc onze mois à faire. Etant donné qu'il me restait moins d'une année à faire, et que de plus j'avais un emploi, je pouvais bénéficier d'une semi-liberté, pour faire ma peine. Pour faire cette demande, j'ai passé par mon avocat, alors j'en ai eu pour deux fois 12 000 FRF de plus, un vrai commerce cette justice. Donc j'avais eu l'accord du juge, la semaine je pouvais travailler et le week-end je les passerais en prison. Du samedi 7H30 au dimanche soir 18H30. Ha bon, personne ne le savait à Noyal ? Ma date d'entrée en détention a été fixée au 20 Mars 2003

A ce stade de mon récit, je me dois donc de remercier infiniment les trois dirigeants des Transports Dejan, Messieurs Dejan Claude, Guy et Frédéric, ainsi que Monsieur Yannick Rouxel pour leur confiance et leur soutien dans cette période noire de ma vie.

Vendredi matin 12 mars 2003, soit une semaine avant mon entrée en prison, le jerrican d'essence est devant la porte. Je sais pourquoi, souvent, c'est à moi de le remplir quand je fais le plein d'essence de ma voiture. Il sert ensuite à Sébastien pour faire le plein de son Derbi. Ca a marché plusieurs fois, mais pas cette fois ci. Je laisse le bidon où il est.

Le soir, après manger, il sort rejoindre les copains de son âge. Vers 20H30, un coup de téléphone, c'est Julien, un copain à lui. Il nous annonce que Sébastien a eu un accident grave aux feux à Muzillac. C'a y est c'est reparti, la sorcière nous a encore lancée des sorts. J'y ai eu le droit, puis Céline, maintenant Seb.

Jeanne et Céline s'en vont directement. Moi qui étais sous la douche, il a fallu me rhabiller. Mais j'ai traîné, cela m'avait fait un choc. Je me suis trouvé mal, tout seul à la maison. Vidé, blême. Nous n'avions pas eu assez d'emmerdes comme cela, il en fallait d'autres encore. Je me suis vraiment senti mal, c'était la première fois, et j'étais seul. Au bout d'un moment, j'ai réussi à m'en sortir, j'ai donc pris la voiture, et j'y suis allé. Il y avait évidemment les pompiers, les gendarmes.

Sébastien était parti faire son plein à la station Total de la Clefs des Champs. Chose qui ne serait pas arrivée, si je l'avais fais le matin. Enfin c'est le destin. En traversant le carrefour, un jeune ivrogne en R25, avait selon un témoin grillé le feu rouge et a percuté de plein fouet le Derbi.

A ce stade de l'écriture du brouillon de ce livre, j'ai arrêté. Cela ne faisait pas longtemps que l'accident était arrivé, et c'est dur de repenser à tout cela.

La suite du récit de son accident a été reprise à la fin du mois d'Août. J'avais besoin de recul.

Quand je suis arrivé sur les lieux de l'accident, Sébastien était déjà dans l'ambulance des pompiers, il avait des tuyaux partout, il était dans le coma, mais ça on ne le savait pas. Le gars de la voiture était seul avec un gendarme, de l'autre coté du carrefour. La moto était en miette, toute désossée, Sébastien avait été projeté, d'abord sur l'angle vif du bord d'un trottoir, puis dans un massif de fleurs. Une de ses chaussures, avait été retrouvée le lendemain, de l'autre coté d'un mur de clôture. Etant donné le lieu où se trouvait Sébastien, et la trajectoire des véhicules, la vitesse de la voiture devait être élevée, et si les déclarations de son conducteur étaient exactes, la trajectoire était elle, bizarre.

Une heure après, l'ambulance est repartie vers les urgences de l‘hôpital de Vannes, à vitesse réduite, ce qui est mauvais signe. La seule chose que nous savions de lui, c'était qu'il avait appelé sa mère, quand les pompiers sont arrivés. Aux urgences, Jeanne, Céline et moi, avions été dirigés dans une salle spéciale, à l'écart de la salle d'attente normale. Là on commençaient à flipper dur. Les copains et copines, qui avaient suivis, dans différentes voitures, étaient restés dehors à attendre. Au bout de quelques heures, le verdict est tombé: vivant, mais dans un état très grave, et toujours dans le coma. Deux fractures du crâne, hématome à un œil, saignement d'une oreille, les deux poignets cassés , hémorragie d'un rein avec perte de ce rein et une poche de sang qui se balade à l'intérieur du ventre, suite à l'hémorragie. Il devait être une heure du matin, il ne nous restait plus qu'à rentrer à la maison tous les trois et attendre.

Le week-end a donc été très dur, nous l'avons passé dans les couloirs de l'hôpital. La situation ne s'était pas aggravée, mais elle n'avait pas évoluée non plus. Nous avons enfin pu le voir, pas longtemps. Il nous a fallu d'abord nous laver les mains, puis mettre des blouses, et des surbottes, avant d'entrer dans sa chambre, c'était quand même inquiétant. Nous l'avons trouvé endormi, mais c'était bien lui, hélas. Plein de pansements partout, des tuyaux dans la bouche, dans le nez, sur les bras. Des machines en pagailles avec des bruits bizarres, une vraie usine à gaz autour de lui. De plus il était attaché dans son lit cage, car aux dires des infirmières, dans des moments de réveils, il essaie d'arracher tous les tuyaux. Ce n'est pas possible que le hasard nous tombe dessus encore. Nous avons ensuite pu voir le docteur qui s'occupait de son cas. C'est à ce moment que l'on a connu tous les impacts de son accident, et les conséquences. C'est aussi à se moment, que l'on a appris qu'il s'en était fallu de peu pour qu'il parte en hélicoptère au CHU de Nantes pour être opéré en extrême urgence. Des contacts avaient eu lieu entre les deux hôpitaux, et celui de Pontchaillou à Rennes, dans la nuit. Les uns conseillaient l'opération, les autres conseillaient de le bloquer dans son lit, sans le faire bouger et attendre une évolution de la fameuse poche de sang et du rein.

