La Tournée de livraisons GroovyYurts été 2020

Charger le Groovy truck de yourtes pour une tournée de livraison prend toujours quelques jours. Un triple contrôle vaut la peine, car il est toujours gênant de découvrir qu’on a oublié une pièce maitresse arrivé à l’autre bout du pays.

Lundi 22  juin :  Peio, copilote pour l’occasion, jette ses sacs et son béret de basque dans la cabine à notre ferme / dépôt d’Alexandria, en Ontario à mi-chemin de Montréal et d’Ottawa la capitale. Nous partons dans l’après-midi en direction nord-est et roulons une partie de la nuit. On arrête à Cochrane à 1h du matin sous la pluie et sommes forcés de faire halte dans un truck stop. Les truck stops je les évite, car nos chers collègues ont encore l’habitude bien ancrée de faire tourner leur moulin toute la nuit, par -40 comme par un parfait 18degrés.

23 : Nous partons à 6h du mat et faisons halte vers midi chez Renée et Mike. Un couple de nos clients que j’adore et qui ont tout laissé tomber pour vivre dans une yourte au milieu de cette forêt du nord de l’Ontario. Pour une fois nous pouvons parler plus de 20 minutes et c’est un réel plaisir de causer avec ces gens rayonnants. Nous parlons entre autres de la force de l’intention qui permet de tout réaliser. Imagine quelque chose, et ça arrive, immanquablement.

En fin d’après-midi nous livrons à Thunderbay chez une adorable retraitée d’origine estonienne. La madame nous avait annoncé « en passant » et sur le ton de l’anecdote et que monsieur aurait adoré voir le camion et la yourte mais que malheureusement il avait cassé sa pipe dimanche dernier. Bon… Pas de montage prévu et nous laissons madame à une peine qu’elle dissimule plus ou moins bien. Nous parquons en pleine forêt 15 kilomètres plus loin et mangeons protéines moustiques et pâtes Groovy à l’hôtel du même nom.

24 : le plan pour la journée est de remonter la yourte de Kim. C’est la tournée des veuves. Kim et son mari rêvaient de finir leurs jours à cet endroit dans une grosse yourte que nous leur avons livrée deux ans auparavant. Son mari n’en aura profité que quelques semaines… la frêle retraitée n’a pas eu la force d’y retourner et la yourte s’est effondrée sous la neige faute d’attention. Nous décidons d’un commun accord d’effectuer les réparations, mais de stocker la yourte dans un conteneur voisin en attendant une hypothétique vente du terrain. Une yourte ça dure longtemps, pour autant qu’on l’utilise.

Nous partons avec un jour d’avance au programme et faisons halte au bord d’un lac isolé. Nage super rafraîchissante en guise de douche, sansue, camion cuisine pour la fin de soirée. On est déjà au paradis.

25 : contrôle volant du MTO (ministère du transport). La tête rasée de GI de l’inspecteur ne laissait rien présager de bon et pourtant le type est adorable et nous laisse filer avec des bons vœux pour la route.

À Fort Frances nous décrochons la semi et sortons le nouveau pont dépliable de conception maison rangé dans un des coffres de ma nouvelle remorque. Ça s’installe sur le châssis du tracteur, par-dessus la sellette et offre une belle surface de chargement sans avoir à tirer les 53 pieds de la remorque. Personne ne sait si c’est légal, mais en tout cas ça fonctionne bien. On y charge 2 petites yourtes et abordons la frontière US du Minnesota en solo. Le rhume ambiant a cela de bon qu’il a débarrassé la frontière de tout trafic non commercial. Cependant, ça laisse tout le temps du monde à des douaniers désœuvrés d’inspecter le camion de ces deux hurluberlus (nous…). ‘Faut dire que le nom de la compagnie « Groovy » yurts, rappelle tout ce que le mouvement hippie peut évoquer à un douanier qui garde la frontière d’un pays voisin  légalement consommateur et producteur de cannabis. Nous avons droit – mais avec le sourire – à une fouille complète de la cabine.  L’inspecteur revient avec 2 avocats (le fruit) et une plante verte décorative. J’accepte sans sourciller la confiscation des fruits, mais fait tout de même remarquer que la nature toute plastique de la plante verte synthétique devrait à mon sens l’autoriser à passer la frontière avec nous dans le porte-gobelet où elle reste depuis que ma conjointe l’y a placée sous ma garde 5 ans auparavant.  L’officier obtempère non sans subir quelques railleries de ses collègues. Je prends encore le soin à la sortie de remercier la douanière pour son sourire magnifique. Ils ont fait leur boulot avec courtoisie et sans zèle excessif. Pour moi ça marche.

Premier arrêt dans un restaurant depuis le mois de mars. Ça fait plaisir. Un plein de 980 litres à prix cassé plus tard et nous couvrons les 250 kms qui nous séparent de la ferme de notre client. On sort le grill sous un ciel menaçant dans une carrière abandonnée et y passons la nuit, non sans l’approbation du proprio sympathique venu jeter un œil à l’appel d’un voisin.

26 : La cliente élève des moutons et avec son amie passionnée de feutre, trouve toutes sortes de solutions pour valoriser la laine. Elles acquièrent ces deux yourtes pour faire des ateliers de feutrage. Nous effectuons un atelier de montage sous l’œil du caméraman de la télévision locale.  Ces américains sont merveilleux, simples et formidablement reconnaissant et accommodants. Après la tournée des veuves ça donne du baume au cœur.

Nous reprenons la route du Canada que nous rejoignons sans autre forme de procès. Démontage du pont provisoire en 5 minutes chronos et départ pour de nouvelles aventures. C’est un nouveau lac qui nous servira de bain. Nage idyllique dans un cadre sauvage si typiquement canadien. C’est tout frais que nous rallions encore la bourgade de Kenora en début de soirée. Cette ville touristique au milieu des lacs et des sapins est vide de ses visiteurs, nous laissant stationner l’ensemble en plein centre, au bord de l’eau. Mais c’est pas tout! Il y a un pub ouvert avec une terrasse au bord de l’eau !!!! On nous sert une bière en attendant, mais la serveuse se révèle tellement désagréable que nous lui rendons son menu et quittons. Ce sera pizza ce soir… et nous reprenons la route pour entrer dans la province du Manitoba.

27 : Nous nous pointons à l’heure exacte chez notre premier client qui a accepté de nous recevoir 2 jours à l’avance. L’immense allée qui mène à son ranch est entretenue méticuleusement. Et là, on découvre le gaillard. Mais quel phénomène !!! Daniel se tient juste à côté d’un Kenworth W900 qu’il a transformé en pick-up. Nous apprendrons au cours de la journée de que notre homme est Mennonite (église chrétienne évangélique). Il a la soixantaine bedonnante mais robuste et imposante. Il a commencé sa carrière comme chauffeur de camion. Métier qu’il pratique toujours l’hiver sur les routes de glace du Manitoba, souvent accompagné par son épouse. Son camion était parqué à côté. Daniel est aussi un pilote accompli (sa passion avec la chasse), il a élevé des porcs et des bisons, possédé une production de meubles en rondins, construit un camp de loisirs, est pasteur de sa communauté et trouve encore le temps de faire du travail d’aide et de missionnaire dans le monde près d’un moins par année… notamment en Mongolie.

