CONCLUSION
Alors face à tous ces stéréotypes négatifs à propos des chauffeurs de poids lourds
et de super-lourds partagés par une majorité de personnes extérieures au transport
je pense que nous pouvons conclure la tête haute que d'une part il s'agit bien d'un
stéréotype et que la réalité est bien loin de toutes ces affirmations calomnieuses
d'une part, et pour être plus précis nous pouvons apporter des réponses concrètes et
prouvées scientifiquement aux affirmations suivantes si couramment entendues ::
- « ils conduisent dangereusement »
– - « ils ne respectent pas la règlementation »
– - « ils sont responsables de plus d'accidents que les autres véhicules »
– - « ils boivent beaucoup ».
– Les chiffres présentés dans le chapitre précédent nous montrent à quel
point toutes ces affirmations sont fausses et injustifiées, maintenant quel
impact ont ces affirmations sur les chaufeurs de poids-lourds et de superlourds
, nous redoutions d'observer les faits suivants :
– - « dangerosité augmentée au volant »
– - « démotivation »
– - « baisse de l'estime de soi »
– - « augmentation du stress sur la route »
– - « augmentation des règles de sécurité dans l'entreprise »
– - « augmentation de la formation à la sécurité sur la route »
– - « taux d'alcoolémie »
- A aucun moment nous n'avons observé de dangerosité augmentée au volant
de la part des chauffeurs de poids-lourds ou super-lourds qui aurait pu être une
réponse à cette attaque constante de la part de cette majorité de personnes
que représente les gens extérieurs au transport, ces automobilistes
irrespectueux et provocateurs aussi bien à l'égard des camions que des
chauffeurs.
- En ce qui concerne la démotivation et la baisse de l'estime de soi, je n'ai pas
observé ce type de réponse chez les chauffeurs, mais par exemple une réelle
conscience qu'ils ne sont pas aimés, c'est un peu comme s'il y avait deux
mondes différents qui devaient se partager la route avec pourtant un code de la
route commun (à l'exception d'un rajoût pour les camions, la base du code de la
route est la même pour tous), donc on pourrait penser qu'il va y avoir
compréhension et communication mais il n'en est rien, le camion est une grosse
chose qui gêne et le chauffeur par extension est une sorte de monstre
(puisqu'il conduit un véhicule montrueux – parce qu'il est gros) donc les
gens font un amalgam des deux et rejettent camions et chauffeurs alors qu'ils ont
tant besoin des deux et de plus, lorsqu'on communique ensemble avec de la
bonne volonté, les routiers sont des gens avec lesquels il est très facile de
partager la route, vous savez, c'est comme dans la vie, il faut prendre conscience
des différences des autres et les accepter pour pouvoir vivre en harmonie, sur la
route c'est la même chose, un camion c'est gros, ça roule moins vite justement
par sécurité, un camion est soumis à des règles particulières que les
automobilistes ignorent souvent d'ailleurs et peut-être serait-il intéressant
lors du passage du code de la route de faire un râjout concernant la
cohabitation avec les poids-lourds en enseignant aux automobilistes les
contraintes de la conduite d'un poids-lourds ou d'un super-lourds.
Je me souviens de cette anecdote alors que je faisais mes observations aux côtés
des chauffeurs, je passais donc toute la journée à leurs côtés et un jour, alors que le chauffeur déchargeait sa semie, la dame qui était la propriétaire de l'entreprise
que nous étions en train de livrer vient me voir discrètement et me demande
doucement (à voix basse) si elle pouvait me poser une question :
- D'un air terrifiée elle me demande:
Dame : « Vous aussi vous conduisez ça «
Moi : « Non je ne conduis pas celui-là, mais j'ai mon permis poids-lourds »
Dame : « Oh ! Mon Dieu, mais comment vous faites pour l'arrêter ! C'est
énorme, ça me fait tellement peur, quand je suis sur la route avec les camions, je
suis terrorisée ! »
J'ai donc passée un certain temps à lui expliquer comment nous étions formés et
les différents équipements de sécurité qui étaient de plus en plus performants sur
les camions aujourd'hui, et à chaque fois que le chauffeur se rapprochait de
nous en faisant son travail, elle me tirait encore un peu plus loin en me
disant :
Dame : « Je ne veux pas demander au monsieur, je n'ose pas »
Moi : « Mais pourquoi, il n'y a pas plus gentil que D.... »
Dame : « Non, non, je n'ose pas, lui il conduit ça tous les jours, non, non je
ne veux pas »
Il y avait cette espèce de crainte du chauffeur, on ne sait pas pourquoi car très
sincèrement, il n'y avait pas plus gentil que D.... et de plus il présentait très bien,
très loin des vieux clichés des chauffeurs musclés et tatoués que les gens ont
gardé, et je crois qu'elle associait le chauffeur au camion, ils étaient pour
elle une sorte de binôme qui lui faisait peur, ils ne faisaient qu'un tous les
deux le chauffeur et son camion, dans l'esprit des gens, le chauffeur est
l'extension du camion, c'est à dire que le camion est gros donc dangereux
donc le chauffeur qui conduit « ça » est forçément dangereux et donc il est
craint et rejeté alors qu'en réalité, c'est le camion qui est l'extension du
chauffeur, le camion est dangereux que si le chauffeur le conduit mal (sauf
accident mécanique), bien sûr qu'il est gros et qu'il ne faut pas s'encastrer
dessous, mais pourquoi allez-vous vous encastrer en-dessous, eh bien parce que
vous rouliez trop près – et ce n'est qu'un exemple, je pourrais en citer bien
d'autres.....
