ANNIE, le camion dans la peau…

Je m’appelle Annie, je suis née le 12/07/48 à Lavilleneuve (71). J’ai habité de 4 à 12 ans dans une gare, juste à côté de 2 restos routiers « chez Juju », maintenant « chez Gaby » et l’autre qui était plus familial « chez Barrault ». J’allais souvent chez Juju car je jouais avec le neveu des patrons et accessoirement pour regarder la télé. Mon père (qui travaillait en usine ) avait un copain routier chez Translittoral à Outreau (62) qui me laissait m’installer au volant de son camion et ça me faisait rêver de le voir partir au volant de son gros camion, comme un chevalier sur sa fringante monture ; un UNIC IZOARD si je me souviens bien… Mon père allait à l’usine à mobylette, c’était beaucoup moins impressionnant… Raymond, le routier m’avait envoyé quelques cartes dont une de Monaco, ça m’a ouvert des horizons (en 1959/60) la gamine de 11/12 ans que j’étais, est tombée amoureuse du routier et du camion : tout l’ensemble !! il devait avoir 26 ou 27 ans (Raymond pas le camion)… Je me souviens lui avoir dit « quand je serai grande moi aussi je conduirais un camion ; ça l’avait bien fait rire !!!

Un certain nombre d’années plus tard, mon père étant décédé, nous sommes parties (mes 2 frangines, ma mère et moi) vivre en ville : nécessité financière oblige. Je suis allée travailler en usine de confection à 14ans 3/4 !!!
Je suis allée en stop camion à 16 ou 17 ans en vacances chez mes tantes sur la côte d’azur, ma maman qui pensait que j’étais partie en train, était prête à alerter la police car j’avais oublié de lui envoyer une carte disant que j’étais bien arrivée; je crois que ma soeur ainée m’avait dénoncée… Je faisais aussi du stop en camion sur de petits trajets, je trouvais ça sympa !! et surtout je roulais « en camion ».

J’allais le samedi chez un petit transporteur du coin rôder en observatrice dans le garage afin d’acquérir des notions de mécanique. Avant 18 ans, j’ai pris des leçons de conduite pour passer directement le permis PL, j’ai eu le code mais j’ai raté la conduite (j’ai presque refusé la priorité à un camion parce que sur le Berliet (petit porteur) de l’auto-école, le rétrogradage de 3ème en seconde était « périlleux « car pas aisé et je ne maitrisais pas bien le double débrayage : alors je me suis dit je vais rester en 3ème et avec un peu de chance personne n’arrivera à ma droite (je suis d’un naturel très optimiste !!!) bon ça ne marche pas à tous les coups mais très très souvent (citation: quand on veut, on peut, et quand on peut, on doit ! et lorsque on a des « convictions » je ne doute pas de mon pouvoir de les faire partager… encore faut-il avoir des convictions !!). Bref, je me suis arrêtée au milieu du carrefour, le chauffeur du « gros » camion avait l’air de rigoler quand il a vu la petite jeune fille qui voulait lui « sucrer » la priorité.

Retour à la case départ. . Je me suis représentée au permis 2 mois plus tard, j’avais repris quelques leçons et le moniteur me sentait tellement prête qu’il avait « convoqué la presse  » (en l’occurrence le journaliste photographe du journal régional) je pense que c’était une publicité pour son auto-école, ça m’a un petit peu perturbée, je ne tenais pas spécialement à faire parler de moi, mais j’ai réalisé mon parcours (assez minimaliste à cette époque ) avec brio. Le geste explicite du moniteur (la main dans la poche avec petit signe de tête) m’a fait croire un instant que j’avais le papier rose, mais le sévère examinateur,me demandant quel âge j’avais, alors qu’il avait mon dossier sous les yeux, m’a dit alors « eh bien peut-être la prochaine fois ! « J’ai ressenti l’injustice et je ne voudrais pas faire mon « Calimero » mais je ne peux pas m’empêcher de penser que si j’avais été un garçon, je l’aurais eu mon permis !! Mais pas d’amertume !

Comme j’avais beaucoup sacrifié de mon petit salaire (dont je donnais la moitié à ma mère) j’ai décidé de ne pas m’entêter et de partir en Allemagne à Alt Breisach, en pensant que ça serait plus « juste  » là- bas. Donc je suis partie travailler en usine (j’ai toujours eu la bougeotte) je pensais me perfectionner en allemand et voilà… Optimiste ? Celà me permettait aussi de faire des allers et retours en stop camion. J’ai rencontré mon futur époux (pas routier), laissé de côté mes projets pour la vie de famille et deux enfants.