Sa plateforme était prête et il y avait travaillé presque toute la nuit. Deux de ses enfants, de solides gaillards sympas et souriants, étaient présents avec leurs épouses. Toutes les dames en robes et chapeaux. Une famille absolument extraordinaire, vivant sa foi de la façon la plus positive qui soit, par l’exemple. Reconnaissant d’avoir encore été invité à leur table ce soir-là. Expérience d’un autre temps – merci!!

Retour au petit truck stop indépendant du soir d’avant, trop tard pour la bière, mais pas pour écouter les voisins laisser tourner leur briquet.

28 : la dénomination des routes dans les Prairies n’est pas toujours facile à assimiler. Même pour Google. Nous faisons près d’une heure de route pour trouver le client qui se trouve… à 10 minutes de notre point de départ.

Comme tous les routiers, on a déjà entendu « mais oui, il y a la place chez nous, il y en a des plus grands que vous qui sont venus ». Alors on se méfie. La manœuvre d’accès aura quelque influence sur le design du fossé, mais on parvient malgré tout à destination dans une sorte de clairière merveilleuse au milieu de toutes sortes de jardins. Le couple qui nous y attend a lui aussi tout préparé à merveille. Il s’agit d’un gros montage de yourte, en hauteur, avec  une fenêtre et double isolation de feutre. La chaleur n’arrange rien et quand on termine on est secs. Heureusement les clients n’ont pas que des jardins, mais aussi un étang à l’eau claire qui l’était certainement un peu moins après notre trempette.

Retour au relais routier cette fois à temps pour douche, steak et bière. On refait la politique du transport avec un collègue du coin jusqu’à plus soif et dormons à moitié entre chaleur, moustiques et ralenti moteur des collègues.

29 : réveil aussi frais que peut pour 3 heures de route jusqu’au client suivant au milieu de ces interminables champs des prairies canadiennes. Montage simple dans une chaleur accablante près d’un chêne millénaire. La yourte sera utilisée par une « forest school » un programme scolaire qui ramène les enfants à la nature. Génial!

Génial aussi la carrière qu’on nous indique à quelques kilomètres pour aller faire une saucée dans un bassin turquoise. Adresse d’initié. Décidément ont doit aux lacs et autres gouilles canadiens d’avoir pu conserver un brin d’hygiène durant ce voyage.

On roule en plein bonheur sur ces routes vides et immenses. Yaaaaaaaaaaaa!!!! On trouve le stationnement idéal au bord d’un énième lac à distance raisonnable de la route pour être tranquilles. De toutes façons il ne passe personne…. Cuisine Groovy.

30 : enfin une nouvelle journée de route au complet. J’en profites pour rattraper le courrier en retard pendant que le Basque s’en donne à cœur joie, pied au plancher. Manitoba, Saskatchewan, Alberta et dodo sur un parking de super marché à Medicine Hat.

1er juillet : c’est la fête du Canada et j’accroche le drapeau à l’érable à l’antenne de la CB. Même si je me considère plus Suisse que Canadien, je suis reconnaissant à mon pays d’adoption pour les opportunités, une excellente qualité de vie et des bonnes valeurs.

On récupère une mini yourte chez un client de Calgary qui avait eu les yeux plus grands que le ventre, puis déposons des pièces de rechange chez un autre. Comme il est assez tôt. Nous décidons d’aller voir l’emplacement du montage du lendemain, pensant y laisser la remorque et aller fêter dignement le Canada dans quelque pub de la région. Je m’engage dans un chemin de terre à travers champs et part repérer le terrain à pieds avec le client. Je pense pouvoir amener le camion jusqu’à une courbe boueuse et reculer sur une place bien damée. La manœuvre échoue et je patine dans la boue, risquant basculer ma semi dans le petit étang voisin. Seule solution : aller de l’avant en passant à fond les coins les plus boueux et aller tourner dans un champ. C’est du pur rodéo. Je suis heureux de pouvoir relever les suspensions de la semi, sans quoi il y aurait eu des dégâts.

C’est donc dans un champ au milieu des prairies canadiennes que nous organisons un bbq pour la fête du Canada après avoir aidé le client à finir sa plateforme. Bonheur sous les étoiles. Au loin le hurlement de quelques coyotes.

2 juillet : rodéo dans l’autre sens pour amener le camion à la hauteur de la yourte. La cliente francophone est une ancienne Mountie (gendarmerie royale canadienne), mais a troqué le chapeau pour des dreadlocks. Elle compte vivre dans sa yourte. Son conjoint est un super chic et solide gaillard du coin et nous sommes rejoints par Matt, un barbu rouquin qui vient apprendre à monter une yourte. Matt a récupéré 2 yourtes dans lesquelles il a vécu les 4 dernières années et aimerait nous aider à installer des yourtes dans son coin. Il est rejoint par Peter à qui nous amenons une yourte le lendemain. Peter vient aussi pour apprendre. L’équipe est complètement hétéroclite et les discussions partent dans tous les sens, dans des domaines aussi variés que les traditions mongoles et la mécanique quantique. Fabuleux moment, bien que nous ayons à lutter avec le puissant Chinook, le vent qui descend des montagnes Rocheuses toutes proches.

C’est un peu surpris que je découvre soudain Peter assis en tailleur en train de méditer alors que nous battons contre les éléments. Décidément, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre….

On finit dans le milieu de l’après-midi, assez tôt pour rouler à notre prochaine destination à une heure de route. Là en plein milieu des champs nous tombons sur une sorte de village médiéval entouré d’un mur d’enceinte en bois et de tours de garde. Daniel a créé ce village de tentes où les touristes de Calgary ou d’Edmonton viennent retrouver des scènes du moyen âge, tirer à l’arc, festoyer autour d’un banquet ou se battre à l’épée. Le bonhomme est passionné et a fait du bon travail. Son épouse le suit sur un tricycle électrique qui détonne un peu avec l’ambiance, mais tout est normal. Nous laissons à Daniel sa yourte et quelques instructions. Elle deviendra la tente nomade de cette attraction médiévale.

Nous poursuivons la route dans l’espoir de trouver un bistrot ouvert. C’est finalement à pied que nous devrons passer commande de deux Big Macs au drive-in de l’Arche d’Or, qu’on rince quand même avec une super bonne bouteille de Chianti du Liquor Store voisin.

