Carnet de bord de Septembre 2014 | Partager sur Facebook |
Rien ne sert de partir trop tôt, je commence à Villefranche-sur-Saône.
Nous sommes le 01 septembre, ça sent la rentrée, y compris chez Duarig : voici quelques semaines que mon téléphone n'affiche plus "Phil26" ou "Alain26", que Sweden se coltine l'intégralité de mes lamentations - car je passe mon temps à me plaindre, même lorsque j'ai un camion neuf entre les mains -, mais ça y est, finies les vacances pour tout le monde.
Villefranche, 7h45, je débarque dans la cour du commissionnaire qui nous affrète, quelques types sont au café-clope dehors, ça réattaque tranquillement.
8h, je suis en place, j'ouvre, je désangle. Le mec qui décharge est très gentil, poli, avenant et rapide. Manquerait plus qu'il paie le café et ce serait parfait.
Après avoir déchargé je peux enfin me rendre chez Corgier Formation, à deux pas d'ici, pour récupérer ma FCO définitive - je roule avec l'attestation provisoire depuis le mois d'avril. Le fait est que même s'il faut remplir un gros dossier avec photos d'identité à gogo, adresse, et autres données personnelles, on est pas fichu d'envoyer le précieux sésame par la poste. Il faut repasser au centre de formation, pendant les heures d'ouverture. Hyper simple.
Je débarque donc là-bas, avec mon gros camion-remorque, devant le troupeau d'élèves en formation (qui ici aussi sont au café-clope) : c'est la minute de gloire du jour, de la semaine, de l'année même... Heureusement je recule correctement, je me gare correctement, et je peux donc sortir de la cabine la tête haute avec ce fameux air de "tout est normal, j'assure un max, quoi ? Le camion-remorque ? Ça va je maitrise..."
Je vais ensuite livrer mon deuxième client dans le 26, à Mantaille. Et là, on fait moins le malin ! Il y a dans cette entreprise quelqu'un qui me connait : Stéphanois26, alias Eric, qui apparemment suit mes aventures - ce qui me fait très plaisir. C'est donc devant Eric, que je vais sortir la manœuvre la plus pourrie de mes dix dernières années de route, et pourtant Dieu sait qu'il y en a eu. Il faut dire que sur le papier ce n'est pas simple du tout : faire demi tour dans un croisement, entre des bordures, pour remonter une route pas large en marche arrière et se positionner le long d'un bâtiment ; difficile à retranscrire - mais une manœuvre pas évidente. J'aurais aimé faire preuve de dextérité, épater la galerie et sortir une fois de plus avec mon fameux air de "tout est normal, j'assure un max, quoi ? Le camion-remorque ? Ça va je maitrise...", mais en m'y reprenant en 74 fois j'aurais plus tendance à sortir pour aller me cacher très loin...
Bref, j'ai bien fini par me mettre en place, mais on peut le dire : j'ai été mauvais.
Moral en berne.
Je vide le reste au dépôt, midi arrive et tout le monde s'en va : je peux m'accaparer la piste de lavage pour une heure de frottage intensif qui me vaudra un changement de t-shirt et de chaussure.
Pas le temps de manger, je fonce charger à Izeaux avec mon camion rutilant.
Ici encore je tombe sur un cariste des plus gentils : il s'arrange pour me laisser de la place dans le porteur, sans rechigner.
Je charge des déchets d'amiante : 13m50, 750 Kg. En y tassant un peu ça tiendrait à coup sûr dans une ou deux palettes, mais le transport routier est fait de ce genre de bizarreries...
Je m'en retourne donc à Jarcieu, léger comme plume, une plume cancérigène. A quai nous complétons avec Franck.
Direction Blois et Laval. J'ai fait un quart d'heure à Jarcieu, je fais la demi-heure à la BP près de Rive de Giers, pour mon seul et unique repas du jour avec en guest stars le grand retour des radis - même pas congelés.
Je poursuis ensuite jusqu'à plus d'amplitude, seul sur la N7, devant un décor magnifique avec soleil déclinant dans une effusion de couleurs sur le Bourbonnais.
Montmarault, 22h je me gare sur le grand parking en terre battue, tout doucement, pour ne pas lever la poussière.
J'ai eu la présence d'esprit de me mettre dans un coin et en sens opposé au vent. Car ce matin, certains traversent le parking à une telle vitesse que ce ne n'est pas possible, ils le font forcément exprès pour faire chier le monde.
N'ayant pas mangé au restaurant hier soir, je justifie ma présence ce matin avec un grand café et son pain au chocolat. Je décolle à 7h, tout doucement.
Le levé du soleil sur le Berry est presque aussi chatoyant que le couché d'hier sur le Bourbonnais. Avec autant de pastel à l'horizon, on a de violentes pulsions romantiques : si je n'étais pas pressé je m'arrêterais direct lire des poèmes de Lamartine en écoutant Chérie FM, mais faut pas déconner quand-même...
J'arrive à Blois à 9h30, et faute de pouvoir décrocher la remorque devant chez mon client, je vais la poser un peu plus loin, là-où je trouve de la place. Je livre au hayon et en transpirant comme un porc, il n'est plus du tout question de romantisme.
Une petite heure plus tard me revoici attelé, et en direction de Laval.
Je découvre le contournement ouest de Vendôme, j'ai d'ailleurs failli prendre l'ancienne route, croyant qu'on avait simplement interdit la traversée de la ville avec obligation de redescendre prendre l'autoroute... mais non, j'ai suivi la signalisation et je n'ai pas fait n'importe quoi.
Pour Saint Calais toujours pas de déviation, les deux feux régulant le passage dans les deux mauvais virages ne fonctionnent même plus... on dirait qu'on a laissé tombé ici. Résultat : ça passe encore moins bien qu'avant.
Je me présente en tout début d'après-midi dans l'immense déchèterie de Changé, chez Séché. Devant moi, un camion des transports Peigné. Séché, Peigné, Changé... tout propre en quelque sorte ? Tant pis...
Quelle bonne surprise que cet endroit ?! Non seulement j'apprends dès l'accueil à la bascule qu'il va falloir vider en deux fois car mon chargement comporte deux références, mais en plus je découvre avec joie qu'il me faut aller tout au fond, dans la boue, au milieu des pelles et des bulldozers... et dire qu'hier j'ai lavé dans les moindres recoins.
Je passe donc 2h la dedans, à tourner, attendre, retourner... je laisse mes sacs d'amiante qui viendront compléter l'édifice toxique sur lequel nous reposons. Concernant le protocole de sécurité je suis assez surpris : ailleurs on nous fait porter des casques pour charger des croquettes, on nous fait mettre des chaussures de sécurité pour rester dans le camion, on nous fait dételer puis on nous prend les clés etc. etc. etc. mais ici on gambade joyeusement dans la poussière, sachant que celle-ci est peu propice à l'inhalation. Inquiet39 en mode hypocondriaque39.
C'est Castagnette à l'affrètement aujourd'hui, et il me dégotte un rechargement tout près d'ici, toujours à Changé.
Prévu 17h, j'arrive à 16h30. On me confirme : "prévu 17h, mais demain". Sur le coup je pense à une erreur de Castagnette et je n'ose même pas annoncer la nouvelle, l'imaginant déjà attaché au lampadaire du dépôt, avec du goudron et des plumes. Mais l'erreur ne vient pas de lui ! Le donneur d'ordre n'a pas annoncé ma venue à l'expéditeur, si bien qu'on m'annonce "bah on va peut-être charger, tout dépend si le cariste veut bien..."
Il est des boites où c'est le cariste qui décide.
Lorsque je vais voir ce dernier, il me fait la blague du "bah, ça dépend, je peux charger, combien tu me donnes ? ". Célèbre blague pas très drôle, mais semblant de réponse positive. Erreur Régis : le mec ne veut apparemment pas charger, son chef est obligé d'argumenter, et j'en viens à penser que si je lui filais réellement de l'argent il le ferait. Sait-il seulement que je suis Bressan ?
Le chef négocie, et négocie encore... marre de me faire prier je leur demande de me dire simplement "oui" ou "non", car après tout je m'en fous pas mal, si ce n'est pas ici ce sera ailleurs.
Verdict : "allez mets-toi à quai..."
Bon sang quelle bande de bras cassés... et le pire reste à venir. Tout d'abord, ni le cariste, ni le chef ne comprennent le principe du camion remorque : en voyant la dimension de la remorque ils s'inquiètent, et lorsque je dis qu'il y a encore 6m50 devant je vois le vide dans leurs yeux... ils ne comprennent rien, pour la simple raison qu'ils n'en ont jamais vu, qu'ils chargent toujours les mêmes semis, de la même boite, de la même manière. Aussi il s'avère encore plus difficile de faire comprendre qu'on ne peut charger les palettes d'une tonnes toutes à la suite, trois par trois, mais qu'il faut répartir la charge.
Le cariste charge, gueule, et je suis obligé de m'interposer pour qu'il s'arrête. Du coup il va chercher son chef et j'explique une nouvelle fois que je ne peux partir d'ici avec 20 tonnes sur 1 essieu...
Des cons comme ça j'en ai rarement vu, et heureusement.
Bien évidemment, le cariste contrarié part en pause alors qu'il reste une seule palette à mettre dans la remorque... il ignore sans doute que j'en ai strictement rien foutre, contrairement à son chef qui aimerait bien que ça se termine pour pouvoir faire les papiers et partir. Du coup ce dernier m'amène la palette lui même. Alors je décroche, mets le porteur à quai, et renonce à réexpliquer le principe de la répartition des charges : "y'a qu'à charger comme ça vient, je les rebougerai au transpalette moi-même, on ne va pas passer la journée là-dessus".
Au moment de faire les papiers avec le chef, ce dernier me dit : "vous savez mon cariste est un peu énervé, il faut dire qu'il finit à 21h ce soir, il faut le comprendre...". Je réponds simplement "A 21h quand il aura fini je serai encore en train de rouler..."
Incompétents, cons, et il faudrait encore les plaindre ?
Le seul truc de bien dans cette boite, c'est la douche : j'en ressors propre et un peu désamianté.