En 1975, j’ai passé mes permis en stage de 4 mois à l’AFT. J’ai trouvé tout de suite en sortie de stage une place de chauffeur de bus en Seine et Marne ou j’habitais, « Les Cars Verts » en service scolaire et service de ligne (Corbeil-Essonnes/Paris) de temps en temps ; mais je n’ai fait ça qu’une année, ensuite je n’ai pas trouvé tout de suite le boulot idéal (en semi) j’ai fait des livraisons en petit porteur sur Paris et la région parisienne, je travaillais aussi en intérim et à ce moment là, je travaillais enfin en semi : une benne à gravier en régional et en remplacement : 2 contrats de 4 mois mais pas d’embauche définitive.

Enfin, après avoir postulé dans plusieurs boites de la région un transporteur ayant un contrat avec Intermarché, coincé par le départ d’un chauffeur (coup de tête) m’appelle le vendredi pour commencer le lundi en inter-base ! Youpiii !!! Le camion un Volvo F10 (le luxe ) et le boulot (super)! Je découvre les routes de France.. Ceci en 1981 ..ça roule…enfin ! A la CB Milady 77 (mousquetaire oblige). Et puis un collègue me dit qu’il va passer son attestation de capacité et pourquoi moi je ne la passerais pas ? Surtout qu’une session de 3 semaines est possible à Paris même en Oct. 1984 ; je repousse mes vacances , je l’obtiens et dans la foulée je demande à la SET intermarché si il y a une possibilité de contrat : c’est oui mais à Peynier Rousset (13) une base qui ouvre en Mai 84.
OK !!! A l’époque, un peu difficile de faire accepter un Volvo, un des chefs de transports y était opposé mais un autre a plaidé en ma faveur. Surtout que ce F10 économique 330 cv a été négocié comme un chef, j’en étais moi- même étonnée : on est passés d’une première offre VOLVO Nancy 450 000 F puis le prix a descendu en mettant en concurrence Loiron et Vitry qui a fini par me livrer le Volvo avec Webasto en option et clim de série.. à 280 000 F !

 

Le premier à moi !

Les négociations sur les prix et les prix aussi, tout ça a bien changé et pas en faveur des transporteurs. J’ai appris récemment que Volvo avait provisionné je ne sais plus quelle somme assez importante en prévision d’une possible amende pour entente sur les prix (je ne sais plus quels sont les autres fabricants concernés) il est quand même dommage que des industiels, au lieu de faire le prix juste préfèrent s’entendre à la hausse et payer une amende plûtot que faire béneficier leurs clients d’un prix étudié. Celà tient de la mentalité haute finance, trader, coup de bluff !!!

J’étais étonnée de la facilité avec laquelle j’ai réalisé cet achat, totalement néophyte en la matiére que j’étais ! L’assureur aussi a été sympa puisqu’il m’a appliqué un bonus de 50%. Je suis restée 3 ans en contrat et j’ai bien travaillé et gagné !! Je me suis bien gardée de demander un second contrat en embauchant un chauffeur, je ne suis pas capable et n’ai pas envie de prendre ce genre de responsabilité, sans compter que je n’ai confiance qu’en moi-même et en tant qu’égoïste, je ne veux pas partager mon plaisir.

J’ai eu ensuite l’envie d’aller un peu plus loin et j’ai trouvé un affrêteur : Tpts Jouchoux qui faisait Espagne/Allemagne, souvenez-vous, il avait des frigos jaunes sur les côtés desquels étaient peintes des Ferrari ! ça vous rappelle quelque chose les anciens ?

Quelques fois c’est un peu étroit, je suis quand même arrivée à sortir de la cabine pour prendre la photo.

Donc, 07/87 premier voyage en Espagne, avec une savoyarde de location car mon frigo ne sera livré qu’en septembre. Passage de frontière à Irun, le banquier m’ayant assuré que ma CB passait partout en E. Je me suis pointée avec une autonomie restreinte à la frontière en pensant que la 1ère station (voire la seconde) serait la bonne, (sachant le gazole moins cher en Espagne et étant économe de nature !) eh bien pas tout-à-fait, c’est ce que j’ai appris dans un routier où des collègues m’ont dit que la station qui acceptait les paiements CB était un peu trop loin pour moi; heureusement un collègue compatissant a bien voulu me donner de l’argent liquide en échange d’un chèque… Je le remercie encore. Pensez bien qu’ensuite on ne m’y a pas repris, j’ai toujours pris mes précautions avec de l’argent liquide, ça sert de leçon !