3 juillet : nous rendons visite à une connaissance de Peio – un type passionné de machines de chantier – et passionnant. Puis nous prenons la route d’Edmonton où nous allons déposer la yourte de Peter sur le terrain de Matt, rencontrés hier. Matt est un super chic type qui a bien bourlingué. On ne penserait pas de ce géant à la barbe rousse ait pu être un moniteur de yoga. Il nous montre la yourte dans laquelle il a passé 4 hivers. Elle est occupée par un jeune homme pas très enclin à l’entretien ménager. La yourte a piètre allure et mériterait d’être remontée… et surtout aérée… Puis nous visitons l’autre yourte que Matt a réinstallée ave 3 grandes fenêtres faites maison. Celle-ci est occupée par un jeune couple de musiciens. La yourte est magnifique, lumineuse et superbement aménagée… avec même une batterie au complet et un gong énorme que son propriétaire arrive à faire « parler ». Matt accueille sur son sol des gens qui souhaitent vivre différemment et tentent de vivre en petite communauté.  Matt tient à nous montrer son nouveau logement. Il y a sur son terrain plusieurs bâtisses qui semblent n’avoir jamais été finies. Celle où il vit semble avoir été le théâtre d’une explosion nucléaire. Le petit suisse que je suis peine à discerner la beauté sous cet amoncellement d’ordures. Matt a un problème avec les déchets. Il pense que l’homme en produit trop et ne devrait pas les enfouir sous la terre ou s’en débarrasser dans les pays pauvres. Même si je suis entièrement d’accord avec lui, c’est sur sa méthode que je diffère un peu : il cherche à ne produire que zéro déchet et ne veut pas se débarrasser de ceux qu’il a accumulé avant de leur avoir trouvé une utilité ou une issue plus propre. Comme disait mon cher copain Séb : « C’est très joli… allez on s’casse! ».

Nous laissons Matt et sa commune pour rejoindre Edmonton et passer le camion au lavage. Les Sikhs qui le rincent utilisent un produit si corrosif, que ma peinture en est ternie. J’y retourne furieux, mais le mal est fait. Tant pis, on repolishera un jour… Je rumine ma peine assis sur le trottoir. Je lève les yeux et découvre mon obus sur le fond bleu infini du ciel des Prairies. Même un peu plus terne, il a de l’allure et je vis un rêve. J’arrête de pleurnicher.

Nous quittons Edmonton, musique Tzigane à fond dans la cabine : les routiers les plus heureux au monde. Dodo à 20 min du client suivant, à côté d’une immense rivière en crue.

4 juillet : Les clients du jour je les connais pour leur avoir livré leur yourte 8 ans auparavant. Mary Lynn et Richard vont sur leurs 80ans. Richard avait fui les USA pendant la guerre du Vietnam. À eux deux ils ont construit un petit paradis où ils élevaient moutons et chiens de berger. Le coin est magique. On a envie d’enlever ses souliers pour marcher dans l’herbe.

On leur amène une toile de remplacement pour leur yourte et je demande à Richard si on peut les aider à la changer. Il accepte volontiers, mais travaille fort. Il est solide le gaillard et ne veut pas entendre parler de charité. Pour moi c’est une excellente expérience de voir une yourte vieille de 8 ans. Si la toile devait être changée, le reste de la structure est en parfait état.

Quand on a terminé il nous fait une démonstration de rassemblage de moutons avec son chien. Impressionnant. Pendant ce temps Mary Lynn nous a pondu un repas dans la maison en bois rond et on fait bombance avec quelques bouteilles de vin de framboises de leur production. Ces musiciens nous offrent encore une petite aubade avec des instruments magnifiques de leur fabrication. Tout est simple ici et très beau. Ça respire un bonheur tranquille construit en musique sur des années de boulot acharné. On lance encore quelque haches sur une souche, entraînés par Richard et finalement à reculons prenons la direction du camion.

Privilège de routier que de pouvoir rencontrer même brièvement des gens aussi extraordinaires avant de reprendre la route pour de nouvelles aventures. Est-ce qu’on aura la chance de se revoir? Est-ce qu’à leur âge je pourrai voir ma vie en arrière aussi calmement qu’eux et avoir l’impression d’avoir construit quelque chose d’à peu près juste?

5 juillet : temps splendide pour faire l’Alaska highway. Yahoooooo!!!

Paysages incroyables de montagnes, de lacs turquoises, un ours par-ci, chèvres de montagnes par là et des vrais solides camions comme j’aime construits pour ces régions de sauvages. Cette année la route est désertée par les habituels camping-cars. On s’enfile dans un petit chemin et parquons museau sur un méandre la furieuse rivière Liard, gigantesque cours dont la force emporterait notre véhicule comme un bout de paille.

6 juillet : on commence par étudier une famille de grizzlis en bord de route. Les deux oursons sont d’abord intrigués par ce gros camion rouge puis continuent à se battre à 10 mètres de nous. Même si ce n’est pas forcément l’outil idéal pour étudier la faune et la flore, le camion a quand même parfois du bon dans ce domaine. La mère ne semble pas inquiétée le moins du monde. Il semblerait que le plantigrade ne reconnaisse pas l’humain comme une menace ou même comme un être vivant tant qu’il est dans son véhicule.

5 kilomètres plus loin c’est un troupeau de bisons que nous dérangeons au milieu de la route.

En rentrant au Yukon un barrage routier est établi pour traquer le virus. L’agent s’excuse de devoir nous interroger nous aussi et nous remercie de notre boulot. Plusieurs panneaux sur la route en font autant. Les habitants de ce territoire reculé reconnaissent l’importance du transport routier pour leur approvisionnement.

À Teslin, au Yukon motel, nous retrouvons Jean-Michel qui descend sur l’Alberta. Jean-Mi est un routier français qui s’est établi au Yukon. Il gère également une excellente page Facebook : les transporteurs européens au long cours. Super chouette de faire le point avec un copain croisé en route. C’est rare ici!

Avant d’arriver à Whitehorse nous nous arrêtons chez un autre couple de clients. Eva et Beat sont suisses et se sont complètement reconstruit une vie ici au Yukon. La ferme qu’ils ont établie est extraordinaire. Encore le résultat d’un travail de fous, mais ces gens-là semblent malgré tout prendre le temps de vivre et de profiter des merveilles du Yukon. Nous sommes invités à manger et ne nous faisons pas prier.

7 juillet : « mais oui vous pouvez venir avec le camion, il y en a des plus gros que vous qui sont venus… ». Cette phrase ou une équivalente si un routier ne l’entend pas 3 fois par année, c’est qu’il est sourd. En général le client bien intentionné pense que vous venez avec un pick-up ou une charrette à cheval et les histoires cuisantes de camions bloqués dans une allée ne sont pas rares. Nous avons pris l’habitude d’envoyer une photo de l’ensemble à l’avance pour donner une idée de la taille.

