Carnet de bord de Novembre 2014 | Partager sur Facebook |
Je traverse la route pour rendre visite à Marie Blachère, je petit déjeune avec pour fond sonore la matinale débile de virgin radio et devant moi la file d'attente d'ouvriers qui veulent leur pain au chocolat. Il est 7h à Romans.
Je ne démarre pas trop tôt, j'attends que le jour se lève, il y a déjà le brouillard épais on ne va pas ajouter à cela la difficulté de chercher les fermes de nuit.
7h15, j'appelle le premier client, Saint Lattier, c'est parti. D'abord il m'explique l'itinéraire par téléphone, puis il m'annonce "je viens vous chercher, avec le brouillard vous allez galérer". Sympa ! RDV à la supérette Vival, puis il m'ouvre la voie sur une piste sinueuse avec visibilité ultra réduite, et déjà quelques arbres...
Le bigbag est sur une palette, je la sors au hayon et la plante directement dans la terre faute de mieux. Mon camion a attiré le grand-père, avec sa canne et son vieux clébard, il analyse et commente tout, l'air satisfait de voir de l'animation dans sa cour aujourd'hui.
Deuxième livraison à Montagne. Oui "Montagne" : on ne s'est manifestement pas foulé pour choisir le nom de cette commune. Et pourquoi pas "Forêt", ou "Rivière" tant qu'on y est ?
Le mec au téléphone est bizarre, il ne parle pas, ne répond pas à mes questions, il a l'air ailleurs, il a l'air bourré. Pour trouver la ferme je m'en remets au GPS qui n'est pas le meilleur allié dans ce genre de bled pommé. J'y vais à tâtons, m'arrêtant regarder le nom de la boite aux lettres à chaque ferme. J'arrive à destination, malgré le brouillard angoissant, pile au moment où le paysan partait à ma rencontre avec sa bagnole. En le regardant faire sa marche arrière je n'ai plus aucun doute : c'est sûr, il a un coup dans le nez l'ancien. Comme au téléphone, il est du genre taiseux dans la vraie vie. Il décharge avec la fourche de son tracteur, en manquant à 3 ou 4 reprises de m'enfourcher le toit - auquel cas je gagnais un nouveau voyage pour Vernoux-en Vivarais.
Sur la route de Saint-Appolinard, pour ma troisième livraison, je me retrouve à devoir casser des branches à la main dans un mauvais virage, un pied dans le camion - l'autre dans le vide poche de la porte ouverte. C'était ça où de belles rayures. Je me retrouve ensuite nez à nez avec la camionnette du boulanger, ce qui l'oblige à taper une marche arrière sur près d'1Km, la route étant vraiment trop étroite pour se croiser.
Me voici sur les hauteurs du Dauphiné, bien au soleil et surplombant l'épais manteau de coton de la vallée de l'Isère. Je décharge chez un jeune exploitant sympathique.
Etape suivante : Deux fermes à Tèche. Chacun des paysans me demandant respectivement ce que l'autre à pris en quantité... on se renseigne, on s'observe, on s'épie.
Je remonte ensuite vers la ferme la plus paumée du jour : au fin fond de nulle part, sur la commune de Serre-Nerpol. L'endroit eût été inaccessible en semie ou avec ma remorque, c'est un peu "la petite maison dans la prairie" sauf qu'il s'agit d'une grosse bâtisse et qu'on est à la montagne ; il y a les chèvres, le tas de bois, Charles Ingals... tout y est. On imagine qu'il fait bon vivre ici, on a envie d'aller courir dans le pré et de se vautrer comme la gamine du générique...
Je redescends en évitant tant bien que mal toutes ces branches de tous ces arbres qui bordent les petites routes étroites. Livraison à Albenc, les deux pieds et les quatre roues dans la boue.
8ème client à La Rivière. Oui "La Rivière", on ne s'est manifestement pas foulé pour choisir le nom de cette commune. Et pourquoi pas "Montagne" tant qu'on y est ?
Il s'agit d'une exploitation située en plein cœur du village, et je tombe dessus par hasard - le propriétaire étant injoignable par téléphone.
Il est midi et je suis plutôt fier de moi : J'en ai fait 8, il n'en reste qu'un seul, à Beaulieu. Le paysan me demande de ne pas venir avant 14h, parce qu'il a un contrôle sanitaire : apparemment si je débarque avec mes engrais ce n'est pas terrible...
14h j'arrive devant la ferme, j'aperçois les contrôleurs, j'attends sur la route. Il me faut attendre 14h30 pour les voir partir et que le type débarque enfin. Il me demande de rentrer jusqu'au bout, il y a un arbre, il me dit que ça passe, je dis non, il insiste, moi aussi. Du coup c'est lui qui vient chercher ses deux sacs, et peut-être parce qu'il est contrarié il me laisse une marque avec son chariot sur la barre anti-encastrement ce qui ne manque pas de me faire bouillir ; si j'avais su j'aurais moi-même été moins patient, et je n'aurais pas pris la peine d'attendre la fin du contrôle... trop bon trop con.
Vide et en porteur je file charger à Crolles, un premier lot, puis à Voreppe un second. Je ramène le tout à Jarcieu, quai 5, où je recharge... des bigbag d'engrais. Rien de difficile cette fois-ci : un seul client à Izeron.
Pour m'avancer je roule tranquillement vers Izeron où je ne trouve pas d'endroit pour me poser, bien que je sois toujours avec le porteur seul. Alors je continue jusqu'au village suivant où il y a un magnifique parking devant l'église.
Vers 23h, alors que j'entame ma très méritée gamelle de soupe, un mec étrange débarque dans le noir, sous ma fenêtre. Capuche sur la tête, poches sous les yeux, joues creuses et l'air sale, il me dit "salut", me demande ce que je fais là, me demande si je n'aurais pas un "truc à partager", me demande si je veux fumer avec lui... etc. L'objectif étant de le faire dégager sans pour autant le contrarier, je joue la carte sympathie naïve : genre "non j'ai rien, non désolé je ne fume pas..." avec le rictus benêt indispensable pour s'excuser de ne pas fumer.
Il finit par partir vers nulle part, dans le noir... Type chelou, à Cognin-les-Gorges, c'est parfois là où l'on pense être le plus tranquille que l'on fait ce genre de rencontre.
Bien entendu j'avais quelque chose à partager : du quatre quart "Bonne Maman", mais je le garde pour moi pour me défoncer en solitaire...