Reste 2h à rouler. Je profite comme hier d'un beau couché de soleil, sur la nationale entre Laval et Le Mans. J'échoue à Saint Calais, la ville qui semble d'autant plus abandonnée la nuit qu'elle n'est presque pas éclairée.
Saint Calais, 6h30. Aujourd'hui si le chef ne me trouve pas de complément je n'ai qu'à rouler en direction de Lyon. Facile.
Il y a bien longtemps que je n'avais pas pris cet axe, ça remonte aux complets de viande pendue que je redescendais de Bretagne. Aujourd'hui je suis tout aussi lourd, mais ça ne balance pas. Vendôme, Blois, Romorantin, Vierzon. Je fais halte chez Volvo Bourges pour un appoint en liquide refroidissement : voici deux matins que le tableau de bord m'annonce un niveau trop bas et effectivement il est pile sur "MIN". Cependant je pense que le bouchon était simplement mal vissé. A contrôler... il s'agirait de ne pas casser un moteur neuf.
Volvo Bourges donc, où ma foi je suis très bien accueilli, on me rajoute du liquide sans même faire le moindre document, je suis obligé de ressortir l'anecdote de Scania Lainate où un bidon de refroidissement m'avait valu 2h d'attente... mais je radote.
Je poursuis ma route, coute que coute, quoi qu'il en coute. Au bordel, pourquoi j'écris cette merde... peut-être parce qu'il est 2h du mat. Passons...
Je roule jusqu'au centre routier de Moulins, car oui, je n'ai pas trouvé de pain, même à St Calais, et j'ai envie de manger à peu près normalement.
Il y a du monde, ça fait la queue au buffet, les serveuses se pressent entre les tables en regardant partout à quelle vitesse on vide son assiette... Je m'attable en compagnie de deux types, personne ne parle.
Je mange, nez dans l'assiette... et au seul moment où j'ai un élan d'inspiration pour sortir un mot à mon voisin d'en face, je constate en relevant la tête que ce dernier se gratte vigoureusement les dents du fond avec son couteau. Du coup j'abandonne.
Je croise deux Asotrans en arrivant à Mâcon, dont un français, Antony, qui m'accompagnera au téléphone jusqu'à Lyon.
Car même si la livraison est prévue demain, à Décines précisément, je tente le coup cet après-midi, sait-on jamais.
Demi-échec : on ne peut pas réceptionner, mais je peux couper sur place en me garant dans un coin.
Il est 17h et je pars à pied dans les rues de Décines, à la recherche d'une boulangerie, ou d'un supermarché... bref d'un endroit où l'on vend du pain. Salle de sport, pompes funèbres, garage, matériel de plomberie... Il y a tout sauf une boulangerie ! Je marche dans une direction choisie au pif, et au bout d'un quart d'heure je fais demi-tour : Ray mangera sans pain ce soir, un peu comme si Ray était un "sans dent"... on ne parle que de ça à la radio, l'anecdote des "sans dent", c'est pénible, les journalistes n'ont vraiment rien d'autre à se foutre sous la leur.
Mieux vaut écouter Rire et chanson : Allez ! Muriel Robin ! Fait péter le sketch de l'addition ! Ensuite on passe un morceau de U2 ou de Police, puis on enchaine avec Bigard...
Bon sang je suis en plein burn out radiophonique.
Pour me mettre à quai entre les bordures en béton j'ai sortie une manœuvre encore plus pourrie que celle de lundi à Mantaille. Il faut dire qu'on est venu me réveiller, que je ne vois pas grand-chose, et qu'il y a ce mec qui me guide... très mal. Il s'agit d'un chauffeur au quai d'à côté, je ne vais lui en vouloir - ça part d'un bon sentiment -, mais il m'emmerde plus qu'il ne m'aide, c'est du genre "aligne toi... va à gauche... non pas comme ça - comme ça", alors que j'aimerais simplement qu'il se taise et qu'il m'alerte uniquement si je m'approche trop d'une bordure.
Ne réussissant pas ma manœuvre, je suis de plus en plus énervé, j'en serrai presque à lui gueuler :" DEGAGE BORDEL ! ". J'ai bien conscience d'être parfaitement odieux.
Au bout de trois jours je suis en place, pas fier.
Les mecs du quai sont des pauvres types ignares du genre : "Hé chauffeur... c'est quoi ce camion ? C'est pourri, tu devrais en demander un autre".
"Oui. Tu as raison. Je n'y manquerai pas. Allez, fait du tire pal... "
Je redescends à Jarcieu à vide, Il est encore très tôt lorsque je pars de Lyon (4h30), et j'ai bon espoir de laver en arrivant.
Et bien non ! Il y a un camion sur la piste avec les rideaux tirés ! Dommage Ray, voici une heure de pur temps perdu qui se profile à l'horizon. Je suis encore plus énervé, c'est à dire beaucoup.
Stéphane arrive, ouvre le dépôt ; je me charge à la hâte avec Aurélien qui me file gentiment un coup de main. Il est 7h30 et mon premier client est à décharger avant 15h au nord de Girone. Tendu.
Je roule nez dans le guidon, je m'arrête manger ma salade de tomate au plus loin, à l'aire de La Palme - 4h22 de conduite. Puis je poursuis, pour arriver chez le client à 14h30, chaud-bouillant.
La dame de l'accueil m'indique que j'avais RDV à 14h, et que maintenant je vais devoir attendre. Ben voyons... les 3/4 du temps on arrive ici en avance, aujourd'hui à peine un petit retard et bime.... sanction.
Peu importe, j'attends stoïquement, Ils pourraient même me dire "demain" que ça ne me préoccuperait pas plus.
Du coup c'est à 15h que l'on vient me chercher. La bonne surprise c'est que je n'ai pas à me mettre à quai : depuis Jarcieu je me préparais psychologiquement à la manœuvre à contre main, tel un hyper-inquiet que je suis.
Une fois vide le chef me félicite via SMS, alors que bon je n'ai rien fait de spécial sinon rouler tout droit avec une coupure de 45 au milieu. Je continue donc, direction Marensa, ou plus précisément Sant Vincenc de Castellet. Aucun obstacle en vue : j'arrive à destination à 17h et je ne me fais même pas refouler, on décharge bien ce soir.
Vide donc, à 18h, avec 9h15 de conduite... juste ce qu'il faut pour faire chier : j'ai cramé une 10h, et ma coupure de 13h à venir en comptera officiellement 9.
J'hésite à rouler les 45 minutes pour m'approcher du client de demain, mais je suis bien ici, devant le poste de garde, alors tant pis... s'il manque 45 minutes pour rentrer demain je m'autoflagellerai.
Ce soir je "m'amuse" à expérimenter la suspension pneumatique du camion, pour voir toutes les configurations possibles. C'est vraiment génial ce système : je peux passer du mode "Paris-Dakar" au mode "Kéké-tuning" en un clin d'œil.
En rajoutant deux-trois poufs en bikini à côté je pourrais presque tourner un clip pour Snoop Dog, façon grosse bagnole américaine qui rebondit...
Lorsque les dernières lueurs du jour disparaissent, fini de rire : le temps est lourd et les moustiques débarquent. Je suis à peine en train de finir ma vaisselle qu'ils m'attaquent déjà aux mollets. Alors je me calfeutre dans la cabine, avec la clim. Vers 23h un gros orage éclate et rince le camion. Les moustiques sont en nombre, la nuit s'annonce longue.
J'ai passé la soirée avec le toit ouvert (avant l'orage), et la moustiquaire tirée. Aussi je n'ai pas compris pourquoi autant de moustiques au moment d'aller me coucher ?
Le moustique passe-t-il à travers les joints de la porte ? Le moustique passe-t-il par le système de ventilation ? Non... le moustique est juste plus malin que les concepteurs de la géniale moustiquaire du plafond : la grille est fine et ne laisse passer personne, certes, mais il y a un espace d'un demi-centimetre d'un côté... Du coup tout le monde passe.
Toute la nuit j'ai bataillé, à deux reprises je me suis levé pour des opérations "carnage" consistant à éclater rageusement tout ce qui vole.
Bilan : une quinzaine de morts. Je suis néanmoins couvert de piqures et surtout je n'ai rien dormi.
Depuis les rizières de Vercelli il y a quelques années, je n'avais pas de souvenir aussi inssupportable de confrontation avec ces saloperies.
Ce matin je suis tellement fatigué que j'en viens à douter : ils ne m'auraient pas refilé le chikoungounia au moins ? L'amiante et le chikoungounia la même semaine ça fait beaucoup pour hypocondriaque39...
Je commence cette journée par un chargement à Santa Perpetua, facile.
J'enchaine ensuite en allant chercher des palettes europes chez un transporteur tout près. Il me faut expliquer 5 ou 6 fois, à 5 ou 6 personnes différentes, le motif de ma venue. Et vu mon niveau d'Espagnol, ce n'est pas simple du tout. Je perds une bonne heure avec les procédures. .
Dans la cour, un chauffeur manifestement amoureux de mon camion, le prend en photo dans tous les angles tandis que je manœuvre... je suis flatté, je prends la pose, comme s'il était important que j'aie une bonne allure sur la photo...
Avec mes palettes europes enfin récupérées, je vais charger à Macanet de la Selva, en direction de Girone.
J'ai normalement tout juste assez place, mais je découvre avec joie que la marchandise est déjà sur palettes... sur palettes perdues. Non seulement j'ai gaspillé du temps pour aller les chercher, mais en plus mes 30 palettes europes vont m'encombrer. Tant pis.
Nous chargeons, de 11h à 13h30. 2h30 de pure moiteur à caser en force des palettes non filmées et complétement bancales. Ça ressemble au jeu jenga - grandeur nature. Tout est question d'équilibre.
J'insiste pour qu'il y est au moins un tour de scotch autour des cartons, le minimum... sinon pourquoi ne pas avoir demandé une benne pour charger ?
Le porteurs et la remorque sont pleins à ras bord, il est 14h, je remonte en France.
Comme la semaine dernière il ne me manque pas grand-chose pour rentrer ce soir, je me console en me disant que de toutes façons, le temps de vider et recharger à Jarcieu l'amplitude serait cramée.
Donc je roule jusqu'au dépôt. Je passe la nuit à quai.