Ce matin c’est l’inverse : Michael qui attend sa yourte a déjà organisé un espace pour la transférer pensant que son chemin d’accès est trop étroit. Il me semble que je devrais pouvoir y reculer et après quelques manœuvres je parviens à amener le camion à quelques pas de la plateforme. C’est probablement 2 heures de gagnées en transferts et autres voyages pour un outil oublié. Michael a travaillé toute la nuit pour finir son plancher. À 8h pile, trois de ses amis se sont libérés pour venir prêter main forte. À part Eliane qui est suissesse, les autres sont français. Venus au Yukon pour toutes sortes de raisons, mais surtout pour un peu d’aventure, d’espace et de nature sauvage. Michael et son épouse ont des jumeaux de quelques mois. Ils espéraient construire une maison sur leur terrain nouvellement acquis, mais le virus en a décidé autrement et c’est dans une yourte qu’ils passeront l’hiver. Ça ne les effraie pas, eux qui ont vécu dans un camping-car les 3 dernières années pour économiser afin d’acheter leur terrain. Ces deux-là constituent une autre preuve que tout est possible avec des intentions positives. Michael a trouvé le job de ses rêves d’enfants alors que c’était « impossible ». Il travaille sur la Chilkoot trail, un sentier qu’empruntaient les chercheurs d’or. L’immobilier à Whitehorse est hors de prix. Alors qu’ils allaient devoir quitter le Yukon faute de terrain à acheter, ils ont finalement bénéficié d’une aubaine incroyable. Une dame âgée qui a vu en eux les voisins idéals et leur a offert un terrain à prix cassé.

On s’est bien marré sur ce montage-là. C’est rare d’avoir une équipe francophone au complet et facilite les petites vannes et autres franches déconnades. Après avoir fini d’installer la yourte juste avant le déluge, on se paie un bon repas dans le camping-car de nos nouveaux amis. Qui a eu la bonne idée de la topette de Ricard? Le soleil ne se couche que passé minuit et les hurlements de coyote rajoutent encore une fois une petite touche sonore sur le parfait tableau canadien.

8 juillet : on dépose quelques pièces de rechange chez une cliente et allons nous parquer à l’incontournable Airport Chalet, le relais routier du coin sur l’Alaska Highway. Petit déj avec Jean-Michel qui est remonté d’Alberta. On décroche et descendons en ville pour trouver une bonne connexion internet. Tournée des pubs à Whitehorse ce soir. Cette ville a quelque chose qui respire la liberté du nord canadien. On y revient toujours avec plaisir.

9 juillet : petit footing santé et rattrapage d’emails. Visite d’un client dont la yourte est installée sur une falaise au-devant d’une vue absolument époustouflante, puis route jusqu’à notre dernier client au Yukon chez qui nous ne faisons que changer une toile… et prendre un sauna devant le lac Cragg, turquoise et isolé entre montagnes et sapins. Cette yourte a 10 ans et la toile était au bout, mais le test de qualité est passé pour la structure et le reste des éléments. C’est une excellente nouvelle.

Suzanne et Rob nous invitent à diner dans leur serre jardin en respectant la distance sociale. C’est les premiers depuis longtemps qui paraissent s’inquiéter. Il semble que les régions que nous avons traversées ces derniers jours aient été préservées du rhume pandémique.

10 juillet : On décolle à 6 heures du mat, arrêtons pour un café à Teslin. Les 3 tables du motel sont occupées par une famille de routiers mennonites. Curieuse fratrie où les filles portent les cheveux couverts et la jupe. Leur convoi est stationné dehors. Deux Volvo un peu décrépis et deux voitures pilotes. Ils ont probablement livré des maisons préfabriquées plus haut sur la route. Ils parlent une langue qui rappelle le flamand et semblent sortis d’un autre temps. L’Amérique est plus divrersifiée qu’on ne le croit.

On quitte l’Alaska Highway pour prendre la Cassiar Highway qui nous mènera sur le sud de la Colombie Britannique. Bye Yukon. On reviendra! On avale la Cassiar jusqu’en bas. On sort le grill ce soir là à côté d’un profond canyon et dans un endroit bien tranquille. À force, on commence à connaître quelques coins.

11 juillet : Je rattrape une voiture qui tracte une remorque. Je vois que les feux de la remorque ne fonctionnent pas vraiment et le pilote peine à conserver une vitesse stable et slalome un peu. Alors que la route s’élargit je m’approche pour le dépasser. Notre génie du volant accélère soudain, baisse sa vitre et m’adresse un doigt qui laisse assez peu de doute sur son niveau intellectuel. Il aurait certainement agi un peu différemment s’il avait su que la circulation était arrêtée 3 kilomètres plus loin pour des travaux. Je tire le frein à main derrière sa trapanelle, descends du camion, bombe le torse et élargit mes épaules pour donner à Gaston l’impression du gros routier furax. Mesurer près de 2 mètres ça aide des fois. Quand je lui demande la raison de son salut de l’index, il répond par sa fenêtre entrouverte et sous l’œil de la caméra de son épouse qui attend un scandale que j’ai essayé de l’agresser avec mon camion. Je n’ai pas le temps de lui rétorquer avec le sourire que d’un point de vue sécurité il constituait une référence, car le feu a passé au vert et le bonhomme  décampe.

Nous arrivons vers midi à Prince Georges où je dépose une yourte chez une cliente qui l’installera plus tard. La femme est formidable et s’occupe de traiter les problèmes « fœtal alcohol syndrom » particulièrement présents dans les communautés autochtones et qu’elle prétend pouvoir traiter. Je la crois volontiers.

Petite douche au truck stop et nous reprenons la route. Arrivés à notre destination suivante, force est de constater que la météo n’est pas très favorable et qu’on annonce des pluies torrentielles pour le lendemain. Je vais voir le terrain où doit être installée la yourte et me rends compte qu’il faut passer sur un sentier qui sera complètement inondé le lendemain. Décision est prise d’attendre un jour.

12 juillet : il pleut des trombes et c’est un vrai bonheur de pouvoir rester au lit, rattraper le courrier en retard et prendre le temps de quelques jeux en ligne avec ma fille.

13 juillet : on a rudement bien fait de rester au lit hier. Le soleil est au beau fixe et nous installons cette yourte en une demi-journée à peine alors que ça nous aurait pris infiniment plus d’efforts le jour d’avant. Ce couple avec un nouveau-né est radieux et toute la famille est venue pour les aider. Ils vont vivre dans leur yourte eux aussi.

Une splendide journée de route en Colombie Britannique qui se termine au bord d’un lac. J’ai décliné l’invitation piscine de la famille de notre collègue Peter qui vit dans ce coin, car je n’avais vraiment pas le courage d’entretenir une conversation ce soir-là.

