C'était l'été 1973, pendant les vacances, j'avais trouvé mon premier emploi, chauffeur livreur de produits laitiers, chez Nova. Vu l'afflux de touristes pendant l'été, la tournée du livreur habituel avait été dédoublée. J'avais alors pu récupérer une qui m'emmenait vers La Trinité Sur Mer. Mon véhicule était un vieux Citroën de six tonnes, avec un moteur Perkins, bruyant, mais alors, bruyant, pfou !!! Le dépôt de Vannes auquel j'étais rattaché, se situait à l'emplacement actuel de la douane, dans la zone du Prat.
Avec mes économies de l'été, j'avais acheté une vieille 2CV, (attention une deux chevaux, pas une 2 çé vé), dans une casse. Avec l'aide de ma mère, nous l'avions remise en état. Moi pour la mécanique, et elle pour la peinture au pinceau, un bleu nuit du plus bel effet. Sur le capot avant, j'avais fait dépasser quatre boulons, ce qui permettait de caler une roue de secours, tenue par des sandows. Cela lui donnait un petit coté rallye raid, car ce fût à cette période qu'il y avait les raids « Paris Persépolis Paris » avec des deudeuches. Sur le coffre arrière, qui n'était en fait qu'une plaque de tôle, j'avais peins en jaune une opération mathématique assez compliquée, incluant des racines carrées, des vecteurs, et autres inconnues à plusieurs unités. Cette opération avait pour résultat exact, le chiffre 90, ce qui me permettait alors de coller mon disque 90, à la place du résultat. C'était mon coté un peu intello, quoi.
Donc à la rentrée de Septembre, ma première voiture était belle. Les bagages étaient à l'intérieur. Elle avait déjà roulée un peu pendant l'été, et je la sentais capable de faire la route de Poitiers. Je dis au revoir à tout le monde et je claque la portière pour la fermer. Et là, boum ! La portière tombe par terre. Il faut savoir que sur les premières 2 CV, la porte s'ouvrait de l'avant vers l'arrière, et que les charnières, n'étaient en fait que deux tôles recourbées et emboîtées l'une dans l'autre. Simple, une 2CV quoi. Bon, avec un peu de ficelle nous avions remis tout en place et ensuite debout dessus, 80, 90, 100 dans les descentes. « Astique Pompon la route de Poitiers ». Dans le centre ville de Nantes, il fallait au carrefour qui suivait la place où il y avait une église en briques, tourner à gauche. Mais, pas de pot, mon clignotant ne marchait plus. Sérieux comme je suis, je mets mon bras pour montrer que je virais sur la gauche. Un flic était là, hop ! Contrôle. Je n'ai pas eu de PV quand même.
Plus loin, dans les environs de Parthenay, lors d'un autre périple à Poitiers, le moteur s'arrête net en pleine campagne. Tiens une panne. La première depuis que j'avais la voiture. Ne trouvant rien de spécial, de dépit je donne un coup de pied dans l'hélice du ventilateur, qui est située à l'avant du moteur. Ensuite j'actionne le démarreur, et ça repart. C'était sans doute un faux contact à l'allumage, car la bobine se trouve justement sur le même axe que celui de l'hélice. Par la suite, je n'ai jamais eu de problèmes avec cette 2CV. Un week-end, où j'étais rentré à la maison sans la voiture, je l'avais prêtée à un copain de classe, Xavier Jacquart. Au retour, elle n'avait plus de bâche. En croisant un camion, le déplacement d'air provoqué avait déchiré la bâche et elle s'était envolée.
Donc j'étais en 4° Transports. Le fin du fin. Le haut de gamme du Porteau. Pendant mes deux années de conducteur routier, je m'étais franchement emmerdé, et je n'étais pas le seul. Le programme que l'on faisait en deux années, pouvait être fait en une seule. Par contre en 4° transports, il fallait s'atteler à la tâche. Cours de compta, de tapage à la machine à écrire, d'anglais, cours de transports beaucoup plus pointus, maths, et surtout apprendre à remplir les bordereaux de groupages avec les ports dus, payés, litiges, avaries, etc. Là, c'était franchement du bourrage de crâne, et je n'étais vraiment pas motivé. Je n'étais cette fois, qu'avec des fils de transporteurs qui avaient l'obligation de réussir pour reprendre la suite de l'entreprise, mais moi je n'avais rien à reprendre, je voulais rouler, c'est tout, merde alors, donnez moi un camion.
Dans la classe, il y avait Georges Marchadour, un Breton du Finistère, qui maintenant a pris la suite de son père. Il faisait tous les week-end l'aller retour Poitiers Brest avec une 403 Peugeot. C'est de l'ordre de 600 Km aller et autant au retour, et toujours pas de voie express ou d'autoroute, tout par la nationale et les centres-villes, Bressuire, Parthenay, la route des vignobles à Clisson, Nantes, Pontchâteau, Vannes, Auray, Hennebont, Quimperlé, Quimper.
J'étais à ce point démotivé, que les notes en subissaient les conséquences. A la fin du premier trimestre, j'ai décidé unilatéralement d'arrêter définitivement l'école et de rentrer dans la vie active.
Enfin le rêve, travailler, rouler, vivre sa vie. Mais j'ai très vite déchanté. Dans toutes les entreprises où je me présentais, la valeur du CAP de conducteur routier était nulle, le principal était d'avoir de l'expérience, et je n'en avais pas.
Avec ma mère, nous avions été à l'ANPE de Redon. Je ne pouvais être inscrit là, car je n'habitais pas sur la région. C'était comme ça à cette époque. Toutefois le fonctionnaire nous a indiqué le nom d'un transporteur qui l'appelait souvent pour avoir des chauffeurs, il s'agissait des transports René Philippe de Janzé. Il l'appelle pour nous, ok, ça marche. Il fallait se présenter le 2 Janvier 1974 à six heures du matin.
Le jour J, ma mère m'envoie à Janzé. Comme nous ne savions pas à quel endroit se trouvait l'entreprise, et que de plus à cette heure matinale et en plein hiver, il n'y avait personne dans les rues, nous avions donc frappés à une porte près d'une fenêtre qui était allumée. La personne, pas tranquille du tout, nous demandait ce qu'il y avait. Après lui avoir exposé notre requête, elle nous a renseignée bien gentiment. Nous aurions pu chercher longtemps, car c'est au fond d'une impasse classique, bordée de maisons que l'on a trouvé mon futur employeur. Il y avait une relative petite cour, des camions remorques partout, jusque devant les maisons sur la rue. Nous nous présentons donc au chef, un grand costaud, fort en gueule.