06h15, le chef débarque et nous transvasons les chargements : le camion du quai 1 dans celui de Cyril, le mien dans celui du quai 1, et je récupère au final un complet pour l'Angleterre, en échappant au passage, au voyage d'amiante pour Laval. Pas mal.
Je bois mon quatrième café du jour, il faut dire que la nuit à été courte... non pas que je soie sorti, mais j'avais - et j'ai toujours - du retard de carnet de bord.
J'ai mes 11h de coupure, je dégage. Direction Mâcon, sous un beau soleil.
Sur le papier cette nouvelle semaine commence tranquillement : un complet à monter au nord de l'Angleterre, à livrer avant 13h mardi ; Facile.
Je prévois donc de commencer à 7h ce lundi, et concrètement, avec un léger retard organisationnel, c'est à 8h20 que je passe le portail des Routiers Bretons. Cela me permet de répondre à l'énigme : mais est-ce que les autres camions garés ici roulent parfois (les Rouillon et les Gondrand) ? Réponse : oui, ce matin c'est moi qui pars le dernier.
J'ai pensé à tout, sauf à prendre du pain : un sac rempli de bouffe, avec du fromage, de la charcuterie, des radis, de la salade... mais pas de pain, comme la semaine dernière. Difficile d'essayer de ne pas avoir recours au pain de mie dégueulasse, mais à la longue je vais y arriver.
Je monte sur l'A6, pénard, avec en ligne de mire : un peu de gazole à Reims, le bateau à Calais, et la coupure à Douvres. Je monte pénard donc, quand soudain la sonnerie du SMS retentit alors que j'arrive à peine à hauteur de Chalon-sur-Saône. "Possible charger une palette 80x120 dans le 95 ?". Ha... ça me paraissait étonnement calme aussi....
J'ai été bien inspiré de partir en retard : cela me permet de bifurquer direction Paris depuis Beaune.
Outre le fait de me faire contourner la capitale, cette ramasse n'a que peu d'incidence sur mon planning d'aujourd'hui, par contre, la palette en question est à livrer à Londres demain à partir de 8h : cela implique que non seulement je vais me retrouver à Londres au pire moment, mais qu'en plus ça va être très tendu pour livrer mon second client dans les temps.
C'est comme ça, on verra bien...
En 4h22 j'arrive à la barrière de péage des Eprunes, avec toujours cette peur de trouver un Egendarme derrière la barrière, susceptible de me mettre une Eprune 2.0
Ejeu de mot pourri...
Je n'ai pas fait la traditionnelle pause café à Auxerre ou Avallon, je ne suis pas fatigué... (il ne manquerait plus que ça)
J'ai déjà chargé dans l'entreprise du 95 en question, et je sais que mieux vaut y aller sans la remorque, d'autant plus que la livraison à Londres demain sera encore moins accessible.
Pas facile de trouver un endroit rassurant pour décrocher à Méry-sur-Oise. Je choisis une sorte de refuge, le long d'une départementale, faute de mieux. Je reviens 20 minutes plus tard, avec ma palette casée au cul du porteur, je raccroche et je me sauve.
Monté par l'A16, sous un franc soleil d'abord, puis une espèce de brume marine. Le dilemme me triture l'esprit : j'avais bien l'intention de passer la nuit en GB, j'ai d'ailleurs demandé à Nathalie de me réserver la taxe pour aujourd'hui, mais voilà je ne pouvais pas anticiper que cela allait me faire 9h10 de conduite avec le programme changé. Or voici deux vendredi consécutifs que je ne peux rentrer pour respectivement 1/2 et 3/4 h de route manquants. Mais il y a aussi le souci de dormir côté français : peu recommandé avec le risque d'embarquer un clandestin malgré soi. Gros dilemme.
Je coupe finalement au péage de Boulogne : une journée de taxe gaspillée mais un parking à Douvres économisé; (10£ - 10£ = Toto's head)
4h30 ce matin, travée 21 du port de Calais, je colle mes autocollants "classe 6" juste par les bords, pour laisser le moins de trace de colle possible. Il ne pleut pas, il n'y a pas de vent, ça devrait tenir. C'est la première fois que je prends le bateau avec ce camion : je mets la suspension en mode "Paris-Dakar" pour passer les rampes sans que la flèche ne balaie le hayon (l'éternel souci), puis une fois en place tout devant, dans la zone ADR, je sors vite contrôler où les ouvriers de Myferrylink vont accrocher les chaines. Le fait est qu'il n'y a aucun crochet, et très peu d'accès au châssis : pas pratique du tout, je redoute qu'ils me prennent les jantes (en alu), mais ils attachent finalement au niveau de la flèche. A Zeebrugge ils sont moins consciencieux : ils attachent sans réfléchir : jantes, pare-choc, hayon, coffre, jambe du chauffeur... peu importe, tant que la chaine est mise.
J'hésite à rester dans le camion pour la traversée : je n'ai pas le droit mais personne ne le verra... finalement c'est l'appel du ventre qui me fait monter les étages : j'ai envie de manger un breakfast, même s'il n'est pas très bon. Ce qui me fascine à l'espace chauffeur c'est de voir les mecs nous servir comme s'il s'agissait de bonne cuisine, de bons petits plats, alors que concrètement...
Je mange mes œufs, mon bacon, mes haricots, je bois deux cafés, je tape du carnet de bord, et voilà nous sommes côté anglais.
Je débarque à Douvres le premier, il n'y a pas grand monde au port, les douaniers attendent les bras ballants à qui viendra se faire contrôler, mais ce ne sera pas moi.
Direction Londres.
J'arrive à 7h15 à Sidcup, sud-est de la capitale, et il me faut trouver un endroit pour décrocher. Pas simple du tout. Je visais une espèce de refuge mais il est squatté par un porte-voitures qui prend les deux places. Je ne trouve rien d'autre : tout n'est que trottoirs, bordures et lignes jaunes... l'Angleterre quoi...
Au culot, et parce que j'y avais fait demi-tour la dernière fois, je vais poser ma remorque dans la cour d'une boite où il y a de la place... je fais ça vite et je me sauve vider la palette. Je ne peux vraiment pas aller chez le client avec la remorque, même en porteur ça passe juste.
Je reviens 30 minutes plus tard, après avoir livré, je raccroche, il y a bien deux types dans la cour mais personne ne me demande quoi que ce soit... je m'en vais.
Direction Accrington, au nord de Manchester.
Je choisis de passer par la M25-sud pour éviter le Dartford, qui plus est en ADR.
Manifestement ce choix n'est pas le bon. Je me retrouve dans un énorme embouteillage à hauteur de la bifurcation avec la M23. Un embouteillage qui va me couter près de 2h.
L'accident n'est même pas de notre côté : il y a eu un effroyable carambolage dans l'autre sens mais vu que tout le monde s'arrête pour regarder, ça bouche chez nous aussi.
Moi qui hésitais à passer par la M25-nord je peux lire sur les panneaux qu'elle est aussi coupée à la sortie 23, là encore pour cause d'accident... Pas de remord.
Il me sera techniquement impossible de vider aujourd'hui, mais je fais au mieux quand-même, sait-on jamais.
M40, puis M6 la circulation est épouvantable, il s'avère même difficile de garder sa distance de sécurité tellement ça se double et se redouble sans arrêt.
Je ne sais pas trop à quoi m'attendre concernant mon destinataire, j'espère juste trouver une zone où l'on peut se garer.
Accrington, 16h30, c'est mieux que dans un rêve : une zone calme, où les trottoirs sont gris, où il n'y a pas de camions de l'est jonchés dans tous les sens, où je peux même me garer face au portail (déjà fermé) de mon client. C'est parfait. D'autant que j'ai 8h30 de conduite, c'est bien assez.
Voici donc une bonne grosse coupure d'au moins 15h30 qui n'en comptera officiellement que 9... (13h30 d'amplitude)
Je fais les vitres, la bouffe, la vaisselle, la poussière, le lit, la toilette, le carnet de bord... il est déjà minuit - je vais me coucher.
Dès 7h les premiers employés arrivent, je me présente, on me demande d'attendre 8h. Il s'agit d'une petite boite, je ne vois pas le fond de la cour ; ce n'est qu'en entrant que je découvre qu'il n'y a pas de "fond de la cour" : on entre en marche avant, on tourne à droite, et on se retrouve dans l'impossibilité de faire demi-tour - il faut ressortir en arrière à contre-main. Pour l'heure il faut vider, les soucis on verra plus tard. Je fais une fois de plus l'unanimité avec mes portes latérales ; les anglais sont très friands de belles carrosseries, Kate Middleton en est le parfait exemple (peu inspirée, macho, misogyne, relou et nulle... bref une très bonne blague)
On manœuvre beaucoup mieux à vide, la direction est moins difficile et le volant n'altère pas l'épiderme satiné de la paume de ma main... routier oui, mais sensible aussi.
A tous ceux qui se demandent : "mais qu'est-ce qui lui arrive ? Il est devenu gay ou quoi ?" je réponds non : le fait est que le volant de ce camion est tellement rêche que ça y est, j'ai une cloque dans l'intérieur de la main ! A tous ceux qui se disent : "bah c'est que t'as pas des mains de travailleurs mon gars !" je réponds oui certes, c'est parce que je passe mes semaines à glander en attendant le weekend.
Je ressors donc en marche arrière, à contre main, en dévers, avec plein de monde qui me regarde et un camion qui attend pour entrer : tout les ingrédients pour faire de la merde.
Tel le vieux balaise avec ses 20 ans d'expérience, je m'y prends en 3 ou 4 fois, rien de ridicule, je vois même un brin de reconnaissance dans les yeux de l'employé qui me guide.
Je repars donc fier, fier d'être routier, fier d'être chauffeur de camion remorque.com
J'ai vidé à Accrington et je recharge à... Accrington. Complet. La fameuse théorie incompréhensible du "plus c'est facile - plus c'est facile" : lorsque je monte avec 5 ou 6 clients, je fais 5 ou 6 ramasses derrière... et lorsque je monte avec 2 clients, je recharge complet.