14 juillet : évidemment la journée commence par le selfie du père de mon collègue Peter qui s’est pris en photo à côté du camion alors qu’il passait là tout par hasard durant la nuit. Petit bain dans le lac pour commencer la journée. Les Shadocks dansent la Carmagnolle aujourd’hui et c’est aussi les ¾ de siècle de ma chère maman que j’appelle depuis ce camion qu’elle a conduit il y 2 ans à peine au Texas et au Nouveau Mexique lors d’un autre voyage mémorable.

La région de Kamloops, Vernon et la Okanagan Valley en Colombie Britannique est absolument splendide. Le climat sec et ensoleillé contraste avec la côte toujours humide. On s’en donne à cœur joie sur les routes sinueuses et splendides qui slaloment entre lacs et sapins. Des vrais sapins. Des arbres gigantesques qui pètent la santé.

Nous prenons un ferry pour traverser un de ces lacs et reprenons notre rallye. Peio demande à s’arrêter pour prendre une photo; ce que je fais à la première occasion : une petite place de parc dans un virage avec un point de vue magnifique sur un lac quelques centaines de mètres en contrebas. Je dis à Peio de prendre garde car j’ai aperçu un prêtre en soutane. Le temps pour moi de remplir mon log book et de mettre mes chaussures, je sors moi aussi. Et là je trouve mon basque presque bras-dessus, bras-dessous avec un père Breton équipé toutes options de l’habit et d’un bréviaire. L’homme de foi s’est arrêté là, inspiré par cette vue divine. Et bing lui tombent dessus un Basque à béret et un Suisse en camion. Il avait étudié en Suisse et connaissait tous nos vins, collectant du coup toute ma sympathie. La situation est surréaliste. Et les deux français (qui ne se disent pas français!) sont surexcités, penchés l’un vers l’autre comme pour pouvoir s’en dire plus à la foi, le tout sur fond de lac scintillant.

Je demande au prêtre si sa paroisse est francophone. Il répond que non, qu’il parle anglais, et latin et breton. Sur quoi il demande à Peio s’il parle le Basque.

Mon Pedro répond qu’il le « baragouine ».

Le père tout enthousiaste à Peio : «savez-vous d’où vient le mot barragouine »  ?

Mon Peio tout aussi excité est persuadé d’avoir la réponse  et rétorque, «  oui, bien sûr : bar   –   à    –     gouines!!! »

silence gêné du côté du curé – le soufflé se dégonfle quand il dit enfin «  pas du tout… Baragouiner vient du breton bar – pain et gouina  – vin et de nous expliquer l’étymologie de ce mot.

Si seulement nous avions un peu plus de temps et peut-être une bouteille de blanc du pays.… Ce petit monde improbable se quitte peu après reconnaissant tout plein à nos Dieux respectifs d’avoir orchestré une telle rencontre.

Nous arrivons à Nelson, magnifique petite bourgade peuplée de vieux hippies, juste à temps pour se taper la cloche à l’hôtel au bord du lac.

15 juillet : Pas super frais, mais à l’heure pour notre dernier rendez-vous de cette partie du tour. Nous transférons la yourte sur un pick-up et installons tout ça au soleil. Le jeune couple qui va l’habiter n’aurait jamais pu rêver acheter une maison à leur âge. Ils sont heureux!

Baignade sur un banc de sable au milieu du lac et dodo pas trop tôt, car on fait bombance pour fêter le dernier client de l’étape.

16 juillet : route jusqu’à Vancouver. On arrive en milieu d’après-midi, le temps de ranger la semi et faire nos bagages. Le conteneur que j’attends de Mongolie pour recharger le camion est retardé de 3 semaines. Peio et moi rentrons en avion demain matin. Voilà presque 4 semaines qu’on est en route, il est temps d’aller passer un peu de temps en famille. Quand à Peio il doit retourner au Burkina Faso où il forme des conducteurs de machines Caterpillar dans une mine.

11 août : je retrouve mon cher camion seul après 3 semaines d’attente d’un conteneur en retard. Le conteneur arrive à 11h seulement et débute un des exercices physiques que je redoute le plus. Les gars de chez Pacific Coast Distribution sont supers arrangeants et prêts à tout pour aider. Il faut d’abord former les 6 gaillards tout en commençant à décharger 18 yourtes chargées en couches, pièces par pièces pour gagner de la placer. C’est lourd et on bouffe des fibres de laine de mouton. Il faut trier pour reformer les 18 yourtes et les recharger dans le camion en fonction de mes livraisons. Je réalise que mes chers amis en Mongolie n’ont pas pu charger 3 sets d’isolation de feutre, ce qui va poser problème en route et me force à tout complètement décharger le conteneur avant de pouvoir recharger le camion.

Les gars font des heures sup et je peux quitter le dépôt à presque 20h, vanné. Le camion est archi plein. Petite douche bien méritée quand même et hop, départ pour la douane de Sumas distante de 30 minutes. Je passe d’abord chez les Canadiens faire viser mon carnet ATA et ils décident de venir inspecter. Ils sont très impressionnés par nos histoires et me laissent aller avec la bénédiction nécessaire. Les Américains me signifient que mes papiers ne sont pas prêts. Coup de fil au transitaire qui n’arrange rien et c’est finalement un des douaniers de l’oncle Sam qui effectue les modifications nécessaires et m’expédie ainsi libre dans la capitale mondiale du COVID.

Le client que j’appelle à 22h m’indique où stationner à Seattle et sera présent à 8h. Cette nuit, presque impossible de fermer l’œil pour cause de fatigue extrême et de crampes un peu partout. Vivent es déchargements de conteneur !!

12 août : le client est là avec sa conjointe à 8h tapante. J’ai à peine eu le temps de sortir leur yourte et de m’assurer d’aucun dommage durant le transport. Ils sont absolument adorables. Ils vivent sur une ile au large de Seattle dans un coin magique. Pour des gens comme eux, je prendrais le triple de temps si nécessaire. À 9h je reprends la route et fais halte pour le plein en Oregon, non sans avoir pris la taxe de traversée de l’état par téléphone avant d’arriver. Je prends 250 gallons, soit 950 litres… j’étais très proche du fond. Je me rends compte que j’ai un pneu plat et en fait changer deux aussi sec au truck stop. L’opération prend 3 heures car il se trouvent d’autres candidats avant moi.

Traversée de l’Oregon. Stop au super marché pour une petite pause et faire le plein du frigo et hop, direction côte pacifique en Californie par les petites routes. Il est près de minuit quand je traverse la Red Wood Forest. Je m’arrête en plein milieu pour aller embrasser l’un de ces géants qui mesurent plus de 60 mètres de haut et aux troncs beaucoup plus larges que mon camion. Dans le noir absolu, je vois une étoile filante entre les cimes. Le silence est total et ça vous recharge à bloc n’importe quel être humain. Dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pas pu imaginer des moments pareils…

Je m’arrête à 1h du mat sur une longue plage au bord du Pacifique. Petit rince pied rapide et au lit pour quelques heures.

