Mardi
Il est 4h, le réveil sonne. Jules le cherche à taton, le trouve, l'éteint. Il allume le plafonnier.
-Oh putain que ça caille !
Jules est frigorifié, il a même une barre en travers du front, provoquée par le froid intense. De la buée s'échappe de sa bouche à chaque respiration. Lorsque l'hiver est rude, un peu comme en ce moment, il dort en pyjama, avec des chaussettes et un bonnet sur la tête. La température intérieure n'est jamais bien loin de celle extérieure. Il n'a pas de thermix, il en a peur. Il a déjà entendu parler de camions qui ont brûlés avec le chauffeur, suite au renversement du thermix. Ca fout le feu à tous les coups si il se renverse ce machin là, c'est pour ça que Jules n'en veut pas.
Dehors, il entend un camion tourner au ralenti.
Il se lève, s'habille en se félicitant d'avoir son jean à température acceptable. Sinon, c'est de la torture d'enfiler son pantalon. Jules s'habille rapidement, on traîne pas quand il fait si froid. Il tire les rideaux, mais ne voit rien. Il pose un doigt sur le carreau, et y laisse une empreinte de toute beauté. Les carreaux sont gelés à l'intérieur. Il commence donc à gratter les vitres intérieures, puis descend faire l'extérieur. Il remonte, essaye de démarrer, il doit s'y reprendre à plusieurs fois. Ca y est, le moteur se lance, enfin il a du mal à tourner rond, mais avoir pû démarrer est l'essentiel.
Il se rend au resto qui est déjà ouvert, va aux sanitaires faire un brin de toilette. Merde ! La mousse à raser a gelé, ainsi que le shampoing. Le dentifrice aussi. Tout ça dans sa trousse de toilette, au fond du sac. Il laisse dégeler ses affaires dans l'eau chaude du lavabo, et va boire le café en attendant le dégel, c'est le cas de le dire ! Le patron lui dit qu'il fait - 16° ce matin. Pas étonnant, ça doit faire du -15° dans la cabine pense Jules.
Une fois lavé et café avalé, Jules sort et regagne son camion qui tourne sur le parking. D'ailleurs, il n'est pas le seul, d'autres aussi ont démarré, essayant de chauffer tant bien que mal.
Jules constate que la pression est bonne, les freins ne sont pas gelés, il avait pris soin de vider les bouteilles hier soir, pour éviter tout glaçon dans le circuit d'air.
4h40, Jules sort du parking, et prends la route direction Reims. Il passe Châlon / Marne, Vitry le François, et arrive à St Dizier.
Il est temps de mettre un peu de gasoil, alors il s'arrête à la Elf à l'entrée du bourg.
Jules fait le plein de gasoil des 2 réservoirs. Puis il s'en va régler et discute 2-3 minutes avec le gérant de la station qui lui offre le café et lui remet les points de fidélité obtenus. Jules le salut, remonte dans sa cabine, range les coupons dans ses affaires. Le R310 sort de la piste, personne à l'horizon, il se lance sur la nationale. Il allume une gauloise.
Cette nationale plaît à Jules, malgré que ce ne soit pas une autoroute, on y roule bien par rapport à certains autres axes. Il passe nombre de petits villages, et traverse Joinville. Il arrive à Provenchères. Il traverse le bourg, pas trop vite pour ne pas faire bouger le voyage dans le dernier virage à gauche, mais pas trop lentement pour ne pas perdre trop d'élan avant la célèbre côte. Quoique s'il démarrait de zéro, ça se pourrait bien qu'il arrive en haut à la même vitesse qu'avec un petit élan. Ca monte fort, le pourcentage est élevé. Les rapports tombent les uns après les autres. En haut, Jules est en 3° grande, à un tout petit 10km/h.
La route continue. Jules passe Chaumont, Dijon, Lyon. Tout se passe bien, ça roule impec, l'aiguille du poste de radio bien calée sur RTL. Ce n'est pas que Jules affectionne particulièrement cette radio plus qu'une autre, mais au moins, pas la peine de chercher à régler en permanence le poste à la recherche d'une autre station. C'est bien pratique les grandes ondes. Comme tous les autres routiers en général, Jules écoute RTL , sauf en dessous de Montélimar ou Avignon (selon la météo), où là, c'est RMC ou rien, puisqu'on n'y capte pas les autres stations. Il y a bien quelques rares stations en FM, mais il faut avoir la chance de tomber dessus au hasard du réglage de l'aiguille, et puis de toute façon, dans le meilleur des cas, 10 kms plus loin, on ne l'entends plus. Si Jules est dans un coin où les radios passent très mal, il a prévu le coup. Il a avec lui une dizaine de cassettes au cas où.