Les docteurs étaient très pessimistes et je n'ai jamais pu trouver une lueur d'espoir dans leurs propos. Ne serais-ce que pour nous réconforter un peu, rien. C'est très dur à supporter, de savoir la vérité. Il faut connaître çà, pour le comprendre. Dans le meilleur des cas, il s'en tirerait avec des pertes de mémoire. Dans le pire, si l'on excepte le décès, il resterait handicapé physique et moral à vie. Bonjour l'ambiance à la maison. La famille de Jeanne, vous savez les Guénégo, ont été mis au courant de l'accident et des conséquences, personne n'a demandé des nouvelles, ou essayé de venir soutenir Jeanne, rien à attendre de ce coté là.

Tous les soirs, après mon travail, je venais le voir. Les infirmières me disait à chaque fois, qu'il s'était réveillé. Mais j'avais du mal à croire, à chaque fois que je venais le visiter, il ne bougeait pas. Quelques jours plus tard, son état s'est amélioré, et au fur et à mesure des traitements, il redevenait conscient, mais sans savoir où il était, ni ce qu'il lui était arrivé. Pénible la situation.

Enfin le jour où les tuyaux ont disparus, fut un soulagement pour tout le monde. Cela était le signe d'une amélioration certaine. Par contre, il avait bien des problèmes de mémoire, mais il n'était pas malade mental, c'était déjà çà. Au niveau physique, personne ne savait quel serait son comportement une fois debout, là aussi, nous avions tout à craindre, fauteuil roulant ou pas ?

Les cinq personnes ayant le droit de visite, furent sa mère, sa sœur et son ami Yannick, moi, son père et sa petite amie Gaëlle. Certainement que sa présence lui a redonnée des ailes, cela se voyait, tant il était heureux de la voir à ses cotés. Heureusement qu'elle n'était pas derrière lui, au moment de l'accident.

Ce n'est qu'au bout d'une quinzaine de jours, qu'il a changé de chambre, il était alors sorti du coma, et il devait avaler des calmants à longueur de journées, pour supporter les opérations et la douleur. Donc au bout des quinze jours, il a intégré le service de chirurgie viscérale. Il était, est ce encore le fruit du hasard? Dans une chambre avec des barreaux, qui était destinée à des prisonniers venant se faire opérer. Moi j'avais alors commencé mes week-ends en prison. Mais lui, il était libre quand même. Tellement libre d'ailleurs, que par deux fois, il s'est échappé. Le deuxième jour, il est parti seul à pied à la gare, distante de cinq cents mètres, en pyjama. Pas de complexes, le gars. Quand on a appris cela, on s'est inquiété à cause de son état somme toute fragile encore, et nous ne savions pas grand chose de son état mental, quand même. Car aux dires des médecins, il pouvait avoir des complications. Sa deuxième sortie, était toute aussi inquiétante. En pleine nuit, Monsieur s'est réveillé, il était encore sous calmants, et n'avait pas du tout conscience des jours et des nuits, ni de l'heure. Il se lève, s'habille et sort du bâtiment de l'hôpital. Dès qu'il a passé les portes principales du hall d'entrée, elles se sont refermées automatiquement derrière lui. Il s'est donc retrouvé coincé dehors à trois heures du matin, dans le froid. Vu la fraîcheur, il a du retrouver ses esprits. Il a donc fait le tour de l'hôpital, et a eu la présence d'esprit d'aller aux services des urgences, afin d'expliquer son cas. Comme il ne savait pas dans quel service était sa chambre, après une petite recherche, les infirmières l'ont raccompagnées à sa demeure.

Par la suite, la mère Marie a demandée à Jeanne l'autorisation d'aller le voir à l'hôpital. Puis aussitôt, ce fût le défilé. En deux jours, toute la famille Guénégo est passée dans sa chambre. Un peu par obligation, d'ailleurs. Vu la manière dont cela c'est passé, la chef à due donner l'ordre d'y aller, et tous le monde est venu faire acte de présence. Il faut savoir que depuis le mois de mars, personne, n'est venu à la maison, ou a téléphoné pour prendre de ses nouvelles. Donc cela montre bien qu'il se passe des choses bizarres dans la famille.

Durant la semaine qui avait suivie son accident, son agresseur, n'a même pas eu le courage de nous appeler, ou l'hôpital, pour prendre de ses nouvelles. Par contre nous avons appris qu'il avait pris le volant, une fois de plus en ayant bu auparavant. Mais son taux d'alcoolémie, ne dépassait pas les 0.5 g.

Depuis cela va beaucoup mieux, visites médicales, reprise des cours, piqûres, kiné, etc. Mon gars revient à la vie.

A ce jour, il a bel et bien perdu un rein, Ses deux poignets fonctionnent, mais il a des broches, et un sérieux handicap avec ses bras. Il a aussi une légère perte de vision à un œil, et une oreille pratiquement devenue inutile, il faut appareiller là aussi.

Par contre plus tard, dans sa vie, comment tout cela va t'il évoluer? Ce fut encore une épreuve de plus pour nous quatre, mais nous l'avons encore surmontée.

 

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