Deuxième défi du jour : la mise à quai entre les bordures. Ici aussi je manœuvre devant mon petit public composé d'autres chauffeurs et de cariste. J'y vais doucement certes, mais j'y vais du premier coup ! Il y a des bons jours, aujourd'hui en est un. D'autant que ce quai est une multitude de pièges à lui tout seul - et je ne suis pas tombé dedans : les bordures, les ferrailles à hauteur des portières qui ne demandent qu'à laisser une belle rayure, le cadre étroit dans lequel il faut pile entrer la remorque sous peine de taper le mur et d'y laisser une porte, la hauteur à surveiller... bref un quai tout pourri.
Je charge des gros rouleaux de plastique.
Rien d'autre ; il est 11h et j'ai pour mission de descendre direction Douvres. J'y vais tranquille, résigner à bouffer des embouteillages... et le menu s'annonce une fois de plus très copieux : bouchon à Manchester, à Birmingham, pas de place sur une première aire pour faire la coupure de 45, pas de place sur une deuxième... je m'arrête à Cherwell Valley avec 4h29 de conduite, je décompresse sous la douche en me disant : "mais comment peut-on éprouver du plaisir à conduire un camion dans ce pays ?". Je continue, Londres - bouchon, Maidstone - bouchon... du coup et ce n'était pas prévu je prends le tunnel. J'ai bien assez perdu de temps comme ça.
Lorsque j'arrive à Folkestone toutes les barrières s'ouvrent devant moi, je vais quasi directement dans le train.
Je suis en France à 20h45, reste une heure à rouler, je finis cette journée avec 8h55 sur le parking de la sortie Béthune.
11 septembre 2014. Lorsque j'allume France Inter on évoque forcément le 11 septembre 2001 et le fait que "on se souvient tous de ce que l'on faisait ce jour là.
Oui. Je n'étais pas encore ce vénérable routier camion-remorqueur idole des ménagères de moins de 50 ans, je n'étais qu'un étudiant bête et boutonneux de 19 ans, et ce jour là l'IUT Lumière était étrangement silencieux. Dans le tramway qui nous ramenait chez Guillaume, un pote de l'époque dont je me demande bien ce qu'il est devenu, personne ne parlait, les regards semblaient inquiets. Et lorsqu'on s'est posé devant la télé avec moult bières et moult gâteaux apéros, on a halluciné, comme tout le monde. Le 11 septembre 2001 je buvais des bières devant la télé. Ça c'est de l'anecdote.
Alors que ce passe-t-il aujourd'hui ? Pas grand chose, je n'ai rien à faire sinon rouler en direction du sud. Je quitte Béthune après 11h de coupure, une belle journée s'annonce, encore cachée sous un léger voile brumeux qui donne l'impression d'un paysage flou.
Les tracteurs grattent la terre sur ma droite, les tracteurs grattent la terre sur ma gauche, et à par ça il n'y a pas grand chose à voir.
Je m'arrête à la Total Access de Châlons-en-Champagne, pour 300l de gazole et 30l d'ADblue. Puis je poursuis.
Je roule jusqu'à une petite aire ombragée dans les environs de Joinville, l'endroit idéale pour concocter ma salade de tomate.
Je rattrape l'autoroute à Chaumont, et je continue ma descente vertigineuse vers le sud.
Alors que j'arrive à Mâcon, voici la tête de Phil26 qui apparait sur mon téléphone : "Ho ! Tu paies le café ?!!!"
Il est juste derrière moi, et c'est Tonin - à qui je viens de faire coucou -, qui m'a dénoncé. Donc pause à la Shell, et une fois de plus JE paie le café pour faire taire ces terribles rumeurs qui font de moi une pince...
Notre webmaster est pressé, et on a à peine le temps de faire une vingtaine de photos et autant de blagues pourries. Il poursuit sa route en direction de St Quentin Fallavier - le chanceux ; moi je termine ma coupure.
Je repars au terme de 45 minutes, pas une de plus, et je vise l'aire de Montélimar.
Entre le mec de chez STAT qui me double dans les interdictions, qui ne me remercie pas de mes appels et qui ne lâche rien lorsque je le redouble là où c'est légal... et ce mec en gros Scania porte conteneurs qui fait à peu près la même chose, je suis complètement désolé de voir les mentalités dans les cabines ce soir. Les gens ne peuvent plus nous blairer, et manifestement nous ne pouvons plus nous blairer nous-mêmes... c'est triste.
9h54 de volant, j'arrive sur l'aire de Montélimar.
830 Km au compteur, bonne moyenne.
J'ai programmé le réveil avec deux heures d'avance, et pour une fois je m'y suis tenu : il est 5h30 ce matin, je sors boire le café à la station. Je reviens ensuite au camion pour taper du carnet de bord tandis que mes voisins de parking s'en vont les uns après les autres.
7h45, je suis le mouvement, je m'élance sur l'A7 pour en ressortir direct, à Montélimar-sud. Direction Saint-Paul-Trois-Châteaux. Ça se la pète un peu je trouve... Est-ce que Mâcon s'appelle "Mâcon-quatre-boulangeries-une-piscine" ? Non.
Saint-Paul-Trois-Châteaux donc, ou plutôt "Saint-Paul-Trois-Châteaux-et-une-grosse-usine-de-revêtement-de-sols" (mais là ça devient un poil long) ; j'arrive à 8h10 et me gare sur la dernière place libre devant le poste de garde. Il y a du monde. Le gardien m'annonce de l'attente, rien de plus précis, 2 minutes ou 2 heures c'est le grand mystère...
Zen. Je bois le café, je laisse mon 06 et je vais attendre dans la cabine.
1h30 d'attente. Je vide ensuite au tire pal manuel parce que le quai est HS... 14 palettes d'1t300, ça calme.
J'en ressors avec les bras tous tremblants... les pauvres, ils sont tellement frêles.
Rechargement prévu à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs... avant 14h. C'est qu'il faut courir pour permettre à nos amis les caristes de finir tôt le vendredi !
Je croise de très très près deux scania dans le col de Toutes Aures, deux enfoirés du coin qui me frôlent le rétro gauche bien que je soie quasi à l'arrêt pour les laisser passer. J'aime beaucoup.
Chargement supposé complet de tuyaux en plastique. Je reviens à Jarcieu et nous complétons avec 16 palettes.
Il y a du monde cet après-midi, il faut jouer des coudes pour le quai, le gazole, le lavage. Arrivé à 15h30, je repars à 20h30.
Dernière ligne droite vers Mâcon, 22h45, fin de la semaine.
5h, Mâcon, nuit noire. Ce lundi je pars en direction de Bourges, Orléans, Le Havre, avec 5 livraisons dont la dernière en ADR.
Pour ne pas me louper je suis venu faire ma courte nuit dans le camion (de 3h à 5h) ; je décolle donc pas frais du tout.
Comme à peu près tous les lundis matins à cette heure-ci je roule, le jour se lève, et j'écoute 15 éditions des informations.
Je commence à me mettre quelques baffes dans la tronche entre Moulins et Bourges, il est temps d'arriver.
Premier client à Saint Germain du Puy exactement : un grossiste en matériaux. Je me fais tout petit en annonçant que l'intégralité de la marchandise est casée en vrac, tout en haut de la remorque, j'ai peur que l'on n'apprécie pas. Mais je tombe sur un sympathique personnage qui s'en fout complètement. Je peux alors m'adonner paisiblement à une séance d'escalade pour déloger les précieuses couronnes de TPC et lui balancer au sol. Je refais les piles en bas, il me dit que ce n'est pas la peine, j'insiste.
La route est coupée entre Bourges et Aubigny-sur-Nère, je vais à Sully-sur-Loire et je me gratte la tête pour savoir par où passer. C'est qu'il y en a de l'interdiction dans les environs. Je passe par Neuvy-sur-Barangeon, je tombe sur des chantiers mobiles toutes les 10 minutes, je rattrape Aubigny, agacé de tout ce temps perdu à zigzaguer dans la forêt Solognote.
J'arrive à Sully à 11h30, je décharge une machine.
La suite, c'est deux livraisons à Orléans.
Je ne m'arrête pas manger, je trace. A 13h je vide un nouveau grossiste en matériaux dans la zone d'Ingré, tout va très vite, reste à décharger chez PUM plastique à deux rues d'ici. J'y suis déjà allé et j'avais failli rester coincé tellement c'est étroit dans la cour. J'ai donc fait en sorte de charger dans le porteur, et je cherche maintenant un endroit où laisser la remorque.
Pas simple. Je l'aurais bien laissé chez le client précédent mais il n'y avait pas de place.
Alors que je tente un bout de trottoir pas terrible... j'aperçois deux paparazzi qui me prennent en photo. Ils viennent me dire bonjour : Pierre et William, futurs chauffeurs et lecteurs de mes aventures carnetdeboristiques. Si je m'attendais ? C'est un honneur d'être reconnu, même en pleine manœuvre pourrie... J'en serais presque gêné ! Bien sympas les jeunes, en espérant les revoir sur la route un de ces quatre.
Finalement j'abandonne mon bout de trottoir, et je décroche devant chez PUM, en mode bourrin. Je n'ai que deux palettes à sortir, je raccroche et je me sauve.
Fini pour aujourd'hui, je n'ai qu'à rouler tranquillement en direction du Havre pour vider demain. J'aimerais justement trouver un havre pour ce soir, un havre de paix pour faire une grosse coupure. Malheur, je termine entre Dreux et Evreux, sur une aire de route nationale qui semblait pas trop mal... jusqu'à ce qu'elle soit envahie par toute la misère du monde : Roumains, Bulgares, Lituaniens et j'en passe, qui se posent comme des merdes à tel point que je me demande comment je vais ressortir demain - et surtout comment mon voisin de gauche va ressortir sans m'emporter la cabine... Je voulais me reposer, je suis au pire endroit. Et lorsque la nuit tombe les lampadaires ne fonctionnent même pas, on est tous entassés dans le noir complet, plus pourri j'aurais eu du mal à trouver...