13 août : rendez-vous sur une aire de repos dans la montagne du nord de la Californie. On décharge une yourte sur une petite remorque. Je trouvais que ça sentait beaucoup la moufette (le putois) sur ces routes et me rend compte en arrivant chez Chris qu’il s’agit bien en fait de l’odeur caractéristique du cannabis. Sa ferme en produit des quantités industrielles. Entre cette odeur, la chaleur, la poussière et la fumée feux de forêts, on cuit totalement et tout le monde est heureux de terminer en milieu d’après-midi. L’étoupe n’a certainement pas l’heur de donner beaucoup d’énergie à mes collègues de travail du jour…. Payement du solde en billets de 20$. Bienvenue au « Humboldt county » qu’on me dit, sous-entendant que seul le cash a cours dans cette région de planteurs de pot. J’en pose une partie chez un autre Chris, un de nos clients et ex-représentant qui nous a drôlement dépanné en louant sa yourte au cultivateur que le retard du conteneur n’arrangeait vraiment pas.

À Crescent City j’avise un bouiboui qui fume et semble offrir un BBQ authentique. J’embarque le menu dégustation au complet et me tape carrément la cloche au volant, heureux d’être en route dans ce pays magnifique.

Je veux passer San Francisco de nuit pour éviter le trafic et aperçoit le Golden Gate bridge illuminé dans le lointain. Dire que j’avais ce pont mythique en poster dans ma chambre d’adolescent.

Je me trouve un petit coin tranquille à 15 minutes du client suivant dans une zone industrielle d’Oakland. Je parage le coin avec plusieurs immigrés qui dorment dans leurs voitures. Tout le monde ne vit pas le même rêve américain.

14 août : je laisse gooogle map pour un GPS camion histoire de trouver une route entre les interdictions de camion. Malgré tout, je m’enfile dans une rue dont les arbres sont beaucoup trop bas pour que je force le passage. Reculée de 500m sur une route étroite et très achalandée… Finalement je dois pour arriver chez mon client reculer à angle droit et en pente dans sa rue.  Manœuvre effectuée avec brio, merci, jusqu’à ce que je me rende compte que les ouvriers mexicains d’à côté ne m’applaudissent pas, mais me font signe d’arrêter… Trop tard! J’emporte le câble internet d’un voisin. Celui-ci sort furax de chez lui et me dit qu’enfin ses enfants avaient recommencé l’école en ligne le jour même, lui offrant un peu de paix pour son propre travail et hop, voilà qu’un camion couleur yourtes mongoles lui arrache sa ligne de vie dans sa ruelle pourtant si reculée… il comprend pas.

On décharge la petite yourte de Hanna. Cette yourte porte le numéro 666. Sur cette tournée, nous avons refusé d’effectuer les assistances au montage pour cause de COVID. Je leur donne quand même un coup de main pour m’assurer qu’ils soient sur la bonne voie et me rend vite compte que cette yourte-là est tordue. J’arrive à rectifier le tir et à les décourager de prendre une baie vitrée qui dans leur cas serait inutile. Je prends encore soin de m’enfiler une longue écharde juste sous l’ongle et prends la poudre d’escampette direction le client suivant. La chaleur est épouvantable.

Nous déchargeons la yourte suivante dans une Subaru qui effectue 3 voyages jusqu’à sa destination finale que je ne peux rejoindre en camion. Les clients sont deux très sympathiques et jeunes médecins et leurs conjointes. Je les quitte après avoir descendu 4 litres d’eau en 2 heures qu’ont pris la livraison et les explications.

Je prends la direction du centre de la Californie et m’arrête pour une petite rincée dans un réservoir d’eau gigantesque, mais presque vide. La Californie est à sec, mais continue d’irriguer tout ce qu’elle peut pour faire pousser fruits et légumes dans le désert.

J’avise un élevage de vaches parquées par centaines dans une puanteur abominable et serrées comme des sardines. Les californiens viennent ensuite nous donner des leçons sur l’environnement et sur la consommation du foie gras…

Il est 22h quand je stationne chez les clients suivants à quelques encablures du Séquoia National Park.

15 août : à 6 :30 je vais au bord de la petite rivière toute proche et découvre un paradis. Je plonge dans mon plus simple appareil dans une eau à température de rêve et me laisse rincer avec seulement le nez dehors pendant presque une demi-heure. Ce moment vaut absolument toutes les petites peines endurées et fait de ce job sans le moindre doute le plus beau métier du monde.

À 8 heure l’avocat qui reçoit ses deux yourtes dans sa nouvelle propriété me fait visiter sont hacienda. Il s’agit d’un vignoble et de ses dépendances dans un cadre grandiose. Lui est tellement gentil qu’il me fait peur. Petit café, petit sourire, petit copain-copain. Bien que je lui aie dit que mon temps était compté car attendu plus loin, il insiste pour que je lui dessine son plan architectural et me présente à toute sa famille tout en me laissant décharger seul. J’arrive finalement à décoller à 11 heures pour prendre le chemin de Los Angeles.

J’y livre à 16h une autre yourte à une femme extraordinaire qui l’utilisera comme studio de musique. Son bonheur de recevoir sa yourte tant attendue est communicatif et j’en rajoute bien sûr un peu sur les traditions et autres explications pour qu’elle en ait vraiment pour son argent.

Je roule encore jusqu’à San Diego où j’espère trouver un motel car la chaleur est telle qu’il sera difficile de dormir cette nuit et que j’ai accumulé assez de fatigue. San Diego est telle qu’il est à peu près impossible de stationner un camion tellement la ville est dense. Je roule encore une demi-heure en direction de la montagne où il fait un peu plus frais et squatte le parking d’un super marché. L’hôtel Groovy ça ira aussi…

16 août : je suis stationné à côté d’une laverie et profites d’y faire ma lessive pendant que je répare les feux de la remorque qui font des leurs.

À midi je recule chez ma cliente en plein centre-ville… et ô bonheur, la place est immense. La fille est adorable et veut vivre dans sa yourte pour fuir son logement moisi qui lui cause des problèmes de santé à elle et son fils. Une fois la yourte déchargée, la douche extérieure dans le jardin sous le soleil de Californie et entre les palmiers prend un goût de vacances balnéaires.

Je remonte à Los Angeles et stationne cette fois dans un motel qui a de la place pour les camions. Deuxième repas chaud depuis le début du voyage avec un excellent take-out indien que j’arrose de deux bières fraîches dans cette zone industrielle. Zone industrielle ou pas, le vent chaud et les palmiers prolongent le goût de vacances. Cette nuit je dors bien à l’air conditionné de la chambre bon marché et me paie le luxe d’une séance de yoga au matin.

