Puis un beau matin, mon patron m'annonça le décès de mon père. Il avait eu une crise dans les rochers de Damgan. Devant poursuivre mes études au Porteau, j'avais demandé et obtenu un report d'incorporation pour le service militaire. Avec la mort de mon père, ma sœur étant encore à l'école et ma mère officiellement sans emploi, je suis devenu soutien de famille, et de ce fait j'ai été dispensé de service militaire. Pour mon plus grand plaisir d'ailleurs.

Beaucoup de relais routiers étaient ouverts des nuits entières, que ce soit à Langon (41), à Courgivault sur la Nationale 4, la mère Vallée au Mans, et un peu partout ailleurs. C'était la belle époque, la profession était bien vue par tout le monde. Par la population en général, les clients, même les autorités policières. Les préfectures aussi, car les autorisations d'ouvertures de nuit des restos, n'étaient acceptées qu'à la condition que ceux-ci étaient réservés exclusivement à une clientèle de routiers de, une heure à six heures du matin. Evidemment les autres clients étaient servis aussi, mais je pense que c'était plus pour éviter que les jeunes en goguette ne viennent s'abreuver en pleine nuit.

Mon premier voyage à l'étranger, avec ce camion, fût la Hollande. Le chargement s'était effectué chez Guyomarc'h, derrière la gare de Vannes. La marchandise devait être traitée en Hollande, et après une journée d'attente, je la reprenais pour la ramener à Vannes. J'étais fier de mon premier tour à l'étranger. Un peu d'appréhension quand même, mais c'était normal. Tout c'était très bien passé, hormis une panne bête, une fois de plus. Arrivé en Hollande, les feux de codes et de pleins phares, ne fonctionnaient plus, et de temps en temps, ils « clignotaient », ce qui n'était pas leur fonction habituelle. Je me rapproche donc d'un garage, qui évidemment, n'était pas un garage Berliet, car les Hollandais n'étaient pas assez fous pour vendre du matériel comme ça. Le mécanicien avait cherché longtemps la panne, démonté plusieurs fois le commodo au volant, suivi les lignes électriques, rien. Bref un camion de marque Française quoi. Ce n'est que par hasard, en donnant un coup sur le pare-chocs avant, qu'il a compris tout de suite d'où venait la panne. Les deux blocs optiques se trouvant dans le pare-chocs, suite à je ne sais quelle mésaventure, ce pare chocs, ne faisait plus contact avec le châssis du camion, et donc la masse ne passait plus. Il a suffit de fixer un fil électrique du pare-chocs à son support sur le châssis et tout remarchait impeccablement bien. C'est ça un berliet.

Quand j'ai commencé la route, en 74, il n'y avait en France que l'autoroute du Nord, qui était faite. Par contre la Belgique, la Hollande et à fortiori l'Allemagne, étaient déjà très bien équipées de ce coté là.

Par la suite, j'ai changé de camion. J'ai eu le droit à un autre Berliet, un GR 260, avec la nouvelle cabine. Déjà 260 chevaux, et une cabine spacieuse. Bien. Cette cabine, était celle qui était à la base de la génération actuelle des Renault série R. Le travail, lui était toujours le même, faire toute la France en porteur, et essentiellement des petits lots, comme les cinq autres porteurs de l'entreprise. Il y avait aussi une dizaine de camions remorques, qui eux faisaient de l'international. Un peu d'Allemagne, beaucoup d'Italie, descentes en ferrailles, poudre de lait, peaux de vaches, et de l'Espagne aussi, descentes en ferrailles et remontées en ardoises. Mon expérience professionnelle grandissait petit à petit. De plus cela me donnait envie, à force de voir mes collègues avec des ensembles neufs, faire de l'étranger.

Une nuit en rentrant à Damgan, au cours d'une manœuvre hasardeuse, en pleine nuit, je recule dans la barrière d'une propriété près de la maison. La barrière était cassée, mais comme la propriétaire était absente, je range mon camion plus loin et je rentre dormir. Le lendemain matin, à sept heures, les flics frappent à la porte de la maison. Une âme charitable, en l'espèce d'un voisin que l'on surnommait « Cock », s'était empressée d'informer les pandores de mes exploits de la veille. Aussitôt, les flics ont donc constatés les dégâts et ont rédigés un PV sur le champ, avec délit de fuite etc.…Alors que la propriétaire n'avait jamais portée plainte, et pour cause, elle n'était pas là. Résultat, quelques semaines plus tard j'ai été convoqué au tribunal pour ce fait. Pour une première fois, j'étais très intimidé, et autant que je me souvienne, j'avais les larmes aux yeux, quand ce fut mon tour de passer à la barre. Aujourd'hui, je dois l'avouer, ce n'est plus le cas. Ma timidité est maintenant bien loin derrière moi, et je n'ai aucun complexe d'infériorité envers personne. Cela est dû certainement à mon métier, et à ma volonté. Car si on se laisse mener par le bout du nez par tous le monde, on ne va pas bien loin dans le milieu du transport. Pour en revenir à mon tribunal, j'ai écopé entre autre, d'un retrait de permis d'un mois. Durant ce retrait, j'ai continué à rouler quand même. Je roulais en double avec le fils du patron, Christian. Il avait un camion remorque, lui. Un Berliet aussi, mais un 320, moteur V8, un grand porteur à deux essieux de 11 mètres, affublé d'une petite remorque à deux essieux aussi de 7.50mètres, avec la flèche classique. Le tout avec une hauteur de 4.20 mètres, bonjour le balan, quand on chargeait des balles de papiers pour Kaysersberg en Alsace. Enfin, je voulais un camion remorque, j'en avais un alors… Donc étant sans permis, je venais au travail quand même en moto. Une fois dans le camion, le fils roulait le jour et moi la nuit. Officiellement sur la fiche de paye, j'étais mécanicien. Ce patron était le roi des escrocs, j'étais donc à la bonne école, pour être en prison maintenant.

 

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