La journée s'annonce une fois de plus radieuse. J'escalade le pont de Tancarville tout en regardant la Seine aux aurores, nappée d'un léger brouillard et bordée de falaises de pierre blanche. Après avoir vu le jour dans les environs de Langres, après avoir sillonnée la Champagne-Ardenne, après avoir traversée tous les bleds qui s'accaparent fièrement son nom (Bar-sur-Seine, Méry-sur-Seine, Nogent-sur-Seine, Bray-sur-Seine... mais pas Chalon-sur-Saône...), après être passée sous le Pont des Arts, le Pont Neuf, le Pont de l'Alma et j'en passe, voici donc la Seine à Tancarville, large, calme, prête à faire le grand sot dans la Manche pour y diluer ses souvenirs de voyage : les eaux usées de la papèterie de Nogent, les clés de cadenas du Pont des Arts, et les couleurs éphémères de Paris numérisées par quelques millions d'appareils photos.
Au loin, on aperçoit déjà Le Havre, du moins les sites industriels du Havre : l'usine Renault, les raffineries, les grues... Le tout numérisé par un peu moins d'appareils photos.
Je vais livrer chez Buffard Logistique, J'arrive à 8h, il est trop tôt, il faut attendre une demi-heure. La marchandise est à destination du Japon, mais une fois de plus je suis contraint de décharger ici, chez un commissionnaire : bon sang y'a plus moyen de faire de l'inter...
Je recharge des produits toxiques à Gonfreville.
"T'as regardé "l'Amour est dans le pré" hier ? " demande la secrétaire à sa collègue alors que je viens faire les papiers.
"non j'ai pas eu le temps, et toi ? C'était bien ?"
Avant de répondre à cette question existentielle, la secrétaire me donne les documents et apporte une précision qui n'est pas sans me surprendre :
"Comme c'est des produits hautement toxiques, il y a un itinéraire de sureté à respecter... vous trouverez tous les détails avec vos papiers". Puis elle enchaine avec sa collègue "ouai c'était pas mal et blablabla et blablabla..."
Tiens donc ? On m'impose un itinéraire ? Je vais étudier ça dans le camion...
Je dis tout simplement bravo ! Bravo à toi le préposé à la sécurité pour avoir si bien travaillé :
J'ai un document officiel entre les mains, siglé du donneur d'ordre, tamponné, signé, daté et tout et tout... ce document précise à mon endroit, que pour acheminer les produits hautement toxiques du Havre au sud de Lyon, il faut prendre le périphérique à Paris (porte de St Cloud - porte d'Orléans) et le tunnel de Fourvière à Lyon. Deux portions qui, à l'attention des lecteurs qui ne seraient pas au courant, sont fortement déconseillées en ADR sauf si on est très joueur.
Pour résumer, mon "itinéraire de sureté" n'est rien d'autre qu'un itinéraire obtenu à la vas-vite sur google map. Il y a la carte, et l'itinéraire détaillé derrière : c'est écrit noir sur blanc "périphérique" et "Fourvière". Ça se la joue protocole, carré, réglementation... mais derrière la forme, pas grand chose.
Tiens je les prendrais bien au mot : on m'impose de passer par là, pourquoi je m'en priverais ?
Surement parce que je ne cautionne pas la connerie...
Quel homme loyal ce Ray.
Quitte à ne pas respecter leur itinéraire aberrant, autant compléter le camion. Noël me dégote une première ramasse à Villeneuve-la-Garenne, 3 palettes alors que je n'ai la place que pour une... ce qui me vaut un véritable casse tête pour dépoter et empiler la marchandise. Puis je vais chercher un colis chez Gefco Gennevilliers, chez Pascal.
Une fois le porteur et la remorque pleins à ras bord, je peux enfin boire le jus avec notre Affréteur. Petit quart d'heure de répits dans une journée bien tendue. Pascal est vraiment cool, et je ne dis pas ça parce qu'il offre aujourd'hui un cadeau qui se mange avec du pain... mais chut ! Les prochains Duarig à charger ici vont être jaloux...
Je repars à 18h via la D7 et les quais de Seine, cette fameuse Seine qui vient de quelque part et qui charrie des trucs jusqu'à la mer, enfin je sais plus trop quoi là, l'espèce de discours pourri...
Je roule dans les embouteillages, je perds du temps, et du coup j'arrive à court d'amplitude à hauteur de Courtenay. Je coupe sur l'aire éponyme où je découvre un grand parking, dans le fond, avec plein de places vacantes. Content.
6h09 premier tour de roue. J'ai trainassé 20 minutes en plus des 9h initialement prévues, mais peu importe. Je me cale sur l'A6 et je regarde le soleil se lever en écoutant la pénombre, à savoir Nick Cave et ses Bad Seeds.
Quelque part dans le Morvan je croise Monsieur Ludovic Joie qui n'a jamais aussi bien porté son nom : le chanceux s'en va vers la Suède. En ce qui me concerne je vais à Vaulx-en-Velin, toujours avec Nick Cave... on pourrait presque m'appeler Régis Tristesse.
Stop à "l'aire de la Forêt" pour les toilettes, la douche et le café : le tiercé gagnant du routier chanceux. J'entends déjà les mauvaises langues dire "il s'arrête à l'aire de la forêt parce que la douche est gratuite, cet individu est une véritable pince", et je réponds : oui.
11h, Vaulx-en-Velin. Je cherche un dépôt Kéolis, il doit s'agir d'une plateforme TCL (Transports en Commun Lyonnais) si je ne m'abuse, et je ne m'abuse pas souvent. Il y en a deux dans la même rue : une pour les bus, une pour les métros. Je choisis celle des bus... erreur c'était l'autre. Le temps de tourner là dedans, de retraverser la rue avec ses feux rouges, et de m'annoncer au gardien qui ne pige pas grand chose, il est déjà 11h20. Je jette un œil sur ma droite : il y a une affiche sur le poste de garde qui précise "livraison jusqu'à 11h30". Sachant qu'un employé TCL est une sorte de dérivé d'agent SNCF, peut-être légèrement plus motivé, quoique... je vois l'avenir pas très radieux.
On me laisse pourtant entrer, et je peux vider juste avant la pause. Ray la mauvaise langue.
Seconde livraison du jour : une plateforme chimique à St Clair du Rhône. Lorsque j'arrive, à 12h45, je trouve la barrière fermée avec un camion immatriculé au Danemark devant. Je me pose comme je peux, à côté, pour ne pas rester sur la route. Le chauffeur est un authentique Danois des environs de Varsovie, je ne comprends pas pourquoi il squatte ici, devant la barrière.
Réponse du gardien : il est dorénavant interdit de stationner à l'intérieur du site pendant la période de pause. C'est nouveau, ça vient de sortir. Et moi qui pensais me poser pénard pour casser la croute, là, sur l'espèce de place devant le poste de garde... Et bien non ! Le gardien me demande de sortir en marche arrière. Je refuse : comme ça, à contre main, sans aucune visibilité, sur la route, hors de question : soit il m'ouvre pour que je fasse demi-tour, soit je reste devant la barrière. Le protocole est tellement obnubilant qu'il préfère me laisser derrière la barrière...
Encore une fois : mais pourquoi autant d'acharnement contre nous ? Il y a des mecs très imaginatifs dont le métier consiste à inventer des procédures à la cons, ils sont de plus en plus nombreux ; il y a des mecs qui s'en battent royalement - quasiment tout le monde ; et enfin il y a des mecs qui en subissent les conséquences au quotidien - les chauffeurs routiers.
Viens livrer, pile dans le créneau horaire, pas avant, pas après, met ton gilet, tes chaussures de sécu, donne tes clés, lorsque c'est vide ne reste pas, ne demande rien, ne touche à rien, prend tes papiers, ferme ta gueule et casse toi. Quel beau métier que le nôtre.
Une fois vide je rentre à Jarcieu. Je décharge le dernier lot et récupère deux clients pour L'Espagne, du moins la Catalogne, du moins la Catalogne du nord... bon Ok à une demi-heure de la frontière, du travail de baroudeur.
Toujours à Jarcieu je rencontre un type de chez Volvo, sans doute de passage à des fins commerciales et avec qui le contact va s'avérer plutôt tendu... Concrètement j'ai devant moi quelqu'un me prend pour un gros con de routier et qui ne fait aucun effort pour s'en cacher un minimum. Il m'explique qu'une une journée avec un formateur Volvo est prévue, parce que "les routiers, en insistant on arrive à leur apprendre quelque chose, ça rentre par là et ça ressort par là, mais y'a toujours moyen de leur apprendre quelque chose".
Trop sympa ce type. Même pas la peine de me foutre un formateur dans la cabine, c'est hors de question. Et puis ça rime à quoi après 15000Km ? Si formation il devait y avoir, c'était avant la remise des clés.
Je repars, énervé contre tous ces types et leurs procédures de merde, énervé contre la terre entière.
Pour me calmer le temps vire à l'orage, je me prends une grosse averse à Mornas.
Je roule jusqu'à Nîmes Margueritte, je me pose sur le grand parking du fond, je fais péter la gamelle.
Il a beaucoup plu cette nuit. Je me lève à 5h40, j'ouvre la porte, je mets le pied gauche dans ma chaussure... et bime : elle est trempée ! J'avais presque oublié, ce nouveau camion a des marches-pieds qui prennent l'eau à l'arrêt. Je ne comprends pas vraiment le principe, sans doute une espèce de gouttière le long du joint de porte, le fait est que c'est la deuxième fois que je retrouve mes pompes en mode éponge. Et la chaussette dedans, de bon matin, ça irrite. De l'autre côté mes chaussures de sécurité son sèches ; Heureusement. Au pire j'avais bien encore une paire de botte dans le coffre, mais je suis bien assez fashion comme ça.
Je décolle à 6h, direction Girone, RDV 10h.
Hier à la radio on a parlé du concours du meilleur routier de France. C'est drôle : après Miss France, après Masterchef, après "la maison préférée des Français" de Stéphane Burne, voici le meilleur routier de France. Je ne connaissais même pas l'existence de ce concours et là, comme ça, les questions se bousculent dans mon esprit :
_ Le vainqueur représente-t-il la France au concours du meilleur routier du Monde ?
_ Le vainqueur a-t-il droit à la bise baveuse d'Alain Delon ?
_ Le vainqueur est-il contraint de faire potiche à la fête du boudin de Manziat ?
_ Le vainqueur bouffe-t-il plus au camion ou à la gamelle ?
_ Le vainqueur écrit-il un carnet de bord ?
_ Le vainqueur travaille-t-il chez le "transporteur de l'année" ?