17 août : j’ai attendu ce lundi car je dois livrer dans une entreprise de produits métalliques qui n’ouvre qu’à 9 heures. Je dois vider dans un conteneur de produits d’aciers qui s’en va à Hawaii. Le client à Hawaii m’a promis que j’aurai de l’aide. Lorsque je m’adresse au contact qu’on m’a donné, le gars me répond qu’il n’a jamais entendu parler de ça… Et hop de réveiller le client à Hawaii qui débrouille l’affaire… mais pas l’aide promise.

Je décroche ma remorque pour avancer leur conteneur afin de pouvoir ensuite reculer contre celui-ci. Je débarque ensuite une énorme yourte de 7 murs (8mètres). Il s’agit d’un monstre dont certaines parties pèsent 80 kgs et plus. Les feutres sont lourds et super volumineux. La chaleur est telle que ça me prend 2h et demie pour tout transférer. J’ai descendu 8 litres d’eau…

Je me bricole 2 sandwichs et prends la direction de l’est, au Utah. Le désert est splendide. La chaleur est si intense que l’air conditionné du camion n’arrive pas à suivre. On est à 46degrés Celsius. La vitre côté conducteur est brulante. Je passe Las Vegas sans m’arrêter et arrive vers 22h proche de ma destination. J’avise un parc régional au bord d‘un lac de montagne. L’accès est interdit de nuit, mais je me faufile quand même  entre les cônes et dors après une température raisonnable.

18 août : réveil, yoga au bord du lac et baignade parfaite avant de reprendre la route. Je veux payer mon accès à la gardienne qui a repris son poste, mais elle me signifie qu’elle ne m’a « pas vu ». Thanks Mad’m!!

Rendez-vous est pris dans un truck stop où je fais le plein. Le client arrive en retard. Sa conjointe sort de la voiture pour dire bonjour et y retourne pour toute la durée du transfert, soit près de deux heures. Le type est sympa… mais un peu bizarre. Je peine à le dérider. Son pick-up est plein de gravier et de bidons. Il me dit qu’il peut faire deux voyages si nécessaire – il est à seulement 20 kilomètres de là… franchement! Évidemment je parviens à lui charger une yourte, une deuxième couche de feutres et 3 fenêtres et fout le camp. Sa voiture ressemble à un chameau, mais je ne peux pas me permettre d’attendre copain deux ou trois dheures de plus.

Je me dirige sur le Nouveau Mexique, via le Colorado, traversant des paysages de calendriers époustouflants. Dodo sur une aire au bord d’une falaise couvrant une vue que je découvrirai au petit matin.

19 août : je découvre une vue merveilleuse et une grosse fuite d’huile qui salit tout le côté du camion. Je roule à travers un décors cowboy – indiens et vais poser une baie vitrée chez une cliente tout en récupérant une veste oubliée en automne. Je m’attends à voir des indiens à plumes déballer à cheval des montagnes environnantes.

Dans le bled d’à côté je stationne au super marché et lève le capot. C’est d’abord une fuite d’eau que je découvre. Derrière moi s’élève une voix avec un accent américain du coin prononcé : « on dirait que t’as un problème? » «Le nom est Ed, je suis routier et j’habite à côté ». Ed, bien que super red neck, est adorable et me donne un sacré coup de main. Je répare la fuite d’eau et me rends compte que ma pompe de direction est desserrée, libérant assez d’huile pour redécorer ma semi. Je songe déjà à ce que je pourrais donner à Ed pour le remercier : une paire de pantoufles mongoles, un plaque de choc suisse, un billet de banque. Celui-ci me dit qu’il ne veut rien. Que je n’ai qu’à passer la faveur au suivant. D’ailleurs il rayonne d’avoir pu se rendre utile à la façon des vrais routiers. Je suis très reconnaissant et c’est une leçon pour moi d’apprendre à accepter. Ça me donne aussi l’occasion de refaire les niveaux du moteur… et de mon garde-manger au Wal-Mart dont je pollue le stationnement.

J’arrive chez le client suivant par une route super sinueuse et en passant par de petits villages à l’allure très mexicaine. Nous sommes forcés de transférer cette grosse yourte avec sa plateforme en deux voyages sur une plus petite remorque. Nous installons la plateforme après un bref orage et je suis invité à manger chez ces gens extraordinaires. Elle est prof d’école un peu hippie et gère cette petite ferme bio. Lui est scientifique, ingénieur nucléaire à la retraite. Une femme noire de Chicago fait également partie de l’équipe. Elle est « woofer ». Elle aide bénévolement dans des exploitations organiques en échange du gite et du couvert, un mouvement qui prend de l’ampleur aux USA »

20 août : on installe cette yourte sur une plateforme surélevée, ce qui rend les choses plus difficiles, mais l’équipe est excellente : enthousiastes, travailleurs et avec un bon sens pratique. Je les quitte presque la larme à l’œil après une douche au tuyau d’arrosage et une crème glacée à l’ombre d’un vœux chêne.

Direction Texas.

21 août : mon tour du camion au matin révèle un nouveau pneu crevé. Je roule comme ça presque une heure avant de trouver un atelier qui me le change en 15 minutes avec le sourire. À Fredericksburg, je livre une toile à un ancien vice-ambassadeur des USA en Mongolie et file pour une dernière livraison : une autre grosse yourte au milieu d’un champ. Tout est sec et sa passe assez bien malgré la faible garde au sol de ma remorque. Alors que nous déchargeons, commence un violent orage. Je pense d’abord que ça va ne durer que quelques minutes. Mais force est de constater que ça se prolonge et que si j’en fais de même je ne pourrai pas ressortir. J’arrive tout juste à faire demi-tour et à revenir sur mes pas en glissant dans tous les sens et en ayant bien soin d’appliquer le couple minimum pour patiner le moins possible. C’est moi une que je ne doive attendre deux jours que le terrain ne sèche.

Le soir arrivée à Wimberley chez un client fidèle et gastro dans l’excellente pizzeria du coin. Il fait trop chaud pour dormir jusqu’à ce qu’un nouvel orage se lève au petit matin. Je danse un moment sous la pluie pour me rafraichir et retourne au lit.

22 août : aujourd’hui congé! Rattrapage d’email en retard, réorganisation de la semi et rédaction de ces quelques lignes. Ça me prend la journée, mais j’ai encore le temps d’aller me baigner dans la rivière magique avant d’être invité à souper par mes clients. COVID oblige, nous mangeons dehors. Je suis entouré d’une famille de Texans sortant de l’ordinaire.

23 août : Il faut attendre que les clients qui occupent le terrain de mes hôtes débarrassent le plancher. À 375$ la nuit dans ces yourtes de location magnifiques, ils ont le droit à la tranquillité. Brian et sa conjointe ont créé ce camp touristique de leur propres mains et en misant tout ce qu’ils avaient. En une année ils ont généré un tel succès qu’ils achètent leur 7ème yourte et m’en commande 3 autres… et envisagent d’aller passer 3 mois avec leurs filles adolescentes sur un voilier dans l’océan indien.