Jules continue de fumer clope après clope.
Vers midi, Jules a passé Vienne, il prends la route de Grenoble et arrive à La Détourde. Le temps de se garer, il rejoint le resto. La vieille porte en bois et sa poignée qui a du jeu a un peu de mal à s'ouvrir. Jules entre, et la chaleur du vieux poele se fait immédiatement ressentir. Les bonnes odeurs des plats en train de mijoter à petit feu éveillent instantanément son appétit.
Dédé est là, qui le salut avec une forte poignée de main chaleureuse et virile. Un vrai bonjour humain et agréable.
Jules discute avec lui et sa femme, qui a quittée la cuisine quelques instants pour le saluer aussi. La conversation s'engage immédiatement. Jules se sent ici un peu comme chez lui, depuis des années qu'il s'y arrête. Il y est bien.
Un autre chauffeur arrive, entre dans le café. Il commande un demi et demande s'il peut téléphoner. Dédé lui indique le coin du bar, déplace le présentoir en inox où sont posés quelques oeufs durs et la salière, pose le téléphone sur le comptoir, et remets le compteur mural à zéro. Une touche noire, et une touche rouge.
Un Turboleader flambant neuf passe en klaxonnant, et se gare sur le parking. Il s'arrête aussi pour manger.
Après avoir mangé et serré les mains de ses compagnons de tablée, Jules repart pour Domène, son lieu de livraison. Il a prévu d'y être pour 14 heures, et c'est à 13h50 qu'il entre dans la cour de la vielle papeterie aux murs lézardés par le temps, mais qui sent si bon le vécu, et l'odeur du papier en fabrication. Le gardien s'approche de lui en lui faisant signe. Jules se dit que ça sent le changement de programme.
- Salut Jules
- Bonjour Antoine
- Tiens, Henri a téléphoné, il faut que tu le rappelle. Il ne faut pas vider je crois.
- Merde ! Qu'est-ce qu'il y a encore ... Encore des manoeuvres à faire, tu vas voir ...
Jules se rends au bureau du gardien et téléphone à l'entreprise.
Effectivement, il y a un changement. Jules doit décrocher sa remorque sur le parking en haut, prendre la 1873 qui est vide et la mettre à quai pour la faire charger. Puis partir en solo à Chambéry récupérer un porte-engins, descendre à Grenoble pour y charger un engin de chantier pour Marseille, mais surtout une fois chargé, de re-téléphoner avant de partir. Comme la région Grenobloise est le principal lieu de départ et d'arrivée des camions de l'entreprise de Jules, il y a des remorques un peu partout chez différents clients, et donc souvent des semis à décrocher un peu partout, afin de charger à l'avance certains voyages.
Jules passe donc l'après-midi à faire ce qu'on lui a demandé, en se demandant à quelle sauce il va être mangé ce soir ... Dans sa tête, il passe différents scénarios possibles.
Finalement, il garde le porte-engins pour Marseille. Il doit vider au Port Autonome demain matin. Jules a les boules, il n'aime pas vider là-bas, car soit les dockers sont en grève, soit ils n'ont pas envie de travailler. On peut y passer des journées entières au lieu d'une heure ou deux nécessaires.
Il est presque 19h lorsque Jules arrive au dépôt, il doit récupérer à la pompe à gasoil une carte rouge pour laisser à un collègue demain. C'est que les cartes rouges, y'en a pas pour tout le monde, alors on se les file, on se débrouille afin que ceux qui tournent en longue en ai une à présenter en cas de cntrôle. Enfin, en théorie du moins, car en partant dimanche, Jules n'en avait pas. Du pain béni pour les 22 cette affaire-là ...
Jules continue sa route jusqu'à Donzère, dans un petit resto où il a aussi ses habitudes. Le temps de manger et prendre une douche, et il est l'heure d'aller au lit, demain reste à faire comme il dit.
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