Oui, je suis tout simplement aigris, comme tout un chacun j'étais persuadé jusqu'à aujourd'hui d'être le meilleur routier du monde, et là j'apprends que non, comme ça, à la radio, entre la cotte de popularité de François Hollande et les températures de demain.
J'arrive à 9h30 chez le premier client, à Celrà. Il y a pas mal d'attente, même si je suis à l'heure, je mets le porteur à quai à 10h30. Voici ensuite le moment tant attendu de mettre la remorque, à contre-main.
Disons que j'ai la contre-main chanceuse : je m'aligne quasiment du premier coup, ce qui fait de moi le routier le plus content de France... à défaut d'être le meilleur.
A ce moment je me dis que peu importe ce qu'il se passe aujourd'hui, c'est une bonne journée.
La suite va me contredire.
Je fais ma deuxième livraison en un éclair, dans la même zone, puis je reçois une première ramasse à faire à Badalone.
Grand beau sur Barcelone. J'arrive à destination avant 13h et je tombe sur les caristes qui partent bouffer.
"On revient vers 14h30", c'est à peu près ce que l'un d'eux m'annonce.
"Ok...", c'est exactement ce que je lui réponds, dans un Espagnol impeccable.
Il s'agit d'une petite boite située dans une sorte de parc d'activité où toutes les enseignes sont entassées les unes sur les autres, j'arrive à trouver un trou de souris pour caser le camion remorque (un trou de grosse souris), et j'attends leur retour en mangeant une tomate avec de la fourme d'Ambert : le meilleur plat du monde vainqueur de Masterchef 2014 catégorie "gamelle du routier".
14h20, ils reviennent. A ce moment précis commence la grosse galère du jour.
Je dois charger 9m de plancher, sachant qu'entre temps j'ai reçu deux autres ramasses. On m'annonce 26 palettes format "europe" ; déjà c'est trop... mais je ne suis pas au bout de mes ennuis : Les palettes sont bien des 80x120, mais les cartons dessus dépassent de tous les côtés, ça ne tient ni en long - ni en large, il faut croiser.
Bordel : 26 palettes à croiser ça fait plus de 12m ! Les caristes n'ont pas l'air inquiet, ils chargent pénard alors que je leur répète qu'il va falloir dépoter des cartons. Je finis par me faire comprendre et forcément ça coince : on me trouve un chef qui parle trois mots d'anglais, je parviens à m'expliquer, il s'en va passer des coups de fil et résultat : plus personne ne charge. Cela dure 30 minutes, pour entendre dire : "oui, on va bien défaire quelques palettes".
4 au total, et ça crée un sacré bazar avec des cartons de partout à empiler.
Ce n'est qu'à 16h40 que l'opération se termine. Je suis sale et en sueur, il fait une chaleur à crever, je me descends une bouteille d'eau : moitié dedans, moitié dessus.
Je fonce à Ripollet, qui n'est pas une enseigne de peinture mais un bled juste au dessus de Barcelone. Ici aussi grosse surprise : d'une part on charge au pont, d'autre part la pièce ne fait pas 0m35x0m80, j'avais mal lu le sms, elle fait 3m50x0m80... c'est une machine d'imprimerie, bien lourde. Et ça change tout : j'aurais dû gerber encore plus de cartons chez le client précédent.
Pour l'heure je charge la machine, et le démontage du toit made in Jarjat est dans la même veine que la fermeture des portes latérales. C'est à croire que les concepteurs de chez Jarjat sont persuadés qu'un chauffeur routier possède 4 mains, très musclées. Non, un Régis possède deux mains gauches, pleines de pouces. (Expression piquée à mon frère Fredo. Il faut rendre à Fredo ce qui appartient à Fredo)
Avec tous ces tracas, j'en oublierais presque que je viens de faire une manœuvre de pro pour entrer sous le hangar... genre on en a plus rien à foutre, c'est devenu normal.
Je tente la dernière ramasse, à Granollers, en sachant qu'il est plus de 18h et que je n'ai pas assez de plancher disponible... Je tente quand-même mais je ne trouve pas le client, je tourne dans les pol industrial des environs sans succès, jusqu'à appeler un ami, à savoir Phil26 qui me remets dans le droit chemin. C'est une véritable mère pour moi.
Fermé, comme prévu. Il y a un mec qui passe la porte d'entrée, peut-être le patron vu la tenue, il m'annonce "demain 9h". Cool...
Je coupe devant, demain est un autre jour.
Je marche le long de cette route de zone industrielle, à la recherche d'un bar. J'ai envie de boire le café certes... mais j'ai surtout envie d'aller aux toilettes. Passionnant. Je trouve mon bonheur après environ 1Km de doute et de mal de ventre : voici un petit troquet, qui ne paie pas de mine, mais exactement ce que je cherchais. De dehors on se demande si c'est ouvert, à l'intérieur ils sont une dizaine d'ouvriers à déjeuner, lire le journal et regarder la télé.
Le café d'abord, les toilettes ensuite, puis à nouveau le café... un peu de savoir vivre.
8h45 je suis de retour au camion, des caristes sont déjà là, mais on me confirme : "reviens à 9h".
Il y a trois quais, et si j'avais su auquel me mettre j'aurais eu toute la nuit pour le faire. Le fait est que maintenant, à 9h, avec cette deux-voies très fréquentée sur laquelle je dois me tordre pour viser juste entre les bordures, c'est la grosse monté d'adrénaline.
Quai n°1, pas hyper difficile, mais impossible de couper la circulation. Je recule une première fois, pour m'avancer de quelques mètres je dois attendre 5 minutes... et cela à plusieurs reprises. Au final : plus d'un quart d'heure pour me mettre en place, dont seulement 3 minutes de volant.
Personne n'est venu faire la circulation, alors que tous les caristes assistaient à la manœuvre... aussi je débarque au cul du camion pour ouvrir les portes, bien chaud, bien énervé, à la limite de les insulter.
Je charge de l'engrais sur les trois derniers mètres de plancher disponible, ici aussi il faut gerber les palettes, le cariste ne rechigne pas.
10h je décolle de Granollers avec mon chargement compliqué, il va falloir rouler tout doux - tout doux.
L'engrais est à livrer dans la foulée à Courthézon, entre Orange et Avignon. J'appelle le destinataire, m'annonce pour 16h, c'est bon. Reste à courir comme un con.
J'aimerais prendre ma douche quelque part, j'aimerais m'arrêter manger, mais je n'ai qu'une coupure de 30 min d'ici à Couthézon pour tout faire.
Et puis de toute façon, je croise le grand Suédois à Béziers, alors je me contenterai d'un café. Mieux vaut le café avec un copain qu'une 17ème salade de tomate tout seul.
16h pétantes, me voici chez le client. Je me sépare de mes lourdes palettes d'engrais, le reste est à vider au dépôt.
19h Jarcieu, le temps est orageux, il n'y a plus de courant, tout le monde participe au déchargement et rechargement de mon ensemble, tout le monde, chefs y-compris.
Pas de lavage, pas de plein, rien ne fonctionne. Je rentre donc direct vers Mâcon. J'arrive dans la cour des Routiers Bretons avec 9h55 de volant, le temps de m'aligner dans le noir, sous la pluie, à ras Gondrand, ça fait 10h00... Bon sang à une minute près je laissais le camion au milieu de la cour !
Je ne suis pas dedans ce matin. J'ai pourtant bien dormi, trop peut-être ; je suis en retard. J'ai mon complet de graines pour oiseaux à livrer à Bourg en Bresse, RDV 8h, je pars de Mâcon à 7h30.
J'ai déjà fait ce voyage, c'est à croire que les oiseaux bressans bouffent comme des cochons.
Il est 8h10 lorsque je me présente chez le client. Il y a un camion à quai. J'entre dans l'entrepôt et constate que le cariste sort tout juste la première des 33 palettes. Génial. Je suis bon pour attendre en ruminant contre moi-même et mes 10 minutes de retard.
9h, le quai se libère. Je prends la place au terme d'une reculade laborieuse malgré les 250m de place devant le quai. Ce matin je suis extrêmement mauvais.
Vide à 10h j'ai pour mission d'aller recharger à Chalon-sur-Saône, chez un transporteur. J'y fonce.
Il est 11h30, le gardien m'annonce au bureau : on lui dit de me dire de revenir à 14h. Il s'agit pourtant bien d'un transporteur, j'imagine que les affréteurs d'ici sont rarement contents de savoir leurs camions plantés 2h30 dans une boite... mais voilà, pour tous ceux qui se présentent à 11h30 comme moi, c'est le tarif. Naïvement, et dans l'optique de peut-être charger, je suis venu... et je me retrouve donc là, comme un con, alors que j'aurais pu faire mes courses, manger, boire le café et attendre dans un meilleur endroit.
Petit changement de programme : Sweden vient me retrouver et je récupère une partie de son chargement. Nous transvasons au hayon, afin de ne pas avoir à demander un passage à quai, il vaut mieux en demander le moins possible ici.
Je discute ensuite un moment avec un chauffeur lui-aussi en camion-remorque, bien sympa. Je lui montre mon ensemble, un peu gêné, voire très gêné : il doit avoir 15 fois plus d'expérience que moi et roule dans un ancien Daf Chevrier, pas une première jeunesse.
14h, c'est la cohue devant le poste de garde : 7 ou 8 chauffeurs qui se talonnent avec les gilets fluo pour ne pas perdre leur place. Je suis arrivé avant la plupart mais je ne joue pas des coudes : ça commence à me saouler de me tordre à cette organisation foireuse : Tu peux arriver à 11h30 et te faire doubler par celui qui arrive à 13h si ce dernier passe 1h devant le hublot. Il n'y a même pas un registre d'inscription.
Du coup, no stress, 14h15 je me représente au gardien, qui me fait entrer.
poste de garde - zone de parking - bureau affrètement - quai 106 - bureau de chargement - gilet fluo - protocole de sécurité - donne tes clés... et attend. Surtout attend d'ailleurs. Car une fois à quai, j'ai la joie d'apprendre que le cariste qui va charger, doit d'abord faire un container complet. "Lui il est prioritaire" m'annonce-t-il. Moi je suis le bon con du jour.