Je les invite dans un BBQ texan local et prend la route en milieu d’après-midi pour traverser le Texas direction Est. A minuit alors que j’ai les yeux qui se croisent et que je cherche un endroit pour passer la nuit, je rentre en Arkansas et bénéficie de l’hospitalité de la balance qui est ouverte. La jolie blonde qui inspecte le camion et les papiers pendant une heure renonce à me mettre une bûche après que je lui joue une petite ronde de séduction tirée des dernières forces de la journée. La liste des erreurs est longue et j’ai deux semaines pour envoyer la preuve des corrections. L’Arkansas doit encore me prouver qu’il a du bon…

24 août : café léger dans un des relais routiers les plus pouraves du pays. On est loin du clinquant de la Californie.

Arkansas – Tenessee en évitant le Kentucky où l’on fait du Whisky avec du mais où l’on paie une taxe de plus, je passe de chez Elvis Presley à Memphis à Dolly Parton à Nashville sans même leur faire la bise. Je roule non-stop et dans ma rêverie je m’étonne que toutes les jonctions de pont du Tenessee soit aussi mal faites. Je me réveille quelques centaines de kms plus tard en me disant que ce n’est pas possible qu’on se tape ainsi le cul au pays du country et un coup d’œil à la jauge de pression de suspension me confirme que c’est bien moi l’imbécile : elle est à zéro et c’est pas étonnant que je m’explose les lombaires. Je crains d’avoir explosé un boudin d’air, mais bretelle de sortie d’autoroute suivante me révèle que seule une goupille de la valve de suspension s’est faite la malle et je répare avec une épingle à cheveux.

Dodo le soir en Virginie après 1300kms de route et des sushis chez Shogun.

25 août : j’ai un peu forcé le pas dans l’espoir de pouvoir faire halte chez un ami suisse de mon père en Pennsylvanie. J’arrive encore à trouver un lavage camion à l’heure du lunch doublé d’un chrome shop, unique magasinage autorisé pour chauffeur routier. Pendant qu’on fait les ongles du camion et de la semi, je nous dégote quelques accessoires beauté indispensables.

J’arrive non loin de chez Michel à une heure buvable et me stationne au truck stop local. Le presque nonagénaire vient me cueillir dans sa Prius et me ramène chez lui pied dedans dans un décors d’anciennes petites maisons américaines charmantes et de banderolles pro-Trump qui font rudement tousser mon hôte. L’endroit est idyllique. Michel a quitté la Suisse il y a bien longtemps alors qu’il réalisait que sur le plan sentimental il était plutôt attiré par l’autre équipe. Le Canada et puis ensuite les USA lui ont semblé plus ouverts et il les a traversés au temps des révolutions identitaires. Lui et son conjoint ont créé un petit havre de paix en Pennsylvanie, petite ferme merveilleuse avec son jardin qui révèle que quand on laisse les gens vivre leur vie, aussi peu commune soit-elle, la beauté en surgit.

Nous mangeons la fondue au jardin, au mépris de toute pandémie. Je m’émerveille qu’un gars de 88 ans soit en fait bien plus jeune d’esprit que l’auteur de ces lignes.

26 août : Je livre une des dernières parties de mon chargement chez une shamane hongroise dans l’état de New York. Le coin est magnifique. La dame, adorable, son fils et son conjoint sont hébergés par des amis à eux en attendant l’érection de leur nouveau logis que j’amène aujourd’hui même. Pour l’aquiérir et aller vovre aui milieu de la forêt, ma cliente a vendu sa maison. C’est le résultat d’une vision qu’elle a eue en transe et retransmise en peinture sur une toile saisissante exposée dans la maison de leurs hôtes. Même si l’histoire paraît énorme, les acteurs semblent avoir les pieds sur terre et le regard de la madame en dit long sur sa capacité à lire son environnement.

C’est ici que devrait me rejoindre mon collègue Peter qui, venu de la ferme en Ontario aurait dû amener le solde de la commande. Mais Peter a été retardé en route et en fin de journée je décide d’aller le rejoindre à une heure de route et de réorganiser la suite des événements. Peter voyage avec le pick-up Ford de notre petite entreprise et une remorque fermée aux couleurs.

C’est sur le parking du Wal-Mart de Kingston NY que nous nous retrouvons et c’est le premier rendez-vous international de deux véhicules de la maison. Ça a de l’allure et on n’est pas peu fiers. On va fêter ça au Steak House du coin. Retour au parking pour prendre toutes sortes de clichés artistiques de nos 2 véhicules illuminés. On a peut-être aussi profité d’appeler l’u ou l’autre d’entre vous au téléphone ce soir-là…

27 août : On n’est pas particulièrement frais en ce joli matin et le ciel est tout pareil : très gris. On arrrive à sationner nos deux véhicules chez Yuri, notre dernier client. Cet Ukrainien loue cette propriété sur AirBNB et nous sommes sensé avoir tout terminé avant 16h, l’heure d’arrivées de ses prochains clients. On y est presque lorsqu’une véritable tornade s’abat sur l’endroit et inonde la yourte pas tout à fait finie. J’en profites pour une douche au camion, mais nous n’avons pas assez de temps pour tout corriger et décision est prise de revenir le lendemain.

Temps pour nous d’aller livrer le solde des pièces de la Shaman que Peter amenait dans sa remorque puis de s’arrêter dans un petit bled pour une soupe… tibétaine. Quand on repart, nous décidons d’éviter le NY Thruway, autoroute payante. Grand bien nous fait : nous sommes projeté sur les bords de l’Hudson à la tombée de la nuit dans un décors surréaliste. Dans cette étroite vallée, de vieux rafiots sont à l’abandon ou en attende d’hypothétiques réparations. La route pourave et coincé entre la rivière et une falaise de forêt humide et impénétrable.  Toutes sortes de maison à étages pierre ou en brique sont sorties d’un autre siècle, au bord de la Tamise du temps de Peter Pan. On est projeté ailleurs dans le temps l’histoire de quelques miles. On cherche la gargote à demi éclairée emplie de bateliers déchirés et chantant, mais ne la trouvons pas et finissons au camion heureux de rattraper quelques heures de sommeil.

28 août : ça nous prend toute la matinée à réparer les dégâts et finir notre installation. À midi on décolle en convoi pour traverser l’état de New York en direction du fleuve St-Laurent que nous traversons à Alexandria Bay, ainsi que la frontière du Canada. Je débarque une heure plus tard à la maison à 20’200 kms du départ, heureux et conscient d’avoir le cul bordé de nouilles.

Yves Ballenegger

GroovyYurts Inc.

20845 McCormick Rd.

Alexandria, ON, Canada, K0C 1A0

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