– L' « augmentation du stress sur la route », elle, est flagrante et constante, les
chauffeurs sont pleinement conscients de l'irresponsabilité des
automobilistes à leur égard et de toutes les erreurs qu'ils font quelquefois
d'ailleurs si énormes qu'on se demande après que l'adrénaline soit retombée c'était bien réel car tellement « dingue » que cela en est quelquefois incroyable
(je suis désolée pour l'emploi de l'adjectif « dingue », mais il me semble être
celui qui convient le mieux à un certain nombre de situations trop souvent
observées).
Je mets un point d'honneur a affirmer que face à toutes ces situations
accidentogènes, bon nombre d'entre elles se seraient soldées par des
accidents qui auraient pu être très graves voire mortels sans le professionnalisme
des chauffeurs, leurs facultés à anticiper les fautes des autres pour
mieux pouvoir prévenir voire réagir avant que les catastrophes n'arrivent
et les multiples formations qu'ils suivent ainsi que leur pratique quotidienne
de la route y sont pour beaucoup dans les bons résultats observés à ce
niveau. Jamais, les médias ne véhiculent cet aspect des chauffeurs, et
pourtant, combien d'accidents graves sont évités chaque jour grâce à leur
professionnalisme?
– L' « augmentation des règles de sécurité dans l'entreprise » est, elle aussi,
flagrante, mais est-elle un résultat de la pression extérieure ou une volonté de
travailler dans de bonnes conditions techniques et psychologiques, les deux sont
liées, on n'observe pas cette donnée dans toutes les entreprises et les chauffeurs
reconnaissent un certain « confort » à travailler encadré par autant de règles de
sécurité qu'ils expriment de la façon suivante :
- « Nous, on a rien à se reprocher, on est en règle et on respecte les règles. »
Ou alors :
- « Ici, on est bien, pourquoi tu reste pas travailler avec nous ».
Cependant trop de règles de sécurité peut aussi être vécu comme une prison (les
chauffeurs NDD apprécient toute cette sécurité, mais les chauffeurs extérieurs
au groupe – d'entreprises concurrentes – envient les chauffeurs NDD pour leur
confort de travail mais disent ne pas pouvoir se plier à autrant de règles – c'est
un peu contradictoire car ce sont justement les règles de sécurité qui ont
augmenté le confort en partie, en grande partie.).
- « Augmentation de la formation à la sécurité sur la route » : régulière avec
l'apparition de la FIMO ces dernières années et constantes dans certaines
entreprises. La FIMO est-elle bien adaptée à la réalité, c'est très discutable, une chose est certaine, elle ne satisfait pas certaines entreprises qui ont mis en
place des formations personnalisées pour leurs chauffeurs (plan bonne conduite
chez Norbert Dentressangle) avec des résultats très positifs.
Comme je le mentionnais plus haut, est-ce une simple volonté de travailler dans
de bonnes conditions (tous postes confondus : budget , psychologique,
technique, législatif, humain : un accident coûte cher,) et/ou une réponse aux
pressions extérieures ?
– - « Augmentation de l'alccolémie » : Eh bien non, nous pouvons affirmer la
tête haute que les routiers lorsqu'il y a accident corporel mortel ou non sont
ceux qui ont le moins souvent un taux d'alcoolémie positif à l'opposer des
autres usagers de la route, et ils ne sont pas plus meurtriers parce que les
gens les rejettent.
J'ai rencontré et travaillé durant toute cette étude avec des gens pleinement
conscients de toutes ces réalités mais conscients aussi que le fait de conduire
un véhicule lourd ou super lourd à vide ou chargé les expose à un certain
nombre de risques d'autant plus élevés suivant la nature du chargement, le
tonnage, la météo, l'infrastructure (l'état de la route), la luminosité, et le
comportement des autres usagers de la route comme nous l'avons vu plus
haut, ces hommes qui sont souvent considérés comme des monstres inconscients
ont souvent pourtant exprimé la peur et parlé de situations dans
lesquelles ils avaient eu très peur ou bien où ils ont très peur et qu'il redoute
un jour de vivre car ils savent que conduire ce type d'ensembles ne laisse
pas de place à l'imprudence.
Ces hommes et ces femmes ne sont pas inconscients par rapport à ce qu'ils
conduisent, par rapport à ce qu'ils transportent, par rapport aux autres, ils
sont pleinement humains et pleinement responsables parce que le transport
routier est avant tout une réalité économique ET humaine.