Du coup, arrivé à 11h30 chez ce transporteur, ce n'est qu'à 16h30 que je repasse le portail dans l'autre sens. Impeccable.
Je roule jusqu'à Jarcieu, pas énervé, non, moitié fataliste - moitié blasé. J'ai eu ma dose de protocole pour aujourd'hui et grâce à ça, je sais que je ne pourrai pas rouler mes 9h, et je n'aurais pas le temps de manger ce soir. Ce qui ne dérange absolument personne sinon moi-même.
La bonne nouvelle du jour (enfin!) c'est que je charge pour l'Italie, un bon tour en plus : Anagni, dans le centre, avec quelques palettes à vider au passage à Grimaud 83.
Je termine sur l'aire de Mornas, bercé par le vent, avec à peine 7h de volant.
S'agit-il d'une aire ou d'un hall de gare ? On peut se poser la question lorsqu'on sirote un café fadace devant leurs distributeurs, à Mornas.
Le vent est tombé, je pars à 7h45.
Mon téléphone Duarig ne daigne pas s'allumer malgré le chargeur, malgré plusieurs tentatives d'enlever et remettre la batterie, malgré quelques grosses claques dans sa tronche.
Je roule direction Grimaud. La marchandise est dans le porteur et je me demande s'il vaut mieux sortir au Luc, ou au Muy. La D558 (sortie Le Luc) semble plutôt sportive, mais après tout si j'y vais uniquement avec le porteur ?
Je décide de faire de la sorte, d'autant qu'il y a de la place pour décrocher, juste après la sortie, direction Vidauban.
Me voici donc en vadrouille dans le Var, en porteur. Je traverse La Garde Freinet, puis Grimaud, par une D558 parfois étroite mais carrément large comparée aux meilleures routes secondaires anglaises. Et de toute façon en porteur, ça passe partout. Au début j'ai le réflexe de toujours regarder dans le rétro, voir où passe la remorque... c'est parce que je suis inquiet de nature. Très vite on prend ses aises.
Je décharge à 10h30 dans une petite boite qui entretient des yachts. Oui des yachts... en français des ïôtes. Il n'y a que des anglais sur place, et un chien - peut-être lui-même anglais mais je ne l'ai pas entendu parler.
Je devais vider au hayon, mais on fait péter le vieux Clark dans le hangar du fond, bonne nouvelle.
Une fois terminé je me retrouve tout seul au milieu de la cour, avec le chien, un gros clébard genre Dog Allemand en plus petit, ou Pit Bull en plus gros. Il amène sa baballe à mes pieds... bien que cette dernière soit dégoulinante de bave et de graviers, j'obéis, je la prends et lui jette en disant "allez va chercher !".
Du coup à défaut de me bouffer il devient mon pote. Je lui jette la baballe à n'en plus finir et heureusement que le facteur arrive et attire son attention, sans quoi je serais peut-être encore en train de devoir lui jeter la balle, terrorisé à l'idée de le contrarier en disant "allez on arrête".
Je me sauve donc en douce.
Je repasse par Grimaud et La Garde Freinet, puis je retrouve ma remorque au Luc. J'attèle et reprends l'A8 direction Nice.
Je coupe 30 minutes sur l'aire de Vidauban où je profite gratuitement de la douche, alors qu'apparemment c'est payant d'après un chauffeur croisé en y allant. Je mange une part de tarte aux poivrons et à la hâte, puis je reprends l'A8.
La pénible A8, avec ses montés, ses descentes, ses camions de l'est. On annonce un bouchon à Nice, et lorsque je tombe sur les véhicules à l'arrêt au beau milieu d'un tunnel, je mets mes warning mais le mec de derrière est à deux doigts de m'emplâtrer tellement il est près.
Côté Italien ce n'est pas forcément moins stressant, mais c'est joli. Certes la traversée de Gênes a perdu de sa superbe (on passait entre les balcons - on passe désormais entre les murs antibruit) mais il reste quelques points de vue hors du commun, notamment celui sur le port, avec le Costa Concordia posé sur béquilles dans un coin.
Je roule au maximum, pour une fois j'ai l'amplitude.
Je tente une station Agip près de Massa, c'est blindé. Du coup je me pose sur un simple parking d'autoroute de l'A11, juste avant Lucca.
Fin de la journée, 9h54 de volant.
Je sors une poire du réfrigérateur. Elle est congelée. La température est programmée sur 7 degrés mais elle est congelée. Je la pose dans mon assiette afin de couper la partie mangeable. Elle roule vers la droite de l'assiette, puis elle roule vers la droite du tableau de bord, puis elle tombe par terre. Et pendant ce temps là le designer qui a dessiné ça, bouffe pénard sur sa table Ikéa, bien droite.
Direction le sud. 9h se sont écoulées et je repars avec mes produits toxiques. Il y a deux itinéraires possibles : par Firenze, ou par Grosseto. Par défaut je longerais bien la côte via Grosseto, d'autant que c'est de la route nationale. Le problème si je fais cela, c'est que je vais me retrouver sur le Grande Raccordo Annulare (périph de Rome) vers les 8h. Or si je passe via Firenze et l'A1 j'évite le GRA.
Va pour l'A1.
En partant dès 4h40 j'évite une bonne partie des grumeaux quotidiens qui encombrent le réseau italien : les camionnettes surchargées, les vieux, les camions de chantier, etc.
Je gagne du temps sur le GPS, je pourrais presque tenter d'aller chez mon client sans coupure, mais ce serait risqué : du genre posé devant le poste de garde à dire "bah je peux plus bouger..." comme un imbécile.
Je m'arrête donc prendre un café dans les environs de Rome. 90 centimes, avec la tasse en Faïence, la soucoupe et la cuiller ; Dieu qu'il fait bon se retrouver en Italie.
Je déguerpis avant qu'un car de tourisme ne lâche son cheptel de vieux asiatiques dans les étals de confiserie. Pas de temps à perdre.
Il est 10h15 lorsque j'arrive à destination, pas mécontent de me débarrasser des 20t qui me lestent depuis Jarcieu. C'est un cariste "à l'ancienne" qui s'occupe de décharger : un vieux rital, l'air rude et la voix cassée, mais content de voir que je fais l'effort de tenter la conversation avec mes trois mots de vocabulaire dont "grazie", "ciao", et "buon giorno"... ce qui donne dans ma bouche "gratzié", "tchao", et "bonjournô".
11h30, c'est vide. J'ai une première Ramasse à Pomezia. Difficile de couper à travers, il n'y a pas de route potable : je remonte sur Rome, puis redescends sur Pomezia.
Pour définir Pomezia en deux mots : des poubelles, et des putes. Allez disons trois mots : poubelles, putes, usines.
C'est incroyable la saleté ambiante dans les environs : il y a des déchets partout le long de la route, des poubelles éventrées, des papiers d'emballages, des journaux... c'est absolument dégueulasse.
C'est incroyable aussi le nombre de filles les fesses à l'air dans les environs. Il y en a partout, à chaque recoin, à chaque croisement, des jeunes, des vieilles, des grosses, des maigres, des blondes, des noires, des jolies, des vulgaires, des pathétiques... bref, c'est la grande foire à la prostitution, les rayons sont bien garnis, faites votre choix. On a l'impression que les italiens ont un autre rapport à la prostitution que le notre : on dirait qu'ils vont aux putes comme on va à la boulangerie.
Dans ma rue le dimanche
Aussi les autres jours
Des belles filles offrent l'amour
Comme elles feraient la manche
Ne t'inquiète de rien
C'est humain humain humain
...chante Jeanne Cherhal dans mes haut-parleurs.
Phil26 m'a bien expliqué les pièges à éviter pour trouver le client, heureusement, c'était compliqué. Et je bénis l'inventeur de la suspension à coussins d'air : le chemin qui mène à l'entrepôt est miné, il ne s'agit pas de nids de poules mais de véritables cratères. Donc position 4x4, et rien ne frotte.
La boite est au fond d'une impasse, j'attends 1h devant, c'est la pause.
Les mecs reviennent, motivés, on m'indique direct le quai 4. Il y en a un qui m'amène déjà les palettes en chantant hyper fort sur son tire pal autoporté, comme seul les Italiens savent le faire, ce couplet ultra connu et ultra dynamique : "I NEED YOU ! YOU ! YOU !"... "I NEED YOU ! YOU ! YOU !"... "I NEED YOU ! YOU ! YOU !"... truc des blues Brothers si je ne me trompe. Quel entrain ! Quel organe ! Quel répertoire !
Seulement voilà... après une centaine de "I NEED YOU ! YOU ! YOU !"... on commence à penser au meurtre. Si seulement il connaissait la suite des paroles !
Je charge le porteur, et repars en fredonnant "I need you... you... y..." et merde tiens !
Une autre ramasse m'attend à Bergame.
Reste 2h30 à rouler, ou 3h30, au choix. En sortant de chez mon client je suis bêtement l'itinéraire PL obligatoire, ce qui me vaut un sacré détour dans la campagne peuplée de prostituées. J'aurais mieux fait de prendre par là où je suis arrivé, l'infraction en valait la peine.
Je fais un demi-tour de GRA, le temps de renouer un peu avec le "style" de conduite des italiens en général, et des Romains en particulier : souvent agaçant, pénible, stressant, toujours déroutant, et parfois même hallucinant. On voit tout et n'importe quoi sur ce périph de Rome.
Une fois sur l'A1 c'est plus calme. Il ne fait pas très beau et je rate la plupart de mes photos : dommage, il y a du turbostar et du série 4 de sortie.
3h15, le cheveu hirsute, le teint palot et l'haleine fétide je me dirige chez Autogrill pour descendre un café avant de prendre la route qui me conduira à Bergame. Si je décolle tôt, c'est d'une part pour profiter de l'A1 en solitaire, et d'autre part pour tenter de charger avant midi. Et puis il faut voir à long terme : demain je dois décharger à Aubenas, il s'agirait d'y arriver avant 18h.
3h30, j'ai fait le tour du camion, le fameux tour d'inquiétude d'inquiet39 qui consiste à vérifier à peu près tout se qui se vérifie : portes bien fermées, pneus bien gonflés, bouchons de réservoirs bien en place. On n'est pas au niveau des contrôles de sécurité enseignés au permis PL (le truc que l'on est sensé faire avant chaque départ...), mais presque.