Pendant des années, avec le frigo (je préfère à la savoyarde : il n’y a qu’à ouvrir les portes !! Je suis un peu flemmarde ! je vais rouler entre l’Espagne,l’Allemagne et le Portugal et un peu d’Autriche.

Je change d’affrêteur et je travaille pour Leible (Offenburg) mais le trafic est le même : il m’arrive très souvent de vider au Portugal (Lisbonne ou Porto ) et de descendre jusqu’à El Ejido ou Valencia ou Murcia suivant les saisons, ça fait un paquet de Km à vide mais à l’époque ça restait d’une bonne rentabilité, il faut dire qu’on ne respectait pas grand chose mais quand on aime on ne compte pas et le résultat était payant ça encourage… Partir de Lisbonne après le dédouanement (qu’est-ce qu’on a pu attendre ici et là en douane, moi je n’ai jamais regretté l’ouverture des frontières…) et le déchargement ça poussait déjà un peu tard dans l’après-midi et il fallait tracer un peu si on voulait passer la frontière à Rosal de la Frontera avant la fermeture nocturne ! Bon c’était une époque on se prenait un peu pour des cow-boys ! Dans mes « statistiques » à chaque montée au moins un camion au tas… , allemand, français ou espagnol… J’ai eu beaucoup de chance quelquefois ! Ah les belles années 90 !!!

Camion volant, le transporteur faisait des navettes et pour ne pas soulever la bâche à chaque fois il avait installé un système à vérins.
Astucieux !

Ensuite dans les années 2000, je trouve mon frêt au coup par coup et je m’achète une conduite estimant avoir eu beaucoup de chance de ne m’être pas fait prendre avec mon système à 2 disques (un le jour/un la nuit) ça fait des belles coupures si on ne cherche pas trop où est passé le 2ème chauffeur. Je ne dis pas que je fais tout bien mais je fais des efforts… J’ai conscience qu’il y plus à perdre qu’à gagner.

Je trouve aussi quelques « beaux? » voyages : Pologne (Cracovie ), Hongrie (Budapest), Maroc (Oualidia), Suède (Stockolm), Royaume Uni (Londres, Birmingham), Italie, Danemark, Rép. Tchèque, Suisse et le plus long : Marseille / Bodo (Norvège).

Et puis je prends ma retraite en Sept 2008 : j’ai l’âge et un petit camping- car VW California genre camionnette avec le toit qui se lève, qui passe inaperçu et avec lequel on n’est pas obligé de stationner dans un camping on peut même dormir « en ville  » sans soulever le toit ! Alors là je suis allée en Laponie jusqu’au Cap Nord, redescendue par la Norvège (l’été !!!), j’ai fait le tour des Pays Baltes, de l’ex Yougoslavie, la Crimée, la Mauritanie (avec un groupe pour la sécurité), je suis allée faire un tour au Canada (voiture de loc).

Le voyage dont je rêvais c’était en Australie (pour les camions !!) J’y suis allée en 2004, j’ai pu traverser N/S (Darwin/Adelaïde, puis Adelaïde/Sydney) avec les road-trains, je me suis fais prendre en stop mais pas au bord de la route… en attendant dans des stations services et je suis contente de l’avoir fait.

Ne sachant plus où aller et ne faisant que rouler avec le camping-car… je me suis rendue compte que je ne sais pas faire du tourisme..

Alors, lorsque Volvo m’a proposé une invitation pour le New FH, n’ayant rien d’autre à faire… j’y suis allée et comme ça faisait 4 ans que je n’avais pas acheté de camion (avant je changeais d’ensemble tous les 4 ans, lorsque j’arrivais au bout du remboursement de l’emprunt; j’aime bien le neuf). Après mûre reflexion (bien 1 heure ou 2 !!!!!) et quelques calculs financiers et la consultation de mon banquier, me voilà repartie pour un tour ou deux..

J’ai eu le 500 (modèle de sortie) une année et j’ai le 540 depuis 2014. Tout va bien… Fière d’être routière !

On the road again !

Pas de question idiote  » Et tu vas faire ça jusqu’à quand ?  » Je ne sais pas, je n’ai jamais fait de projet à longues échéances (surtout pas maintenant vu mon espérance de vie !!!), je me laisse porter et saisis des opportunités.

J’existe par mon travail . Je me sens utile ne serait-ce qu’à moi-même.