Je suis étrangement seul sur l'A1. Je m'attendais quand-même à me faire doubler par quelque Napolitain en Turbostar, cernes sous les yeux et régule à 10kg... même pas. Je ne double personne et personne ne me double. Je roule pénard, pied au plancher, et très vite j'aperçois les lumières de Florence. Non pas Florence ma tante, qui laisse toujours la cuisine allumée, mais Florence la belle, Florence la grande, Firenze !
La suite se complique un peu : il y a les Apennins à traverser, le col du Grand Boeuf local en dix fois plus long et dix fois plus tordu, mais, à l'instar du sommet de l'A7 - interdit aux dépassements pour les PL. Je me retrouve à 50 Km/h, à la queueleuleu, tout le monde s'éclate, tout le monde chante, tout le monde danse... c'est bien simple on se croirait à un mariage animé par Patrick Sébastien.
Non je ne double pas, même s'il est tôt, même si je suis léger; Quand je vois les Napolitains les plus chevronnés rester bien sagement les uns derrière les autres... ceux-là même qui roulent comme des gros bourrins partout ailleurs, c'est bien qu'il doit y avoir de la Polizia dans les parages.
Je perds les 10 minutes que je venais de gagner sur le GPS.
Le jour se lève, je passe Bologna, Modena, et je monte direction Mantova. 4h de volant, je m'arrête sur "l'aire du Pô", et l'air de l'aire du "Pô" n'est pas des plus agréables : il fait moite, et ça fleure bon l'élevage de porc. Ça me rappelle quelques coupures peu confortables dans les environs.
Nouveau café, tentative de sieste, et je poursuis.
Le soleil perce sur Bergame, l'A4 est surchargée de gens pressés qui ont plein de truc à faire dans tous les sens, je sors à Dalmine et remonte en direction du Val Brembana. Chargement à Almè précisément.
A quoi bon utiliser un GPS lorsque l'on a un Phil26 ? Hier il m'a aussi expliqué ce client, et c'était là aussi difficile. Point commun de mes deux ramasses : il faut prendre des interdictions plutôt angoissantes, on se demande un peu où l'on va... et si l'on ne va pas faire l'objet d'une nouvelle vidéo Youtube catégorie "gros cons de routiers qui vont n'importe où".
Je charge avant midi.
C'est quasi complet, j'ai pour mission de rouler vers la France via tunnel du Fréjus.
N'ayant pas perdu de temps jusqu'ici, et dans l'optique de caser une 11h de coupure, je décide de m'arrêter à Carisio, 3h, afin de fractionner ma pause tout en ayant le temps de faire installer ma cibi.
Oui, tel le routier des années 80, j'ai décidé de remettre une cibi, quitte à peu m'en servir... elle traine depuis bientôt 3 ans dans mon coffre, pour une fois que je peux m'arrêter à Carisio ce serait bête de m'en priver.
13h30, le bungalow de "Technoservice" est fermé. D'après le lavage d'à côté, le mec revient à 15h. Ok. Je vais prendre une douche. 3 euros... c'est cher.
15h voici le pro de la cibi. Je lui explique ce que je veux, puis je le laisse bosser. Il y a là un Alsacien de chez Herbrich venu chercher une pièce, nous discutons fond-mouvant, camion-remorque, Italie, Alsace... bref nous discutons.
Pas un trou, rien de cassé, rien d'abîmé, rien de salis : le gars qui bosse ici bosse vraiment bien. Je le recommande vivement à tous ceux qui auraient la chance de pouvoir s'y arrêter.
Me voici connecté au web du vieux routier, certes l'antenne n'est pas des plus harmonieuse sur ce nouveau FH, mais peu importe, je repars en me connectant au canal 5, et c'est tout bête mais rien que d'écouter les Italiens tchatcher avec leur intonation tellement extravertie, ça me fait plaisir.
J'aime ce son de cibi, ça me rappelle les tours de camion avec mon père.
Je roule jusqu'au Gran Bosco, arrivée 18h12, 9h50 de volant et 1h45 de cibi.
Pas de chance ce matin : je repars à 3h12, comme prévu... et lorsque j'arrive au Fréjus ce dernier est fermé, du moins en alternance, il faut que j'attende 4h30. Ça commence bien.
Une fois de l'autre côté, c'est l'A43 qui est fermée à hauteur d'Aiton, il faut prendre la nationale. Cela ne fait pas perdre énormément de temps, mais techniquement j'ai encore un maigre espoir de rentrer ce soir, tout maigre espoir car j'ai parfaitement conscience que s'il ne me manque pas les heures de conduite, il me manquera l'amplitude... et vise versa.
Pour le moment je roule direction Aubenas. Grenoble passe très bien à 6h20.
La jauge à gazole commence à flirter avec le rouge : je m'arrête à la total Access d'Alixan, où bonne surprise, on m'offre le café contre les 150 litres de pétrole, sympa. Vous n'irez plus chez total Alixan par hasard.
Naïvement je me suis dit : "tiens, je vais passer par Privas pour aller à Aubenas, c'est tordu mais c'est joli et ça change un peu..."
Et bien non : interdit aux PL+26t. Du coup il faut bel et bien suivre Le Teil via N86, et la traversée du Teil est toujours aussi agréable...
Je suis à destination à 9h30. Il fait beau en Ardèche.
Vide à 11h, j'ai pour mission d'aller charger à Tournon "avant 14h". Le fameux "avant 14h" du vendredi qui m'exaspère autant qu'il m'empêche de prendre le temps de manger.
La blague du jour : j'arrive à 12h30 devant une grille fermée "expédition 8h-12h / 14h-17h". J'adore. Restons calme... du coup j'ai bel et bien le temps de me préparer une salade, et puis de toute façon il me manquera les heures ET l''amplitude pour rentrer aujourd'hui, désormais je m'en cogne.
Je charge complet, complet camion-remorque, c'est à dire 37 palettes, tandis que la chef des expéditions insiste pour en faire rentrer 38. "Un camion remorque ça doit en rentrer 38 normalement !", oui...mais tous les camions-remorques ne sont pas les mêmes.
Une fois plein à craquer, je n'ai plus qu'à rentrer chez moi. Seulement je ne peux pas : cela me ferait 10h15 de volant. Or j'ai fait 9h50 jeudi, 8h45 mercredi, 9h54 mardi... et 6h45 lundi.
Merci à toi le transporteur de Châlon, pour tout ce temps perdu dès le lundi matin... temps perdu qui m'empêche de rentrer ce vendredi après-midi ; car pour le coup j'ai trainé le "décalage" tous les jours de la semaine.
Voilà, c'est comme ça... je rentre à Jarcieu et je passe la fin de journée dans la cour. Pour une fois je n'avais même pas à me mettre à quai ; juste à faire le plein et à laver.
Encore un semblant de nuit dans le camion, à peine une heure et demi de sommeil, avant d'attaquer une ascension vers Valenciennes dès la première heure du jour.
Bizarrement je ne suis pas très fatigué, j'entrevois les premiers signes de faiblesse vers Saint-Dizier et je m'arrête dormir entre Vitry et Chalon. Je programme le réveil pour H+1, et je me mets dans la couchette.
H+2,5... je jaillis d'un bond, bordel je me suis loupé, il fait jour !
Que faire ? Attendre encore 30 minutes afin de caser 3h et valider une 11h ce soir ? Oui... mais non : si je fais cela je vais être à 11h30 à Valenciennes... au risque de vider à 14h... au risque de ne pas avoir l'amplitude pour aller recharger vers Arras. Je pars après 2h40 de coupure ; énervé.
Le temps est triste, avec un peu de pluie et un ciel blanc compact, le paysage est triste lui aussi, avec rien sinon des champs à perte de vue.
J'arrive à destination, il est 10h50. Nous déchargeons jusqu'à 12h10, juste avant la pause. J'ai été bien inspiré de ne pas faire 3h.
Je fonce charger des palox de pommes à Saulty, entre Arras et Doullens. 14h, je coupe sur place au terme de 13h d'amplitude pile poil. Tout est bien qui finit bien.
11h plus tard, c'est reparti, direction le sud. Je coupe à travers les petites routes sales du Pas de Calais pour rejoindre l'A1 à Bapaume. Il y a du brouillard, ça caille, le camion se crépit progressivement de terre, j'aime cette région.
Je descends donc via Paris, et contre toute attente je ne tombe pas dans les sempiternelles fermetures nocturnes, ni sur le périph, ni ailleurs.
Je roule jusqu'à Courtenay pour une première pause de 45 minutes, puis jusqu'à l'aire de la forêt comme le veut la tradition, pour une seconde. J'en repars frais, fringant, riche et motivé à aller vider mes pommes à Bellegarde-Poussieu.
Il est 11h30 lorsque j'arrive avec 9h de conduite. On me laisse le tire-pal à disposition pour que je puisse vider et recharger malgré la pause. Complet de palox vides pour Maclas, livraison foulée.
J'enchaine sans manger, je roule vers Maclas, pays de la pomme et de Justin Bridou, j'appelle le destinataire qui m'engueule presque en me disant : "mais je vous ai dit pas avant 15h !???"
Moi perso il ne m'a rien dit du tout.
Qu'importe, je vais à Maclas, je me pose sur le parking du stade avec 9h45 de volant et plus beaucoup d'amplitude... va falloir trouver une solution.
La solution s'appelle Phil26 : le voici qui me rejoint pour faire du camion-remorque comme au bon vieux temps. Nous allons vider dans les champs, nous rechargeons chez un marchand de matériaux. Belle dextérité l'ancien ! Et je ne dis pas cela uniquement parce qu'il est webmaster et qu'il est train de lire ce carnet de bord... non vraiment, il me prouve que le camion que le camion-remorque c'est comme le vélo ou le dernier avis d'imposition : ça ne s'oublie pas.
Pour finir cette journée, comme la dernière page d'un Astérix au pays des Duarig, nous festoyons devant une bonne assiette, avec des pizzas en guise de sangliers, la radio trop forte en guise de barde, Ray dans le rôle d'Astérix, et Phil26 dans le rôle d... de Phil26.